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Charlie Inupuk, étude sémiotique d'un cas en art inuit

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Academic year: 2021

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FACULTÉ DES LETTRES

CHARLIE INUKPUK, ÉTUDE SÉMIOTIQUE D'UN CAS EN ART INUIT

LOUIS GAGNON

Mémoire présenté pour l’obtention

du grade de maître ès arts (M.A.)

ÉCOLE DES GRADUÉS UNIVERSITÉ LAVAL

DÉCEMBRE 1990

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Ce mémoire est constitué de deux grands ensembles: premièrement, un regard synthétique sur le développement de l'art inuit contemporain depuis l'art nordique préhistorique, et deuxièmement une approche sémiotique de l'art de Charlie Inukpuk.

Ainsi, dans notre premier volet nous avons voulu situer les multiples productions de l'art esquimau préhistorique jusqu'à l'avènement de l’art inuit contemporain dans une perspective historique basée sur des recherches archéologiques et historiques; notre objectif était alors de démontrer l'importance du phénomène transculturel entre l'art inuit contemporain et l'envahissante culture des Blancs. Par la suite, ceci nous a amené à aborder la question du primitivisme car, l'art inuit a trop souvent été qualifié "d'art primitif " comme si, pour différentes raisons, plusieurs auteurs avaient voulu conserver une intriguante saveur exotique à cette forme d’expression artistique non-occidentale.

Cette première partie est suivie d'un portrait contextuel de l'art de Charlie Inukpuk, jeune sculpteur inuit qui vit à Inukjuak dans le Nunavik (Nouveau- Québec). L'art de Charlie Inukpuk nous sert ici de prétexte pour appliquer un modèle sémiotique d'analyse à une oeuvre d'art inuit. Cherchant délibérément à éviter les écueils d'une approche trop ethnologique de l'art inuit, le but ultime de nos travaux était de vérifier le degré d'efficacité d’une telle analyse sémiotique sur une forme d'expression artistique non-occidentale. Les résultats sont tels qu'il devient possible de croire que l'analyse sémiotique, même syntaxique, des sculptures inuit pourra grandement contribuer à une meilleure compréhension de l'art inuit et nous donnera un accès plus valable à ce phénomène artistique hybride résultant d'un croisement culturel entre les Euro-canadiens et les Inuit.

Louis Gagnon, Marie Carani,

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AVANTzPBOPQS

Ce mémoire voulait être un lieu de réflexion sur le phénomène de l'art des Inuit contemporains. Fruit de nombreuses recherches et discussions, il fut aussi l'occasion de multiples collaborations que nous tenons à souligner ici: nous voudrions donc remercier M. Raymond Brousseau, collectionneur et propriétaire de deux galeries d'art inuit à Québec (notre ancien patron), pour la prodigalité de ses encouragements envers ce projet d'étude et pour les informations privilégiées au sujet de l'art inuit qu'il a toujours su nous communiquer avec le même enthousiasme.

Il y a aussi toutes ces personnes avec qui nous avons eu à communiquer afin de compléter diverses banques de données, soit à propos de l'art inuit ou, plus spécifiquement, au sujet de Charlie Inukpuk; nous remercions donc sincèrement: Ingo Hessel, conservateur à la Section Art Inuit au ministère des Affaires Indiennes et du Nord, Canada; Louise Descôteaux du Musée des Beaux-Arts de Montréal; Serge Bédikian de la Fédération des Coopératives du Nouveau-Québec; Sylvie Côté Chew, directrice du Centre de documentation de l'Institut culturel Avataq. Nous adressons des remerciements particuliers à Odette Leroux et Glenn Forrester du Musée canadien des civilisations de Hull qui, dans des conditions difficiles imposées par l'aménagement de nouveaux locaux, nous ont grandement facilité l'accès aux oeuvres de Charlie Inukpuk qui sont dans la collection du Musée. Évidemment, il y a plusieurs autres personnes qui furent sollicitées lors des recherches et de la rédaction de ce mémoire, la liste en serait longue, nous leur exprimons aussi toute notre reconnaissance.

Parmi nos proches, nous devons signaler l'apport déterminant de Daniel Arsenault, archéologue et ami, pour les discussions, parfois inconfortables, que nous avons eu au sujet de la sémiologie et des méthodes d’analyse de l'oeuvre d'art; de plus, son intérêt soutenu et ses nombreuses recommandations formulées lors des révisions des textes, furent autant appréciés que ses encouragements.

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Une autre collaboration que nous ne pouvons passer sous silence, est celle de Marie Carani. Une telle réflexion et un tel exercice méthodologique sont nécessairement redevables au rôle capital qu’a joué notre directrice de mémoire. Il faut préciser qu'il lui a certainement fallu de l’audace pour accepter de diriger un mémoire (au sujet de l’art inuit) qui, à première vue, ne se situait pas du tout dans la tradition du département d'histoire de l’Université Laval; nous lui sommes reconnaissant d’avoir cru en la réalisation de ce projet d'étude. Dès notre première rencontre, elle a d'ailleurs su créer un climat de confiance qui portait déjà la garantie de succès de ce projet. La compétence de Marie Carani autant en sémiologie des arts visuels qu'en histoire et théorie de l’art ne s’est jamais démentie et c’est ce qui a fait que ses nombreuses recommandations quant aux différentes avenues à examiner furent toujours pertinentes et surtout fertiles pour la réalisation de ce

mémoire.

En terminant, nous désirons témoigner toute notre gratitude à Sylvie Gravel, pour la justesse de ses observations et de ses corrections lors des innombrables révisions de textes auxquelles elle s’est toujours soumise de bon gré, ainsi que pour sa patience, son soutien indéfectible et les incalculables heures d'absence que nous lui avons imposées ainsi qu’à Alexandre notre fils.

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TABLE DES MATIERES

RÉSUMÉ...I L'AVANT-PROPOS... II TABLE DES MATIERES...IV LISTE DES ILLUSTRATIONS ET ANNEXES...VII

INTRODUCTION...1

CHAPITRE 1 HISTORIQUE DE LA SCULPTURE INUIT 1.0 PERSPECTIVE SYNCHRONIQUE DE L'ART INUIT...3

1.1 Période préhistorique (2500 av J.-C. jusqu'au XVIII0 s.)...4

1.1.1 Culture prédorset ( 2500 av. J.-C. à 800 av. J.-C.)...6

1.1.2 Culture Dorset ( 800 av. J.-C. au Xe s.)... 8

1.1.3 Culture Thulé ( X° s. à la fin du XVIIUs.)... 11

1.2 Période historique (XVIII0 s. jusqu'à 1948)...14

1.3 Période contemporaine ( 1948 à nos jours)... 17

1.3.1 Guilde canadienne des métiers d'art... 17

1.3.2 Fédération des Coopératives du Nouveau-Québec... 25

1.3.2.1 Formation des coopératives... 25

1.3.2.2 Effets des coopératives sur le développement de l'art inuit... 28

CHAPITRE 2 PRIMITIVISME ET ART INUIT 2.0 LA QUESTION DU PRIMITIVISME ET L'ART INUIT...32

2.1 Ethnicité et exotisme... 32

2.2 Art populaire... 35

2.3 Art traditionnel... 37

2.4 Aspect formel ou faillite technologique...38

2.5 Animisme et chamanisme...40

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CHAPITRE 3 CHARLIE INUKPUK

3.0 CHARLIE INUKPUK ET SON ART... ... 45

3.1 Contexte physique...46

3.1.1 Port Harrison...46

3.1.2 Inoucdjouac... 48

3.1.3 Steatite de Inukjuak... 50

3.1.4 Régionalisme sculptural... 51

3.2 Charlie Inukpuk et sa parenté... 56

3.2.1 Charlie Alakarialak Inukpuk...56

3.2.2 Johnny Inukpuk, son père... 59

3 3 Art de Charlie Inukpuk...60

3.3.1 Bear hunt/ Chasse à l'ours... 62

3.3.2 Group of Ten Women Sewing Skins on Umiak (Women Boat). 63 3.3 3 Thèmes et sources d'inspiration... 65

3.3.4 Technique de sculpture...67

3.3.5 Identification des oeuvres de Charlie Inukpuk... 69

3.3.5.1 Problèmes d’attribution... 70

3.3 5.2 Traits caractéristiques...71

3.3 5.3 Têtes de poupées et poignées de paniers... 71

3 3 5.4 Un Johnny Inukpuk égaré...75

3 3 5 5 Sculptures introuvables... 75

3.3 6 Mise en marché de son art... 76

3.3.6.1 Réseaux de distribution... 76

3 3 6.2 Autres véhicules de promotion...77

3.3 7 Synthèse sur l'évolution de son oeuvre...77

Conclusion... 78

CHAPITRE 4 SÉMIOLOGIE VISUELLE 4.0 LA SÉMIOLOGIE VISUELLE COMME MODELE D'ANALYSE...79

4.1 Modèle sémiotique... 80

4.1.1 Principes généraux de la sémiologie topologique...80

4.1.2 Grammaire visuelle et syntaxe... 81

4.1.3 Segmentation analytique... 82

4.1.3.1 Vision périphérique... 82

(8)

