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Effets de la violence verticale sur le travail d'infirmières soignantes exerçant en milieux hospitaliers : une étude exploratoire

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Academic year: 2021

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© David Poulin-Grégoire, 2020

Effets de la violence verticale sur le travail d’infirmières

soignantes exerçant en milieux hospitaliers : une étude

exploratoire

Mémoire

David Poulin-Grégoire

Maîtrise en sciences infirmières - avec mémoire

Maître ès sciences (M. Sc.)

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Effets de la violence verticale sur le travail

d’infirmières soignantes exerçant en milieux

hospitaliers : une étude exploratoire

Mémoire

David Poulin-Grégoire

Sous la direction de :

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ii

Résumé

Plus de 39.7% des infirmières se déclarent victimes de bullying dans leur milieu de travail. Dans 60% des cas, il est question de violence verticale impliquant une personne en supériorité hiérarchique. Peu d’études portent sur ce phénomène sans le confondre avec d’autres types de violence. Outre les répercussions recensées chez les victimes, on estime que le phénomène de bullying occasionne 44 000$ en pertes économiques par cas rapportés, en plus de compromettre la santé et la sécurité des patients.

Par le biais de la phénoménologie descriptive, cette étude vise à décrire la violence verticale vécue par des infirmières soignantes exerçant en milieux hospitaliers et l’effet de cette violence sur leur travail. Une collecte des données par entrevues semi-dirigées a été réalisée auprès de six infirmières de milieux hospitaliers, dont l’analyse a été effectuée avec le cadre de référence sur la pratique centrée sur la personne de McCormack et McCance (2010).

Au vue de nos résultats, la représentation globale des effets de la violence verticale vécue par des infirmières soignant en milieux hospitaliers se traduit par un détournement des initiatives infirmières qui renvoient à des soins diligents et personnalisés à la lumière de cinq thèmes : une perte des aptitudes de l’infirmière, un déploiement d’efforts pour modifier l’expérience de violence verticale, un changement des priorités dans la pratique infirmière, une détérioration de la collaboration entre les professionnels et des répercussions négatives sur les soins et les traitements aux patients.

Les résultats de ce mémoire indiquent la nécessité pour les dirigeants de centres hospitaliers de mettre en place des politiques organisationnelles contre la violence verticale et de les appliquer de façon rigoureuse et transparente. D’autres études devraient préciser les facteurs organisationnels favorisant la violence verticale en milieux hospitaliers. Mieux former le personnel infirmier et la relève à l’égard de ce phénomène donnerait également des outils pour mieux le gérer et gérer ses répercussions.

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iii

Abstract

More than 39.7% of nurses report being victims of bullying in their work environment. 60% of those cases correspond to the vertical violence since it involves a person in a superior position. Few studies have examined this phenomenon without confusing it with other types of violence. In addition to the impacts identified among victims, it is estimated that the bullying phenomenon causes an average of $44,000 of economic losses per reported case, in addition to compromising patients’ health and safety.

This study aims to describe the experience of vertical violence among hospital-based nurse practitioners and its impact on their work, this through descriptive phenomenology. A semi-directed interviews data gathering has been conducted with six staff nurses, whose analysis was made by referring to McCormack and McCance's (2010) person-centered practice framework.

The overall representation of vertical violence’s effects experienced by hospital nurses practitioners translates into a diversion of nursing initiatives that refer to diligent and personalized care in light of five themes: a loss of a nurse's skills, efforts to change the experience of vertical violence, a change in nursing practice priorities, a deterioration in collaboration between professionals and negative impacts on patients’ care and treatment.

The results of this study indicate the need for hospital center managers to set up organizational policies against vertical violence and to apply them in a rigorous and transparent manner. Other studies should specify the organizational factors favoring vertical violence. Better training of nursing staff and of the next generation of nurses regarding this phenomenon would also provide tools to better manage it and its repercussions.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux ... vi

Liste des figures ... vii

Liste des abréviations ... viii

Remerciements ... xi Introduction ... 1 Chapitre 1 Problématique ... 3 1.1 But de la recherche ... 14 1.2 Questions de recherche ... 15 1.3 Pertinence de l’étude ... 15

Chapitre 2 Recension des écrits ... 17

2.1 Nature du bullying et des concepts liés ... 18

2.2 Conséquences du bullying et de ses formes ... 22

2.2.1 Conséquences individuelles ... 23

2.1.2 Conséquences organisationnelles ... 26

2.3 L’environnement de soins ... 29

2.3.1 Combinaison de compétences ... 30

2.3.2 Système de prise de décision partagée ... 31

2.3.3 Partage de pouvoir et relations professionnelles efficaces ... 31

2.3.4 Potentiel d’innovation et prise de risque ... 32

2.3.5 Environnement physique ... 33

2.4 Le pouvoir ... 33

2.5 Les fonctions infirmières ... 35

Chapitre 3 Considérations méthodologiques ... 39

3.1 Cadre de référence ... 39

3.2 Tradition de recherche ... 41

3.3 Échantillonnage et recrutement ... 43

3.4 Profil général des participantes ... 46

3.5 Milieu de l’étude ... 46

3.6 Déroulement de la collecte de données ... 46

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v

3.8 Critères de rigueur scientifique ... 49

3.9 Considérations éthiques ... 49

Chapitre 4 Présentation des résultats ... 52

4.1 Description de la violence verticale ... 52

4.2 Les effets de la violence verticale ... 56

4.2.1 Perte des aptitudes de l’infirmière ... 60

4.2.2 Déploiement d’efforts pour modifier l’expérience de la violence verticale ... 63

4.2.3 Changement des priorités de pratique infirmière ... 66

4.2.4 Détérioration de la collaboration ... 70

4.2.5 Répercussions négatives sur le processus de soins et de traitements des patients ... 73

Chapitre 5 Discussion ... 77

5.1 Pertes des aptitudes de l’infirmière ... 78

5.2 Déploiement d’efforts pour modifier l’expérience de la violence verticale ... 80

5.3 Changement des priorités de l’infirmière ... 84

5.4 Détérioration de la collaboration ... 86

5.5 Répercussions négatives sur le processus de soins et de traitements des patients ... 88

5.6 Limites de l’étude ... 90

5.7 Recommandations ... 91

5.7.1 Recommandations pour la pratique ... 91

5.7.2 Recommandations pour la recherche ... 93

5.7.3 Recommandations pour la formation ... 94

Conclusion ... 97

Bibliographie ... 99

Annexe A – Bracketing de l’étudiant-chercheur ... 111

Annexe B – Fiche de recrutement ... 113

Annexe C - Feuillet d’information pour un consentement écrit ... 115

Annexe D – Questionnaire sociodémographique ... 122

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Comportements de bullying selon Moayed, Daraiseh, Shell et Salem (2006) Tableau 2 : Synthèse des fréquences des unités de signification

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Liste des figures

Figure 1 : Le Person-centred Practice Framework selon McCormack et McCance (2017) Figure 2 : Schéma du processus d’analyse phénoménologique

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Liste des abréviations

AIIC : Association des infirmières et infirmiers du Canada CÉRUL : Comité d’éthique à la recherche de l’Université Laval CH : Centre hospitalier

CII : Conseil international des infirmières IMC : Indice de masse corporelle

FIQ : Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec FSI : Faculté des sciences infirmières

ISP : Internationale des services publics

OIIQ : Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec OIT : Organisation internationale du travail

OMS : Organisation mondiale de la Santé PTI : Plan thérapeutique infirmier

PCP : Pratique centrée sur la personne PCPF : Person-centred Practice Framework PCNF : Person-centred Nursing Framework QALY : Quality-adjusted life year

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ix

À l’amour de ma vie Marilou Gagné, qui a traversé avec moi les défis inhérents à ce mémoire, et ce, de ses balbutiements jusqu’à son aboutissement.

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x

À Pierre Chouinard, sans qui je ne serais pas où j’en suis aujourd’hui et que je porte dans mon cœur malgré son absence.

