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PARTIE 2 : LA MEMOIRE PHOTOGRAPHIQUE DU NOUVEAU CENTRE

2. La promotion de l’architecture par l’image

Dans les années 1920-1930 : la photographie au service des architectes

Après la première guerre mondiale le domaine de la photographie d’architecture est en pleine évolution : d’une part, les architectes font de plus en plus usage de la photographie, d’autre part, les photographes professionnels participent davantage à la diffusion de la nouvelle architecture. Nous ne traiterons pas la question de la photographie en tant qu’instrument de travail pour l’architecte, bien que certainement extrêmement intéressante. La raison à cela est que nous n’avons trouvé aucune source qui aurait pu confirmer ou infirmer une quelconque utilisation des photographies Sylvestre par les deux architectes Robert Giroux et Môrice Leroux. D’ailleurs, le lien

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n’est pas aussi évident entre l’architecte et la photographie, celle-ci étant exclue de la formation des architectes, et vue comme un interdit dans les disciplines académiques en France au tout début du XXème siècle. La photographie d’architecture est une photographie de professionnel ; hormis de rares cas, la figure de l’architecte- photographe n’existe pas. C’est un type de photographies qui impose des contraintes techniques et matérielles qui excluent l’amateur, du moins dans la première partie du XXème siècle. La photographie d’architecture remplit donc plusieurs fonctions dès le départ, celle d’être un objet documentaire pour les revues, et donc celle d’exprimer la nouvelle architecture, et celle de motiver les architectes, en jouant le rôle d’une simulation de leurs œuvres. La photographie de la maquette et le photomontage sont deux outils pour l’architecte.

En outre, faire la promotion d’une réalisation architecturale au travers du médium photographique n’apparaît pas du tout inattendu dans les années 1930 en Europe , au contraire même, d’après ce qu’en dit Gérard Monnier :

Aucune génération d’architectes, comme celles des modernes qui opèrent en marge des institutions professionnelles existantes, n’a construit à ce point l’identité de ses œuvres sur le médium photographique. 117

En effet, les architectes ont très vite compris l’importance de la photographie, de l’image pour la promotion de l’architecture et la diffusion de ses nouveaux modèles. Car la photographie tend à devenir un médium de masse dans les années 1930, elle est de plus en plus facilement accessible par tous, dans la presse, l’affiche publicitaire, le livre illustré…Un dialogue étroit et parfois intense s’est petit à petit instauré entre l’architecte et le photographe.

Dès 1914 Walter Gropius est l’un des tous premiers architectes à recourir à la photographie pour illustrer l’une de ses conférences. Au début des années 1920, les artistes des avant-gardes soviétiques, comme Alexandre Rotchenko, s’intéressent à l’architecture pour produire des représentations dynamiques de l’utopie communiste, en privilégiant des vues en contre-plongée. Dans cette période, deux parutions vont définitivement affirmer l’association photographie-architecture : en 1923, Le Corbusier publie Vers une architecture, et en 1925, Walter Gropius livre au public Internationale

Architektur. « Pour ces défenseurs du style international, l’utilisation de la photographie

permettait de célébrer la modernité grâce aux techniques les plus modernes de

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MONNIER, Gérard, « Architecture et Photographie », dans GERVEREAU, Laurent, Dictionnaire mondial des images, ed. Nouveau Monde, 2006, p.66.

Partie 2 : La mémoire photographique du Nouveau Centre Urbain : entre témoignage et promotion construction »118, écrivent Joerg Bader et Damien Sausset. Dès ce moment, les architectes perçoivent ce que la photographie peut leur apporter. Ils voient en elle un atout pour la communication de leurs œuvres au public. Dans une note de Walter Gropius, il conseille d’utiliser essentiellement « des reproductions d’aspect extérieur pour servir un public non professionnel ». La photographie est appréciée pour ses qualités pédagogiques, instructives. « La photographie d’architecture devient alors une image de propagande pour la diffusion d’un projet moderniste »119

.

