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Les effets de la politique étrangère américaine sur la démocratisation du Moyen-Orient : le cas du Middle East Partnership Initiative

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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LES EFFETS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

AMÉRICAINE SUR LA DÉMOCRATISATION DU

MOYEN-ORIENT : LE CAS DU MIDDLE EAST

PARTNERSHIP INITIATIVE

Ariane Théroux-Samuel Department of Political Science

McGill University, Montreal

August 2007

A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the requirements of the degree of M.A. in Political Science

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RÉSUMÉ

Ce mémoire porte sur les effets de la politique étrangère américaine après le 11 septembre 2001 sur la démocratisation du Moyen-Orient. Plus particulièrement, l’auteure y examine le cas du Middle East Partnership Initiative (MEPI), un programme d’assistance à la démocratie mis en œuvre en 2002 dans le cadre de la vaste campagne de promotion démocratique de l’administration Bush, lancée peu après les événements de 2001. Après une analyse théorique des éléments reliés au processus de démocratisation et une rétrospective de la place accordée à la promotion de la démocratie dans l’historique récente des affaires étrangères des États-Unis, l’auteure introduit les différents aspects de la nouvelle rhétorique pro-démocratique de l’administration Bush, communément appelée le Freedom Agenda. En décrivant et en analysant les programmes, l’évolution et les priorités du MEPI, ainsi qu’en examinant les critiques qui lui ont été adressées et les défis que l’initiative devra affronter dans les années à venir, l’auteure réussit à démontrer que les effets positifs de ce genre de programme de démocratisation sont difficiles à prouver, les avancées démocratiques « réelles » étant peu nombreuses au Moyen-Orient à ce jour.

ABSTRACT

This thesis focuses on the effects of American foreign policy on the “democratization” of the Middle East in the post-September-2001 period. The author examines the case of the Middle East Partnership Initiative, a democracy assistance program created in 2002 within the context of the vast democracy promotion campaign undertaken by the Bush administration in response to the attacks of September 11, 2001. Following a theoretical analysis of the elements related to the process of democratization and a retrospective of democracy promotion in the recent history of the United States, the author introduces the different aspects of President Bush’s new pro-democracy rhetoric, known as the Freedom Agenda. In describing and analyzing MEPI’s programs, evolution and priorities, as well as its main shortcomings and challenges ahead, the author demonstrates that the positive effects of such democratization programs are difficult to show as there have been few “real” democratic advancements in the Middle East so far.

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REMERCIEMENTS

À ma famille, pour son aide, son support et son amour inconditionnel.

À mon directeur, M. Rex Brynen, pour sa grande générosité, ses conseils et son soutien constant.

Au programme de bourses de maîtrise du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour son support financier indispensable.

À tous ceux, intéressés par le Moyen-Orient, qui ont participé d’une façon ou d’une autre à cette recherche, en partageant avec moi leur temps, leurs connaissances et leurs

conseils.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION... 1

CHAPITRE I : Démocratiser le Moyen-Orient : perspectives théoriques... 9

1. La « démocratisation » versus la « libéralisation » du Moyen-Orient... 9

2. Les stratégies de promotion démocratique ... 12

a) Encourager les réformes économiques ... 14

b) Favoriser indirectement les réformes démocratiques ... 15

c) Favoriser directement les réformes démocratiques... 16

3. Les obstacles à la démocratisation... 17

a) La culture politique ... 17

b) La société civile ... 20

c) L’économie politique ... 23

d) Les institutions politiques, la régionalisation et la militarisation de l’État... 25

e) L’influence extérieure... 26

CHAPITRE II : Les efforts de promotion démocratique des États-Unis avant septembre 2001... 29

CHAPITRE III : Le nouvel agenda démocratique de l’administration Bush ... 35

1. Les outils diplomatiques ... 39

a) Les pressions internationales ... 39

b) La diplomatie publique ... 45

c) Les programmes d’aide à la démocratie ... 52

CHAPITRE IV : Le Middle East Partnership Initiative ... 55

1. Les programmes du MEPI ... 56

a) Le pilier politique... 57

b) Le pilier économique ... 58

c) Le pilier éducationnel ... 59

d) Le piler de l’émancipation féminine ... 60

2. L’évolution du MEPI ... 61

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4. Les critiques du MEPI ... 70

a) Des libéralisations venant de l’élite ... 70

b) Une stratégie incohérente... 73

c) Le manque de crédibilité des États-Unis ... 77

d) Des lacunes dans la gestion des projets ... 80

e) Des problèmes institutionnels ... 82

f) Un manque de support politique... 83

g) Transformer MEPI en une fondation privée ... 85

5. Les défis du MEPI ... 86

a) Conserver son autorité budgétaire ... 86

b) Soutenir adéquatement la société civile... 87

c) Favoriser les effets à long-terme... 90

d) Obtenir un soutien politique de haut niveau ... 92

e) Engager les islamistes modérés ... 93

CONCLUSION ... 96

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LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU 1 : Secteurs d’activités du Freedom Agenda... 53 TABLEAU 2 : Le financement du MEPI par pilier et année fiscale ... 65

LISTE DES FIGURES

FIGURE 1 : Nombre de programmes du MEPI par type de programme ... 67 FIIGURE 2 : Financement des programmes du MEPI par type de programme... 68 FIGURE 3 : Financement des programmes du MEPI par secteur bénéficiaire ... 69

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LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

BMENA Broader Middle East for North Africa

CIA Central Intelligence Agency

CRS Chief Review Service

CSID Center for the Study of Islam and Democracy

DRL The Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor GAO Government Accountability Office

GEMI Greater Middle East Partnership

G8 Group of Eight Major Industrialized Nations IRI International Republican Institute

MEF Middle East Foundation

MEFTA U.S.-Middle East Free Trade Area MEPI Middle East Partnership Initiative

NDI National Democratic Institute

NED National Endowment for Democracy OMC Organisation Mondiale du Commerce

ONG Organisation non-gouvernementale

RRU Rapid Reaction Unit

USNAEP U.S.-North Africa Economic Partnership URSS Union des républiques socialistes soviétiques USAID U.S. Agency for International Development

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INTRODUCTION

En 2002, en réponse aux attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’administration Bush lançait un programme politique ambitieux pour améliorer la stabilité à long-terme des États arabes et réduire l’appel des idéologies extrémistes. Le but premier de cette nouvelle stratégie, connue sous le nom de Freedom Agenda,1 serait la promotion des réformes politiques et des valeurs démocratiques au Moyen-Orient. En effet, les attentats terroristes qui ont frappé les Américains sur leur propre sol, ont remis en question un pilier majeur de la pensée politique traditionnelle américaine – à savoir la ferme conviction que le statu quo et la stabilité politique offerts par les régimes autoritaires du Moyen-Orient assureraient la protection des intérêts économiques et sécuritaires des États-Unis.2 Aux lendemains des attaques, le président Bush et certains de ses conseillers ont rapidement associé la menace terrorisme et l’antiaméricanisme des pays arabes avec le manque de libertés démocratiques au Moyen-Orient. En effet, selon cette logique, inspirée de l’idéologie de la « paix démocratique », tandis que les régimes totalitaires alimentent le ressentiment des citoyens et offrent un terreau fertile pour le développement d’idéologies extrémistes, les systèmes démocratiques, de leur côté, offrent de nombreux outils efficaces pour résoudre les inégalités socio-économiques de façon à ce que le terrorisme politique devienne un acte moins attrayant.3

1 Par souci de compréhension et de concision, les termes et les acronymes anglais originaux des

programmes et des organisations seront utilisés tout au long de l’analyse. Par exemple, les termes Freedom

Agenda et Middle East Partnership Initiative seront cités dans leur formulation originale, mais en italique. 2 Thomas Carothers et Marina Ottaway, « The New Democracy Imperative », dans Thomas Carothers et

Marina Ottaway, dir., Uncharted Journey: Promoting Democracy in the Middle East, Washington D.C.: Carnegie Endowment for International Peace, 2005, p. 3.