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xi

Remerciements

La réalisation de ce mémoire a été une occasion d’apprentissage incomparable tant sur le plan personnel qu’académique. Ces études à la maîtrise ont été parsemées de défis, parfois des défis d’envergure, mais tous aussi constructifs les uns que les autres. Il faut certes posséder une volonté de fer pour franchir la ligne d’arrivée de ses études supérieures, mais je dois admettre que, comme me l’a fait réaliser l’objet de mon étude, une détermination sans faille n’est pas possible sans un minimum de soutien. Je tiens par conséquent à remercier, par ces quelques lignes, plusieurs personnes de mon entourage professionnel ou personnel qui ont joué un rôle dans cette étape importante de ma vie. Certaines personnes m’ont soutenu à des moments cruciaux, alors que d’autres ont été d’importantes sources d’inspiration tout au long de mon parcours.

Avant tout, je ne remercierai jamais assez le professeur Patrick Martin, qui a accepté de me diriger pour la réalisation de mon projet de maîtrise. Dès les balbutiements de ma maîtrise, je témoigne d’une reconnaissance indicible à son égard, puisqu’il a toujours reconnu mon potentiel dans de multiples projets et il a surtout contribué à son plein développement. Il tenait compte de chaque idée partagée, ce qui s’est traduit par des collaborations égalitaires et toujours fructueuses en matière de communications scientifiques et d’actions politiques visant à promouvoir la profession infirmière. Son dynamisme sans égal a de plus été une importante source d’inspiration pour moi.

Je tiens également à remercier chaudement Nadine Tremblay pour sa présence humaine et réconfortante à titre de conseillère en développement de la recherche au sein de la Faculté des sciences infirmières (FSI) de l’Université Laval. Je la remercie pour ses précieux conseils en matière de soutien financier pour la recherche. Des bourses obtenues grâce à ses conseils ont par ailleurs été extrêmement salutaires pour compléter mes études. Un profond merci au programme de bourses de réussite de la FSI, qui m’a permis de participer à un grand congrès mondial en Europe. Merci au comité de la Bourse d’étude supérieure de la Faculté des sciences infirmières d’avoir facilité la poursuite de mes études dans un moment difficile. Enfin, un grand merci à la caisse Desjardins du Carrefour des Lacs pour sa reconnaissance par le biais de deux bourses de réussite académique.

Mes relations avec certaines collègues d’études ont été d’une richesse inestimable. Entre les fous rires, le réconfort et les encouragements échangés, j’admets qu’elles ont fait de mes études à la maîtrise les plus marquantes de ma vie. Mélie-Jade Lynch Bérard, Marie-Pier Labelle et Annie-Claude

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xii

Harvey, vous avez été des complices d’études irremplaçables. Les moments passés avec vous pour l’avancement de nos travaux, ou simplement pour le plaisir d’être ensemble, resteront gravés dans ma mémoire.

Du côté de mon entourage, je dois d’abord faire une mention toute spéciale à mon très grand ami Bertrand Guay qui occupe une place importante dans ma vie. Il incarne un équilibre parfait entre l’intelligence, la gentillesse et la modestie, un équilibre que j’admire. Je ne le remercierai jamais assez pour son écoute, son soutien et ses compétences incommensurables sur le plan rédactionnel dont j’ai pu tirer profit à une étape cruciale de la rédaction de ce mémoire.

Je suis également reconnaissant envers ma famille d’avoir toujours cru en moi et pour leurs encouragements tout au long de ce parcours. Un grand merci à ma grande sœur Audrey Poulin-Grégoire, pour les retraites de rédaction passées chez elles. Je ne peux pas oublier mon grand ami Adrien Pagé, dont la visite à Québec a favorisé chez moi un grand ressourcement à un moment où j’en avais bien besoin et qui a potentialisé ma capacité de rédaction en chute d’écriture de ce mémoire. Merci aussi à Emmanuel Péloquin pour ces petites attentions qui ont souvent fait la différence dans mes journées, et à Brianna Hanton pour les nombreux échanges dans la langue de Shakespeare, échanges qui m’ont permis d’en apprendre énormément sur cette langue incontournable dans le domaine scientifique.

Enfin, je dédie ces dernières lignes à la personne qui, malgré tout ce que nous avons traversé, a continué à me soutenir sans jamais broncher. Marilou, je pourrais écrire plusieurs pages simplement pour te remercier de ta présence dans ma vie. Je serais d’ailleurs frappé par le syndrome de la page blanche tellement je ne saurai pas par où commencer. En fait, toutes les pages de ce mémoire te sont dédiées de près ou de loin, car c’est un défi que nous avons relevé ensemble. D’une part, par ta présence soutenue lors de la rédaction du mémoire, où sous chaque regard croisé et sourire échangé s’écrivait une ligne de plus. D’un autre côté, par ta douceur et ta générosité si naturelle lors des remises en question habituelles dans une telle perspective d’études. Patrick avait raison de me dire que ta présence à mes côtés était primordiale dans ce défi que j’ai eu à relever.

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Introduction

En 2002, l’Organisation mondiale de la santé rapportait une augmentation de la violence dans le secteur de la santé favorisée par de multiples facteurs tels que le poids des réformes et l’accroissement des conflits entre les professionnels de la santé. Depuis, une étude menée au Québec a révélé que 87% du personnel infirmier subit de la violence d’ordre physique, psychologique ou sexuel par des collègues de travail, des supérieurs ou par des médecins (Lemelin, Bonin et Duquette, 2009). Cette violence reste peu visible, notamment puisqu’elle est majoritairement de nature psychologique (Lemelin et al., 2009; St-Pierre, 2012). Parmi les différents concepts qui permettent d’appréhender les comportements hostiles en milieu de travail, le bullying, mieux connu sous le vocable de harcèlement psychologique, est le plus commun d’après la littérature scientifique recensée. Toujours au Québec, 20,4% des infirmières subissent des comportements associés au bullying selon Trépanier, Fernet et Austin (2013a), alors que 37,3% de ces cas impliquent un auteur en supériorité hiérarchique. Cette situation correspond à la violence verticale, un phénomène qui reste peu étudié sans être confondu à d’autres formes de bullying telles que la violence horizontale se présentant entre deux collègues d’un même niveau hiérarchique. Les études menées auprès des victimes, incluant celles réalisées auprès d’une population d’infirmières, décrivent surtout les conséquences individuelles du bullying. Dans une perspective où McCormack et McCance (2010) soulignent l’influence significative de l’environnement de travail sur les soins donnés aux patients, et ce en y incluant les relations professionnelles saines et exemptes de conflits, le but de ce mémoire est d’explorer les effets du phénomène de violence verticale sur le travail d’infirmières victimes exerçant en milieux hospitaliers.

Le premier chapitre offre une mise en contexte du phénomène d’intérêt, particulièrement en ce qui a trait à sa prévalence et les facteurs le favorisant. Le deuxième chapitre présente une recension des écrits permettant avant tout de dissiper la confusion sur la nature du bullying et les notions de violence horizontale et de violence verticale. Puisque peu d’études décrivent les conséquences liées spécifiquement à la violence verticale, ce même chapitre détaille les conséquences individuelles et organisationnelles du phénomène de bullying. Il présente également les notions théoriques d’environnement de soins (McCormack et McCance, 2010), de pouvoir (Foucault, 1975), et de fonctions infirmières (Dallaire & Dallaire, 2008) mobilisées pour favoriser la compréhension du phénomène d’intérêt. Le troisième chapitre expose le cadre de référence proposé par McCormack et McCance (2010), les critères d’une étude phénoménologique telle que définie par Giorgi (1997), et les

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autres considérations méthodologiques ayant permis de réaliser la collecte et l’analyse des données. Le quatrième chapitre met en lumière les résultats de l’étude à travers une description de l’essence des thèmes et des sous-thèmes obtenus par le biais de l’analyse phénoménologique. Le cinquième chapitre présente une discussion des résultats en considérant les écrits scientifiques et les préceptes théoriques disponibles. Pour finir, une brève conclusion résume les tenants et aboutissants de ce mémoire.