4.2 Syntaxe sculpturale... 83

4.2.1 Préliminaires...83

4.2.2 Trois réseaux de perspectives... 86

4.2.2.1 Sculptures proxémiques... 87

4.2.2 2 Sculptures posées à distance...88

4.2.3 Rupture cubiste et constructiviste...89

4.2.4 Syntaxe du langage sculptural...90

4.2.4.1 Cube virtuel...92

4.2.4 2 Perspectives de la perception... 94

4.3 Analyse syntaxique d'une sculpture de Charlie Inukpuk... 96

4.3.1 Description de l'oeuvre étudiée...97

4.3.2 Dynamique des variables visuelles...99

4.3.2.1 Variables visuelles plastiques... 99

4.3.2.1.1 Couleur...99 4.3.2.1.2 Texture...100 4.3.2.2 Variables perceptuelles... 101 4 3.2.2.1 Dimensions ou quantité...101 4.32.2.2 Frontières/formes... 102 4.3.2.2 3 Vectorialité...103

4.3.2 2.4 Implantation dans le cube virtuel... 105

4.3 2.2.4.1 Types de vision sollicitée... 105

4.3 2.2.4.2 Positionnement du producteur... 107 4.3 2.2.4.3 Organisations perspectivistes... 108 4.33 Rapports gestaltiens...110 4.3.4 Rapports topologiques... 112 4.34.1 Enveloppements... 112 4.34.2 Séparations... 113 4.3 4.3 Ordres de succession... 113

4.3 4 4 Liaisons dans la profondeur... 113

4.3.5 Synthèse syntaxique... 114

4.3.5.1 Effet de stabilité... 115

4.3 5.2 Effets perspectifs en étagements et en inversions... 116

4.3 53 Socle déstabilisant...116

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LISTE DES ILLUSTRATIONS ET ANNEXES:

1 Carte des environs de Inukjuak en 1966...120

2 Totem of Figures and Walrus... 121

3 Chasse à l'ours/Bear Hunt...122

4 Groupe de femmes occupées à coudre un umiak... 123

5 Un u miak et un kayak...124

6 Mother and Child...125

7 Deux vues de Woman and Ringed Seal par Adamie Inukpuk... 126

S Vieille femme ayant tué un ours avec une mitaine... 127

9 Hunter Carving Kudluk de Charlie Inukpuk... 128

10 Man Eating Muktuk... 129

11 Poupée sur base d'élyme des sables...130

12 Man Holding Seal... 131

13 Man with Dog Harness... 132

14 Kayak et igloo... 133

15 Kayak et igloo (Gros plan du coin supérieur droit: face "kayak")... 134

16 Chasseur tenant une tête d’orignal (Vue frontale)...135

16a Segmentation de la vue frontale...136

17 Chasseur tenant une tête d’orignal (Vue dorsale)... 137

17a Segmentation de la vue dorsale... 138

18 Chasseur tenant une tête d’orignal (Vue latérale droite)...139

18a Segmentation de la vue latérale droite...140

19 Cube virtuel dessiné autour de la sculpture de Inukpuk... 141

20 Représentation des vecteurs dominants... 142

Annexe 1: Légende: "le géant et l’homme ”... 143

Annexe 2: Parenté...144

Annexe 3: Légende: "la vieille femme qui étouffa un ours blanc"...146

Annexe 4: Syllab aire... 147

Annexe 5: Biographie de Charlie Inukpuk... 148

Annexe 6: Les rapports topologiques... 152

Annexe 7: Les rapports gestaltiens...153

Annexe 8: Les lois d'interaction de la couleur...154

BIBLIOGRAPHIES... 155 Anthropologie...155 Art inuit...155 Culture inuit...159 Périodiques... 163 Sémiotique visuelle... 163 Sémiotique... 164 Sociologie... 164

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INTRODUCTION

Notre premier objectif était de voir jusqu'à quel point une méthode d'analyse qui s'intéresse au niveau syntaxique de l'oeuvre d'art (et donc de ses énergies intrinsèques), peut rendre compte efficacement du contenu de l'oeuvre sans demeurer sous l'hégémonie de la narration des oeuvres figuratives.

L'une des motivations qui nous poussait à favoriser une approche syntaxique était que nous cherchions un moyen d'avoir un regard, le plus objectif possible, sur des oeuvres d'art d'une culture différente de la nôtre. En effet, la difficulté de regarder "objectivement " l'art inuit se complexifie singulièrement lorsque l'on comprend que ces oeuvres nous sont directement destinées. Les artistes inuit s'inspirent-ils seulement des attentes des "Blancs " quand ils font de l'art? L’approche syntaxique visuelle donne accès à des faits observables,

comparables et vérifiables dans un contexte scientifique. Cette méthode

prétend être capable de suffisamment de recul face aux oeuvres d'art ou à tout autre objet visuel pour que nous puissions y porter crédit.

Voyant toute cette dépendance de la culture inuit face à un système d’échange venu du Sud (et donc d'une culture étrangère), nous avons senti la nécessité

d’aborder la question de l'art de l'Inuk Charlie Inukpuk en positionnant cet art inuit contemporain dans une perspective historique (et même préhistorique) pour déboucher sur des événements qui permettent de mieux saisir les enjeux de cet art autochtone sur 1 échiquier occidental.

Afin d éviter, le plus possible, les nombreuses embûches de l'ethnocentrisme et aussi pour assurer l'identification lexicale de certains éléments figuratifs dans les oeuvres étudiées, cette démarche nécessitait une approche

interdisciplinaire. En effet, il fallut interroger l'anthropologie, 1 ethnologie, la préhistoire, l'histoire de l'art et la sémiologie linguistique et visuelle.

La perception de l'art inuit, suite à sa "découverte" par les explorateurs du Grand Nord au XVIIIe s., et jusqu'à sa "re-découverte" à la période

houstonienne (en référence à 1 entreprise démarrée par James Houston en 1948), s'est tellement nourrie de mythes à propos d'un soi-disant

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avons cru nécessaire de présenter un rapide tour d'horizon de la question du "primitivisme face à l’art Inuit".

Ce qui nous conduit au vif du sujet: comment étudier l'art de Charlie Inukpuk sans référer à une "critérologie" opérant selon le code binaire de bon ou mauvais. Donc, dans ce troisième chapitre, nous avons voulu rendre compte des différentes perceptions qui entourent les oeuvres de Charlie Inukpuk; pour ce faire, nous avons cité tous les commentaires "écrits" au sujet de

l'artiste et son art. Il est à noter qu'il n'existe aucune monographie concernant ce sculpteur, comme c'est le cas d'ailleurs pour la plupart des artistes inuit. Nous avons aussi vu comme étant nécessaire de situer Charlie Inukpuk face à la pratique sculpturale de son village (régionalisme stylistique) et face à sa famille de sculpteurs: son grand-père Inukpuk l'ancien, son père Johnny, son frère Adamie, son épouse Eiizabee. Ce qui, imprévu au départ, nous a conduit sur les sentiers de l'artisanat inuit: la vannerie et la confection de poupées. Et finalement, nous considérons que cette approche nous a permis d écrire un commentaire nouveau sur l'art de Charlie Inukpuk, à partir d'un point de vue inédit face à l'art inuit (à notre connaissance, aucune étude de sémiologie visuelle n'a été jusqu'à maintenant publiée concernant l’art inuit). Et que si nous avons choisi l’art de Charlie Inukpuk c’est pour de multiples raisons dont entre autres parce que ce type d'oeuvre est déjà très bien segmenté, qu'il a un nombre peu élevé de formes et qu'il possède les caractéristiques du bas-relief ce qui facilite ce genre d'analyse. Ce choix a aussi quelque chose de très

émotif, stimulé par une attirance "déraisonnable " pour les oeuvres de cet artiste nordique.

Nous n'avons retenu qu'une seule oeuvre pour fins d'analyse car, il faut le re­ préciser, le but était plus d évaluer la faisabilité et l’efficacité de la méthode d analyse syntaxique, que de faire le procès de l'art de Charlie Inukpuk.