3 William J. Crotty, Democratic Development and Political Terrorism: The Global Perspective, Boston:

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Peu de temps après, le gouvernement américain lançait sa guerre au terrorisme, définie par la nouvelle doctrine Bush de « remodelage du Grand Moyen-Orient », inaugurée officiellement en septembre 2002 lors de la sortie de la Stratégie de Sécurité nationale.4 En décembre de la même année, Washington annonçait un nouveau programme prometteur, le Middle East Partnership Initiative (MEPI),5 renforcé en 2004 lors du Sommet du G8 par le Greater Middle East Partnership (GEMI).6

Cette série d’initiatives fait partie intégrante de la nouvelle idéologie politique du président Bush, la forward strategy of freedom, qui vise à promouvoir la démocratie au Moyen-Orient.7 Les programmes administrés sous MEPI, l’initiative phare du Freedom Agenda, proposent un plus grand engagement dans quatre domaines (ou piliers) : la croissance économique, l’éducation, les droits des femmes et la société civile. L’agenda de réformes du G8, pour sa part, inclut plusieurs éléments similaires à ceux du MEPI, et propose un assemblage d’activités passées et futures des États-Unis et de l’Union européenne.

Le Freedom Agenda est probablement la première tentative de l’administration Bush de formuler une vision positive pour la politique américaine au Moyen-Orient, après la chute de Saddam Hussein et le début de la guerre en Irak. Mais c’est aussi, bien consciemment, une stratégie pour gagner la guerre au terrorisme en transformant les régimes politiques dysfonctionnels de la région, tout en gardant un contrôle étroit sur les

4 Maison Blanche, The National Security Strategy of the United States of America, Washington D.C.,

septembre 2002. En ligne. http://www.whitehouse.gov/nsc/nss.pdf . (Page consultée en février 2007). Les adresses internet mentionnées par la suite ont toutes été consultées entre janvier et août 2007.

5 Département d’État des États-Unis, The Middle East Partnership Initiative, Washington D.C. En ligne.

http://mepi.state.gov/

6 Rex Brynen, « Reforming the Middle East: Policies and Paradoxes », rapport délivré à la conférence Stability in the Middle East, Center for Eurasian Studies (ASAM), Ankara (25-26 octobre 2004), p. 2. 7 Maison Blanche (Bureau du secrétaire de presse), Fact Sheet: President Bush Calls for a “Forward Strategy of Freedom” to Promote Democracy in the Middle East, Washington D.C., 6 novembre 2003. En

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développements politiques et les activités économiques des pays arabes. Selon cette vision idéaliste, la démocratie au Moyen-Orient est nécessaire pour marginaliser les radicaux islamiques, délégitimer l’utilisation de la violence à des fins politiques et par le fait même, assurer la sécurité des États-Unis et du monde « libre ».8

Cette analyse portera sur les impacts de la politique étrangère américaine après le 11 septembre 2001 sur les transitions démocratiques au Moyen-Orient. Pour juger de la pertinence des avancées démocratiques de la région, il est important de se pencher sur ce que le Freedom Agenda de l’administration Bush a accompli jusqu’à maintenant et comment cette nouvelle doctrine politique a été intégrée dans les institutions et les opérations de la politique étrangère des États-Unis. Pour améliorer sa pertinence, l’étude sera circonscrite à la pierre angulaire des nouvelles initiatives mises sur pied jusqu’à maintenant : le Middle East Partnership Initiative. L’évolution du MEPI, ses grandes orientations, ses priorités, ainsi que le budget alloué pour ses programmes seront étudiés, de façon à déterminer si MEPI a atteint les objectifs qu’il s’était fixés. Une partie de cette recherche sera également consacrée aux outils diplomatiques utilisés par l’administration Bush afin de faire avancer les idéaux démocratiques occidentaux au Moyen-Orient. En effet, MEPI est seulement un des nombreux éléments du Freedom Agenda, et les pressions diplomatiques américaines, additionnées de mesures de diplomatie publique, sont essentielles afin d’assurer le succès de toute stratégie démocratique au Moyen-Orient.

Il sera démontré que, suite à un mélange d’obstacles majeurs qui limitent le développement de pratiques démocratiques au Moyen-Orient et de mauvaises décisions

8 Tamara Cofman Wittes, « The Promise of Arab Liberalism », Policy Review, no. 125 (juin et juillet 2004),

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politiques de la part de l’administration Bush, la politique étrangère américaine est vouée à l’échec dans sa tentative de transformer fondamentalement, et dans un court laps de temps, les régimes autocratiques du monde arabe. En effet, même si certains pays du Moyen-Orient ont réalisé des gains impressionnants depuis quelques années, le déficit démocratique demeure plus grand au Moyen-Orient que partout dans le reste du monde. Plusieurs régimes autoritaires ont récemment introduit des réformes politiques mineures; par contre, à plus ou moins long-terme, ces réformes partielles sont appelées à ralentir, plutôt que d’encourager une véritable transition démocratique.9 Encore plus inquiétant est le fossé qui se creuse entre les démocraties dites « libérales » et les démocraties « électorales », ainsi que l’apparition de plusieurs démocraties de façade, produits des récentes transitions démocratiques de la région.10

Dans la première partie de cette analyse, je procéderai à une rétrospective de la littérature produite sur le sujet et je soulignerai les points qui rallient ou qui divisent les experts des théories de démocratisation. En effet, la littérature nous offre une base analytique intéressante, en nous fournissant des explications sur les circonstances qui favorisent l’émergence de la démocratie dans un pays totalitaire, sur la différence entre les processus de « libéralisation » et de « démocratisation » et sur l’évolution des pratiques démocratiques des pays arabes depuis les dernières années. Il sera aussi intéressant d’analyser les différents types de démocratisation et de cerner laquelle représente le mieux la stratégie actuelle de l’administration américaine. En effet, bien qu’un nombre grandissant de gouvernements et de citoyens à travers le monde supportent

9 Daniel Brumberg, « Beyond Liberalization? », Wilson Quarterly, vol. 28, no. 2 (printemps 2004), p.

47-56.

10 Sur les différences entre les démocraties « libérales » et « électorales », voir Larry Diamond, Developing Democracy: Toward Consolidation, Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1999.

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la stratégie qui consiste à promouvoir la démocratie à l’étranger, ils ne s’entendent pas sur la façon idéale de le faire. Finalement, il sera question des raisons qui ont été avancées pour expliquer la persistance de l’autoritarisme dans les régimes du Moyen-Orient. Plusieurs de ces facteurs sont domestiques : une société civile faible, la culture politique islamiste, les inégalités économiques et les crises fiscales, les conflits ethniques et régionaux, l’autoritarisme de l’État, la répression politique et les institutions déficientes et inefficaces. Par contre, plusieurs autres facteurs sont externes à l’État, comme le rôle ambigu joué par les États-Unis au Moyen-Orient dans les dernières décennies.

La deuxième section consistera en une brève rétrospective de la place accordée à la promotion de la démocratie dans la politique étrangère américaine depuis les cinquante dernières années. Peut-on affirmer que les mesures politiques introduites par l’administration Bush depuis le 11 septembre représentent un tournant majeur de la conduite des affaires étrangères du pays ou constituent-elles plutôt un amalgame d’efforts diplomatiques et pragmatiques disparates visant à mobiliser le support des gouvernements arabes dans un contexte d’anti-américanisme grandissant? Même si les États-Unis ont, à travers les années, encouragé de diverses façons les réformes politiques dans le monde arabe, en finançant quelques programmes d’aide démocratique par exemple, les efforts passés étaient timides, erratiques et n’étaient pas soutenus adéquatement par les échelons supérieurs de la diplomatie américaine.11 Il sera ensuite question du contexte général du développement de la nouvelle doctrine Bush et comment

11 Thomas Carothers, « Democratic Mirage in the Middle East », dans Thomas Carothers, Critical Mission: Essays on Democracy Promotion, Washington D.C.: Carnegie Endowment for International Peace, 2004, p.

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cette stratégie a réussi à orienter fondamentalement la politique étrangère américaine après le 11 septembre 2001.

