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Group of Ten Women Sewing Skins on Umiak (Women Boat)

CHAPITRE 2 PRIMITIVISME ET ART INUIT

3.2 Charlie Inukpuk et sa parenté

3.3.2 Group of Ten Women Sewing Skins on Umiak (Women Boat)

Groupe de femmes occupées à coudre des peaux autour d'un umiak (embarcation)

Charlie Inukpuk.

Inukjuak, avant 1975. Stéatite.

Collection de la Compagnie Rothman's Pall Mall of Canada Ltd., Toronto, Ontario.

23 x 81 x 30,5 cm. (<2!'Illustration 4)

Ce groupe de femmes cousant des peaux autour d'une embarcation est une autre sculpture de Charlie Inukpuk qui a beaucoup attiré l'attention des spécialistes en histoire de l'art inuit.

La version anglaise du titre de cette oeuvre46 47 contient plus de précision quant au contenu de l'oeuvre. Ainsi en français, on a le terme "embarcation” qui est très vague, alors qu'en anglais il est écrit: Women 's Boat "bateau des femmes " ce qui convient davantage pour la traduction du mot umiak, désignant le type d embarcation autour duquel les femmes sont affairées. Mais à notre avis, ce titre n'aurait jamais dû faire mention d'un umiak, car cette embarcation est plutôt un kayak et donc un bateau d'homme comme le veut la tradition. En effet, en faisant référence à l'ouvrage clé de Franz Boas The Central Eskimo, il est possible de vérifier que nous sommes en présence d'une représentation

46 BLODGETT, Jean, op. cit., note 14, p. 27.

47 Nous ne savons pas qui a donné ce titre. Il faut bien comprendre que les Inuit ne titrent à peu près jamais leurs oeuvres. B ailleurs, ces titres sont le plus souvent des inventions des Blancs qui servent soit à décrire très sommairement la scène sculptée, ou encore à éveiller chez le spectateur un sentiment d'étrangeté ou de curiosité lié à un obscur désir d'exotisme.

d'un kayak (tff Illustration 5): une embarcation longue et mince ayant en son centre une ouverture simple permettant à un seul occupant de s’y glisser (parfois le "kayakeur" pouvait faire pénétrer une autre personne sous la coque). Les femmes en cousaient le revêtement, mais ne pouvaient l’utiliser, car le kayak était réservé aux activités de chasse, donc destiné au genre masculin.

Autre chose, dans le texte en anglais, on précise qu'il s'agit de "Ten Women" (dix femmes), mais on compte treize visages. En effet, il y a bien dix femmes mais trois d'entre elles portent chacune un enfant dans leur Amautik (vêtement de femme à large capuchon permettant d'y porter un enfant). Il s'agit donc de la représentation d'un événement quotidien extrêmement dramatisé par la vue en plongée qu'offre cette scène développée à l'horizontale dans un fourmillement de détails très dynamique.

Cette sculpture fut présentée la première fois en 1975, dans une exposition circulant à travers le Canada. L’exposition Inuit/Art/Inuit avait été organisée par la Compagnie Rothman's Pall Mall of Canada Ltd. afin de présenter aux Canadiens la pertinence et la richesse de leur collection permanente d'art inuit. Pour l'occasion ils publièrent un catalogue d'exposition où les textes de George Swinton donnaient des détails biographiques à propos des différents sculpteurs, ainsi que des commentaires généraux pour chacune des sculptures représentées. Dans l'introduction du catalogue le Professeur Swinton a beaucoup insisté pour démontrer l'originalité de ce groupe de couseuses de Inukpuk:

"Parmi les artistes du Nouveau-Québec qui représentent des tendances nettement individualisées se détachent plusieurs autres noms; ceux en particulier de Joanasie Jack (de Povungnituk) et de Charlie Inukpuk (d'Inoucdjouac), ce dernier auteur de l’étonnant Groupe de femmes occupées à coudre des peaux autour d'un

