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PARTIE 3 : PROMOTION DU NOUVEAU CENTRE URBAIN PAR LA PRESSE

I. LA DIFFUSION DE L’INFORMATION DANS LA PRESSE

2) Des stratégies d’écriture variées

Dans l’entre-deux-guerres, les journaux et les revues cherchent à élargir leur lectorat, en diversifiant les articles, et en rendant leur contenu plus accessible. Nous avons remarqué qu’une grande partie des articles écrits sur Villeurbanne s’inscrivait dans la même démarche de vulgarisation du discours, hormis peut -être ceux issus de journaux et revues spécialisés dans l’architecture et l’urbanisme. D’ailleurs la correspondance échangée entre les rédacteurs et la municipalité villeurbannaise illustre cette recherche de simplification du discours opérée par les rédacteurs. En effet, dans une lettre du 9 juin 1934, Monsieur Harlingue, directeur d’une revue, dont le nom n’est

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L’architecture d’aujourd’hui, 1934 n°7, « Le Nouveau Villeurbanne »

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Partie 3 : Promotion du Nouveau Centre Urbain par la presse et les évènements pas stipulé, demande au maire de belles photographies, montrant les plans, les bâtiments officiels, les habitations, les parcs et jardins, et l’intérieur en vue de faire un « article de vulgarisation ».

Le voyage ou la ballade dans le nouveau centre

Au contraire, certains articles s’attachent à sortir du lot, en proposant au lecteur un récit imagé, dont le ressort principal est sa forme littéraire : il prend en effet l’aspect d’une visite, d’une ballade au cœur du Nouveau Centre. L’auteur est le plus souvent le visiteur, et le lecteur est fortement invité à le rejoindre.

Dans l’article de La Vie Lyonnaise, du 2 juin 1934, on peut lire « Le touriste qui, de Genève, arrive à Lyon par la route, aperçoit soudain, des hauteurs de Crépieux, à l’instant où son regard plonge entre les pylônes de la grande antenne de La Doua, deux hauts monolithes qui, sur l’horizon de la plaine rhodanienne, s’élèvent ainsi que les piliers d’une porte monumentale. ». Ce discours est associé à une vue aérienne du centre. L’auteur a cherché à attirer le lecteur, qui est tenté de s’identifier au « touriste ». Dans ce type d’articles, il y a aussi l’idée d’un itinéraire découverte, presque didactique. C’est ainsi qu’on peut ressentir les quelques phrases accrocheuses de l’article de La Maison Heureuse, écrit par Henriette Delaire : « Après le nouveau centre d’urbanisme, dont je vous ai exposé ici même l’ensemble de réalisations, je viens vous faire connaître aujourd’hui le « Jardin des Tout-Petits […] », « Mais, entrez-y avec moi si vous le voulez bien. ».

De plus, l’image de la ballade est une métaphore de la fonction de l’article qui est de « parcourir » le nouveau centre, pour en donner une description des plus authentiques. La Vie Lyonnaise joue sur ce double sens du mot « parcourir » : « Pourtant, avant de parcourir la Cité Neuve qui, sur cinq hectares, s’est, en moins de trois ans, développée au cœur de Villeurbanne, prêtons un instant attention aux étapes de cette réalisation […] », peut-on lire dans l’article du 2 juin 1934.

Il s’agit aussi de capter l’attention du lecteur ordinaire, par une prose littéraire accessible et captivante, et de l’impliquer, non plus comme spectateur mais comme acteur ; l’article le fait presque « voyager », par l’emploi d’un nous pluriel : « Souple au pas sous son récent revêtement de tarmacadam, la grande avenue nous convie à poursuivre l’excursion. »212

L’itinéraire à suivre permet d’associer l’auteur à son article, il lui permet de donner ses impressions sur le nouveau centre, comme on le voit dans l’article paru dans La

Technique des Travaux en août 1934 : « Arrivés au terme, si j’ose m’exprimer ainsi, de