La troisième section portera sur les instruments diplomatiques que l’administration Bush a introduit jusqu’à maintenant pour gagner le cœur et les esprits des citoyens du monde arabe. Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001, la Maison Blanche a accru ses pressions diplomatiques sur les régimes arabes, mais de façon inconsistante et erratique. Les États-Unis ont également augmenté le budget et les efforts consacrés à la diplomatie publique dans la région, dans le but évident d’améliorer leur image et leur crédibilité, par la lutte contre la désinformation et la promotion d’un meilleur dialogue entre les deux régions du monde.12 Par contre, dès son lancement, la campagne de diplomatie publique du président américain a été férocement critiquée pour son manque de cohérence et de vision à long-terme, son incapacité à rejoindre et à convaincre son public cible et pour le faible niveau de support politique reçu des hauts officiels de l’administration Bush.13 Pour finir, l’architecture mise en place par les États-Unis pour promouvoir le Freedom Agenda sera examinée, comme les fondements de base de quelques initiatives majeures ainsi que les nouveaux types de projets d’assistance à la démocratie.

La prochaine section portera sur l’étude de cas principale de l’analyse, à savoir le Middle East Partnership Initiative, l’élément central du programme américain de promotion de la démocratie au Moyen-Orient. Les programmes du MEPI, répartis en quatre piliers, son évolution, ainsi que ses priorités budgétaires, seront analysés et

12 U.S. Government Accountability Office, U.S. Public Diplomacy: State Department Efforts to Engage Muslim Audiences Lack Certain Communications Elements and Face Persistent challenges, GAO-06-535,

Washington, D.C., 3 mai 2006, p. 4.

13 Angel Rabasa, Cheryl Bernard, Lowell H. Schwartz et Peter Sickle, « Building Moderate Muslim

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critiqués. MEPI, malgré ses nombreuses réalisations et le caractère novateur de ses programmes, fait face à de nombreuses critiques depuis son inauguration en 2002 : une approche disparate et incohérente, une trop grande emphase sur les projets d’assistance bénéficiant directement les gouvernements, des initiatives inoffensives qui ne mettent pas en péril la stabilité des régimes autocratiques de la région ainsi qu’un manque d’appui des hautes sphères de la diplomatie américaine.14 Aujourd’hui, malgré des améliorations certaines, comme le développement de stratégies spécifiques pour chaque pays et l’injection de contenu politique dans la plupart de ses programmes, il est clair que l’initiative phare du président Bush n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés.

L’étude tentera également de déterminer de quelle manière les États-Unis pourront faire face aux défis que rencontrera MEPI dans les prochaines années, de façon à améliorer l’ensemble de l’initiative. En effet, plusieurs experts en la matière s’entendent sur le fait que MEPI a besoin d’une révision de ses programmes et d’une restructuration institutionnelle majeure. Dans un même ordre d’idées, il sera déterminé si les réformes politiques mineures adoptées par les gouvernements arabes depuis quelques années, ainsi que la prise de conscience morale sur l’importance du débat démocratique qui les accompagne, constituent une véritable avancée pour la région.

Finalement, la conclusion portera sur les moyens qui sont à la disposition des États-Unis pour améliorer leur politique de promotion démocratique au Moyen-Orient. L’ouverture à la démocratie est un processus qui nécessite beaucoup de temps et d’efforts. Afin de réussir dans son entreprise, MEPI devra mettre l’accent sur les programmes qui favorisent le développement à long-terme de mesures démocratiques

14 Tamara Cofman Wittes et Sarah E. Yerkes, « The Middle East Partnership Initiative: Progress, Problems,

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significatives, comme l’avancement des libertés politiques et le soutien financier des groupes d’opposition de la société civile. Or, le plus grand défi pour les États-Unis est de convaincre les gouvernements et les citoyens arabes qu’ils sont sincères et sérieux dans leur volonté de supporter les réformes démocratiques dans la région. Pour ce faire, l’administration Bush devra accepter de faire un compromis entre certains objectifs à court-terme, comme la lutte antiterroriste, la stabilisation de l’Irak et le support politique à Israël et l’objectif à long-terme qu’est le développement de régimes démocratiques au Moyen-Orient.15

15 Tamara Cofman Wittes, « United States: Progress of the “Freedom Strategy” in the Middle East », Saban Center for Middle East Policy, Arab Reform Bulletin (février 2006).

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CHAPITRE I : Démocratiser le Moyen-Orient : perspectives théoriques

Depuis le début des années 1980, il y a eu une augmentation marquée de l’intérêt académique pour les processus de transition démocratique. Cette attention a été encouragée en grande partie par la démocratisation des derniers régimes autoritaires en Europe de l’Est et en Amérique latine. Or, fait particulier, cette « troisième vague » de démocratisation n’a pas atteint la grande région du Moyen-Orient. Les intellectuels occidentaux spécialistes du monde arabe ont négligé le sujet en raison de plusieurs facteurs : le peu de réformes politiques concrètes de la région, la présence de problèmes régionaux plus criants, comme le conflit israélo-palestinien et la faiblesse générale des études sur le Moyen-Orient dans les universités et les centres de recherche occidentaux.16 Avec le temps, par contre, la situation a évolué et le sujet des transitions démocratiques est devenu plus « à la mode » dans les cercles académiques occidentaux, conséquence directe d’une prise de conscience des réformistes et des organisations non- gouvernementales (ONG) arabes qui ont eux-mêmes commencé à s’intéresser au phénomène démocratique, suite à l’introduction graduelle de certaines réformes politiques dans plusieurs pays du Moyen-Orient. Cette popularité grandissante s’est manifestée par une augmentation marquée du nombre d’articles, d’analyses et de conférences sur le sujet, dans la région et dans le monde occidental.

1. La « démocratisation » versus la « libéralisation » du Moyen-Orient

Il est tout d’abord important d’établir une base théorique pour identifier et différencier les principaux termes reliés aux transitions démocratiques au Moyen-Orient,

16 Rex Brynen, Bahgat Korany et Paul Noble, dir., Political Liberalization and Democratization in the Arab World: Comparative Experiences, vol. 2, Londres: Lynne Rienner Publishers, 1998, p. 10.

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comme « démocratie », « démocratisation » et « libéralisation ». Le terme « démocratie », par exemple, a une signification qui dépasse de loin la tenue d’élections libres, compétitives et régulières. Même si, un peu partout dans le monde, les élections sont un moyen utilisé pour encourager la participation politique des citoyens aux décisions de l’appareil gouvernemental, il est important de rappeler que la tenue d’élections n’est pas un gage du succès d’une démocratie. Des élections conduites sous haute surveillance policière ou militaire, présentant un système de représentation électoral biaisé et non représentatif, où les partis d’opposition ne peuvent pas participer au jeu politique en toute légitimité et caractérisées par la fraude, l’intimidation et les violations des libertés civiles, ne permettront pas aux citoyens d’exprimer leurs droits et leurs devoirs démocratiques.17 Selon Larry Diamond, plusieurs éléments, autres que les élections, sont indispensables à l’existence d’une démocratie participative : la liberté d’expression, d’association et de presse, un système judiciaire indépendant, une législation fonctionnelle, un appareil militaire et sécuritaire apolitique et intégré dans la constitution et la protection des droits humains et civils.18 Par contre, il est important de rappeler qu’un système démocratique ne doit pas nécessairement suivre le modèle de la démocratie libérale occidentale. Une démocratie sera influencée à la fois par le contexte historique et culturel dans lesquels elle a évolué.19

Le terme « démocratisation » est souvent défini comme étant un avancement vers un plus grand degré de participation politique dans un système gouvernemental existant. Un tel processus favorise la liberté collective des citoyens vis-à-vis de l’État, plus

17 Rex Brynen, Bahgat Korany et Paul Noble, dir., Political liberalization and Democratization in the Arab World: Theoretical Perspectives, vol. 1, Londres: Lynne Rienner Publishers, 1998, p. 4.