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Chapitre 1 Problématique

Entre les préoccupations associées à l’accessibilité des soins et celles liées aux coûts, le système de santé québécois a été sujet à maintes réformes socioéconomiques depuis les dernières décennies. A priori garantes d’une amélioration de la santé de l’ensemble de la population québécoise, les réformes des années 1980-1990 ont érigé leurs fondations dans une perspective limitative. Ces changements ont eu pour effets une réduction des services du système de santé ainsi qu’une ouverture à la marchandisation de la santé (Goulet, Hébert, & Verbauwhede, 2014). Les lacunes du système ont en ce sens permis au privé de s’enraciner dans le système de santé. Il y a notamment eu multiplication des cliniques privées qui proposent entre autres de réaliser les interventions chirurgicales les plus rentables et de traiter les cas les moins lourds. L’on vante ainsi de plus en plus l’efficacité du secteur privé et sa capacité à résoudre les tares d’un système public déficient, et ce, tout en laissant miroiter la privatisation complète des services de santé (Goulet & Hébert, 2017; Larocque, 2017; Leblanc, 2017). Les dernières réformes du système de santé ont également été fondées sur les grands principes de la Nouvelle gestion publique – mouvement qui aspire à l’augmentation de l’efficacité organisationnelle et à la reddition de comptes par des méthodes de gestion empruntées au privé (Desrochers, 2016). Le privé s’instille dans le domaine de la santé sur le plan managérial, notamment par l’octroi de contrats à des groupes d’experts visant l’optimisation de la gestion des ressources au public. On assiste ainsi à l’émergence d’une gouvernance de type entrepreneuriale au sein du système de santé qui promeut toute intervention autour de son efficacité économique (Martin, 2015).

Les modifications qu’apporte ce modèle de gestion ont, selon plusieurs organismes importants, des effets délétères sur le système de la santé. En effet, l’OMS signalait déjà en 2002 une augmentation de la violence dans le secteur de la santé en raison du poids des réformes, des pressions et des tensions professionnelles croissantes, de l’instabilité sociale et d’une détérioration des relations interpersonnelles. En somme, près du quart de la violence en milieu de travail a cours dans le domaine de la santé (OIT, CII, OMS, & ISP, 2002). Parmi les professionnels de la santé, ce sont les infirmières1 qui sont les plus exposées à la violence en milieu de travail (Association des Infirmières et Infirmiers du Canada [AIIC], 2005; Dzurec & Bromley, 2012). Kingma (2001) souligne même que les infirmières ont seize fois plus de risques d’être la cible de violence que tout autre travailleur. Selon ce même

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auteur, les risques d’exposition des infirmières à la violence surpassent même ceux auxquels sont confrontés les agents correctionnels et les policiers. À l’échelle internationale, jusqu’à 90% des infirmières indiquent avoir vécu une dynamique de violence dans leur milieu de travail (Kingma, 2001). En ce qui a trait particulièrement au contexte québécois, les résultats d’une étude menée par Lemelin et al. (2009) indiquent que 87% du personnel infirmier rapporte avoir subi de la violence d’ordre physique, psychologique ou sexuel, et ce de la part d’un collègue, d’un supérieur, ou d’un médecin.

Outre la violence de la part des patients et celle qui découle d’incivilités professionnelles, les infirmières se retrouvent particulièrement vulnérables à la violence intraprofessionnelle, qui peut être considérée comme un symptôme des contraintes vécues dans le cadre de leurs fonctions. C’est en ce sens que Roberts (1983, 2000) affirme que le profil des infirmières correspond à celui des groupes opprimés tels que conceptualisés par Freire (1996). Dans cette perspective, les infirmières se retrouvent piégées dans une dynamique de peur qui alimente une attitude de soumission devant l’autorité médicale et administrative, ce qui explique leur tendance à accepter les contraintes liées à leur profession. D’après plusieurs auteurs, cette oppression est à l’origine de tensions entre travailleurs de la santé, puisqu’ils se sentent incapables de se retourner contre leurs oppresseurs (Farrell, 2001; Griffin, 2004; M. B. Lee & Saeed, 2001; Longo & Sherman, 2007; St-Pierre, 2012). Or, il apparaît que les hostilités intraprofessionnelles seraient liées de près ou de loin à la gouvernance de type entrepreneurial qui a cours dans les différents milieux de soins (Martin, 2015).

La violence vécue par les infirmières reste peu visible (St-Pierre, 2012), puisque selon Lemelin et al. (2009), 86,4% de la violence d’origine interne à l’environnement de travail des infirmières est de nature psychologique. Notre recension des écrits fait également état d’un phénomène beaucoup plus complexe et insidieux de comportements hostiles en milieu de travail chez les infirmières. Parmi les concepts qui circonscrivent ledit phénomène, le bullying est celui qui revient le plus souvent dans la littérature scientifique, en plus de se distinguer par sa nature persistante et son potentiel néfaste (Nielsen, Matthiesen, & Einarsen, 2010). Selon Einarsen, Hoel, Zapf et Cooper (2011), ce phénomène est la cause de problèmes sociaux, psychologiques et psychosomatiques tels que des traumatismes, de la dépression ou de l’insomnie. D’après ces mêmes auteurs, le bullying est la plus handicapante et la plus dévastatrice des causes de stress liées au travail.

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Malgré les différentes descriptions du bullying, celle d’Einarsen et de ses collaborateurs (2011), des chercheurs norvégiens, reste la plus reconnue dans les écrits scientifiques. D’après ces chercheurs, le bullying signifie harceler, offenser, exclure socialement quelqu’un ou perturber ses tâches. Pour être considéré comme tel, le comportement indésirable doit survenir de façon récurrente et persister dans le temps. La victime de bullying finit par endosser une position d’infériorité, en plus de devenir la cible de ces comportements négatifs. Enfin, Zapf et Einarsen (2011) précisent qu’un événement isolé ou un conflit entre deux groupes de force semblable ne correspond pas au phénomène du bullying.

En France, le terme « harcèlement moral » a été retenu pour décrire le bullying (Hirigoyen, 1998), alors que la législation québécoise préfère l’expression « harcèlement psychologique » (Vézina et al., 2011). Ainsi, tout au long de ce mémoire, nous utiliserons le terme anglais bullying afin d’éviter d’ajouter à la confusion déjà présente dans la littérature. En ce sens, le terme harassment se distingue parfois du bullying, alors que Vessey, Demarco et DiFazio (2010) le décrivent comme l’une des manifestations de ce dernier. Le bullying peut par ailleurs être confondu par certains auteurs en tant que synonyme de violence horizontale (Blair, 2013; Johnson, 2009), ou encore avec le concept de violence verticale (Public Services Health & Safety Association, 2010). La violence horizontale, par définition, se réfère à un conflit qui émerge entre des personnes d’un même niveau hiérarchique (AIIC, 2005; Lemelin et al., 2009; Vessey et al., 2010), alors que l’auteur de la violence verticale est en supériorité hiérarchique par rapport à sa victime (Lemelin et al., 2009; Sousa, 2012; Thomas & Burk, 2009). Les grandes associations internationales évoquent l’importance d’utiliser une définition claire de ces phénomènes (OIT et al., 2002), puisque la confusion à l’égard de ces formes de violence contribue davantage à leur banalisation dans les milieux de soins.