ümiak. Par son amalgame onduleux de mères et d'enfants aux yeux ronds, des rondes capuches de parkas, de bras et de mains, de peaux et de nageoires de phoque, cette sculpture de pierre tout en courbe et en arrondis, qui fait songer aux bancs de neige ou aux massifs rocheux précambriens, est conçue avec beaucoup d'imagination, et dans son traitement original du sujet n'est en rien moins fantastique que toutes les sculptures et gravures d'êtres fabuleux exécutés par les artistes de Spence Bay, ou que les oiseaux imaginaires de Latcholassie."48

En novembre - décembre 1979, cette même sculpture est exposée au Musée Kitchener- Waterloo Art Gallery dans une exposition intitulée; The permanent Collection of Rothmans of Canada. Le journaliste Thrish Wilson publie alors, dans le journal local, un article intitulé; "Two Eskimo art shows in K-W" où il fait l'éloge du caractère singulier de cette oeuvre: "Any single piece in the 48 SWINTON, George, op. cit., note 34, p. 2 (non-paginée).

eihibit might make the centrepiece of a smaii coiiection, but among the most unusuaiis Chariie Inukpuk's Group of it) Women Sewing Skins on Umiak. The massive soapstone piece is roiiing wiiderness of women s faces, hands and babies'

3.3.3 Thèmes et sources d inspiration

D'après les oeuvres que nous avons repérées dans la collection des Affaires indiennes et du Nord Canada durant ses premières années de sculpture, Charlie Inukpuk semble s'intéresser particulièrement aux animaux: loutre, phoque, bernache. Mais, aujourd'hui nous savons qu’il doit sa réputation surtout à ses représentations humaines du typMother and Child

"Like his father, Charlie carves the Mother and Child theme, and there is a certain similarity in the interlocking forms, giving the impression of maternal love and protection. In Charlie's case, the impression is further enhance by an exaggerated emphasis on the woman's very large hands."49

Durant lex position Works of the Inukouk Family, de janvier 1986, on pouvait lire sur le carton d'invitation illustré d'une "Mère et enfant " {cf Illustration 6) de Charlie: "Chariie inukpuk, born in J 94J and son of Johnny inukpuk has aiso

been infiuencedby the famity art but he has evoiued his own very distinctive styie. His human figures have an abstract quaiity with iarge, decorative hands and fiat surfaces reminiscent of bas reiief (See photo./50

Il est à ce point évident que Johnny Inukpuk fut l'une de ses influences les plus marquantes; une simple comparaison stylistique suffit souvent pour s'en convaincre. Ainsi, dans le cadre de l'exposition Reflets de l'Arctique tenue au Musée canadien des civiiisations à Hull, au courant du printemps et de l’été 1990, une sculpture de Charlie Inukpuk accompagnait deux oeuvres de Johnny Inukpuk sur un présentoir. La proximité de leur voisinage révélait clairement que, en plus de partager le même grand thème de la mère et enfant, ces trois oeuvres avaient en commun plusieurs caractéristiques stylistiques.

Sans vouloir faire une analyse exhaustive de ces caractéristiques communes, nous pouvons préciser qu'au niveau plastique, l'emprunt de la même stratégie pour signaler les franges à la bordure inférieure du vêtement de la mère ainsi que le traitement simplifié et quelque peu grotesque des détails, révèlent une parenté étonnante entre ces oeuvres. De plus, l'art de ces deux sculpteurs fait

49 Anonyme, "Charlie Inukpuk" in L'HISTOIRE D'UN ARTISTE. FCNQ, Montréal, 1986, p. 1. 5° Anonyme, Works of the Inukpuk Family, carton d'invitation de l'exposition, New-York, Arctic Artistry, janvier 1986, non-paginé.

usage d'un intéressant processus d'emboîtement où les formes s'interpénétrent à la manière de pièces d'un casse-tête {puzz/êj, ce qui donne à la fois une forte impression de solidité et de mouvement (à cause des nombreuses articulations de plans) aux ensembles ainsi sculptés.

