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Chapitre 2 Recension des écrits

2.3 L’environnement de soins

Selon l’OIIQ (2010), l’environnement, concept du métaparadigme infirmier, est l’ensemble des conditions à l’intérieur desquelles interagissent l’infirmière et la personne soignée. Fawcett et Desanto- Madeya (2013) ajoutent à cette définition les personnes significatives et l’environnement physique de la personne soignée, et se réfèrent aussi à toute condition culturelle, sociale, politique et économique dans laquelle elle évolue. L’OIIQ (2010) soutient que cet environnement peut être nuisible pour le patient si un ou plusieurs facteurs de risques sont réunis. Puisque « la qualité du milieu de travail dans lequel œuvrent les infirmières est également essentielle à leur capacité d’exercer leur profession de façon éthique » (AIIC, 2008, p. 1), la violence verticale constitue un facteur de risque pour l’environnement de soins.

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La littérature théorique la plus complète que nous avons recensée en matière d’environnement de soins provient de McCormack et McCance (2010), dont le cadre de référence de la pratique centrée sur la personne (PCP) a par ailleurs été retenu pour la réalisation de ce mémoire. McCormack et McCance (2010) indiquent que l’environnement de soins est trop souvent considéré comme une chose malléable pouvant s’adapter facilement aux contextes socioéconomiques d’un système de santé rapidement évolutif. Au contraire, l’environnement de soins est selon eux un concept complexe constitué d’une multitude de facteurs qui interagissent entre eux. De ces facteurs, découle une abondance de perspectives et de relations qui expliquent différents comportements. Pour McCormack et McCance (2010), prétendre à toute relation avec le patient sans tenir compte des différents problèmes relevant de l’environnement de soins « serait naïf et potentiellement dangereux pour le personnel et les personnes soignées » [traduction libre] (p. 87). Toujours selon ces auteurs, l’environnement de soins représente le facteur le plus décisif pour la pratique centrée sur la personne et les retombées positives qui s’y associent, et ce au-delà même des qualifications de l’infirmière. En ce sens, les compétences nécessaires à une pratique de qualité chez une infirmière ne suffisent pas. Un environnement de soins non propice à la perspective centrée sur la personne, tant en ce qui touche le personnel que les personnes soignées, peut en effet représenter un obstacle de taille à une pratique humaine.

McCormack et McCance (2010) fournissent les éléments constitutifs de ce qui correspond à la fois à une description et une critique contemporaine de l’environnement de soins. Les points suivants (2.3.1 à 2.3.5) en constituent la synthèse.

2.3.1 Combinaison de compétences

Le premier élément de l’environnement de soins à considérer pour une pratique centrée sur la personne est la combinaison des compétences, qui renvoie à la proportion entre le personnel infirmier et le personnel non infirmier à l’intérieur d’une équipe de soins. Il s’agit d’une mise en relation rationnelle et logique des compétences requises en tenant compte de chaque aspect particulier du travail infirmier et de l’affectation du personnel. McCormack et McCance (2010) sont d’avis que les activités considérées plus complexes, qui exigent des prises de décision délicates et qui sont liées à un degré de risque chez le patient, nécessitent une contribution plus importante de la part des infirmières. Une distribution des compétences qui prend en considération ces éléments est synonyme

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de retombées positives chez le patient et le personnel infirmier. Or, la situation actuelle ne correspond pas nécessairement à une telle logique d’affectation des ressources par l’organisation.

Au contraire, McCormack et McCance (2010) rapportent que la gestion des services de la santé se retrouverait aux antipodes de la perspective précédemment décrite. En effet, les décisions qui régissent la composition du personnel soignant reposent de plus en plus sur l’exigence des organisations à offrir le meilleur service au plus bas coût possible. Ainsi, l’attention se focalise sur la réduction des effectifs infirmiers pour les remplacer par du personnel moins coûteux. Les auteurs dénotent aussi un assujettissement croissant des décisions en matière de soins de santé à des décisions d’ordre économique, en prenant pour exemple l’indicateur économique QALY qui détermine les coûts d’une intervention ou d’un traitement, à savoir combien de temps l’un ou l’autre sera « rentable » pour la société. En somme, ces stratégies tendent à réduire le travail infirmier à des activités tangibles, observables et objectivement mesurables et qui vont à l’encontre de la réalité complexe et diversifiée du travail infirmier (McCormack & McCance, 2010).

2.3.2 Système de prise de décision partagée

Dans leur perspective intégrant tant la personne soignée que le personnel soignant dans leur cadre de référence, McCormack et McCance (2010) soulignent l’importance d’un système qui encourage une participation active du personnel dans la prise de décision en matière de pratique. Les auteurs soutiennent que ce type de système favorise l’efficacité des équipes de soins. Le développement d’un milieu de travail centré sur la personne et basé sur des données probantes exige aussi un engagement soutenu à l’égard du développement d’une culture d’apprentissage au travail. Ce type d’environnement de travail favorise une culture d’apprentissage qui notamment offre la possibilité d’apprendre de ses erreurs et favorise la compréhension des liens de causalités entre les caractéristiques d’une équipe ou du système et les résultats obtenus.