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Chapitre 1

HISTORIQUE DE LA SCULPTURE INUIT

The Inuit life described by early European explorers and anthropologists was not the culmination of thousands of years of gradual development, but of a recent and rapid

adaptation to a deteriorating environment.(Robert McGhee, 1981:30)

1.0 PERSPECTIVE SYNCHRONIQUE DE L'ART INUIT

Nous savons que le Grand-Nord canadien est habité depuis au moins 8,000 ans par des peuples de chasseurs-nomades (McGhee 1981:23). L'occupation du territoire sur une base annuelle se serait amorcée environ 2500 ans avant Jésus-Christ pour se poursuivre jusqu'à nos jours à travers cinq étapes dans une évolution lente où le rythme des changements semble nettement s accélérer dans les derniers siècles qui correspondent à la période de contact avec les "Blancs ",

L’art des Inuit contemporains aurait-il ses racines dans le développement culturel de ces peuples nomades qui, il y a plusieurs milliers d'années, ont migré, à deux reprises, d'ouest en est le long des eaux arctiques canadiennes? En fait, il nous semble qu'une réponse valable à ce type de questionnement sur le phénomène de l’art inuit contemporain passe par une approche permettant de considérer ces oeuvres dans leur contexte temporel et spatial, car malgré certaines ressemblances, on ne peut attribuer une entité stylistique homogène pour tout l’art nordique de toutes les époques; d’ailleurs, plusieurs experts de différentes disciplines (anthropologues, archéologues et historiens d'art inuit) le pensent aussi. En l'occurence, il est possible de déterminer des caractéristiques stylistiques qui permettent de dater ces objets et, ainsi, de les placer dans une période précise (ou particulière) de 1 histoire arctique1. 1

1 Exception faite des productions de la culture manitunik de l'archipel de Belcher et la culture sadlermiut de file de Southampton qui sont de rares exemples de civilisations anciennes ayant subsisté jusqu'à récemment (voir à ce sujet Martijn: 1964). Mais nous ne nous intéresserons pas à ces deux cultures.

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1.1 Période préhistorique (2500 av J C. jusqu’au XVIIIe s.)

Suivant une démarche basée sur l'analyse des vestiges technologiques, la protohistoire esquimaude est défini aujourd'hui selon quatre faciès technologiques correspondant aux: 1) Aléoute-pacifique, 2) maritime du Nord, 3) Choris-Norton-Proche-Ipiutak et 4) Dorset. Ces recherches en archéologie nordique nous démontrent qu'il est fort probable que les Inuit2, tels que nous les connaissons aujourd'hui, soient issus d'une longue histoire d'adaptation à un environnement hostile. En fait, il semble que tout s'amorça à l'époque de la déglaciation en Alaska et à l'Est de la Sibérie, aux environs du Détroit de Béring; l'archéologue Henry Collins (1960:131) va même jusqu'à nommer cette région "Je creuset de Ja culture esquimaude".

Les proto-Esquimaux s'étaient adaptés à une économie mixte de chasse continentale et côtière dans des régions sans arbre (Taylor 1964:5; Swinton 1972:111). Ce territoire dénudé et rocailleux fut la scène de plusieurs croisements matériels et intellectuels entre différentes cultures. La culture prédorsétienne a, de toute évidence, ses origines en Alaska et se rattacherait à la culture du complexe Cape Denbigh Flint d'Alaska, laquelle serait issue du Mésolithique Eurasien (Collins 1957), groupe racial que Robert McGhee nomme "Mongoloïde Arctique" (McGhee: 1984:26). Aux environs de 4000 av. J.-C. (MacNeish 1963:104) se serait développé à partir de cette culture-mère ce que Ion a appelé “the Arctic Srnali Tooi traditioiî (ASTt) ou la “Tradition

microiithique Arctiquë (TMA) dont la technologie dénote plusieurs affinités avec les vestiges retrouvés dans les plus anciens campements nordiques canadiens. Il est à noter que n’ayant pas encore trouvé de squelettes humains

2 Le terme Inuit désigne les habitants actuels du détroit de Béring jusqu'au Groenland et leurs ancêtres Thuléens, soit environ les 1000 dernières années d'occupation nordique. Mais lorsqu'on parle de toutes les populations parlant une langue du type esquimau ou encore de populations dont les vestiges archéologiques laissent croire quelles étaient de tradition esquimaude sans même en avoir identifié la langue, on les nommera Esquimaux et non pas Inuit.

Les Esquimaux de l'Arctique canadien ainsi que ceux du nord de l'Alaska et du Groenland, parlent des dialectes d'une langue esquimaude, l'inuktitut. Ces habitants du Grand Nord se nomment eux-mêmes en inuktitut: Inuit (peuple) qui est le pluriel de Tnuk": homme. D'ailleurs, le mot "inuit" permet aux spécialistes de distinguer ces gens des autres

populations comme celles de l'ouest et du sud de l'Alaska et celles de la Sibérie qui parlent différentes langues esquimaudes et qui ne se donnent pas le nom d’Inuit.

Cette désignation est aujourd’hui préférée au terme vétuste de: Esquimau, expression péjorative empruntée à la langue algonquine par les missionnaires et qui signifiait: "mangeur de viande crue ",

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des gens du Denbigh, on ne peut parfaitement conclure qu'ils étaient des Esquimaux (Taylor 1964:5).

Robert McGhee (1981:23) souligne qu'à la fin de la dernière grande période de glaciation ( période dite du Wisconsin qui dura environ 80,000 ans), il y a quelques 8,000 ans, le retrait des glaciers des montagnes du Labrador et des îles orientales de l'Arctique, assura aux baleines et autres mammifères marins la possibilité d étendre leurs couloirs migratoires le long des côtes arctiques; simultanément, la ligne des arbres progressa rapidement, bien au-delà de la limite actuelle (65e parallèle), ce qui permit aux caribous et aux boeufs musqués de s'établir dans la toundra en même temps que des prédateurs: les loups et les renards. Les oiseaux migrateurs les accompagnèrent; ils y installèrent leurs aires de nidification estivales. Ces nouveaux territoires giboyeux attirèrent aussi les chasseurs indiens sur les côtes du Labrador et dans le Barren Grounds jusqu’à l'Ouest de la Baie d'Hudson. Les Amérindiens n'établirent aucun camp d'hiver au-delà de la limite des arbres, car dans la forêt ils pouvaient trouver du combustible et des abris si nécessaire contre les rigueurs du climat sub-arctique. Il aura fallu attendre jusqu'aux environs de l'an 2500 avant J.- C. pour que s'implantent des humains dans la toundra.

Les connaissances archéologiques (McGhee, Taylor) nous indiquent que la technologie, pour survivre dans le Nord, fut probablement développée en Sibérie par des chasseurs néolithiques des forêts du Nord asiatique. Ces nomades saisonniers auraient découvert la richesse des ressources animales des grands mammifères marins du Détroit de Béring: la viande et les graisses pour se nourrir en éléments riches en apport calorique, les peaux pour se vêtir en s'isolant du froid et les os pour se fabriquer des outils de chasse. Ces chasseurs de phoques, de morses et de caribous, aux origines obscures, sont souvent identifiés comme un sous-groupe de la culture Denbigh, parce que plusieurs artefacts semblables aux leurs furent découverts dans le complexe Denbigh Flint, dans l'Ouest de l'Alaska, qui se développa aux environs de 3000 av. J.-C. jusqu'à 2000 av. J.-C ( Martijn 1964:550; Swinton 1972:111 ).

Il demeure une constante ou, à tout le moindre, une règle à propos du principal aspect des cultures de l'Arctique, qui se résumerait ainsi selon les mots de l'archéologue Hans-Georg Bandi:

"It goes without saying that in the lives of a typical Arctic people two problems predominate, indeed practically govern their whole existence: the struggle for food and for protection from the cold. These are of such importance that almost all elements of their material culture - and it is almost exclusively such elements that

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can be discovered from examining sites in the Eskimo area - are in some way associated with them "3

1.1.1 Culture prédorset ( 2500 av. J.-C. à 800 av. J.-C.)

Pour différentes raisons telles que la recherche de gibier ou l’obligation de quitter des territoires convoités par d'autres, la technologie essentielle à la survie dans les espaces nordiques put facilement être transportée de l’Alaska jusqu’à la côte est du Canada puisque les conditions climatiques et la faune y étaient à toute fin pratique assez semblables. Les restes des premiers camps de chasse "permanents ” (Diamond Jenness) se trouvent dans l’ouest de l’Alaska et datent approximativement de 4500 ans. D’autres traces d’occupation de ce type, qui se retrouvent un peu partout dans l’Arctique canadien, étant un peu moins anciennes (Taylor 1964:14), on peut donc en déduire que l’envahissement progressif du territoire de l’Arctique canadien d’ouest en est s’est fait assez rapidement.. L’analyse au carbone 14 permit de dater certaines occupations au nord du Groenland, des îles Devon et Ellesmere remontant jusqu'à 2000 av. J.-C. (Taylor 1964-65:5, McGhee 1981:61). Cette manière de vivre des proto-Esquimaux correspond à ce que Eigil Knuth nommait en 1947- 48 l'Indépendance I (2000 à 1700 av. J.-C.), d’après le fjord du même nom sur la Terre de Peary au Nord du Groenland où il fit la découverte des premiers camps.