18 Larry Diamond, Developing Democracy, p. 10-13.

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spécifiquement en ce qui à trait à l’habileté du public de participer et d’influencer le gouvernement.20 Selon Rex Brynen et al., la démocratisation politique « entraîne l’expression de la participation politique de telle façon que les citoyens peuvent avoir un contrôle collectif réel et effectif sur la politique publique ».21

Le terme « libéralisation », de son côté, peut signifier toute forme de réforme qui favorise la liberté politique des citoyens. L’assouplissement du contrôle de la presse et des lois d’association publique, tout comme une privatisation économique limitée, peuvent être qualifiés de mesures de libéralisation.22 La libéralisation politique « inclut l’expansion de l’espace public à travers la reconnaissance et la protection des libertés civiles et politiques, particulièrement celles qui permettent aux citoyens de s’engager librement dans le discours politique et de s’organiser dans la poursuite de leurs intérêts communs ».23 La libéralisation politique diffère sensiblement de la démocratisation, dans le sens que le phénomène n’engendre pas nécessairement une plus grande participation directe des citoyens dans le gouvernement. En effet, la libéralisation politique ne fait qu’augmenter l’espace de participation dans la sphère publique.24 La libéralisation peut et survient souvent à l’intérieur de systèmes autoritaires sans jamais conduire à une transition démocratique. Par exemple, les nombreuses politiques économiques libérales

20 Beverly Milton-Edwards, Contemporary Politics in the Middle East, Cambridge, Mass.: Polity, 2000, p.

150-152.

21 Rex Brynen et al., dir., Political Liberalization, vol. 1, p. 3. En anglais dans le texte: “entails an

expression of political participation in such a way as to provide citizens with a degree of real and meaningful collective control over public policy.” Traduction libre de l’auteur.

22 Beverly Milton-Edwards, Contemporary Politics, p. 150-152.

23 Rex Brynen et al., dir., Political Liberalization, vol. 1, p. 3. En anglais dans le texte: “involves the

expansion of public space through the recognition and protection of civil and political liberties, particularly those bearing upon the ability of citizens to engage in free political discourse and to freely organize in pursuit of common interests.” Traduction libre de l’auteur.

24 Chris Zambelis, « The Strategic Implications of Political Liberalization and Democratization in the

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instaurées par l’Égypte, la Syrie et la Tunisie peuvent être considérées comme des mesures de libéralisation.25

2. Les stratégies de promotion démocratique

Plusieurs débats concernant la promotion démocratique à l’étranger divisent les académiciens et les spécialistes du Moyen-Orient. Le premier concerne les stratégies de promotion démocratique. En effet, même si la majorité des spécialistes du monde arabe reconnaissent le progrès réalisé depuis les dernières années dans cette région, ils sont en désaccord quant à la meilleure stratégie à adopter pour accélérer et influencer positivement le processus démocratique. Toute stratégie de promotion démocratique doit reposer sur un scénario de transition envisagé par le promoteur. Or, malgré la rhétorique pro-démocratique de Washington envers le Moyen-Orient, il y a eu très peu de discussion, autant chez les intellectuels que chez les politiciens, sur le processus envisagé pour passer du point A (autoritarisme ou semi-autoritarisme) au point B (démocratie). Les expériences des autres régions du monde indiquent que, en général, il existe deux grandes voies pour passer d’un régime autoritaire à une démocratie. La première met l’emphase sur les réformes venant du « haut », par l’introduction de mesures libérales graduelles qui transforment un pays autocratique en une « démocratie », sans qu’aucune crise ne vienne perturber le parcours. La deuxième voie met l’accent sur l’effondrement rapide d’un système autoritaire impopulaire et l’instauration d’un système démocratique souvent instable et chaotique, à la suite d’une prise de pouvoir soudaine de l’opposition

25 Saad Eddin Ibrahim, « Liberalization and Democratization in the Arab World: An Overview », dans Rex

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ou d’une révolution populaire. Dans le cas de ce deuxième scénario, les turbulences politiques à court-terme sont fréquentes et le résultat final est souvent imprévu.26

Étant donné que plusieurs décideurs politiques occidentaux craignent que le genre de système politique résultant d’un effondrement de régime soudain ne se conforme pas à leur vision d’une véritable « démocratie », le scénario de transition graduelle est habituellement favorisé. Dans une analyse récente portant sur les transitions démocratiques, Thomas Carothers, un expert de la politique étrangère américaine et des processus de transition démocratique, explique que le scénario « gradualiste », qui vise à faire avancer lentement les réformes démocratiques, sans toutefois retarder indéfiniment leur mise en oeuvre, est la meilleure option pour réduire les risques et les complications associés à la promotion de la démocratie à l’étranger.27 Il faut noter toutefois que la grande majorité des pays qui ont expérimenté une transition démocratique depuis les 25 dernières années ont plutôt suivi le modèle « d’effondrement ». Quelques pays seulement, dont le Chili, le Mexique, Taiwan et la Corée du Sud, ont réussi à se démocratiser selon un modèle de réformes politiques graduelles implantées par le haut, lorsqu’un régime autoritaire s’ouvre graduellement aux valeurs démocratiques et à la compétition politique à travers la tenue d’une élection transparente et compétitive. À l’opposé, la majorité des régimes d’Asie, d’Europe de l’Est, d’Amérique latine, de l’ex-Union soviétique et de l’Afrique sub-saharienne, ont subi une transition démocratique plutôt chaotique, caractérisée par l’écroulement soudain et rapide du régime dictatorial.28

26 Thomas Carothers et Marina Ottaway, « The New Democracy Imperative », p. 4.

27 Thomas Carothers et Sheri Berman, « How Democracies Emerge », Journal of Democracy, vol, 18, no. 1

(janvier 2007), p. 14.

28 Thomas Carothers, « Choosing a Strategy », dans Thomas Carothers et Marina Ottaway, dir, Uncharted Journey, p. 197.

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Jusqu’à maintenant, le gouvernement américain a suivi trois différentes stratégies afin de faire avancer la promotion de la démocratie au Moyen-Orient : encourager les réformes économiques, faire pression de façon subtile et indirecte sur les États autoritaires ou promouvoir directement les réformes politiques.

a) Encourager les réformes économiques

Plusieurs hauts responsables américains recommandent la stratégie dite de « l’économie avant tout ». Selon cette perspective, les États-Unis devraient concentrer leurs efforts de promotion démocratique dans le domaine économique principalement. Les réformes prescrites devraient faire en sorte que l’économie des régimes visés se rapproche le plus possible d’une économie de marché standard, par l’adoption de mesures orientées, soutenues par les États-Unis et les grandes institutions financières internationales, comme la privatisation, les réformes fiscales et bancaires et la libéralisation des investissements. Dans cette perspective, l’administration Bush a négocié des accords de libre-échange avec plusieurs pays du Moyen-Orient, en plus de créer une zone de libre échange entre les deux régions du globe : le U.S.-Middle East Free Trade Area (MEFTA.) Cette initiative de libre-échange vise à favoriser le

commerce et les investissements entre les États-Unis et le Moyen-Orient et à promouvoir les réformes économiques et structurelles

que nécessite la liberté de marché; par exemple, la transparence dans la conduite gouvernementale, la protection de la liberté intellectuelle et la réglementation contractuelle.29 La stratégie du MEFTA repose sur l’idée que la liberté de commerce

29 Bureau du porte-parole pour le Commerce des États-Unis, Middle East Free Trade Area Initiative,

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engendrera des effets bénéfiques pour le Moyen-Orient qui vont bien au-delà de la réduction de la pauvreté et du chômage, comme le développement de la démocratie et des droits de la personne. Cette vision, basée largement sur l’expérience des « Tigres d’Asie » que sont Taiwan et la Corée du Sud, est enracinée dans l’idée qu’il existe une relation mesurable et directe entre la libéralisation économique et politique. L’ouverture des marchés agira comme un moteur de démocratisation, car la libéralisation économique, et la croissance économique qu’elle génère, favorisera l’émergence d’une classe moyenne indépendante qui revendiquera éventuellement plus de droits et libertés politiques.