C’est dans ces années-là que les architectes commencent sérieusement à contrôler les images de leurs édifices dans les moyens de communications, les publications et les expositions : à chaque fois, ce sont les photographies que l’on met en avant car le médium photographique est alors perçu comme un vecteur visuel qui ne ment pas. Ainsi, la demande en photographies augmente : une nouvelle génération de photographes d’architecture moderne apparaît, comptant parmi elle Lucia Moholy, Zoltan Seidner ou encore Hugo Schmölz. Ces photographes se distinguent toute fois des photographes comme ceux de la Maison Sylvestre : il est moins question d’une photographie industrielle, que d’une photographie revendiquant sa part de création artistique. Cette génération de photographes créateurs appartient à la Nouvelle Vision120. Cette photographie d’interprétation est en réalité assez indépendante alors que la photographie industrielle telle qu’elle est pratiquée dans l’atelier Sylvestre, est sujette à des modifications selon le bon vouloir du commanditaire : sélection des épreuves, soumission aux recadrages, retouches et montages par des graphistes. La photographie industrielle ne se situe pas dans la sphère de l’interprétation, mais bien au contraire dans celle de la documentation.

Toutefois, des transferts d’influence ont pu s’effectuer de la photographie créatrice à la photographie industrielle, ne serait -ce que dans la recherche d’une esthétique qui tend à valoriser l’édifice et non plus seulement à en rendre compte objectivement. Ce contexte est marqué par les photographies d’Albert Renger-Patzsch (1897-1966) dans lesquelles les détails d’un édifice sont mis en valeur par une fragmentation originale, une recherche de la qualité visuelle, ou bien un goût pour des points de vue intéressants.

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BADER, Joerg, SAUSSET, Damien, « Archi-photographiés », L’œil, n°519, septembre 2000

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Ibid.

120 Courant photographique des années 1920 qui privilégie une approche plus artistique de la photographie : l’architecture est

enregistrée au moyen d’angles inédits comme la plongée, ou la contre -plongée. Les clichés sont plus structurés, dynamisés par des diagonales, des plans rapprochés, des basculements d’angle de vue, ou encore par l’usage du photomontage.

En fait, ce qui est plus étonnant, ce n’est pas l’usage de la photographie comme vecteur « publicitaire » dans le cas de Villeurbanne, mais l’initiateur de cet usage : ici, ce n’est pas l’architecte qui fait la promotion de sa construction, mais un maire, entouré de ses conseillers, qui choisit la modernité du médium pour afficher la modernité de son socialisme municipal, au travers de celle de son nouveau centre urbain. « Au XXème siècle, les photos sont devenues des documents techniques pour les architectes et les ingénieurs ainsi que des instruments de communication pour les promoteurs. »121, peut- on lire dans un article sur la photographie d’architecture urbaine.

Les photographies des plans et perspectives du nouveau centre : valoriser le projet urbain avant sa réalisation

Dans notre corpus ne figurent pas uniquement des photographies d’architecture réalisée ou en cours de réalisation : on compte aussi quelques photographies prises des dessins préparatoires, maquettes ou plans, qui sont généralement des productions dessinées par les architectes. Ces clichés un peu à part se retrouvent ensuite dans les articles de journaux : ils visent à parler du projet du Nouveau Centre avant même le lancement des travaux. Par exemple, deux articles de 1932 les utilisent. D’autre part, il semble qu’on ait vu en eux des documents « pédagogiques », qui permettent d’illustrer le propos d’un auteur, de manière didactique. Le dessin de la maquette de Môrice Leroux du Nouveau Centre122 par exemple propose une vision d’ensemble de ce que sera le Nouveau Centre. En soi, le dessin est un outil pour l’architecte, une communication de son projet au politique, mais aussi un document dont la fonction informationnelle est de plus en plus appréciée par les revues spécialisées d’architecture et d’urbanisme. Les rédacteurs peuvent ainsi « instruire » leur lectorat professionnel.

3. L’intention du photographe : des choix