D’après les études recensées, la prévalence du bullying peut varier en fonction de la méthode utilisée pour identifier le phénomène. Selon Nielsen et al. (2010), soit les chercheurs ont recours à une définition qui permet à la victime de s’identifier comme telle, soit ils procèdent à l’identification des comportements vécus qui correspondent à celles du bullying. Les mêmes auteurs rapportent qu’en fonction de la méthode employée dans les recherches, la prévalence du bullying varie entre 11% et 18%, avec une estimation générale de 14,7% dans les pays européens. Au Canada, peu de statistiques en lien avec la prévalence du bullying chez l’ensemble des travailleurs sont disponibles (Public Services Health & Safety Association, 2010). Cependant, selon Keashly et Jagatic (2011), la

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proportion de victimes de bullying en Amérique du Nord est semblable à celle de l’Europe. C’est par ailleurs ce que suggèrent les données sur le sujet qui proviennent majoritairement des États-Unis. À cet effet, des données récentes indiquent que 19% des travailleurs américains sont victimes de bullying (Namie, 2017). En ce qui a trait au contexte québécois, les données recensées restent aussi limitées. L’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST) présente néanmoins un portrait de la situation globale dans la province (Vézina et al., 2011). Comme ailleurs, les femmes se retrouvent plus souvent victimes de bullying que les hommes. Plus précisément, 17,3% des femmes sont victimes de bullying, alors que la proportion s’élève à 12,6% chez les hommes. En moyenne, 14,8% des Québécois sont touchés par le phénomène.

Une recherche permet de confirmer que la situation du bullying dans le domaine de la santé coïncide avec celle du phénomène de violence à l’échelle mondiale (OIT et al., 2002). D’abord, il est reconnu que le secteur public est plus touché par ces comportements indésirables que le secteur privé (Zapf, Escartín, Einarsen, Hoel, & Vartia, 2011). Ensuite, les travailleurs de la santé ont sept fois plus de risques d’être exposés au phénomène de bullying que tout autre travailleur (Zapf et al., 2011). Au Québec, plus de 21,4% des travailleurs du système de santé et des services sociaux du Québec sont affectés par le bullying (Vézina et al., 2011).

Lorsque l’on se limite à la population infirmière, la prévalence du bullying s’élève à 39,7% à l’échelle internationale (Spector, Zhou, & Che, 2014). Cette proportion reste par ailleurs sous-estimée selon certains auteurs (Johnson, 2009; Mistry & Latoo, 2009). Au Canada, bien que peu de chercheurs se soient penchés sur le sujet, une étude rapporte que plus du tiers des infirmières nouvellement diplômées sont confrontées au bullying (Laschinger, Grau, Finegan, & Wilk, 2010). De plus, la proportion d’infirmières victimes de ce phénomène tend à augmenter selon l’Association de la sécurité et des services de santé publique de l’Ontario (2010). Pour ce qui est de la situation du Québec, Trépanier et al. (2013a) affirment que 20,4% des infirmières sont exposées aux comportements associés au bullying sur une base quotidienne ou hebdomadaire. Néanmoins, toujours selon cette étude, seulement 17% des infirmières se perçoivent comme victimes du phénomène.

Une recherche sur la prévalence des différentes catégories de bullying permet d’obtenir un meilleur éclairage sur la place qu’occupe le phénomène dans la profession infirmière à l’échelle provinciale. Environ 33% des cas de bullying sont internes à l’organisation (Vézina et al., 2011). Lemelin et al. (2009) rapportent plus précisément que l’auteur de cette violence est pour la plupart du

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temps un collègue (65,9 %) ou un supérieur (59,6 %). Toutefois, ces résultats diffèrent de ceux rapportés par Trépanier et al. (2013a). D’après ces auteurs, 37,3% des cas de bullying se rapporteraient à la violence verticale, alors que 27,1% des situations impliqueraient un collègue. Cette dernière étude est en accord avec les recherches sur le plan international qui indiquent que ce sont les supérieurs qui sont le plus souvent les responsables de cette violence (Namie, 2017; Vézina et al., 2011; Zapf et al., 2011). En effet, jusqu’à 61% des cas de bullying impliquent une personne en supériorité hiérarchique, et dans 63% des cas, celle-ci agit seule. À l’inverse, il est plutôt rare qu’un supérieur hiérarchique soit la cible de subordonnées, à moins que d’autres gestionnaires ou superviseurs aient contribué au bullying (Zapf et al., 2011).

Par ailleurs, l’occurrence de certains comportements associés au phénomène varie selon la position hiérarchique de l’auteur du bullying et la relation entretenue avec sa victime (Zapf et al., 2011). Par exemple, des comportements plus insidieux comme la propagation de rumeurs sur la victime ou l’isolement de cette dernière ne peuvent être possibles que si plusieurs personnes y participent. Cette situation est fréquente, puisque des alliances entre l’auteur principal du bullying et d’autres personnes, qui autrement n’auraient pas été impliquées dans le processus, peuvent se former de façon insidieuse (Hutchinson, Vickers, Jackson, & Wilkes, 2006). Autrement, les attaques personnelles sont rarement perpétrées par un superviseur dans le cas où la vie privée de la victime est moins connue, contrairement à des collègues d’un même niveau hiérarchique (Zapf et al., 2011).

Plusieurs facteurs, d’abord organisationnels, puis individuels, permettent de prévoir l’occurrence du bullying au travail. Les causes organisationnelles sont nombreuses et on observe que plusieurs de ces facteurs sont liés par le contexte socioéconomique de l’organisation. Les facteurs individuels réfèrent plutôt à la personnalité de l’auteur du bullying et de sa cible, agissant ainsi comme des éléments pouvant potentialiser une propension à infliger ou à subir cette violence.

Parmi les facteurs organisationnels, Salin et Hoel (2011) avancent qu’outre un manque de clarté quant aux objectifs de l’organisation, un conflit ou une ambiguïté des rôles contribuent à la prévalence dudit phénomène de violence. Or, Martin (2015) rapporte que les contraintes vécues par les infirmières leur font perdre de vue jusqu’à leur rôle même d’infirmière. Ces contraintes, notamment liées à l’augmentation de la pression et l’intensification au travail sont régulièrement des précurseurs du bullying. Une tension au travail qui résulte d’une forte demande psychologique, mêlée à une faible latitude décisionnelle, favorise l’émergence de ces comportements indésirables (Baillien, De Cuyper,

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& De Witte, 2011; Salin & Hoel, 2011; Vézina et al., 2011). Il en est de même au Québec, alors que « les travailleurs exposés aux contraintes psychosociales du travail ont des prévalences de harcèlement psychologique à leur emploi principal plus élevé que les travailleurs qui n’y sont pas exposés » (Vézina et al., 2011, p. 339). Les infirmières sont aussi reconnues pour vivre une tension élevée au travail (Schmidt & Diestel, 2013; Winwood & Lushington, 2006; Woodhead, Northrop, & Edelstein, 2016), au point où celles-ci rapportent qu’il est devenu difficile de soigner dans un centre hospitalier et se sentent impuissantes devant une détérioration générale de la qualité des soins (Jacobs, Fontana, Kehoe, Matarese, & Chinn, 2005; Martin, 2015).

Les changements organisationnels, comme ceux qui découlent de réformes inspirées de la Nouvelle gestion publique, favorisent le bullying (Hoel & Cooper, 2000). En 1984, on rapportait déjà que les soins devenaient impersonnels, ceux-ci étant dès lors organisés et orientés vers les performances plutôt que vers la qualité de vie des patients (Martin, 1984). Cette réalité persiste depuis, alors que les infirmières « s’interrogent sur la finalité du prendre-soin au sein de la demande croissante de performance dans l’exécution d’actes exclusivement techniques ou biomédicaux » (Martin, 2015, p. 399). Les coupes budgétaires et les avancées technologiques qui découlent de ces réformes sont également deux facteurs fortement liés à la prévalence du bullying (Hoel & Cooper, 2000). Par ailleurs, la réduction du personnel, pouvant être considérée comme un effet secondaire aux coupes budgétaires, amplifie davantage ce phénomène de violence (Skogstad, Matthiesen, & Einarsen, 2007). De plus, des pratiques autocratiques prévalentes dans la gestion dans le but d’inciter au changement ou pour répliquer aux symptômes de tels changements – tel que le recours au temps supplémentaire obligatoire – sont aussi potentiellement porteuses de violence verticale (Bougie, 2007; Salin & Hoel, 2011). Dans cette même perspective, plusieurs auteurs rapportent que l’introduction de modèles de gestion des ressources inspirés du privé dans le domaine de la santé a modifié les relations entre les travailleurs et les gestionnaires, ayant comme effet une intensification du travail et du contrôle managérial (Beale, 2011; Ironside & Seifert, 2002; D. Lee, 2002). Enfin, les mutations technologiques, encore une fois favorisées par les idéologies de gouvernance de type entrepreneuriale, accentuent davantage l’écart hiérarchique entre travailleurs et décideurs (Goulet et al., 2014; Rafnsdottir & Gudmundsdottir, 2004).