Or, cette approche rencontre de sérieuses limitations. D’ailleurs, il est connu que les États-Unis ont fait pression pendant des années pour la libéralisation économique de certains pays du Moyen-Orient, et ce, avec un succès bien limité. Même si certains gouvernements visés ont fait des progrès au niveau des réformes macroéconomiques, comme la réduction des déficits fiscaux, la grande majorité n’ont pas réussi dans leur tentative d’instaurer les réformes institutionnelles et microéconomiques nécessaires à la modernisation du système politique, comme la révision institutionnelle de l’État et l’adoption de réformes fiscales et bancaires.30

b) Favoriser indirectement les réformes démocratiques

La deuxième stratégie utilisée par le gouvernement américain consiste à encourager une meilleure gouvernance étatique et favoriser l’émergence d’une société civile libre et épanouie au Moyen-Orient. Ces activités peuvent être considérées comme des mesures de promotion indirecte de la démocratie parce qu’elles n’atteignent pas le

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cœur du processus de contestation politique et ne perturbent pas la stabilité du régime en place. Les défenseurs de cette stratégie se retrouvent majoritairement à la U.S. Agency for International Development (USAID), au Bureau pour les affaires du Proche-Orient du Département d’État et dans quelques organisations qui travaillent à la promotion de la démocratie et qui sont financées par le gouvernement américain. Cette approche vise à fournir une assistance politique et économique au développement de la société civile et aux réformes de gouvernance.31 Les décideurs politiques américains ont essayé par le passé de complémenter cette aide avec des pressions diplomatiques subtiles, afin de faire comprendre aux régimes autocratiques du Moyen-Orient que ces derniers doivent être sérieux dans leurs efforts pour améliorer les règles de gouvernance, en donnant une plus grande liberté aux activités de la société civile par exemple.32

c) Favoriser directement les réformes démocratiques

La troisième approche « gradualiste » utilise une combinaison d’aide à la démocratie et d’engagements diplomatiques fermes pour pousser les gouvernements arabes à réformer eux-mêmes leur société. Quelques initiatives à petite échelle ont été développées dans cette perspective au Maroc et au Yémen, avec un certain degré de succès. L’élément central de cette stratégie repose sur le support direct à la démocratisation en encourageant et en faisant pression sur les gouvernements arabes afin que ces derniers favorisent graduellement la participation politique citoyenne et la

31 Cette assistance était typiquement fournie par USAID mais est maintenant fournie en majeure partie par

le Département d’État avec son programme phare, MEPI.

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compétitivité démocratique. Le scénario final privilégié est la tenue d’élections pluralistes et transparentes.33

3. Les obstacles à la démocratisation

Le deuxième débat entourant le sujet de la promotion démocratique soulève une question importante : pourquoi les régimes autocratiques du Moyen-Orient sont-ils si résistants aux avancées démocratiques? Pour évaluer les perspectives d’avenir des récentes initiatives qui ont été adoptées jusqu’à maintenant par le gouvernement américain dans le but de faire avancer les libertés politiques dans le monde arabe, il est impératif de comprendre les nombreux facteurs qui limitent ou ralentissent le développement de la démocratie dans la région. Les spécialistes du Moyen-Orient ont avancé une série de facteurs pour tenter d’expliquer le phénomène, sans toutefois parvenir à atteindre un consensus.

a) La culture politique

Parmi ces facteurs, le plus fréquemment cité, mais également celui suscitant la plus grande controverse, est la culture politique de la région, c’est-à-dire le rôle joué par la culture islamique et arabe. Dans ce débat, trois positions peuvent être distinguées. Premièrement, certains experts du Moyen-Orient suggèrent que des aspects importants du système de valeurs politiques arabes ou islamiques sont incompatibles, ou plutôt en contradiction, avec les principes fondamentaux de la démocratie. Il a été dit, notamment, que l’importance qu’accorde l’Islam à la souveraineté divine plutôt qu’à la souveraineté populaire restreint la place accordée aux questions de politique publique, qui sont

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débattues par un cercle fermé d’officiels, souvent religieux, à l’extérieur de la sphère publique participative.34 La deuxième position suggère que la culture politique est un reflet de l’histoire, de la structure sociale et du contexte régional d’une société. En ce sens, elle peut servir de variable explicative pour comprendre la lenteur des développements démocratiques dans le monde arabe, même si plusieurs autres éléments peuvent jouer un rôle dans la balance. Finalement, d’autres analystes politiques croient que la culture politique arabe ou islamique n’est pas intrinsèquement anti-démocratique et préfèrent se baser sur d’autres variables pour expliquer le retard démocratique du Moyen-Orient.

Les attitudes culturelles n’influencent pas seulement la réalité politique mais sont aussi elles-mêmes influencées par le contexte politique.35 L’importance de la culture politique a été documentée dans un nombre grandissant d’études empiriques menées dans les démocraties émergentes. Le chercheur Mainwaring, par exemple, a illustré le phénomène lors d’une étude portant sur les raisons expliquant le succès des transitions démocratiques en Amérique latine, comparativement à d’autres régions en développement. « Le facteur le plus important pour expliquer la survivance des jeunes démocraties latino-américaines », écrit-il, « est un changement profond dans les attitudes politiques, favorisant la valorisation des valeurs démocratiques ».36 Donc, « l’instauration de changements institutionnels par les élites politiques ne garantie pas la survie d’une

34 Voir, pour un exemple, Daniel Pipes, In the Path of God: Islam and Political Power, New York: Basic

Books, 1983, p. 144-147 et Amos Perlmutter, « Islam and Democracy Simply Aren’t Compatible »,

International Herald Tribune (21 janvier 1992).

35 Lisa Anderson, « Critique of the Political Culture Approach », dans Rex Brynen et al., dir, Political Liberalization, vol. 1, p.77.

36 Scott Mainwaring, « Democratic Survivability in Latin America », dans Howard Handelman et Mark

Tessler, dir., Democracy and Its Limits: Lessons from Asia, Latin America and the Middle East, Notre Dame: University of Notre Dame Press, 1999, p. 45. En anglais dans le texte: An important factor “that has contributed to the greater survivability of Latin American democracies,” he writes, “revolves around changes in political attitudes, toward a greater valorization of democracy.” Traduction libre de l’auteur.

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démocratie. Sa survie dépend aussi des valeurs et des croyances des citoyens ordinaires ».37 Des recherches récentes sur les nouvelles démocraties mettent aussi en lumière les attitudes particulières et les valeurs nécessaires pour assurer le succès éventuel des transitions démocratiques. Rose et al., par exemple, notent que certaines attitudes citoyennes sont à privilégier, comme le support pour les institutions politiques démocratiques et l’adoption de valeurs démocratiques et pluralistes.38

Malgré l’importance de telles recherches, il y a eu peu d’études sur les attitudes et les valeurs des citoyens arabes ordinaires par rapport aux questions se rapportant à la vie démocratique. Seulement quelques recherches, utilisant des données tirées de l’opinion publique en Palestine,39 ainsi que des sondages sur les attitudes politiques au Liban,40 en Égypte41 et en Jordanie,42 ont été conduits dans les douze dernières années. Plus récemment, quelques sondages d’opinion publique, publiés par Marc Tessler,43 Shibley Telhami44 et par le réputé Zogby Group, ont démontré que les opinions et les valeurs des

37 Ronald Inglehart, « Culture and Democracy », dans Lawrence E. Harrison et Samuel Huntington, dir., Culture Matters: How Values Shape Human Progress, New York: Basic Books, 2000, p. 96. En anglais

dans le texte: Thus, as summarized by Inglehart, “democracy is not attained simply by making institutional changes or through elite level manoeuvring. Its survival depends also on the values and beliefs of ordinary citizens.” Traduction libre de l’auteur.

38 Richard Rose, William Mishler, et Christian Haerpfer, Democracy and Its Alternatives: Understanding Post-Communist Societies, Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1998, p. 98.

39 Khalil Shikaki, « The Transition to Democracy in Palestine», Journal of Palestine Studies, vol. 98

(1996), p. 2-14; et Isabelle Daneels, Palestine’s Interim Agreement with Democracy, Jerusalem: Jerusalem Media and Communication Centre, 1998.