2.3.3 Partage de pouvoir et relations professionnelles efficaces

En partant de préceptes foucaldiens, McCormack et McCance (2010) affirment que le pouvoir est un enjeu de société manifeste au quotidien, évoquant que notre existence même nécessite la négociation constante de relations de pouvoir. Les auteurs affirment donc qu’il est important de considérer la notion de pouvoir dans un contexte de prises de décision partagées favorables à la PCP

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à l’intérieur des équipes de soins, mais aussi des problèmes liés aux dynamiques de pouvoir qui se manifestent au sein de la profession infirmière.

Afin de présenter leurs idées en ce sens, McCormack & McCance (2010) effectuent d’abord un survol historique des rapports de pouvoir à l’intérieur de la profession infirmière, dont l’oppression ressort principalement. Dès les balbutiements de la discipline, le pouvoir s’exerçait librement par les responsables religieux tels que les matrones, laissant peu de contrôle au personnel infirmier sur les soins prodigués à la population. De surcroît, l’évolution des soins infirmiers au sein d’ordres militaires et ecclésiastiques confinait l’infirmière à un rôle d’exécutante. Ces éléments rapportés par les auteurs démontrent à l’évidence un discours de domination patriarcale qui se manifeste entre autres par la présence majoritaire des hommes en médecine et en gestion, pour ainsi restreindre l’influence des femmes aux seules limites de leur champ de pratique spécifique.

En plus du contexte d’oppression, McCormack et McCance (2010) rapportent aussi l’évidence de la violence horizontale qui parasite l’environnement de soins et qui entrave l’efficacité des équipes de soins. Les auteurs reprennent les travaux de Roberts (1983, 2000) pour expliquer l’étiologie de ce phénomène en joignant aussi ceux de Farrell (2001) et de Fanon (1961). Ainsi que le réitèrent McCormack et McCance (2010), les groupes opprimés ressentent peu d'autonomie professionnelle, ce qui les précipite dans un état d’impuissance et de faible estime personnelle. Or, la frustration qu’éprouvent les infirmières, jointe à l’impossibilité de l’exprimer à leurs oppresseurs, par crainte de représailles, est redirigée vers des cibles plus vulnérables. Par la suite, l’émergence du cycle de conflits internes qui découle de ce processus se perçoit comme une « prophétie autoréalisatrice » par la classe dominante (McCormack & McCance, 2010, p. 77). Les infirmières, par l’hostilité consécutive à leur oppression, démontrent en ce sens une incapacité à se gérer par elles-mêmes, légitimant par conséquent le contrôle exercé à leur égard et renforçant en retour leurs sentiments de frustration et d'oppression.

2.3.4 Potentiel d’innovation et prise de risque

Le cadre de référence de McCormack et McCance (2010) met l’accent sur le besoin d’autonomie infirmière, des rapports égalitaires et l’importance de considérer les croyances et les valeurs lors des décisions organisationnelles. Malgré l’omniprésence de l’empowerment dans le langage infirmier et l’importance reconnue d’habiliter les infirmières dans des prises de décisions autonomes par des politiques et des stratégies contemporaines, il s’avère que le contexte professionnel et organisationnel

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actuel des soins ne permet pas aux infirmières d’exercer leur pouvoir d’agir envers elles-mêmes et les personnes soignées. La concrétisation d’une telle perspective reste donc un défi qui relève du potentiel d’innovation des organisations. Afin d’expliquer cet élément, les auteurs prennent comme exemple les Magnet Hospitals, milieux qui illustrent les conditions organisationnelles nécessaires au développement de l’empowerment de leur personnel. Ces établissements ont réalisé des changements novateurs pour la pratique infirmière qui ont entraîné des retombées positives sur les patients et leur personnel. Par exemple, ces milieux possèdent une structure administrative décentralisée, un travail empreint de souplesse, une gestion de style participatif et de soutien, une pratique professionnelle responsable et autonome, et le développement des compétences managériales.

2.3.5 Environnement physique

L'environnement physique des soins est, depuis Nightingale, reconnu comme ayant un impact significatif sur les patients et leur expérience de soins. McCormack et McCance (2010) élargissent le concept d’environnement physique au-delà de sa perspective sanitaire. De nos jours, malgré des modèles qui valorisent l’être humain, la majorité des établissements de santé se conçoivent autour d’une question d’efficacité clinique – milieux qualifiés de « ternes, déprimants et dépourvus d’âme » [traduction libre] (McCormack & McCance, 2010, p. 85). Un environnement physique inspiré d’une perspective centrée sur la personne devrait alors tenir compte de l’expérience sensorielle des usagers et de leur qualité de vie. McCormack et McCance (2010) emploient alors l’expression « environnement esthétique » pour décrire un milieu qui stimule des aspects émotionnels et sensoriels des personnes soignées, et qui passent entre autres par des attraits visuels, sonores et olfactifs.

Comme le soutiennent McCormack et McCance (2010), l’environnement dans lequel évolue le soin est fort complexe en raison de la multitude de facteurs qui le composent et de leurs nombreuses interactions. Les enjeux de pouvoir occupent une place importante dans notre mémoire en raison du contexte d’oppression des infirmières soulevé par plusieurs auteurs, en plus d’être mis en relation avec l’environnement de soins et des retombées auprès des personnes soignées par McCormack et McCance (2010).