Aujourd'hui, ce qu'on retrouve sur les sites prédorsétiens, ce sont des cercles formés par des pierres qui vraisemblablement maintenaient les bordures des tentes de peaux au sol, au centre desquels nous retrouvons des dalles de pierres servant de foyer et de garde-manger ( McGhee 1981.-.24) ; l'intérieur était chauffé à l aide de bois de dérive, trouvé sur les rivages, et d ossements d'animaux. Selon McGhee, l'aménagement particulier de ces tentes ressemble aux installations des habitations des anciens Euro-asiatiques tels qu'ils ont survécu jusqu’au milieu du siècle dernier en Laponie au nord de l’Europe. Autour de ces camps nous trouvons un peu partout de petits outils de pierre (obsidienne) taillée: des micro-lames, des pointes de harpons, des couteaux, des lames racloirs et des burins, ce qui a amené les archéologues à associer cette culture à la Tradition microiitJhique Arctique (TMA).

Ces gens, issus de la tradition du Complexe du silex taillé du Cap de Denbigh (Alaska), adaptèrent leur technologie alaskienne aux ressources locales en s’accommodant tantôt de boeufs musqués dans certaines régions alors 3

3 BAND!, Hans-Georg, Eskimo Prehistory. Alaska, University of Alaska Press, Coll. Studies of Northern Peoples n* 2,1979, p. 9.

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qu ailleurs ils chassèrent le phoque; il y a même des camps (surtout sur l'Ile de Devon) où on ne trouve que des ossements d'oiseaux migrateurs, de renards et de petits gibiers. Malgré une adaptation adéquate au milieu, leur économie plutôt précaire montre qu’ils ne semblaient pas faire usage ni de traîneaux à chien ( qamutiik ), ni d’igloos UJJu ), ni de lampes à l’huile ( qulliq ), ni de harpons ( unaaq ) à bouée ( puîtaqutj ) utilisés pour capturer les grands mammifères marins: visiblement, ils ne chassaient pas la baleine (d’ailleurs il n'y a presque pas de trace d’os de baleine dans leurs sites).

L’activité artistique de ces gens semble s’être principalement concentrée dans la fabrication d’objets utilitaires; en fait, ces sites n’ont livré que très peu d’exemples de sculptures et gravures sur os. Charles Martijn mentionne deux objets excavés vers 1962 et qui dateraient selon Meldgaard de 900 av. J.-C.: “ One is a tiny bone spatula on which a face has been engraved. The second item is a piece of bone decorated with a skeleton design."4 5 George Swinton soulève une hypothèse intéressante concernant cette spatule, il cherche à établir un lien entre cette oeuvre et le masque miniature (ivoire, 3 1/2 cm) de Tyara trouvé à Salluit (Nouveau-Québec) et qui daterait de 700 av. J.-C. :

"Ce masque sévère mais de forme élégante ne semble nullement relié par son style à l'art de Dorset, notamment dans sa première phase. Il témoigne d'une telle maîtrise que l’on est porté à le situer à la fin ou à l’apogée d'une période plutôt qu’à son début. Mais il ressemble à un fragment prédorsétien mis à jour par Meldgaard et mentionné par Martijn. De plus, sa forme et sa structure rappellent nettement les pointes de harpons de la période prédorsétienne ou du début de la période de Dorset. "5

Plus abondants et mieux documentés, leurs outils de pierre taillée sont de véritables chefs-d'œuvre du genre: les prédorsétiens sélectionnaient des pierres multicolores, les taillant symétriquement tout en les bordant souvent d’une fine dentelure, mais le plus exceptionnel est sûrement la petitesse de ces objets (dimension moyenne: 55 mm, voir: McGhee 1988:13) qui demandait une très grande habileté lors de la fabrication et qui laisse croire à l’extrême importance pour ces gens de cultiver ce savoir-faire.

Autour de 1500 avant J.-C. les conditions climatiques de l’Arctique canadien se modifièrent, la température se refroidit suffisamment pour transformer les habitudes du gibier dont dépendaient tant les chasseurs prédorsétiens.

4 MARTIJN, Charles A., "Canadian Eskimo Carving in Historical Perspective" in Anthrooos, St-Augustin, Deutschland, vol. 59, fasc. 3-4,1964, p. 550.

5 SWINTON, George, La sculpture des esauimaui du Canada. Montréal, Les Editions La Presse, 1976, p. 114.

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Les étés plus frais entraînèrent un épaississement des glaces sur les mers, ce qui devait retenir plus longtemps les mammifères marins éloignés des côtes, de plus, les couloirs de migration de plusieurs animaux terrestres se modifièrent dramatiquement. Ce phénomène entraîna une régression de la limite des arbres, allant jusqu'à 200 kilomètres plus au sud dans certaines régions ( ex.: Barren Grounds) ce qui du même coup étendit les territoires de chasse sur des zones traditionnellement utilisées par les Indiens. Selon plusieurs spécialistes (Taylor, Martijn, Collins) la culture Dorset serait le résultat d une adaptation "in situ" d'une partie de la communauté prédorsétienne isolée de la culture-mère, dans les régions centrales de l'Arctique canadien, entre 1000 et 800 av. J.-C..

1.1.2 Culture Dorset ( 800 av. J.-C. au Xe s.)

C'est ainsi que durant le premier millénaire avant J.-C. les résidants de la Terre de Baffin, du nord et du Détroit de la Baie d'Hudson développèrent de nouvelles technologies permettant de survivre plus efficacement dans cet environnement glacial des plus hostiles. Ces adaptations technologiques et ces nouveaux outils sont ce que les chercheurs nomment la culture du Cape Dorset d’après sa première découverte par Diamond Jenness en 1925 (Taylor, 1964- 12), sur le site de Cape Dorset (pointe sud-ouest de la Terre de Baffin). Pendant presque 2000 ans, cette manière de vivre domina l'Arctique canadien. Il faut dire que pour plusieurs archéologues il est raisonnable d'établir un lien entre les Dorsétiens et les Prèdorsétiens; et c'est ce qui va amener McGhee en 1981 à publier un livret intitulé Les Tuniit dans lequel il soutient que les Tuniit, qui seraient les ancêtres des Esquimaux selon les légendes Inuit, seraient une culture qui a vu le jour avec les Prèdorsétiens et qui se serait poursuivie avec les Dorsétiens; hypothèse qu'il semble abandonner en 1984 lorsqu'il publie La préhistoire de 1 Arctique canadien.

Les Dorsétiens augmentèrent la superficie de leurs villages et de leurs habitations qui étaient devenues des installations plus permanentes que celles employées par leurs prédécesseurs. Sur certains sites ils construisirent des maisons d'hiver semi-souterraines à l'aide de murets de tourbe alors qu'à d’autres endroits ils semblent avoir confectionné les premières habitations en dômes de neige {iiiu) chauffées et éclairées à la lampe à l'huile ( quiiiq ) taillée dans un bloc de stéatite (silicate de magnésium). Une innovation technologique importante pour ces populations nordiques est sans contredit le kayak ( qajaq\ dans chaque campement où on a retrouvé des traces de cette frêle embarcation il est évident que ses utilisateurs étaient d'efficaces chasseurs de grands mammifères marins tels que le morse et le narval (McGhee: 1981:25). Dans d'autres régions plus à l'intérieur des terres, le grand nombre de caribous tués laisse croire que les Inuit du Caribou utilisaient déjà

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les corridors balisés de monticules (fnukshuk) pour contraindre les animaux à se diriger vers les chasseurs.

La plus grande stabilité de ce mode de vie et une meilleure adaptation aux rigueurs du Grand-Nord sont probablement responsables du développement d'une nouvelle forme d'art: la sculpture de petites figurines en ivoire et en bois. La majorité des sculptures dorsétiennes représente des animaux et occasionnelle ment des humains et peut-être même des esprits, toujours dans un style réaliste aux formes plutôt épurées. Swinton les caractérise ainsi: "... des oeuvres d'art dune grande force et dune grande beauté, de petite taille, dune facture tridimensionnelle, incisées et creusées avec vigueur" 6 La plupart des chercheurs considèrent que ces objets ont une relation avec les pratiques d'une religion chamanique telles que décrites par les anthropologues ( ex: F. Boas, L. Turner ) au sujet de plusieurs peuplades nordiques.

L’action combinée d'un sol gelé en permanence et d'un faible niveau d'activités bactériennes a permis de conserver convenablement divers objets qui nous sont aujourd'hui révélés par des fouilles archéologiques. L'analyse de certains de ces artefacts nous laisse croire que les masques de bois grandeur nature (souvent peints de rouge), les tambours et les tubes à succion furent très probablement des outils utilisés par des chamanes. Mais il y a d autres objets qui devaient avoir des pouvoirs magiques: des pointes de harpons figurant des ours, des figurines humaines ou animales perforées d'un trou dans lequel était insérée une éclisse de bois qui devait porter un sort particulier sur cet être représenté (Campbell 1963:579).

