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Évaluer la place occupée par les efforts de promotion démocratique dans la politique étrangère américaine est une tâche complexe. En effet, depuis les trente dernières années, les intérêts américains au Moyen-Orient se sont multipliés et diversifiés, s’intéressant maintenant aux affaires internes des États de la région. Jusqu’aux années 1970, les États-Unis ont poursuivi deux grands objectifs au Moyen- Orient : assurer l’accès aux ressources pétrolières, ce qui nécessitait une situation régionale stable et sécuritaire, et maintenir la paix entre les pays arabes et Israël. Durant la guerre froide, la menace que constituaient les relations étroites entre l’URSS et quelques pays arabes, a amené les États-Unis à tolérer des régimes ouvertement totalitaires, tant et aussi longtemps que ces derniers demeuraient anti-soviétiques. Les intérêts américains dans la région étaient bien servis par une situation régionale qui demeurait sous le contrôle de régimes autoritaires « amis », accordant plus d’importance à leurs propres intérêts et à ceux des États-Unis qu’au bien-être de leurs citoyens ou à la prospérité de la nation.68

Dans les années 1980, la coopération militaire et stratégique avec les régimes arabes est devenue très importante pour protéger l’accès aux ressources pétrolières et pour l’établissement de bases militaires régionales pour les opérations américaines en Asie et en Afrique.69 Les États-Unis ont aussi commencé à encourager la croissance économique du Moyen-Orient, un facteur qui était, selon eux, une composante essentielle

68 Chris Zambelis, « The Strategic Implications », p. 86.

69 Michele Durocher Dunne, « Integrating Democracy Promotion Into U.S. Middle East Policy », Carnegie Endowment for International Peace, Washington D.C., Carnegie Papers, no. 50 (octobre 2004).

dans le maintien de la stabilité régionale. Le gouvernement américain a conclu que Washington devait s’intéresser, et même influencer, la politique interne des pays arabes. Les États-Unis ont discuté avec les gouvernements de l’Égypte, de la Jordanie et des pays d’Afrique du Nord, afin que ceux-ci adoptent des objectifs précis de réformes économiques destinées à privatiser leurs structures statiques, favoriser le secteur de l’emploi et faciliter le commerce et les investissements étrangers – incluant l’accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans les années 1990, les États-Unis ont entreprit de nombreuses initiatives très publicisées, comme le U.S.-Egypt Partnership for Economic Growth, conclu entre l’Égypte et les États-Unis en 1994, aussi connu sous le nom de Commission Gore-Mubarak, le U.S.-North Africa Economic Partnership (USNAEP)de 1998 et l’amendement au U.S.-Israel Free Trade Agreement de 1985 pour inclure la Cisjordanie, la bande de Gaza et certaines zones industrielles qualifiées en Jordanie, conclu en 1996.70 À cette époque, Washington a concentré ses efforts sur la promotion du commerce international, considéré comme un moteur de croissance économique et un facteur favorisant les réformes politiques. Par contre, un nombre croissant d’experts et de chercheurs ont tenté depuis de démontrer que non seulement les reformes économiques n’encourageaient pas automatiquement les réformes politiques, mais encore que le manque de libertés politiques limitait le succès des réformes économiques.71

Les États-Unis ont commencé à s’intéresser à la promotion des réformes politiques au Moyen-Orient seulement qu’au début des années 1990. Cet intérêt soudain

70 Ibid, p. 7.

71 Henry M. Clement et Robert Springborg, Globalization and the Politics of Development in the Middle East, Cambridge, U.K.: Cambridge University Press, 2001; et Eberhard Kienle, A Grand Delusion: Democracy and Economic Reform in Egypt, Londres: I.B. Tauris Publishers, 2001.

peut être expliqué en partie par la popularité grandissante de la doctrine globale de la promotion démocratique, qui a suivi le déclin de l’idéologie communiste, et en partie par le peu de progrès démocratiques dans le monde arabe dans les années 1970 et 1980 et ce, malgré l’accroissement du budget alloué aux programmes de développement. Le Département d’État américain et USAID ont commencé à accorder plus d’importance à l’ouverture politique des régimes du Moyen-Orient. Cette prise de conscience s’est reflétée par une augmentation du nombre de programmes encourageant les réformes politiques et par une réorganisation stratégique dans les hautes sphères du commandement de ces deux entités gouvernementales. De 1991 à 2002, les États-Unis ont dépensé environ 250 millions de dollars dans des programmes de promotion démocratique au Moyen-Orient, plus spécifiquement en Égypte et dans les Territoires palestiniens.72 Au niveau diplomatique, les États-Unis ont graduellement adopté une rhétorique pro-réforme. Fournir une assistance constante à la société civile est devenu l’élément principal des efforts américains. En effet, la majorité de l’aide au développement pour le Moyen-Orient de 1991 à 2001 – près de 150 millions – a été investit dans des projets dits « d’aide au développement de la société civile ».73

Cette approche s’est poursuivie pendant l’administration de Bill Clinton, qui a augmenté le budget alloué à l’aide démocratique destinée à la région, principalement afin de ne pas être vu comme excluant volontairement le Moyen-Orient de son vaste programme de promotion de la démocratie à travers le monde. Aujourd’hui, certains experts de la politique étrangère américaine croient que le Freedom Agenda de la présente administration Bush trouve son origine dans la politique « d’accroissement de la

72 Steven A. Cook, « The Right Way to Promote Arab Reform », p. 8. Veuillez noter que tous les montants

d’argent cités dans cette recherché sont en dollars américains.

démocratie », instaurée sous le règne de Bill Clinton.74 Or, il est intéressant de rappeler que ce programme démocratique, malgré sa forte rhétorique, n’était pas très ambitieux. Les projets de l’administration Clinton étaient souvent enchâssés dans des programmes de développement traditionnels, favorisant les réformes sociales et économiques à long- terme, sans toutefois parvenir à provoquer de véritables changements politiques. Totalisant un maigre 250 millions de dollars, ces programmes d’aide à la démocratie ont contribué au financement d’une variété de petites mesures disparates et inoffensives sensées favoriser le développement démocratique de la région.75 Malgré leur succès mitigé, ces mesures ont tout de même le mérite d’avoir mis le thème des réformes politiques au Moyen-Orient à l’agenda du gouvernement américain.