Dans cette même perspective, la technicisation des soins infirmiers évoquée par des infirmières québécoises s’arrime à une dérive autoritaire grandissante dans des milieux gouvernés par la doctrine

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du rationalisme économique selon laquelle la logique et le fonctionnement du marché devraient dominer toutes les instances de la vie (Martin, 2015). Des études ont en ce sens démontré que plusieurs organisations ayant des taux élevés de bullying encourageaient de façon indirecte les abus et de tels comportements négatifs. Salin et Hoel (2011) rapportent plus exactement que le bullying a tendance à faire partie de la culture organisationnelle, ou qu’il finit par s’y greffer et enclencher un cercle vicieux. Par conséquent, le bullying peut être d’une part stratégique lorsqu’il est utilisé à l’avantage de l’organisation dans l’optique de décourager et de soustraire les employés sous-productifs ou non désirés (Ferris, Zinko, Brouer, Buckley, & Harvey, 2007). En fait, il s’agirait même d’une pratique largement répandue dans le secteur public, plus particulièrement dans les établissements fortement bureaucratisés avec des règles strictes en matière de congédiement du personnel. Ces circonstances peuvent encourager les gestionnaires à avoir recours à la violence verticale afin de contourner ces règles pour ainsi éliminer les travailleurs considérés comme indésirables (Salin & Hoel, 2011).

Faisant partie intégrante de la culture du milieu de travail, le style de leadership des gestionnaires influence également la prévalence du bullying. L’étude de Johan Hauge, Skogstad et Einarsen (2007) qui comporte un échantillon de 2539 participants, a démontré que le leadership tyrannique et le laisser-faire sont reconnus pour être les plus grands prédicteurs du phénomène (Salin & Hoel, 2011). En ce sens, un style de leadership autoritaire peut instaurer un climat de peur, où les plaintes et les dialogues entre travailleurs et gestionnaires sont considérés comme inutiles. La peur pourrait même être utilisée de façon stratégique, comme mode de gestion, par certaines infirmières coordonnatrices et gestionnaires d’unités de soins (Martin, 2015). Quant à un style de leadership « laissez-faire », celui-ci favoriserait l’émergence d’ambiguïtés et de conflits de rôles, rendant l’environnement propice à la violence horizontale (Skogstad, Einarsen, Torsheim, Aasland, & Hetland, 2007).

D’un autre côté, la socialisation par laquelle les nouveaux membres d’une organisation adhèrent graduellement aux normes destructives et favorables au bullying a été soulevée par plusieurs études. Ce processus a été par ailleurs observé auprès d’infirmières étudiantes ou débutantes (Hoel, Giga, & Davidson, 2007; Randle, 2003). Influencées par cette culture, ces dernières deviennent plus rigides en modifiant leur perspective et leurs attentes professionnelles afin de s’y adapter. Elles contribueront par la suite de façon insidieuse à la normalisation et à la récurrence de ces comportements auprès de leur entourage professionnel (Hoel et al., 2007). En considérant le phénomène d’oppression des infirmières comme le rapporte Roberts (1983, 2000), la tendance des infirmières à se conformer aux processus

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de socialisation à la violence est sans équivoque. En parallèle, la dévalorisation qui s’ensuit les mène vers une faible reconnaissance, ou encore vers un déséquilibre entre l’effort et la reconnaissance perçue (Martin, 2015; Perraut Soliveres, 2010). Or, ces facteurs constituent tout autant des indicateurs favorables au bullying (Vézina et al., 2011). La violence horizontale est d’ailleurs réputée pour être un symptôme de l’oppression des infirmières et de leur sentiment d’impuissance à répliquer à leurs oppresseurs (Griffin, 2004; M. B. Lee & Saeed, 2001; Longo & Sherman, 2007).

Devant tous les facteurs organisationnels pouvant favoriser les comportements de bullying en milieu de travail, Leymann (1996), l’un des pionniers des recherches sur le bullying, réitérait que seules les causes organisationnelles pouvaient être à l’origine du bullying. Pour leur part, Zapf et Einarsen (2011) indiquent qu’ils ne peuvent nier l’existence de facteurs propres à l’auteur ou à la victime afin de permettre une meilleure compréhension du phénomène et de sa prévalence. En ce sens, la personnalité de l’auteur ou de la victime peut avoir une influence plus ou moins importante sur l’intensité du phénomène (Nielsen, Matthiesen, & Einarsen, 2008). Par exemple, un gestionnaire qui se sent menacé par un subordonné pourrait commencer à harceler ce dernier (Zapf & Einarsen, 2011). À l’inverse, une perception d’injustice chez une victime pourrait la pousser à riposter, pour ainsi l’entraîner dans une spirale d’agressivité entre elle et l’auteur de la violence.

En ce qui concerne l’auteur du bullying, l’estime de soi est le premier facteur étiologique inhérent à sa personnalité. Selon Baumeister, Smart et Boden (1996), l’estime de soi est un concept qui renvoie au jugement global qu’une personne a d’elle-même. Comme ces auteurs l’indiquent, une personne qui a une estime de soi très élevée et qui se sent supérieure aux autres peut être encline à l’entraide. Cependant, elle peut aussi devenir agressive lorsque des désaccords s’installent, et ce, sans éprouver de remords à l’égard de ses propres réactions. De plus, un ego surdimensionné peut se manifester par du perfectionnisme, de l’arrogance ou du narcissisme, alors qu’une personne possédant ces traits a tendance à générer des comportements tyranniques dans le but de rehausser ou de préserver une estime personnelle fragile (Baughman, Dearing, Giammarco, & Vernon, 2012; Zapf & Einarsen, 2011). En plus de l’estime de soi, une personne qui manque de compétences sociales, particulièrement en matière de maîtrise des émotions, serait plus sujette à générer des conflits (Zapf & Einarsen, 2011). Baughman et al. (2012) affirment également que l’impulsivité peut être à l’origine de comportements associés au bullying, mais rapportent toutefois des études qui démontrent que certaines personnes

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détiennent un niveau d’intelligence sociale et d’empathie élevé, et ce, même si des comportements antisociaux ont été observés chez celles-ci (Ang & Goh, 2010; Renouf et al., 2010). Une personnalité « machiavélique » [traduction libre] (Baughman et al., 2012, p. 552), caractérisée par une tendance à la manipulation et à l’exploitation d’autrui pour des intérêts personnels sans éprouver de regret, pourrait expliquer ce paradoxe.

Les personnes aux penchants machiavéliques seraient par ailleurs douées pour intervenir au niveau micropolitique d’une organisation. Zapf et Einarsen (2011) indiquent que les membres influents sont capables d’investir les structures qui n’ont pas été définies par l’administration, tout comme ce qui n’est pas couvert par les politiques organisationnelles (Neuberger, 1999, 2006; Salin, 2003). Alors que certaines personnes pourraient agir au niveau micropolitique d’une organisation dans l’intérêt de celle-ci, les personnes machiavéliques le font quant à elles pour des motivations personnelles (Zapf & Einarsen, 2011; Zapf et al., 2011). De telles circonstances potentialisent davantage l’émergence d’un bullying instrumental, et le concept de micropolitique peut également expliquer pourquoi les supérieurs hiérarchiques sont la plupart du temps les auteurs du bullying (Zapf & Einarsen, 2011).