Ces mêmes éléments se manifestent chez Adamie icf. Illustration 7), le frère de Charlie; d'ailleurs, Barry A. Roberts le signale dans son livre The Inuit Artists of Inoucdjouac. P.O .'.'Adamie has inherited the taient of his iiiustrious father and his work exhibits much of the same styie" 31

Mais la grande différence entre ces trois artistes réside dans le souci de la vérité anatomique, car pour Johnny et Adamie Inukpuk, cette préoccupation de la vérité des choses les empêche de modifier exagérément l'échelle de la réalité, Adamie étant celui qui respecte le plus les canons de la "proportion réelle" des objets, alors que Charlie Inukpuk se permet des licences incroyables; pensons à ses mains démesurées qui ornent plusieurs de ses oeuvres, ou encore à ses contorsions impossibles qu'il inflige aux jambes et aux pieds de ses nombreuses figurations humaines.

Suite à quoi, il peut être intéressant, croyons-nous, d émettre l'hypothèse d'un fort principe déterminant dû à la vie commune dans un clan familial relativement réduit vivant à l'intérieur d'un campement passablement isolé et respectant les règles de la tradition orale de la culture inuit. Une enquête psycho-socio-anthropologique pourrait probablement nous informer davantage et peut-être même confirmer l'effet de ce système clos comme étant un environnement propice aux échanges entre le père et ses deux premiers fils. Certaines dispositions psychologiques seraient aussi à examiner du fait que les deux frères ont subi en bas âge la perte de leur mère, et que Johnny (leur père) a vécu une enfance plutôt marquée par la domination d'un père évangéliste fortement croyant. Cette démarche pourrait être ultérieurement conduite, car actuellement ce qui nous concerne c'est davantage de voir comment se sont manifestées ces influences dans l'art de Charlie.

Après avoir répertorié près de quatre-vingt oeuvres, il devient évident que Charlie Inukpuk s'est surtout intéressé aux scènes de la vie quotidien. Ses mises en scène correspondent aux répartitions traditionnelles des tâches. Ainsi, la représentation de la femme y est largement dominée par la description de la relation sécurisante de la mère et l'enfant dans des scènes le plus souvent désignées comme étant des "Mother and Chiid". Cette femme 5l ROBERTS, A. Barry, op. cit., note 35, p. 47.

"maternelle" est confinée à des tâches ménagères très limitées. Elle prend la charge des enfants tout en vacant aux activités prescrites traditionnellement par la culture inuit: elle voit donc à la préparation des repas en manipulant des morceaux de viande et en allant chercher de l'eau. C'est elle aussi qui s'occupe du nettoyage des peaux et du tannage des cuirs pour la confection des vêtements et des autres objets utilitaires comme les embarcations. Alors que le plus souvent, l'homme est représenté en chasseur, il est le pourvoyeur qui apporte la nourriture au foyer: chasseur de caribou, de morse ou de phoque. Dans toutes les oeuvres que nous avons retracées, il n'y a pas de représentations d'êtres spirituels ou fantastiques, sauf, peut-être ce "totem ' en ivoire que nous avons précédemment signalé (cf. Illustration 2); quant à l'illustration des mythes ou légendes, cette approche a été rarement explorée par Charlie Inukpuk. Mais l'un des exemples les plus évidents de l'illustration d une légende serait cette sculpture de la collection de la Section d'art inuit au département des Affaires indiennes et du Nord Canada, à Ottawa: il s'agit de l’histoire de la vieille femme qui tue un ours avec sa mitaine (cf. Illustration 8); cette légende est d'ailleurs racontée par son père Johnny (cf. Annexe 3), dans le recueil des légendes de Povungnituk52 publié (pour la première fois) deux ans avant la création de cette sculpture par Charlie. Nous devons toutefois préciser qu'une analyse plus serrée de chacune des oeuvres pourrait probablement révéler l'existence d’autres sculptures illustrant des mythes ou légendes; mais pour ce faire, il faudrait pouvoir se référer à un répertoire, qui n'existe pas actuellement, de ces histoires pour le village de Inukjuak. Cette démarche est d autant plus hasardeuse que la majorité des historiens et historiennes d'art inuit ont confirmé que les sculpteurs de ce village se sont davantage intéressés à la représentation de la vie courante sans faire allusion aux croyances du passé.

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