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notre randonnée à travers la Cité Villeurbannaise, essayons d’en dégager une impression d’ensemble. » L’effet qui est produit est significatif du rôle joué par la presse dans la promotion du Nouveau Centre : dans l’esprit du lecteur, le Nouveau centre devient un lieu à visiter, un lieu presque touristique, « un monument ». Les articles de presse constituent au fond une première écriture de son histoire en tant que lieu remarquable. L’emploi du mot « monument » pour qualifier cette nouvelle architecture confirme cela : « Un beffroi carré hausse vers la nue tout le monument. »213 . De même, dans le Progrès du 30 juin 1933, au sujet du nouveau stade, l’auteur parle du « futur monument _ car il ne s’agit de rien moins que d’un véritable monument _ ».

Une écriture qui s’inspire de la réclame publicitaire

« Approchez-vous de la devanture, jetez un coup d’œil sur les prix, et vous serez édifiés. » ou encore « Un dernier conseil : ne manquez pas d’aller voir le magasin de la Droguerie Centrale, le soir. », peut-on lire dans La Vie Lyonnaise, le 2 juin 1934.

L’invention d’une légende

En réalité, rien que la simple présence du Nouveau Centre urbain de Villeurbanne dans un article de presse qui sera lu par des lecteurs, quel que soit le champ de diffusion, ou le type de lecteur ciblé, contribue d’une certaine manière à sa promotion, à sa diffusion en tant que lieu ou évènement qui a son intérêt. Mais lorsque l’auteur de l’article va au - delà du simple constat, ou de l’exposé d’informations, pour donner au sujet de son article des qualités que le projet ne lui prêtait pas forcément, alors l’acte d’écriture dépasse l’effet promotionnel. On tombe dans l’écriture d’une histoire du Nouveau Centre, d’une genèse, qui oscille entre les faits, et les origines qu’on leur associe, entre l’Histoire et le mythe. La presse participe, parfois malgré elle, à écrire la légende du Nouveau Centre, une légende qui trouvera immanquablement des lecteurs pour la rapporter, pour la faire vivre, et pour lui apporter du crédit. La mémoire du Nouveau Centre urbain ne s’est pas construite que dans les faits, dans les chiffres, ou dans les discours officiels, elle s’est aussi façonnée dans l’écriture des observateurs que sont les rédacteurs de presse.

La Construction moderne, le 8 juill 1934 parle d’ « un spectacle curieux et de rêve, qui fait

songer à quelque gigantesque jeu de « meccano » ». La Vie Lyonnaise, quant à elle, le 2 avril 1932, invite le lecteur à se projeter dans l’avenir : « Achevé, l’ensemble, éclairé le soir par

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Partie 3 : Promotion du Nouveau Centre Urbain par la presse et les évènements projection, animé par la foule des promeneurs que les magasins luxueux des rez-de-chaussée retiendront dans leur orbe, revêtira un aspect féérique »

La description de la photographie de l’hôtel de nuit pris de nuit, insérée dans l’article participe aussi de cet effet : « Sous leurs feux combinés, sa façade revêt alors un aspect de château des mille et une nuits : contraste empli de saveur. ». D’ailleurs, La Vie Lyonnaise n’est pas la seule à utiliser cette référence littéraire : dans La Vie Heureuse, on peut lire en juin 1933 : « Ne vous semble-t-il pas que ce soit trop beau pour être vrai ; et ne se croirait-on pas dans un conte des Mille et une Nuits ? ». La verbe poétique de l’auteur vient habiller le mythe d’une prose littéraire, assez recherchée : « Au sommet le regard, par temps clair, porte des méandres de la Saône et du Rhône, des ondulations reposantes des Monts du Lyonnais aux dentelures tourmentées de l’Alpe. ».

De même, des références exotiques ou anciennes qui dans l’esprit du lecteur renvoient à un socle commun culturel « deux hauts monolithes (qui) […] s’élèvent ainsi que deux pilliers d’une porte monumentale »214

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II. LA FIXATION D’UN DISCOURS ET D’UNE IMAGE