Mis à part les traits de personnalité de l’auteur du bullying, ceux qui sont propres à la victime peuvent aussi favoriser le phénomène. Au même titre que l’auteur de cette violence, une estime de soi distinctive chez la personne persécutée, tout comme ses compétences sociales, peut désavantager cette dernière (Zapf & Einarsen, 2011). D’un côté, les travailleurs possédant une personnalité introvertie, peu consciencieuse ou particulièrement sympathique aux yeux de ses collègues sont plus souvent sujets à des comportements de bullying (Samnani & Singh, 2012). Cette vulnérabilité s’explique par le fait que ces personnes présentent souvent une difficulté à s’affirmer ainsi qu’une incapacité à se défendre ou à gérer les conflits de manière constructive (Zapf & Einarsen, 2011). Mais à l’inverse, les personnes extraverties, impulsives, ou qui ont une personnalité désagréable restent tout aussi vulnérables au bullying (Persson et al., 2009; Samnani & Singh, 2012). En ce sens, selon Aquino et Lamertz (2004), ces personnes se classent parmi les victimes provocatrices, c’est-à-dire qu’elles ont tendance à prêter le flanc aux auteurs de bullying. Enfin, les personnes qui diffèrent du groupe ou des normes tacitement établies dans celui-ci, ou encore celles qui cherchent à s’en démarquer s’exposent aussi à un risque plus élevé au phénomène du bullying (Samnani & Singh, 2012; Zapf & Einarsen, 2011).

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Au même titre que la multitude de facteurs favorables au bullying, bon nombre de conséquences sont attribuées à ce phénomène en milieu de travail. Toutefois, celles-ci sont peu différentiées selon le type de bullying en cause, à savoir si l’occurrence ou l’intensité d’une conséquence varie selon un contexte de violence horizontale ou de violence verticale par exemple. Selon les études recensées, les répercussions du phénomène dans son ensemble se regroupent en deux catégories. Ainsi, il y a les conséquences chez l’individu victime du bullying (Hogh, Mikkelsen, & Hansen, 2011), et les répercussions au niveau organisationnel (Hoel, Sheehan, Cooper, & Einarsen, 2011).

Le bullying affecte gravement la santé de la victime, peu importe le milieu de travail. Celle-ci peut développer des problèmes de santé physique chroniques, en passant par de graves atteintes sur le plan psychologique (Hogh et al., 2011; Kemp, 2014; Moayed et al., 2006). En se limitant à la population infirmière, les conséquences individuelles associées au bullying sont semblables à celles qu’on retrouve chez la population en général, bien que leur gravité puisse varier selon les contraintes spécifiques de leur milieu de travail (Winwood & Lushington, 2006). À ce sujet, et notamment au Québec, la détresse psychologique et les problèmes d’ordres psychosomatiques ont été fortement corrélés auprès des infirmières victimes de bullying (Trépanier et al., 2013a). Selon Balducci, Alfano et Fraccaroli (2009) ce phénomène de violence représente une menace à la santé des infirmières, puisque ses conséquences peuvent aller jusqu’au développement d’un syndrome de stress post-traumatique, ou même mener à des comportements suicidaires.

Un moins grand nombre d’études décrivent cependant les conséquences organisationnelles du bullying, en comparaison à ses conséquences individuelles (Hoel et al., 2011). Dans son ensemble, les répercussions se font sentir non seulement sur le bien-être et la performance individuelle, mais aussi sur le contexte psychosocial du travail et la performance économique de l’organisation (Eurofond, 2005; Hoel et al., 2011). En outre, les tensions et la violence en milieu de travail pourraient même être responsables de plus de 30 % des coûts liés aux maladies et aux accidents (OIT et al., 2002).

Les conséquences organisationnelles dans le secteur de la santé sont a priori semblables aux autres domaines de travail, à cette différence près que la nature du service rendu concerne la santé, voire la sécurité de la population. L’étendue de ses conséquences dépasse donc le simple cadre du milieu de travail. Le rapport sur la violence au travail remis par l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation internationale du travail, le Conseil international des infirmières et l’Internationale des services publics va en ce sens, en soulignant que la généralisation de cette violence dans le système

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de santé « altère gravement la prestation des services de soins de santé, la qualité des soins dispensés pouvant s’en ressentir » (OIT et al., 2002, p. 1). Ces organismes dénoncent également l’augmentation du risque d’abandon professionnel, une réduction des services à la population et une augmentation des coûts du système de santé. D’autres études rapportent les mêmes retombées organisationnelles : outre l’augmentation du taux d’absentéisme et d’épuisement professionnel (Laschinger et al., 2010; Trépanier, Fernet, & Austin, 2013b; Wilson, Diedrich, Phelps, & Choi, 2011), 31% des infirmières victimes de bullying ont l’intention de quitter leur travail (Simons, 2008). De plus, jusqu’à 29,5% de ces infirmières manifestent le désir d’abandonner complètement la profession pour cette même raison (Vogelpohl, Rice, Edwards, & Bork, 2013; Wilson et al., 2011).

Comme le rapportent Hoel et al. (2011), peu de recherches établissent un lien direct entre le bullying et la productivité des travailleurs, étant donné la difficulté à mesurer cette dernière. Néanmoins, diverses études démontrent une incidence notable du bullying sur la qualité des soins, la sécurité et la santé de la population. Cette dynamique nuit entre autres grandement à l’esprit d’équipe et à la pratique des soins infirmiers. À ce sujet, la collaboration entre collègues et la coordination des soins (Dallaire & Dallaire, 2008), qui sont principalement liées à l’échange d’informations cruciales, se retrouvent altérées par ledit phénomène (Vessey et al., 2010). En plus d’une diminution de la concentration des infirmières victimes de bullying, l’ensemble de ces facteurs augmente significativement le risque d’erreurs cliniques (Farrell, Bobrowski, & Bobrowski, 2006; OIT et al., 2002; Roche, Diers, Duffield, & Catling-Paull, 2010).

Malgré la prévalence du bullying et la gravité des conséquences rapportées, la mise en place de politiques anti-bullying, telle que recommandée par Srabstein et Leventhal (2010), s’avère peu efficace dans les organisations de santé. De leur côté, les infirmières ont une faible propension à rapporter ces événements pour plusieurs raisons (Holmes, Rudge, & Perron, 2012). Parmi ces raisons, il y a d’abord celles qui sont associées à la dénonciation elle-même, en raison de la lourdeur du processus. Par ailleurs, le manque de considération par les supérieurs hiérarchiques, ainsi que la peur de la réprimande, voire celle de se faire reprocher d’être la cause de l’événement, sont des motifs fréquents empêchant les infirmières de dénoncer la violence subie. En effet, une dénonciation de la part de la victime pourrait se retourner contre cette dernière, particulièrement lorsque la personne responsable de comportements violents est considérée comme une infirmière compétente par sa supérieure hiérarchique (Hutchinson et al., 2006; Johnson, Boutain, Tsai, & De Castro, 2015). Dans cette situation,

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la personne persécutée peut alors être catégorisée comme une mauvaise infirmière, devant son incapacité à régler le conflit par elle-même. Enfin, notamment par ce que Farrell décrit comme la « nature masochiste » des soins (Farrell, 2001, p. 32), les infirmières n’osent pas dénoncer une situation de bullying puisqu’elles croient que la violence fait partie intégrante de leur travail et qu’elles se sentiraient en conflit d’intérêts si elles venaient à la dénoncer en tant que soignante (Holmes et al., 2012).

De plus, le fait que les infirmières gestionnaires sous-estiment l’incidence et les conséquences du bullying est aussi décrit comme un obstacle à la dénonciation (Gaffney, DeMarco, Hofmeyer, Vessey, & Budin, 2012; Holmes et al., 2012). Selon les écrits de Johnson et al. (2015) et d’Hutchinson et al. (2006), la mésestimation du phénomène découle notamment de l’utilisation d’euphémismes par les gestionnaires lorsqu’elles abordent le sujet. À titre d’exemple, celles-ci vont tenter de convaincre la victime qu’elle réussira à vivre avec les comportements justifiés comme faisant partie de la personnalité de l’auteur. Selon ces mêmes études, d’autres supérieures vont minimiser ou nier l’existence du phénomène, en décrivant ces situations comme de simples problèmes de communication, jusqu’à les qualifier d’enfantillages.