40 Hilal Khashan, « Arab Attitudes Toward Israel and Peace », The Washington Institute for Near East Policy, Research Memorandum no. 40 (2000).

41 Nevine Khalil, « Listening to the Masses », Al-Ahram Weekly (1-7 octobre 1998).

42 Jordan University Center for Strategic Studies, Jordanian Opinion Survey Regarding Jordanian-Palestinian Relations, Aman: Jordan University Center for Strategic Studies, 1995; Maher Massis, «

Jordan: A Study of Attitudes Toward Democratic Changes », Arab Studies Quarterly, no. 20 (été 1998), p. 37-63.

43 Marc Tessler, « Islam and Democracy in the Middle East: The Impact of Religious Orientations on

Attitudes Toward Democracy in Four Arab Countries », Comparative Politics, no.34 (avril 2002), p. 337-354; et Marc Tessler, « Arab and Muslim Political Attitudes: Stereotypes and Evidence from Survey Research », International Studies Perspective, no. 4 (2003), p. 175-180.

44 Shibley Telhami, Reflections of Hearts and Minds: Media, Opinion, and Identity in the Arab World,

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Arabes et des Musulmans par rapport aux questions touchant les libertés démocratiques sont très diversifiées.

b) La société civile

Une autre explication fortement répandue pour expliquer la persistance de l’autoritarisme au Moyen-Orient est la faiblesse de la société civile. Depuis le déclin de l’idéologie communiste au début des années 1990, la grande communauté du développement international (incluant USAID, le National Endowment for Democracy ou NED, la Banque Mondiale et plusieurs organisations philanthropiques) s’est surtout concentrée sur la promotion de la démocratisation globale par l’assistance au développement de la société civile.45 Leur travail est guidé par l’hypothèse que tout processus de démocratisation nécessite le développement d’une société civile forte, fonctionnelle, bien établie et supportée par de larges secteurs de la population. Cette société civile permettra de former des leaders potentiels à tous les niveaux de l’échelle gouvernementale et de mobiliser le public autour des questions démocratiques, comme les devoirs et responsabilités civiques.46 À mesure que la société civile prolifère, les individus deviennent plus affirmatifs dans leur revendication pour l’accès au pouvoir et droits politiques. Finalement, lorsque les demandes démocratiques atteignent un certain

45 Pour une meilleure perspective sur le role de la société civile dans les programmes d’assistance à la

démocratie, voir : Alison Van Rooy, dir., Civil Society and the Aid Industry, Londres: Earthscan, 1998; Kevin Quigley, For Democracy’s Sake: Foundations and Democratic Assistance in Central Europe, Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1997; Thomas Carothers, Aiding Democracy Abroad: The

Learning Curve, Washington, D.C.,: Carnegie Endowment for International Peace, 1999; et Thomas

Carothers et Marina Ottaway, « The Burgeoning World of Civil Society Aid », dans Thomas Carothers et Marina Ottaway, dir., Funding Virtue: Civil Society and Democracy Aid, Washington, DC: Carnegie Endowment for International Peace, 2002.

46 Amin Saikal et Albrecht Schnabel, Democratization in the Middle East: Experience, Struggles, Challenges, Tokyo: United Nations University Press, 2003, p. 28.

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niveau, les leaders autocrates sont forcés de faire de réels changements politiques et sociaux s’ils ne veulent pas risquer de perdre le contrôle de leur régime.

Dans des circonstances favorables, la société civile peut contribuer à la démocratisation des régimes autoritaires et peut éventuellement assurer la survie des régimes démocratiques récemment établis.47 Aux Philippines, en Afrique du Sud, dans les pays d’Europe de l’Est, en Serbie et plus récemment en Georgie, par exemple, les citoyens ont utilisé les organisations de la société civile pour créer un espace politique indépendant, articuler une vision démocratique différente du statu quo, répandre cette idée à la société et ainsi mobiliser des millions de citoyens contre les régimes répressifs.48 Dans un système démocratique en santé, les organisations de la société civile agissent à titre de forums sociaux où les citoyens peuvent poursuivre librement leurs intérêts communs, collectivement et pacifiquement. À travers leur engagement dans la société civile, les citoyens apprennent les fondements des valeurs démocratiques et de l’action collective et disséminent par la suite ces valeurs dans leur communauté. Les mouvements de la société civile qui représentent les intérêts des citoyens influencent à la fois les politiques gouvernementales et les attitudes sociales. En effet, en créant une sphère d’activité citoyenne à l’extérieur du contrôle direct du gouvernement, la société civile représente un contrepoids au pouvoir étatique. Or, parce que la société civile est souvent associée, dans l’esprit de plusieurs penseurs occidentaux, aux mouvements populaires qui réussissent à renverser les régimes dictatoriaux, les programmes pour renforcer la société

47 Gordon White, « Civil Society, Democratization, and Development (I): Clearing the Analytical Ground», Democratization, vol. 1, no. 3 (automne 1994), p. 375-90; Gordon White, « Civil Society, Democratization,

and Development (II): Two Country Cases », Democratization, vol. 2, no. 2 (été 1995): p. 56-84; Thomas Carothers, « Think Again: Civil Society », Foreign Policy, no. 117 (hiver 1999-2000), p. 18-29; Marina Ottaway et Thomas Carothers, dir., Funding Virtue; et Neera Chandhoke, « The Civil and the Political in Civil Society », Democratization, vol. 8, no. 2 (été 2001), p. 1-24.

48 Amy Hawthorne, « Is Civil Society the Answer? », dans Thomas Carothers and Marina Ottaway, dir, Uncharted Journey, p. 82.

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civile sont devenus une partie intégrante des efforts pro-démocratiques à travers le monde. Par le fait même, la société civile semble une solution particulièrement intéressante aux défis rencontrés par les promoteurs démocratiques au Moyen-Orient.49

Toutefois, plusieurs personnes, notamment celles travaillant à l’extérieur de l’étroite communauté de l’aide internationale, sont sceptiques quant au rôle joué par la société civile dans le processus de démocratisation au Moyen-Orient.50 En effet, plusieurs facteurs peuvent expliquer la faiblesse de l’argument de la société civile comme force démocratique. Tout d’abord, la répression étatique peut limiter le développement de la société civile et, il faut le rappeler, les régimes du Moyen-Orient sont, en général, très efficaces pour maintenir le contrôle et réprimer les dissidents.51 Un autre facteur explicatif, selon certains spécialistes, est la culture politique. En effet, le niveau de participation civique au Moyen-Orient demeure très bas. Les organisations de la société civile attirent seulement un faible pourcentage de la population et la participation active y est encore plus rare.52 De plus, plusieurs experts de la région sont d’avis que l’existence d’une société civile robuste et vibrante n’est pas nécessairement une précondition pour assurer le succès d’une transition démocratique. Au contraire, la société civile peut, dans certains cas, affaiblir les efforts de démocratisation, plus spécifiquement si elle est entourée d’institutions déficientes ou illégitimes. Prenant en considération ces

49 Ibid, p. 83.

50Pour un exemple, voir Steven A. Cook, « The Right Way to Promote Arab Reform », Foreign Affairs,

vol. 84 (mars-avril 2005) et Rex Brynen, « Reforming the Middle East », p. 5.

51 Eva Bellin écrit : « qu’au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, il en va de la volonté absolue de

l’appareil coercitif de l’État de supprimer toutes formes d’initiatives démocratiques qui auraient pu précéder une possible transition démocratique. Voilà où se trouve la véritable exception régionale ». En anglais dans le texte : “in the MENA [Middle East and North Africa] it is the stalwart will and capacity of the state’s coercive apparatus to suppress any glimmers of democratic initiative that have extinguished the possibility of transition. Here is where the region’s true exceptionalism lies.” Traduction libre de l’auteur. Dans Eva Bellin, « The Robustness of Authoritarianism in the Middle East: Exceptionalism in Comparative Perspective », Comparative Politics, vol. 36, no. 2 (janvier 2004), p. 139-57.