Il y a d'autres objets qui ne peuvent être aussi clairement associés au chamanisme. En fait, nous pouvons constater que sur des sculptures représentant des ours, des phoques, il y a des lignes gravées en chevrons et parfois en "X" (le plus souvent, le "X" est tracé au dessus de la tête) qui correspondent plus ou moins aux squelettes de ces animaux et probablement qu'elles représentent l'esprit protecteur qui est à l'intérieur de l'animal; ces objet auraient donc davantage des pouvoirs magiques qu'un lien exclusif avec le chamanisme. Les fouilles archéologiques ont aussi mis à jour d’étranges totems ou du moins assemblages de figures humaines gravées autour d'un morceau de panache de caribou (jusqu’à environ 60 visages: photo, in: McGhee 1981-26). Il y a aussi tous ces objets au traitement très naturaliste figurant: ours, faucons, caribous, boeufs musqués et parfois des humains qui, perforés, devaient être suspendus comme des talismans personnels à porter avec soi. 6

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Laughlin7 8, en 1962, faisait remarquer l'insistance avec laquelle les Dorsétiens du supérieur gravaient les jointures, les articulations sur leurs figurines; ce qui dénote une forte attention aux détails anatomiques. Martijn nous résume ainsi les diverses apparences de ces figurines dorsétiennes:

"Likenesses of humans occasionnaly had transverse facial lines to represent tatooing. People were at times portrayed in grotesque caricature form, while some animals present the appearance of an open framework, having their insides hollowed out by means of slots cut through from side to side at different angles. Many of the carvings have holes for suspension purposes and doubtlessly served as amulets or ornaments. These are cut, not drilled, perforations, because the people who made them were ignorant of the bow-drill."*

La forme la plus rare d'art dorsétien, découverte le long du détroit de Hudson sur la côte du Nouveau-Québec, fut décrite par Bernard Saladin d’Anglure9; il s'agit de murailles de stéatite dans lesquelles furent gravées des accumulations de figures humaines (une soixantaine). Ces représentations qui procèdent par accumulations correspondent, en quelque sorte, à ce nous retrouvons sur les morceaux de bois de caribou ornés de multiples visages. Même s'il y a des sculptures qui apparaissent à toutes les étapes du développement de la culture de Dorset10, nous constatons que la période la plus prolifique correspond à la fin du dorsétien, soit entre 500 et 1000 ans après J.-C, au moment où cette culture a atteint son expansion maximale, qui va jusqu'au Nord-Ouest du Groenland.

Après trois millénaires de présence, la culture de Dorset (Prédorset et Dorset) disparaît très rapidement, sauf au Nouveau-Québec où elle a survécu pendant quelques siècles encore:

7 LAUGHLIN, William. "Bering Strait to Puget Sound. Dichotomy and Affinity between Eskimo-Aleuts and American Indians", in Prehistoric Cultural Relations between the Arctic and Temperate Zones of North America. Montréal, Arctic Institute of North America, Technical Paper n’ 11, December 1962, p. 117.

8 MARTIJN, Charles A., op.cit., p. 552.

9 SALADIN D’ANGLURE, Bernard. "Découvertes des Pétroglyphes à Qajartalik sur file de Qikertaaluk" in North, vol.9, n' 6- (Nov. Déc 1962), pp. 34-39.

1 ° L'archéologue Jergen Meldgaard a distingué 5 phases dans la période d’occupation des Dorsétiens; ses critères reposaient sur la distribution particulière des habitations

dorsétiennes sur différentes terrasses riveraines et sur les types d'artefacts qui y sont associés. Il n'a pas été retrouvé d’art dans les deux premières phases du Dorset (de 800 av. J. -C. à 500 apr. J. - C). (BANDI, Hans-Georg,1969:144). Par contre, McGhee prétend qu'on a découvert des objets d'art à toutes ces phases dorsétiennes mais qu elles sont en bien moins grand nombre au début qu’à la fin de la période dorsétienne, ce qui laisserait croire qu’il n'y a pas eu d'activité artistique avant le Dorsétien Supérieur.

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"De nombreux indices prouvent cependant qu’au XIX* siècle les Esquimaux d'Angmassalik, à l'est du Groenland, étaient des descendants directs de Dorset et peut-être même les derniers survivants de cette race, reliques vivantes de ce lointain passé." (Swinton 1972:111).

Ce rapide déclin, vers l'an 1000, s'expliquerait par une invasion rapide d’Alaskiens, où les ancêtres des Inuit canadiens actuels (les Thuléens) auraient pourchassé ce que dans les légendes inuit on a nommé: les " Tuniiï. Plusieurs indices portent à croire que ces envahisseurs ont peut-être capturé puis intégré des Tuniit ce qui pourrait expliquer comment ils ont pu emprunter différentes techniques aux dorsétiens: la construction des igloos, la connaissance des emplacements de stéatite, ainsi que de nombreux autres éléments. Mais l'art dorsétien, pour Collins, ne semble pas s'être transmis aux Thuléens: l'art dorsétien "... completely disappeared, to be succeeded by the simple and stereotyped art of the Thule culture."11. En fait, s'il subsiste quelque chose de l'art dorsétien à travers l'art thuléen, cela se résumerait à quelques traits, mais surtout pas le style unique de cette culture.

1.1.3 Culture Thulé ( Xe s. à la fin du XVIIIes.)

L'origine de ces Inuit alaskiens est incertaine. Selon Robert McGhee nous reconnaissons actuellement deux scénarios plausibles: ils peuvent être des gens du prédorsétien qui seraient demeurés dans l'Ouest et le Nord de l'Alaska alors que plusieurs de leurs congénères émigrèrent vers Test au Nord du Canada, la seconde hypothèse est qu'ils proviendraient d’une ancienne population établi il y a environ 10,000 ans sur la côte Pacifique de l’Alaska lors de la formation du "pont " du Détroit de Béring. Mais chose certaine, ces ancêtres Inuit étaient présents dans l'Ouest alaskien il y a 2500 ans et développèrent des techniques efficaces de chasse en eaux libres. Ces gens disposaient de kayaks et de grandes embarcations de peaux ( umJag ), ainsi que des harpons équipés de flotteurs, ce qui leur permettait de chasser les grands mammifères marins tel que la baleine "pilote " ou globicéphale noir de l'Atlantique (Globicephala melaena). De plus, leur capacité d'accumuler et de conserver de grandes quantités de viandes pour l'hiver favorisait l'établissement de grands villages permanents. Leurs habitations étaient semi-souterraines, avec des murs en rondins de bois couverts de tourbe pour l'isolation, et chauffées par des lampes à l'huile brûlant des huiles animales. Le style des sculptures et gravures sur ivoire de ce peuple de la mer de Béring est très différent des productions dorsétiennes contemporaines. On note, tout 11

11 COLLINS, Henry B. "Eskimo Cultures", in Encyclopaedia of World Art, vol 5, New York, McGraw-Hill Co., 1961, p. 1.

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particulièrement au niveau de la fonction, moins d affinités entre ces objets et les pratiques chamaniques. En fait, les objets les plus décorés sont généralement des armes utilisées pour la chasse aux mammifères marins, ce qui suggère qu'ils étaient plutôt associés à des pouvoirs magiques utilisables dans la chasse (McGhee 1981:27).

Il y a environ 1000 ans, l'hémisphère nord se réchauffa soudainement, ce qui favorisa certainement la navigation à la voile dans des eaux libres de glaces plus haut dans le Nord et du même coup facilita l'expansion des Inuit du Nord de l'Alaska vers l'Est. Ainsi, vers 900 ap. J.-C. les Thuléens quittèrent l'Alaska et, en un ou deux siècles, atteignirent le Nord du Groenland. C'est à Thulé, dans le Nord-Ouest du Groenland que furent découverts pour la première fois les restes de cette culture d émigrants; les archéologues les désignèrent de "culture de Thulé "12. Ils sont ethniquement et physiquement les ancêtres directs des Esquimaux actuels du Canada.

Les Thuléens naviguaient à bord de longues embarcations (Umiak) de peaux mesurant jusqu'à 10 mètres et ils utilisaient des traîneaux à chiens l'hiver. Ils établirent des villages permanents similaires, mais plus petits, que ceux fabriqués en Alaska. Les maisons aussi différaient quelque peu: les murs étaient confectionnés de pierres et 1 armature du toit était faite d’os de baleine plutôt que de bois de dérive qui était à peu près inexistant dans ces nouvelles contrées.

L'art du peuple de Thulé, ainsi que sa technologie, sont largement inspiré de ses traditions alaskiennes. Les sculptures de Thulé sont relativement rares en comparaison de celles produites par leurs prédécesseurs; elles apparaissent sous des registres formels très limités. La plupart de ces objets, principalement utilitaires, sont de simples silhouettes en bois ou ivoire représentant des femmes avec des visages plats non-gravés et des bras trapus. Il semble que certaines de ces oeuvres furent des poupées alors que d autres furent utilisées comme amulettes. Parmi ces productions très standardisées, il y a aussi ces petits oiseaux , parfois représentés avec une tête de femme; ils ont une base plate leur donnant l'allure d oiseaux flottant sur l'eau; fabriqués en ivoire ou avec des dents de mammifères marins, ils sont similaires à des pièces utilisées pour un jeu durant la période historique. Selon William E. Taylor jr., les objets de la culture Thulé démontrent une attitude plus utilitaire de la part des artistes: "Leur finition (des objets) est rarement aussi soignée

(que ceiie des dorsétiens) iis sont polis d'une façon queiconque et ieurs formes

12 "The term Thule culture is derived from the fact that the first reliable find was made in 1916 in connection with the Second Thule Expedition near Thule in North Greenland". extrait de BANDI, Hans-Georg. Eskimo Prehistory, op.cit., p. 149.