1.1 But de la recherche

La précédente mise en contexte a démontré que le domaine de la santé est l’un des plus manifestement touchés par la violence en milieu de travail. Le secteur de la santé étant principalement composé d’infirmières, ces dernières sont particulièrement touchées par le phénomène de bullying. La gravité de la situation est par ailleurs rapportée par plusieurs organismes importants comme l’AIIC et l’OMS. Nous avons en outre soulevé une banalisation du phénomène par les gestionnaires (Johnson et al., 2015), mais également le fait que plus de 61% des cas de bullying impliquent une personne en supériorité hiérarchique (Lemelin et al., 2009; Namie, 2017). Les superviseurs et les gestionnaires sont aussi, pour la plupart du temps, responsables du contexte organisationnel des travailleurs (Zapf & Einarsen, 2011).

Afin de préciser l’objectif de ce mémoire de recherche, nous avons tenu compte de la confusion conceptuelle liée aux comportements hostiles en milieu de travail, ainsi que la variabilité des comportements de bullying en fonction de la position de l’auteur de la violence (Zapf et al., 2011). Or, nous croyons que la nature, le processus et les conséquences associés à la violence verticale peuvent

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se distinguer de la violence horizontale. Enfin, la littérature scientifique axée sur les conséquences du bullying se concentre principalement sur les facteurs psychologiques et physiques de l’infirmière victime. Les retombées sur le travail de l’infirmière, directement lié au patient, restent pour leur part peu investiguées.

Tous ces éléments rapportés dans la problématique nous ont par conséquent orienté vers ce but : explorer et décrire les effets du phénomène de violence verticale sur le travail d’infirmières victimes exerçant en centres hospitaliers (CH). Nous avons en effet balisé la population à l’étude aux infirmières soignantes exerçant en CH puisque puisqu’il s’agit du milieu où celles-ci subissent le plus de contraintes (Martin, 2015) et où de nombreux facteurs organisationnels favorisent la violence verticale au sein de ces établissements (Salin & Hoel, 2011). En raison de la difficulté d’explorer ces répercussions au même titre que la performance et la productivité des travailleurs par Hoel et al. (2011), nous nous sommes aussi inspirés de la description des fonctions infirmières offerte par Dallaire et Dallaire (2008) afin de circonscrire l’effet du phénomène sur le travail de l’infirmière victime de violence verticale.

1.2 Questions de recherche

Du point de vue subjectif d’infirmières soignantes victimes de violence verticale et qui œuvrent dans les CH,

1. Quelle est l’expérience de violence verticale vécue ?

2. Quelle est l’effet perçu du phénomène de violence verticale sur leur travail ?

1.3 Pertinence de l’étude

Comme le suggère la littérature infirmière, nous sommes d’avis que la violence nuit gravement à l’environnement de soins. Or, selon la perspective infirmière, « l’environnement est l’ensemble des conditions à l’intérieur desquelles interagissent l’infirmière et le client » (OIIQ, 2010, p. 9). En se référant également au métaparadigme infirmier, ce projet s’intéresse à l’environnement en tant que contexte dans lequel le soin se situe (Fawcett & Desanto-Madeya, 2013), et comprend les conditions culturelles, sociales, politiques et économiques associées à la santé des êtres humains. McCormack et McCance (2010), par leur cadre de référence portant sur les soins centrés sur la personne, identifient le concept d’environnement en tant que prérequis pour arriver à de tels soins. Les auteurs précisent que les contextes encourageant les soins centrés sur la personne se déclinent en six éléments : les

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habiletés des professionnels, un système qui facilite la prise de décisions partagées, des relations efficaces entre membres du personnel, des systèmes organisationnels favorables, le partage de pouvoir, ainsi que le potentiel d’innovation et de prise de risques (McCance & McCormack, 2017). Le manque de reconnaissance des compétences du personnel infirmier, un système qui laisse peu de place à la prise de décision partagée, des relations conflictuelles entre gestionnaires et soignants, des rapports de domination ou une culture organisationnelle rigide constituent des facteurs qui favorisent l’expression de la violence verticale (Salin & Hoel, 2011), en plus d’être des conditions préjudiciables aux soins centrés sur la personne (McCance & McCormack, 2017).

Ce projet est également en accord avec les propos partagés par le code de déontologie de l'AIIC en ce qui a trait à la nécessité des infirmières à se questionner sur ce qui influence leur pratique et les répercussions sur la santé et la sécurité des personnes sous leurs soins :

Les infirmières remettent en question et cherchent à contrer les pratiques ou les conditions qui, n’étant pas favorables à la sécurité, à la compassion, à l’éthique ou à la compétence, nuisent à leur capacité de prodiguer des soins sécuritaires, compatissants, compétents et conformes à l’éthique. (AIIC, 2017, p. 38)

Or, ce projet permet de sensibiliser les infirmières à l’influence de facteurs environnementaux sur leur pratique. Comme le réitèrent McCormack et McCance (2010), afin de parvenir à des résultats positifs sur la santé de la personne soignée, l’environnement doit être propice à une perspective centrée sur la personne qui englobe tant les soignés que les soignants. Un tel environnement passe donc nécessairement par un milieu exempt de violence verticale. Ce mémoire avait également pour objectif de remettre la personne soignée au premier plan des soins et de la gestion en centre hospitalier, en accord avec les idées avancées par McCormack et McCance, en particulier par la prise de conscience du contexte de violence verticale. De plus, la mise en évidence ce type de phénomène pourrait favoriser des échanges dans une optique de prise de décisions partagées, où les infirmières auraient la possibilité de se faire entendre sur les changements qu’elles envisagent à la lumière de ce qu’elles vivent dans leur pratique.

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Chapitre 2 Recension des écrits

Cette recension des écrits a été réalisée en deux phases. La première a permis d’élucider le phénomène de violence en milieu de travail et de mettre en évidence la question de recherche. Une seconde recension plus exhaustive a été par la suite réalisée de façon itérative. Selon les recommandations de Conn et al. (2003), le processus s’est étiré jusqu’à la fin de l’étape de l’analyse des données ainsi qu’à celle de la discussion des résultats.

Comme l’indique l’OMS (2002), la violence qui survient dans le secteur public de la santé est souvent banalisée en raison d’un manque de clarté de la définition du phénomène. Il s’agit d’un phénomène complexe, en raison de son caractère subjectif et de ses dynamiques insidieuses (Dussault, 2014). Pour cette raison, il est pertinent de préciser en premier lieu la nature des différents concepts liés de près au phénomène qui sévit en milieu de travail. En ce sens, il est d’abord nécessaire de définir la violence en milieu de travail, principalement en distinguant les concepts de bullying, de violence horizontale et de violence verticale.

Par la suite, puisque la question de recherche s’intéresse aux effets de la violence verticale, les conséquences du phénomène seront détaillées dans ce chapitre. Considérant la même confusion conceptuelle sur les termes inhérents à la violence au travail, en plus du manque d’études distinguant les effets respectifs de la violence horizontale et de la violence verticale, les conséquences recensées convergent principalement vers celles associées au bullying.

En troisième lieu, notre intérêt s’est arrêté sur l’environnement de soins et la façon dont celui-ci influence le travail de l’infirmière. En ce sens, selon les auteurs du cadre de référence sur la pratique centrée sur la personne (PCP), l’environnement de soins constitue le principal obstacle à une pratique garante de retombées positives sur la personne soignée, et ce, en dépit de toutes les qualités personnelles et professionnelles que peuvent posséder les infirmières (McCormack & McCance, 2010). De plus, ce cadre de référence renvoie le phénomène de violence horizontale à un problème associé à l’une des composantes de l’environnement de soins.