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préoccupations, une nouvelle approche, beaucoup plus prudente, suggère que la société civile représente, au mieux, une force politique neutre – ni particulièrement bonne ou mauvaise pour la démocratisation politique – qui a un effet indépendant sur la constitution et la performance du système politique. Dans une analyse publiée dans Orbis, Omar G. Encarnacion se montre très critique face au rôle joué par la société civile comme force démocratique. Il explique que l’engagement de la société civile dans la sphère publique au Moyen-Orient a, jusqu’à maintenant, peu contribué à l’avancement de la démocratie. Au contraire, le développement de la société civile a conduit à l’islamisation générale et à la radicalisation de la société, en raison du caractère religieux, rigide et parfois intolérant des organisations de la société civile arabe, qui occupent désormais des fonctions autrefois réservées aux autorités étatiques.53 Selon lui, la montée populaire d’organisations islamistes, comme les Frères musulmans en Égypte, est une conséquence directe de la place de plus en plus grande qu’occupe la société civile au Moyen-Orient.54

c) L’économie politique

Plusieurs études récentes ont, quant à elles, tenté de lier la richesse et la productivité économique avec la démocratie. Récemment, un projet de recherche contemporain majeur sur la démocratie rapporte que depuis les trois dernières décennies, plusieurs analyses quantitatives soutiennent la thèse qu’il existe une relation positive

53 Omar G. Encarnacion, « Beyond Civil Society: Promoting Democracy after September 11 », Foreign Policy Research Institute, Orbis (printemps 2003), p. 10.

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entre le développement socio-économique et la démocratie.55 Plusieurs facteurs ont été identifiés afin d’expliquer cette relation : l’impact de la modernisation, un niveau d’éducation plus élevé, des demandes sociales satisfaites, une distribution de la richesse plus équilibrée, le développement d’une société plus complexe et la croissance de la classe moyenne.56 D’autres études, mettant l’accent sur le concept de « rentiérisme », suggèrent que les revenus extérieurs provenant de l’exportation de produits pétroliers et, à un moindre niveau, de l’assistance internationale, réduisent la dépendance de l’État envers la taxation domestique. L’accessibilité des ressources financières supporte à la fois l’appareil coercitif de l’État mais aussi l’implantation de vastes programmes de bien-être social, tout en favorisant la préservation de réseaux patrimoniaux puissants basés sur la famille, la tribu et les élites locales.57 Or, même si le « rentiérisme » représente un outil analytique puissant pour expliquer l’absence de changements politiques dans la grande majorité des États producteurs de pétrole, de nombreuses failles affaiblissent la valeur explicative de ce modèle. En effet, établir un lien entre la richesse provenant du pétrole et la nature autoritaire de l’État, sans tenir compte du contexte culturel et historique d’une société, est une association beaucoup trop déterministe.58 Finalement, pour certains experts de la région, une dernière approche politico-économique met l’accent sur le rôle majeur joué par les crises fiscales dans le déclin des pratiques autoritaires et de

55 Larry Diamond, Juan Linz, et Seymour Martin Lipset, dir, Politics in Developing Countries: Comparative Experiences with Democracy, Boulder : Lynne Rienner Publishers, 1990, p. 18-19.

56 Zehra Arat, Democracy and Human Rights in Developing Countries, Boulder: Lynne Rienner Publishers,

1991, p. 33-43.

57 Rex Brynen, « Economic Crisis and Post-Rentier Democratization in the Arab World: The Case of

Jordan », Canadian Journal of Political Science, vol. 25, no. 1 (mars 1992).

58 Eric Davis, « Theorizing Statecraft and Social Change in Arab Oil-Producing Countries », dans Eric

Davis et Nicolas Gavrielides, dir., Statecraft in the Middle East: Oil, Historical Memory and Popular

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l’importance des ajustements économiques structurels, qui favorisent le démantèlement des vieilles coalitions politiques et la création de nouvelles alliances.59

d) Les institutions politiques, la régionalisation et la militarisation de l’État Un autre secteur de la littérature portant sur les processus de démocratisation s’intéresse à un quatrième facteur analytique : l’importance des institutions préexistantes, comme les organisations, les lois, les décrets et les règlements qui constituent les règles du jeu politique dans toute société. Une version répandue de cette explication examine le rôle que l’ordre constitutionnel et légal existants peuvent jouer dans le processus de démocratisation,60 tandis qu’une autre porte sur le développement des partis politiques.61 Certains chercheurs se sont aussi intéressés aux politiques de la survivance monarchique au Moyen-Orient et du potentiel existant pour les réformes politiques à l’intérieur de tels systèmes. D’autres études ont mis l’emphase sur l’impact des forces régionales sur le processus de démocratisation dans le monde arabe, en associant la persistance de l’autoritarisme aux conflits régionaux et à l’insécurité qui en découle. Cette situation d’instabilité politique et sociale a engendré la militarisation d’une police secrète (mukhabarat state), détourné les ressources financières des priorités sociales et justifié la répression étatique au nom de l’unité nationale contre les ennemis extérieurs.62

59 Rex Brynen, « Reforming the Middle East », p. 10.

60 Nathan Brown, The Rule of Law in the Arab World, Cambridge: Cambridge University Press, 1997. 61 Michele Penner Angrist, « Party Systems and Regime Formation in the Modern Middle East: Explaining

Turkish Exceptionalism », Comparative Politics, vol, 36, no. 2 (janvier 2004).

62 Rex Brynen, « Palestine and the Arab State System Permeability, State Consolidation and the Intifada », Canadian Journal of Political Science, vol 24, no. 3 (septembre 1991).

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e) L’influence extérieure

La dernière sphère d’analyse concerne l’impact des forces globales sur les perspectives de démocratisation et de libéralisation au Moyen-Orient. La majorité de la littérature sur le sujet met l’accent sur la «diffusion globale» (la propagation des valeurs démocratiques) ou sur les effets « démonstratifs » de la démocratie (une transition dans un pays favorisant d’autres transitions dans la région).63 D’autres études portent sur le rôle joué par les États-Unis ou d’autres puissances étrangères dans le processus de démocratisation au Moyen-Orient. Certains spécialistes de la région jugent que les pays occidentaux jouent un rôle généralement positif, tandis que d’autres voient les politiques occidentales de promotion de la démocratie comme étant basées uniquement sur des intérêts géostratégiques ou sur des considérations sécuritaires. Thomas Carothers écrit, dans une analyse récente, que le rôle potentiellement positif des acteurs extérieurs dans la grande majorité des tentatives de transition démocratique est relativement limité. Les efforts de promotion de la démocratie ne favorisent pas, dans la majorité des cas, l’avancement des pratiques démocratiques dans le monde. Au contraire, ils les ralentissent, en se substituant aux acteurs locaux et en les empêchant de réaliser par eux-mêmes et à leur manière les percées démocratiques souhaitées.64 Selon lui, les pressions américaines ne sont pas la cause principale de la tenue de plusieurs élections dans le monde arabe depuis les deux dernières années.65 Par exemple, les Palestiniens ont eux-mêmes revendiqué le droit de tenir des élections libres après la mort de Yasser Arafat en 2004. L’Égypte, quant à elle, connaît des élections parlementaires régulières depuis 1876.

63 Rex Brynen et al., dir, Political Liberalization, vol. 1, p. 18.

64 Thomas Carothers et Sheri Berman, « How Democracies Emerge », p. 22. 65 Ibid.

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Celles organisées en 2005, et qui ont permis la montée spectaculaire des Frères Musulmans, n’étaient pas très différentes des précédentes au niveau logistique et organisationnel.66

Ces nombreux facteurs réunis réduisent les chances de succès des réformes démocratiques au Moyen-Orient et sont également tous importants pour comprendre et analyser le potentiel des efforts américains. Toutefois, il est certain que certains arguments sont plus convaincants que d’autres. Les approches basées sur la culture politique, par exemple, ne réussissent pas à expliquer adéquatement la persistance de l’autoritarisme dans la région. La culture aura toujours un rôle important à jouer dans la construction des réalités politiques. Cependant, certaines variables, comme les pressions extérieures, les aspects structurels de l’économie et le système politique préexistant, sont beaucoup plus pertinentes pour expliquer l’absence de régimes démocratiques dans le monde arabe. De la même façon, l’aide à la société civile doit rester une composante essentielle des efforts de promotion démocratique au Moyen-Orient. Or, les décideurs politiques américains semblent ne pas bien intégrer les nombreuses particularités de la société civile arabe, comme la distinction fondamentale existant entre l’État et la société civile dans la région, ni du rôle particulier joué par le réseau informel qu’est la « rue arabe ».