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sont moins bien définies. La décoration n 'y a guère d'importance et Les objets d'art, déjà rares dans ia cuiture dorsétienne, ie sont encore davantage dans cede de Thuié. ",3

Un comportement intéressant chez les Thuléens est qu'ils ornaient fréquemment leurs artefacts de motifs gravés: lignes marginales simples ou doubles parfois unies par de petites lignes transversales, ils dessinaient aussi des formes en " Y " et des silhouettes humaines schématiques poussant même parfois le motif jusqu'à l'illustration de scènes (de chasse) complètes. Nous devons aussi souligner que ces ornementations furent principalement découvertes sur des objets façonnés en ivoire, soit des armes utilisées pour la chasse aux mammifères marins, et sur des outils et différents objets associés aux femmes, tels que: des boîtes à aiguilles, des peignes, des pendants décoratifs. Il est à noter que ce sont les Thuléens qui ont inventé l'arc à foret qui leur permettait de percer des trous ronds au lieu de ces orifices taillés en oval tels que le faisaient leurs prédécesseurs en utilisant des burins.

Robert McGhee (McGhee 1988-19) émet l'hypothèse que ces éléments décoratifs ainsi que l'ivoire comme matériau privilégié seraient, dans les contextes ci-haut mentionnés, une représentation du monde Thuléen, où l'univers féminin serait associé à la mer, les mammifères marins et possiblement à l'hiver (sous l'igloo qui est chez l’Inuk moderne réputé être matriarcal); alors que correspondraient à l'univers masculin les animaux terrestres et la vie d'été sur la terre ferme. Cette proposition est appuyée par cet exemple: la plupart des têtes de harpons Thuléens sont faites d'ivoire ou d'os de mammifères marins, alors que les pointes de flèches utilisées pour la chasse au caribou sont découpées dans des panaches de caribou. De plus, cette dichotomie est identifiable dans les relevés ethnographiques de la religion des Inuit de la période historique 13

13 TAYLOR, William E., jr. "Taisumanialuk - l'art préhistorique des Esquimaux du Canada" in Sculpture / Inuit, (catalogue de l’exposition: La sculpture chez les Inuit: chefs-d'oeuvre de l’Arctique canadien), Toronto, Conseil canadien des arts esquimaux et les Presses de l'Université de Toronto, 1971, p. 34.

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1.2 Période historique (xvnr

s. jusqu’à 1948)

La petite ère glaciaire "Little Ice Age'" (de c.1650 à 1850 ) entraînant la raréfaction du gibier, pourrait bien être la cause de la disparition des campements Thuléens qui pourtant vers 1500 de notre ère étaient étendus sur presque tout l'Arctique canadien. La période historique qui englobe la fin du XVIIIe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle (1948) débute aussi avec la venue des grands explorateurs européens qui découvrirent un Grand-Nord presqu inhabité; les quelques groupes qu'ils y rencontrèrent étaient essentiellement des petites bandes de nomades vivant sous des tentes l'été et dans des villages temporaires de maisons de neige l'hiver (Capt. Lyon, 1824). Il y a seulement au Labrador, au Sud-Ouest du Groenland et dans quelques rares parties de la Terre de Baffin que des Inuit ont pu être observés poursuivant un mode de vie assez semblable à celui des peuples de Thulé. L'effondrement de la chasse à la baleine témoigne de ce passage vers d'autres caractéristiques qui vont permettre de définir l'avènement de la culture inuit telle qu elle a survécu jusqu'à la période contemporaine.

Mais comme le précisait Jean Blodgett lors de la Conférence sur l'art inuit tenue à Ottawa en septembre 1982, il est difficile de préciser les limites de cette période historique, même si:

"La période historique se distingue de la précédente par un certain nombre de changements culturels intervenus essentiellement à la suite de contacts avec les étrangers dont les écrits ont permis de constituer une histoire de cette époque Z’14

Ainsi, suivant le principe de la prise de contact avec les étrangers, il est généralement admis que cette séparation d'avec la période Thuléenne se serait opérée autour du milieu du XVIIIe siècle, bien que ces premiers contacts avec l'extérieur ne se firent pas simultanément à travers tout le Grand-Nord canadien:

Les Inuit du Labrador ont été en contact passablement continu depuis 1777 (en fait. Garth et Helga Taylor ont nettement indiqués que la première installation permanente des Moraves a eut lieu effectivement à Nain mais en 1771.* *5) avec les frères Moraves dont une mission était établie à Nain, les autres Inuit n'ont eu que

14 BLODGETT, Jean, "Le point de vue historique" in Rapport sur la Conférence sur fart inuit à l'intention des conservateurs et des spécialistes tenue au Centre des conférences du gouvernement à Ottawa les 15 et 16 septembre 1982. Ottawa, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien,1983, p 142.

*5 TAYLOR, J. Garth et Helga Taylor. "Labrador Inuit Summer Ceremonies" in Etudes / Inuit / Studies, vol 10(1-2), Québec, 1986, p, 234.

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des contacts sporadiques avec les Blancs jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle et même au début du vingtième."* &

Plusieurs anthropologues et archéologues considéraient encore dans les années 1960 que la période historique s'étendait au-delà de 1948-1949, mais aujourd'hui, on s'entend pour distinguer, à partir de ce moment, la période contemporaine de la période historique (Cf: Swinton, Martijn). Ce qui correspond à l'avènement d'une nouvelle ère d'intérêt et de progrès dans le domaine de l'art et de l'artisanat inuit, suite aux premiers voyages de James Houston dans l'Arctique québécois.

Correspondant à cette détérioration climatique et environnementale, plusieurs auteurs (Cf: Swinton, Martijn) soulignent pour la période historique un déclin de la production plastique et artistique. Le panorama des oeuvres thuléennes nous offre la vision d'un art qui se transforma graduellement à partir d’un style élaboré allant vers des productions plus simplifiées, plus schématiques.

" Adhering to past practice, the objects were predominantly of ivory, with a small proportion of wood, bone, and antler. Artists customarily drilled rows of decorative dots on tiny, flat-bottomed birds and other animal effigies. They also carved dolls' with nondescript faces, making stumps serve for arms or even leaving these out altogether. Some of them can be identified as male or female but others lack any sex characteristics. Thule statuettes were depicted either naked or else clad in a single article of attire such as a loincloth, boots, or a hood, while particular attention was paid to the hairstyles of women."* 17

L'hypothèse la plus souvent retenue18 est celle qui propose que les Inuit étaient si préoccupés à assurer leur survie (le gibier étant rare), qu’ils se sont simplement désintéressés des productions plastiques. Mais, il ne faut pas oublier que les rudes hivers arctiques obligeant fréquemment les chasseurs à demeurer encabanés pour de longues périodes d'inactivité, auraient pu être aisément comblées par des travaux d'ornementation. Selon Charles Martijn (1964), certains auteurs vont même jusqu'à prétendre que ce désintéressement se retrouve aussi dans la production de mythes et légendes ainsi que dans leur religion moins complexes que celles de leurs contemporains de l'Alaska.

Ces jugements très négatifs à l'égard des productions de la période historique nous semblent très discutables. Il apparaît donc nécessaire de faire le point sur la situation. Premièrement, une lacune importante existe au simple niveau

18 BLODGETT, Jean, loc. cit., note 13, p.142. 17 MARTIJN, Charles A., op.cit., note 3, p 554.

18 Hypothèse émise la première fois en 1937 par RAINEY, Froelich, "Old Eskimo Art " in Natural History, vol. 40, New York, 1937, p. 697.