En quatrième lieu, plusieurs éléments rapportés dans la problématique indiquent la présence d'enjeux de pouvoir derrière la violence – tantôt en tant que symptôme d’une oppression, tantôt en tant qu’instrument de répression, et ce particulièrement dans le contexte de violence verticale. En raison

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de la densité de la littérature en ce qui a trait au concept de pouvoir, nous nous sommes limités à la perspective foucaldienne et ses notions de pouvoir disciplinaire et de corps dociles.

Enfin, comme le rapportent Hoel et al. (2011), les retombées en matière de productivité que l’on pourrait associer à la capacité de l’infirmière à réaliser son travail sont difficiles à évaluer. L’objet de recherche visant à faire état des effets possibles de la violence verticale sur le travail des infirmières victimes, leurs fonctions seront précisées, notamment par le biais de la description offerte par Dallaire et Dallaire (2008).

2.1 Nature du bullying et des concepts liés

En 1976, le psychiatre américain Carroll M. Brodsky publiait un livre intitulé The Harassed Worker. Revenant sur l’étude qu’il avait réalisée, Brodsky rapporte que des employés se disaient victimes d’abus par leurs supérieurs ou leurs collègues de travail, abus caractérisés comme des comportements agressifs, insidieux et subtils, répétés et persistants devant une incapacité des employés à riposter. Leur expérience se traduisait par des répercussions notables sur leur productivité, leur santé et leur bien-être. L’intérêt porté à l’égard de l’ouvrage de Brodsky a toutefois été tardif, soit bien après les travaux menés dans les années 1980 par celui qui deviendra l’auteur phare du bullying en milieu de travail, Heinz Leymann. En effet, les travaux de ce dernier (1993), un chercheur suédois, ont favorisé l’émergence d’écrits scientifiques dans les pays scandinaves en parallèle avec un intérêt grandissant envers le phénomène.

Limité pendant plusieurs années en raison des études principalement publiées en langues germaniques septentrionales, l’intérêt envers le phénomène en territoires anglophones a germé suite à un sondage révélateur effectué dans tout le Royaume-Uni (Hoel & Cooper, 2000; UNISON, 1997). Ce n’est que dans les années 2000, soit longtemps après l’ouvrage précurseur de Brodsky, que l’intérêt porté envers le concept du bullying s’est développé aux États-Unis, sous la notion d’emotional abuse antérieurement utilisée par Fitzgerald (1993) et appelée en français « harcèlement moral » par Marie-France Hirigoyen (1998). Au Québec, c’est l’expression « harcèlement psychologique » qui a été préférée pour décrire le même phénomène par l’auteur phare Angelo Soares (2002). Depuis les premières études portées sur le sujet, plus de 60% de la littérature sur le bullying provient d’études européennes (Nielsen et al., 2010).

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Au-delà des divers référents historiques et de la pluralité des termes associés à un phénomène que l’on a tenté de circonscrire, le message reste le même selon Einarsen et al. (2011). Le phénomène se décline par trois évidences, et ceux-ci reflètent majoritairement ce qu’avait d’ores et déjà constaté Brodsky en 1976. En premier lieu, bien des employés souffrent d’une forme d’agression de la part de leurs supérieurs ou de leurs collègues, qui peut se manifester par des comportements agressifs, mais subtils, et qui persiste souvent dans le temps. Ensuite, les conséquences sur les victimes se révèlent majeures, parfois traumatisantes, sur leur santé et leur bien-être, mais également en ce qui concerne la motivation des employés et les coûts potentiellement importants pour les employeurs. Enfin, tant chez les gestionnaires que les employés, et ce même à l’intérieur du système public ou d’organismes gouvernementaux, il y a une évidente réticence à affirmer l’existence du phénomène, réticence plus prononcée lorsqu’il s’agit de le prévenir ou de le gérer.

Dans une volonté manifeste d’améliorer la compréhension du phénomène, certains auteurs ont apporté diverses précisions quant à sa nature ou encore à des formes connexes. D’autres auteurs démontrent, toutefois, une confusion persistante planant sur le phénomène de bullying (Einarsen et al., 2011). Il y a donc ici divergence de point de vue, et ce, particulièrement lorsque s’ajoutent les concepts de violence horizontale et de violence verticale dans la perspective de recherche.

Afin de lever la confusion portée à l’égard du phénomène, il y a d’abord certaines notions inhérentes au bullying qui apparaissent sans équivoque. Par exemple, la récurrence et la persistance des comportements hostiles constituent un caractère essentiel du bullying (Gaffney et al., 2012; Royal College of Nursing, 2001; Zapf & Einarsen, 2011). En accord avec la définition d’Einarsen et al. (2011), Lutgen-Sandvik, Tracy et Alberts (2007) précisent le concept de bullying par la notion de récurrence qui le distingue d’un simple conflit. D’abord, une victime dudit phénomène subit des actes de violence chaque semaine. De plus, cette dynamique persiste avec le temps : elle peut en ce sens durer au-delà de six mois si la personne est incapable de s’en libérer.

Ensuite, les définitions respectives de la violence horizontale et de la violence verticale sont a priori claires et reflètent la dynamique du bullying dans le sens où l’un et l’autre précisent la relation hiérarchique entre l’auteur et sa victime. Tel qu’énoncé dans la problématique, la violence horizontale – parfois nommée violence latérale – se réfère à une dynamique conflictuelle entre des personnes d’un même niveau hiérarchique, notamment entre deux infirmières ou même entre deux gestionnaires (AIIC, 2005; Lemelin et al., 2009; Vessey et al., 2010). La violence verticale provient pour sa part

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initialement d’une relation où l’auteur de la violence est en supériorité hiérarchique par rapport à sa victime (Lemelin et al., 2009; Sousa, 2012), et est également connue sous le phénomène de « eating our young » lorsqu’il survient entre une infirmière d’expérience et une infirmière novice (Thomas & Burk, 2009).

La confusion survient particulièrement lorsque des auteurs mêlent les concepts de violence horizontale et de violence verticale à celui du bullying. À titre d’exemples, Blair (2013) et Johnson (2009) ne distinguent pas la violence horizontale du bullying, les considérant comme synonymes, ou encore les référant à une expression commune dans la littérature infirmière. Vessey et al. (2010), pour leur part, indiquent au contraire que la violence horizontale diffère du bullying dans la mesure où ce dernier nécessite la présence d’une différence perçue ou réelle de pouvoir entre l’auteur et la cible. L’Association de la sécurité et des services de santé publique de l’Ontario (2010), bien qu’elle soutient la même perception d’infériorité chez la victime du bullying et qu’elle fournit des exemples évoquant la différence de hiérarchie entre la victime et son auteur, l’assimile à la violence horizontale. Enfin, Thomas et Burk (2009) vont quant à eux confondre la violence verticale avec le bullying en suggérant de réserver ce dernier aux comportements qui surgissent entre groupes plutôt qu’entre individus.

En considérant la confusion persistante qui pèse sur les différents termes associés au bullying, nous avons convenu d’utiliser l’expression « violence horizontale » et « violence verticale » pour décrire respectivement le bullying de type horizontal et le bullying de type vertical. Ces derniers termes se retrouvent d’ailleurs dans le chapitre de Beale (2011), chapitre qui figure dans le même livre comportant la définition retenue du bullying pour la réalisation de ce mémoire (Einarsen et al., 2011). Or, la définition d’Einarsen et al. (2011) évoque un rapport de force derrière un processus de victimisation qui dépasse le statut hiérarchique de l’auteur et de sa victime. Ainsi, même si la violence horizontale ne se distingue pas par une différenciation objective du niveau hiérarchique entre les deux parties – comme c’est le cas avec la violence verticale – le processus de victimisation derrière le phénomène amène la victime à endosser une position de soumission dans ce rapport de force. D’ailleurs, selon certains auteurs tels que Namie et Namie (2000), l’intention de l’auteur du bullying est de contrôler la victime. Keashly et Jagatic (2011) vont dans le même sens, en catégorisant ce désir par une intention instrumentale, et y joignent également la volonté de créer une dépendance chez la victime ainsi que le désir de l’auteur de promouvoir ou d’améliorer sa propre image. Plus rarement, on

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