Au niveau de l’économie, les effets démocratiques des réformes libérales sont parfois impressionnants, mais ils sont inconsistants et ne peuvent pas expliquer tous les cas, comme celui des riches États du Golfe persique. Les rentes pétrolières (et dans certains cas, les rentes provenant de l’aide économique et militaire occidentale) ont

66 Il faut toutefois mentionner que la décision du président égyptien Mubarak de tenir des élections

présidentielles directes cette année là en particulier, a sûrement été encouragée par les pressions diplomatiques américaines. Dans Ibid.

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tendance à tenir les classes économiques dépendantes de l’État; et donc réduisent les chances d’une mobilisation de la classe moyenne pour plus de libertés politiques, comme ce fut le cas en Corée du Sud par exemple. Le libre-échange, à titre de stratégie pour promouvoir les réformes politiques, peut s’avérer efficace, mais seulement dans les régimes qui ont déjà décidé de se conformer à un modèle plus ou moins libéral. Les institutions politiques, plus spécifiquement le legs d’ordres constitutionnels et légaux patrimoniaux, sont des barrières importantes aux réformes démocratiques. De son côté, l’insécurité régionale est assurément un facteur qui aide à expliquer la répression domestique et la militarisation régionale. La détérioration de la situation sécuritaire en Irak et l’échec du processus de paix israélo-palestinien, par exemple, réduisent les chances de succès des réformes démocratiques dans la région. Le support extérieur, d’un autre côté, qu’il soit économique ou militaire, n’est pas le meilleur facteur pour expliquer la persistance des régimes dictatoriaux au Moyen-Orient. En effet, plusieurs pays autoritaires de la région ne sont pas éligibles à l’aide occidentale, étant considérés comme soit trop riches (les économies du pétrole), soit comme des régimes ennemis (la Syrie).67 De plus, dans l’environnement international actuel particulièrement hostile aux États-Unis, les programmes de démocratisation directement chapeautés par les autorités et agences américaines sont plus difficiles à implanter que ceux administrés par des ONG indépendantes ou par des organisations privées à but non lucratif.

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CHAPITRE II : Les efforts de promotion démocratique des États-Unis avant septembre 2001

Évaluer la place occupée par les efforts de promotion démocratique dans la politique étrangère américaine est une tâche complexe. En effet, depuis les trente dernières années, les intérêts américains au Moyen-Orient se sont multipliés et diversifiés, s’intéressant maintenant aux affaires internes des États de la région. Jusqu’aux années 1970, les États-Unis ont poursuivi deux grands objectifs au Moyen-Orient : assurer l’accès aux ressources pétrolières, ce qui nécessitait une situation régionale stable et sécuritaire, et maintenir la paix entre les pays arabes et Israël. Durant la guerre froide, la menace que constituaient les relations étroites entre l’URSS et quelques pays arabes, a amené les États-Unis à tolérer des régimes ouvertement totalitaires, tant et aussi longtemps que ces derniers demeuraient anti-soviétiques. Les intérêts américains dans la région étaient bien servis par une situation régionale qui demeurait sous le contrôle de régimes autoritaires « amis », accordant plus d’importance à leurs propres intérêts et à ceux des États-Unis qu’au bien-être de leurs citoyens ou à la prospérité de la nation.68

Dans les années 1980, la coopération militaire et stratégique avec les régimes arabes est devenue très importante pour protéger l’accès aux ressources pétrolières et pour l’établissement de bases militaires régionales pour les opérations américaines en Asie et en Afrique.69 Les États-Unis ont aussi commencé à encourager la croissance économique du Moyen-Orient, un facteur qui était, selon eux, une composante essentielle

68 Chris Zambelis, « The Strategic Implications », p. 86.

69 Michele Durocher Dunne, « Integrating Democracy Promotion Into U.S. Middle East Policy », Carnegie Endowment for International Peace, Washington D.C., Carnegie Papers, no. 50 (octobre 2004).

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dans le maintien de la stabilité régionale. Le gouvernement américain a conclu que Washington devait s’intéresser, et même influencer, la politique interne des pays arabes. Les États-Unis ont discuté avec les gouvernements de l’Égypte, de la Jordanie et des pays d’Afrique du Nord, afin que ceux-ci adoptent des objectifs précis de réformes économiques destinées à privatiser leurs structures statiques, favoriser le secteur de l’emploi et faciliter le commerce et les investissements étrangers – incluant l’accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans les années 1990, les États-Unis ont entreprit de nombreuses initiatives très publicisées, comme le U.S.-Egypt Partnership for Economic Growth, conclu entre l’Égypte et les États-Unis en 1994, aussi connu sous le nom de Commission Gore-Mubarak, le U.S.-North Africa Economic Partnership (USNAEP)de 1998 et l’amendement au U.S.-Israel Free Trade Agreement de 1985 pour inclure la Cisjordanie, la bande de Gaza et certaines zones industrielles qualifiées en Jordanie, conclu en 1996.70 À cette époque, Washington a concentré ses efforts sur la promotion du commerce international, considéré comme un moteur de croissance économique et un facteur favorisant les réformes politiques. Par contre, un nombre croissant d’experts et de chercheurs ont tenté depuis de démontrer que non seulement les reformes économiques n’encourageaient pas automatiquement les réformes politiques, mais encore que le manque de libertés politiques limitait le succès des réformes économiques.71

Les États-Unis ont commencé à s’intéresser à la promotion des réformes politiques au Moyen-Orient seulement qu’au début des années 1990. Cet intérêt soudain

70 Ibid, p. 7.

71 Henry M. Clement et Robert Springborg, Globalization and the Politics of Development in the Middle East, Cambridge, U.K.: Cambridge University Press, 2001; et Eberhard Kienle, A Grand Delusion: Democracy and Economic Reform in Egypt, Londres: I.B. Tauris Publishers, 2001.

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peut être expliqué en partie par la popularité grandissante de la doctrine globale de la promotion démocratique, qui a suivi le déclin de l’idéologie communiste, et en partie par le peu de progrès démocratiques dans le monde arabe dans les années 1970 et 1980 et ce, malgré l’accroissement du budget alloué aux programmes de développement. Le Département d’État américain et USAID ont commencé à accorder plus d’importance à l’ouverture politique des régimes du Moyen-Orient. Cette prise de conscience s’est reflétée par une augmentation du nombre de programmes encourageant les réformes politiques et par une réorganisation stratégique dans les hautes sphères du commandement de ces deux entités gouvernementales. De 1991 à 2002, les États-Unis ont dépensé environ 250 millions de dollars dans des programmes de promotion démocratique au Moyen-Orient, plus spécifiquement en Égypte et dans les Territoires palestiniens.72 Au niveau diplomatique, les États-Unis ont graduellement adopté une rhétorique pro-réforme. Fournir une assistance constante à la société civile est devenu l’élément principal des efforts américains. En effet, la majorité de l’aide au développement pour le Moyen-Orient de 1991 à 2001 – près de 150 millions – a été investit dans des projets dits « d’aide au développement de la société civile ».73

Cette approche s’est poursuivie pendant l’administration de Bill Clinton, qui a augmenté le budget alloué à l’aide démocratique destinée à la région, principalement afin de ne pas être vu comme excluant volontairement le Moyen-Orient de son vaste programme de promotion de la démocratie à travers le monde. Aujourd’hui, certains experts de la politique étrangère américaine croient que le Freedom Agenda de la présente administration Bush trouve son origine dans la politique « d’accroissement de la

72 Steven A. Cook, « The Right Way to Promote Arab Reform », p. 8. Veuillez noter que tous les montants

d’argent cités dans cette recherché sont en dollars américains.

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