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de la disponibilité du matériel iconographique d'avant 1950: trop peu d'oeuvres sont connues ou même identifiées et répertoriées. Deuxièmement, plusieurs auteurs actuels se réfèrent toujours aux écrits des premiers explorateurs qui parcoururent le Grand-Nord dans les siècles passés; quand elles ne sont pas absentes, les rares illustrations qui accompagnent ces ouvrages de référence, sont souvent le fruit de dessins à main levée et qui par la technique même comporte une large part d'interprétation. Sachant qu’en analyse visuelle l'oeuvre demeure la principale référence, sur quoi peuvent se baser nos auteurs contemporains pour entériner des commentaires si péremptoires issus des siècles derniers:

"... curious toys ... rudely carved" *9

"... on the whole the Iglulik Eskimos are not very skilful at carving; there are however exceptions ... but among the younger men this art is in a state of rapid decline" * 20

"Art is but slightly developed among these people. Their weapons and other implements are never adorned with carvings of animals and other natural objects or with conventional patterns, as is the case in so great a degree among the Eskimo of Alaska. They are, however, not devoid of artistic skill, as is shown by the good taste often exhibited in the trimming of their garments, and also by the dolls, which I have already referred to and figured."21

"Aivilik and Kinipetu of Southhampton Island make a great many carvings in ivory and soapstone ... realistic carvings from Southampton are not numerous"22

Autre chose, les critères sous-jacents aux commentaires portés par ces voyageurs du XVIIIe et XIXe siècle (Capt. Lyon, Boas, Corner) demandent nécessairement d'être lus dans une perspective historique du jugement esthétique. Il ne faut pas oublier la prédominance du goût victorien comme facteur écologique ne pouvant pas vraiment adhérer aux valeurs plastiques souvent issues de la sculpture non polie, sans grands détails et d'allure inachevée. De plus, une certaine prudence s'impose quant à 1 utilisation des propos de ces premiers auteurs nordiques: explorateurs, voyageurs ou

*9 LOVE, Mary, A Peep at the Esquimaux. London, HJR. Thomas, 1825, p 37.

20 MATHIASSEN, Therkel. "Material Culture of the Iglulik Eskimos", in Report of th 5th. Thulé Expedition , Copenhage, Vol. 6,1928, p.104.

21 TURNER, Lucien McShan. Ethnology of the Un gava District, Hudson Bav Territory. Indians and Eskimos in the Québec-Labrador peninsula. Québec, Presses Coméditex et Inuksiutiit Association, Collection E/Spaces, 1979, p. 95.

22 BOAS, Franz. "The Eskimo of Baffin Island and Hudson Bay", in Bulletin of American Museum of Natural History. New York, vol.15. Partie 1, p. 113 (Il est à noter que plusieurs membres de la tribu Aivilik étaient employés par les baleinières, ce qui a pu les inciter à surproduire de la sculpture à cette époque.).

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anthropologues qui souvent formulaient des observations et commentaires subjectifs voire même incomplets (souvent emprunts d'ethnocentrisme). Il est d’autant plus important d'être circonspect lorsque nous les lisons puisqu'elles sont les sources auxquelles on réfère toujours.

Le contact avec la technologie des Européens est aussi invoqué comme une cause possible de ce déclin de l'art de cette période. Il est vrai que l'introduction du métal a considérablement modifié la technologie traditionnelle, remplaçant l’ivoire et le bois de caribou. Ce qui fait dire à certains (Swinton 1978) que: curieusement, comme les outils pour graver devenaient de plus en plus facile à obtenir, moins les artefacts traditionnels montraient de l'habileté et de la finesse de production. Mais ne faut-il pas rappeler que ces objets recueillis par ces intrépides navigateurs du siècle dernier (capitaine George Corner, par exemple) étaient très souvent confectionnés à la hâte par les Inuit afin de les offrir en troc avec cette "manne " passagère que représentaient ces vaisseaux venus de nulle part.

Ironiquement, il aura fallu attendre une prise de contact très directe avec les Euro-canadiens et le développement d'un marché pour ces objets traditionnels pour voir naître cet art "nouveau " et du même coup voir se modifier profondément leur système économique et social.

1.3 Période contemporaine

( 1948 à nos jours)

L’art inuit contemporain du Nouveau-Québec fut intimement lié au développement économique régional; son histoire est donc parallèlement associé à la place qu'a occupé la Fédération des Coopératives du Nouveau -

Québec dans le décor de l'Arctique québécois. Mais, il ne faudrait pas oublier les initiatives et les énergies de la Canadian Handicrafts Guiid qui furent germinales voir même essentielles à la reconnaissance de cet art.

1.3.1 Guilde canadienne des métiers d art

Vers la fin du XIXe siècle, la Women’s Art Association of Canada s'intéresse à l'art et l'artisanat inuit bien avant James Houston. Il ne faut pas oublier que la Women 's Art Association al'Canada organisme national, fut le noyau de ce qui est devenu le Musée des Beaux-Arts de Montréal

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En 1902, rapporte Mme Watt, "... i! y eut un débat de tiraillements au sein de J'Association. Certaines de ces dames jugeaient que l'Association n accordait pas une place assez importante à l'artisanat du Canada, et en particulier à l'artisanat indien. ”23 Ce qui eut pour résultat, la séparation en deux de l’Association; ainsi, les " passionnées du mocassin perlé" s'unissent pour former en 1906 la Canadian Handicrafts Guild (qui change de nom en 1967 pour: Canadian Guild of Crafts et Guilde canadienne des métiers darb financée par Lord Strathcona (haut dignitaire et philanthrope anglais résidant à Montréal, au tournant du siècle) qui leur fait don de 5 000$ pour amorcer leur oeuvre.

"L’association était basée sur le volontariat. Ses membres provenaient de la haute société: ils appelaient les artisans des "travailleurs ". De toute évidence, il y avait une classe de "jouisseurs" et une classe de "laborieuses". Ce n’est qu’à partir de 1920 que les "travailleurs" devinrent des artisans et des artistes. Ces mots étaient alors interchangeables. L’artisanat indien était représenté dans les premières expositions que la nouvelle organisation montait au tout début des années folles. Mais on y trouvait également des objets d'art esquimau, comme des sculptures d’ivoire. Beaucoup des membres de la Corporation avaient des collections personnelles."24

Au début des années 1930, Dr. Diamond Jenness alors membres du Indian Committeeiqui devient, le 17 mars 1939, le Indian and Eskimo Committee) de la Canadian Handicrafts GuHd, fait pression de manière à ce que la Guilde accorde autant d’attention à l'art esquimau qu’à l’art indien. Ce qui incite le major David McKean (commissaire adjoint des Territoires du nord-Ouest), à rapporter de TUngava divers objets "commercialisables ” de fabrication locale tels que des paniers et comme le dit Virginia Watt: ”... des objets dont les Inuit pensaient qu’ils pouvaient plaire à l'homme blanc, comme des lampes à kérosène miniatures (en ivoiref). ”25. À propos de cette collection, un extrait des minutes de l'assemblée annuelle de la Guilde nous éclaire davantage:

“On y retrouve de surprenantes et ingénieuses imitations d’articles d’usage courant (...) des paniers miniatures et une lampe à pétrole, avec son globe. Nous espérons qu’il sera possible d’orienter ces efforts vers des choses plus simples, plus pratiques! (..) le rôle du comité, quant à la production artisanale (autochtone), demeure d’encourager le plus possible l’utilisation de sujets, de matériaux et de méthodes de travail traditionnels et d’apprendre au grand public à l’apprécier à sa juste valeur ."26

23 WATT, Virginia. "L’évolution de l’art inuit: regards sur les projets, les gens et les philosophies" op. cit., note 13, p. 129.

24 Ibid., p. 129. 25 Ibid , p. 130,

26 Extrait (traduit par Claude Godin ) de l’Assemblée annuelle de la Canadian Handicrafts Guild, 1939, cité par Virginia WATT dans "Les débuts" in Collection permanente d’art et

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exposition d'objets inuit au Musée McCord à Montréal. Une exposition qui ne passe pas inaperçu pour le grand public27 qui s'intéresse à ces pièces d’artisanat ainsi qu'à ces minuscules sculptures d'ivoire. Ils répètent l'expérience en 1939 avec la collection du Très Révérend A.L. Fleming, évêque de l'Arctique.

La Guilde voulut aussi venir en aide aux Inuit qui subissaient famine et maladie selon ce que leur rapportaient fréquemment les gens de la GRC, les médecins et les missionnaires. Ainsi, afin de stimuler la demande, les membres de la Guilde prennent l'initiative de montrer davantage d'art inuit; surtout par le biais de l’Association artistique. Ils organisent aussi un programme qui s'adresse "à tous les intéressés ", c'est-à-dire aux agents de la Compagnie de ia Baie d Hudson aux enseignants, aux infirmières, aux épouses de pasteurs et à toutes les femmes en général, afin qu'ils lancent des programmes d'artisanat pour aider les Inuit durant les mauvaises périodes de chasse.

En septembre 1948, un jeune artiste de Grand-Mère, James Houston se rend à Port Harrison, ce qui est connu aujourd’hui comme étant Inukjuak, pour y dessiner et faire des pochades pendant deux semaines. Il y fait du protrait et il échange certains de ses dessins contre divers objets.

"A man whose name I later discovered was Naiomialook insisted upon taking one of my drawings. Some time after he returned and he held out to me his closed hand. I watched in amazement as he opened it and revealed a smalistone image of a bear. I was aware of old Eskimo carvings, usually fashioned out of walrus ivory, that I had seen in museums. I assumed that this object was something carved long ago, a family treasure that he offered me.