Promouvoir la démocratie n’était pas la seule logique derrière les projets de l’administration Clinton. En Égypte par exemple, les États-Unis ont cru que le fait de donner aux organisations privées un rôle plus important dans le développement d’un système politique compétitif et transparent favoriserait, en bout de ligne, la libéralisation économique de l’État. D’un autre côté, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les États- Unis ont pensé qu’en soutenant financièrement les ONG palestiniennes, ils encourageraient par le fait même un plus grand support populaire pour le processus d’Oslo. Dans ce cas bien précis, les ONG se sont avérées un instrument clé pour canaliser

74 Tony Lake, le conseiller du président Clinton pour la sécurité nationale, a écrit: “The successor to a

doctrine of containment must be a strategy of enlargement of the world’s free community of market democracies,” dans Tony Lake, « Confronting Backlash States », Foreign Affairs (mars-avril 1994). Lake suggère que le commerce, les considérations économiques et la promotion de la démocratie remplaceront éventuellement les facteurs politiques et militaires comme principes dominants de la politique étrangère américaine.

75 Amy Hawthorne, « Do We Want Democracy in the Middle East? The “democracy dilemma” in the Arab

World: How do you promote reform without undermining key United States interests? », Foreign Service

Journal, Washington, D.C., (février 2001) et Marina Ottaway, « Promoting Democracy in the Middle East:

The Problem of U.S. Credibility », Carnegie Endowment for International Peace, Washington D.C., working papers no. 35 (mars 2003).

l’aide financière et logistique américaine, car le Congrès, à cette époque, avait interdit l’aide financière directe à l’Autorité palestinienne.76

Par contre, contrairement aux réformes économiques, les réformes politiques n’ont presque jamais atteint l’agenda des discussions officielles entre les États-Unis et les gouvernements arabes durant les années 1990. La première administration Bush était trop préoccupée par le processus de paix israélo-palestinien et la deuxième guerre du Golfe, deux situations qui avaient peu à voir avec la promotion de la démocratie et qui nécessitaient une collaboration stratégique étroite avec des régimes autoritaires, comme l’Arabie saoudite, le Kowëit et l’Égypte. Même si les officiels américains ont accueilli favorablement les premiers soubresauts démocratiques en Jordanie et au Yémen, ils sont demeurés prudents sur les questions de démocratisation, principalement en raison de la peur que leur inspirait la montée des groupes islamistes.77 Sauf pour de rares exceptions, les officiels américains assumaient qu’en mettant trop de pressions sur les régimes du Moyen-Orient, ils déstabiliseraient et nuiraient potentiellement aux intérêts américains dans la région. L’ouverture politique chaotique qui a eu lieu en 1991 en Algérie, par exemple, et qui a mené à des années de guerre civile à la suite d’une lutte pour le pouvoir entre les autorités gouvernementales et les groupes islamistes radicaux, a renforcé cette impression. Pour les décideurs politiques américains, le « problème algérien » a cristallisé la vision cauchemardesque de ce à quoi la démocratie pourrait ressembler dans le monde

76 Amy Hawthorne, « Is Civil Society the Answer? », p. 98

77 Thomas Carothers, « Democracy Promotion Under Clinton », dans Thomas Carothers, Critical Mission: Essays on Democracy Promotion, Washington D.C.: Carnegie Endowment for International Peace, 2004, p.

arabe : une prolifération de régimes islamistes légitimement portés au pouvoir, ouvertement anti-américains et assurément anti-démocratiques.78

L’administration américaine assumait aussi, dans les années 1990, qu’encourager les réformes politiques au Moyen-Orient perturberait les efforts liés au processus de paix israélo-palestinien, un élément majeur de la diplomatie américaine. La Maison Blanche croyait qu’il serait plus facile de négocier des ententes avec des régimes non démocratiques mais stables et amicaux, qu’avec de nouveaux gouvernements fragiles et possiblement hostiles. Plus important, à cette époque, les officiels américains évitaient délibérément de soulever la question des réformes démocratiques avec les gouvernements autoritaires du Moyen-Orient, voulant éviter que ces derniers mettent un terme à leur coopération dans le dossier palestinien.79 Bref, il est clair que la stratégie américaine de promotion démocratique au Moyen-Orient, avant le 11 septembre 2001, était décousue et peu efficace, encourageant les réformes graduelles et indirectes qui ne menaçaient pas le statu quo, plutôt que les réformes directes et permanentes qui auraient assuré le rétablissement d’un véritable dialogue avec les groupes d’opposition de la région.80

78 Tamara Cofman Wittes, « The Promise of Arab Liberalism », p.4. 79 Michelle Durocher Dunne, « Integrating Democracy », p. 211.

80 Henry Clement M. et Robert Springborn, Globalization and the Politics of Development in the Middle East, p. 32.

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