I was delighted when on the next day I was given two more carvings. All three small sculptures had an inner sense of life. The stone gave them a timeless appearance."28

Rentré à Montréal, on lui conseille de montrer ces pièces à la Canadian Handicrafts Guiid Suite à quoi, la Guilde décide de tenter l'aventure avec

d'artisanat inuit circa 1900-1980. Montréal. Guilde canadienne des métiers d'art Québec, 1980, p.ll.

27 Le New York Times publia même un article à ce sujet dans son édition du 14 décembre 1930. De même que le Art News titrait dans son numéro du 20 décembre (1930:59, Vol. 29) : Montreal Shows Art of Eskimos.

28 HOUSTON, James. "Port Harrison, 1948", in Port Harrison l'exposition tenue du 20 novembre 1976 au 23 janvier 1977 Gallery, 1977, p.8.

/ Inoucdiouac. catalogue d , Winnipeg, Winnipeg Ar

(29)

Houston plutôt que de compter sur les ressources déjà en place dans le Nord. Voici, à ce propos, ce que nous trouvons dans le procès-verbal de la réunion de K Indian and Eskimo Committee du 18 novembre 1948:

"Monsieur J.A. Houston, de Grand-Mère, qui a visité Port-Harrison (maintenant Inoucdjouac) l'été dernier, a entretenu assez longuement le comité de son projet d'encourager l'artisanat chez les Esquimaux de cette région. Monsieur Houston est persuadé que les aptitudes particulières des Esquimaux dans ce domaine, qui ne sont présentement qu'à l'état latent, pourraient se révéler au grand jour s'il y avait quelqu'un sur place pour les aider. Il nous a donné le nom de deux Blanches de Port Harrison, mesdemoiselles Woodrow et Andrews, qui lui ont demandé de revenir l'été prochain les assister dans ce travail. Monsieur Houston a demandé la collaboration de la Guilde et celle de la Compagnie de la Baie d'Hudson qui pourrait peut-être échanger de la nourriture pour de belles pièces d'artisanat."2^

C'est ainsi que débute le mandat de James Houston à l'été 1949, ils lui attribuent les fonds nécessaires pour son voyage dans le Nord: " Le magasin

(delà Guiide) a versé il00$ au compte de monsieur Houston à Ja Compagnie de Ja baie d'Hudson. Ses frais de voyage ont été estimés à 400$. "30 il devient ainsi le représentant de la Canadian Handicrafts GuiJd dans l’Arctique.

Nous devons signaler qu'à l’époque la GRC suivit de très près les agissements "quelques peu suspects" de M. Houston dans le Nord. Les autorités s’inquiètent de voir cet homme chercher à subvenir aux besoins des "nécessiteux” dans le Grand-Nord. Les dirigeants du Ministère des Mines et Ressources proposent la formation d'un comité composé de fonctionnaires et de non-fonctionnaires pour étudier la question de l'artisanat dans le Nord, ayant un membre de ce comité qui siégerait au Comité directeur de la Guilde.

James Houston nous relate ainsi cette première expérience "commerciale ” dans laquelle il s'engage avec la Guilde:

"Sporting a bushy beard - which was very unfashionable in those days -1 rushed out to Montreal in the automn of 1949. When I unpacked the boxes, the Guild was as overwhelmed as I had been. In all I had almost 300 small carvings which I had bought at an average price of just over $5.00. I was flabbergasted when I heard that they proposed to mark them up by as much as 20%. I tought the market would never stand it.

With the Guild staff I arranged the carvings as nicely as I could. We displayed the best ones in the window and placed a small ad in the newspapers. Word spread like 29 30

29 Extrait (traduit par Claude Godin) du procès-verbal de la réunion de 1'Indian and Eskimo Committee du 18 novembre 1948, cité par Virginia WATT dans "Les débuts" loc. cit., note 25, p .12.

(30)

wildfire and within three days we were totally sold out. Those carvings were true Eskimo folk art. spontaneous expressions of life as seen by those unique people." 31

En 1952, James Houston déclare même: "La GuiJde a acheté, puis revendu à Ja population canadienne, pius de 20,000 oeuvres, L'offre n'a pas encore

commencé à satisfaire ia demande:"31 32 33 *

Par la suite, plusieurs initiatives furent entreprises par la Guilde afin de développer un programme d'encouragement à la production, et rapidement il fallut spécifier aux Inuit ce que la Guilde recherchait:

"(Au début des années 1950)... la Corporation (la guilde) établit une loi, une loi non écrite, sur les produits indigènes. On découragea fortement les Inuit de sculpter le bois, alors que nous savons tous qu'il y a beaucoup de bois flottant dans le Nord. Mais le bois n’était pas un matériau indigène. La pierre, l’ivoire et l’os étaient acceptables et indigènes.’’^3

Houston avait même précisé dans Sunuvusuk son manuel sur la sculpture distribué aux Inuit, dans tout le Nord:

"... the Eskimo should be encouraged to use only the materials native to his land ... The introduction of wood ... into his art destroys the true Eskimo quality and places him in competition with craftsmen elsewhere who have a complete mastery of the material" 34

Il faut préciser que ces directives (contraintes) imposées aux Inuit le furent de bonne foi, puisqu'il est observable que, dès les débuts, tous ces intervenants insistèrent sur la "pureté" de cet art "primitif " et la nécessité de le préserver tel quel; c'était une véritable mission pour ces gens. Mais leurs prescriptions cherchant à établir un haut niveau de qualité dans les sculptures, sont un point névralgique, comme le déclarait Martijn en 1964 "Not Eskimo, but Euro-

Canadian canons wouid determine what was good or badautrement dit, ces recommandations faites aux Inuit n'allaient pas être sans conséquence pour la "pureté” de cet art "Inuit", ce qui laissent croire à plusieurs auteurs que cet art était fait sur mesure pour les consommateurs blancs. D'autant plus que les acheteurs blancs des postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson et même Houston payaient plus pour les meilleures sculptures. Ces sculptures "plus réussies" correspondaient vraisemblablement aux critères de ce qui est

31 HOUSTON. Tames. Port Harrison, 1948 . loc. cil., note 27. pp.9-10.

32james Houston est cité dans: THOMAS, Wynne. "L’âge de pierre ressuscité" in La Revue. vol. 63. n* 1, édition *345, Montréal, 1979, p. 4 (cette publication était produite par la Compagnie Pétrolière Impériale Liée ).

33 Ibid., p. 131.

(31)

le plus en demande ou le plus apprécié de la clientèle vivant au sud, puisque c'était le marché visé. D'ailleurs plus tard, le Eskimo Art Committee (formé de Blancs du Québec et de l'Ontario, professionnels du milieu des arts ) devenait le "gardien moral " de cet état de pureté de l'art inuit en guidant les initiatives des Inuit en leur promulguant des recommandations.

Mais donc, après avoir enclenché un processus de production, il fallait maintenant voir à la distribution du produit; et c'est ainsi qu'à la même époque, soit en 1950, la Guilde organise des expositions d'art inuit à Toronto, Calgary et même à New York. Puis, en 1951, ils exposent à la Galerie nationale d'Ottawa et au Royal Ontario Museum. De nombreux articles dans des revues du moment témoignent de cette effervescence (Canadian Geographic, Vogue, Canadian Art, Time et Life). En 1952, pour la première fois, la Guilde envoie des expositions à l'extérieur du Canada: en Pologne, en Suisse, en France, au Pérou, en Angleterre, en Espagne et en Argentine; et comme le rapporte Mme Watt: "De nombreuses pièces ont disparu ou ont été abimées, mais une très importante partie de ia coüection est toujours à MontréaPf, où vous pouvez iadmirer. "35 36 D'ailleurs, cette précieuse collection est décrite dans ces termes dans le texte de Helga Gœtz figurant dans le catalogue de la collection permanente de ce qui est convenu d'appelé aujourd'hui la Guiide canadienne

des métiers d 'art Québec-.

"Se trouvent réunies dans cette collection, aussi bien des miniatures en ivoire d'artistes anonymes du début du siècle que des oeuvres majeures de sculpteurs contemporains bien connus. On y trouve plusieurs spécimens intéressants d'articles d'artisanat finement ouvragés et une petite collection d'art graphique, dont une lithographie commandée à Pudlo Pudlat, de Cape Dorset, pour marquer le trentième anniversaire de l'engagement de la Guilde dans la promotion de l'art inuit.

Le gros de la collection est formé de sculptures de la période 1950-1965 et d’autres pièces de qualité continuent à s'y ajouter mais en moins grand nombre. Les régions de Cape Dorset, d'Inoucdjouac et de Povungnituk y sont les plus largement représentées puisqu'elles étaient les plus productrices au moment où la majeure partie de la collection s'est constituée.

Les représentations du mode de vie traditionnel inuit prédominent sur les sculptures plus abstraites ou plus décoratives, un indice de l'intérêt qu'ont toujours porté les membres de la Guilde à la culture autochtone. La majorité des

35 En fait, cette collection est aujourd'hui accessible au grand public, dans la salle

d'exposition permanente de la Guilde canadienne des métiers d'art Québec, sise au 2025 rue Peel à Montréal.

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