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Le jeu bouffonesque de la pédagogie à la représentation théâtrale

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Academic year: 2021

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© Aline Carrier, 2019

Le jeu bouffonesque de la pédagogie à la représentation

théâtrale

Mémoire

Aline Carrier

Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l'écran - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Le jeu bouffonesque de la pédagogie à la

représentation théâtrale

Mémoire

Aline Carrier

Sous la direction de :

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Résumé

Ce mémoire de maîtrise fait état d’une recherche création portant sur le jeu bouffonesque. La partie création est constituée de mon travail de metteure en scène et la partie réflexive porte sur l’importance de s’approprier le jeu des bouffons avant de monter la pièce de théâtre Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) de Marc Doré. C’est lors des rencontres avec Doré, un de mes professeurs du Conservatoire d’art dramatique de Québec, que le goût de travailler le jeu bouffonesque s’est imposé parce que je voulais en savoir davantage sur cette façon de jouer. De la pédagogie, inspirée par la zone proximale de développement de Lev Vygotski, à la mise en scène, je conduirai de jeunes comédiens à incarner leur bouffon, grâce à différents exercices, et à réaliser cinq représentations de la pièce au Québec et en Europe.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... iv

LISTE DES FIGURES ... vi

DÉDICACE ... vii

REMERCIEMENTS ... viii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : LA GENÈSE DE MON PROJET EN RECHERCHE CRÉATION À LA MAITRISE ... 7

1.1 Recherche initiale sur le clown ... 7

1.2 Rencontres avec Marc Doré ... 9

1.3 Suspension des études de 2e cycle ... 9

1.4 Ma participation aux Rencontres du jeune théâtre européen de Grenoble (2001, 2003, 2005 et 2007) ... 10

1.5 Recherche création à la maitrise 2008-2018 ... 12

1.5.1 Recherche création sur les bouffons ... ………. 12

1.5.2 Un cadre théorique : Lev Vygotski ... 13

1.5.3 Variations sur le clown et le bouffon (Marc Doré 2016)……….14

CHAPITRE 2 : Contexte et choix de la pièce ... 15

2.1 La pédagogie et les écrits de Marc Doré ... 15

2.2 Le parascolaire à la polyvalente Benoit-Vachon ... 18

2.3 Choix d’une pièce pour Grenoble 2007 : Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) . 21 CHAPITRE 3 : Le jeu bouffonesque ... 24

3.1 L’esprit bouffonesque ... 25

3.2 Trouver son bouffon : ateliers avec Marc Doré ... 28

3.3 La pédagogie selon Lev Vygotski ... 31

3.4 Exercices d’approfondissement pour la recherche du bouffon ... 38

3.4.1 Exercices d’entraînement physique ... 39

3.4.2 Exercices vocaux ... 41

3.4.3 Exercices de jeu théâtral ... 43

3.4.4 Les bosses et le costume ... 52

CHAPITRE 4 : La pièce : Christoeuf (sotie pour bouffons) ... 57

4.1 Le texte et les coupures ... 57

4.2 Répartition des rôles : la dynamique bouffonesque ... 59

4.3 La mise en espace vers la mise en scène ... 61

4.4 La musique créée pour la pièce ... 65

4.5 La scénographie ... 67

4.6 L’affiche ... 70

CHAPITRE 5 : Les représentations ... 73

5.1 Festival Arte-Théâtre, La Pocatière, Québec ... 73

5.2 Cabaret Mado, Montréal, Québec ... 75

5.3 Polyvalente Benoit-Vachon, Sainte-Marie, Québec ... 76

5.4 Rencontres du jeune théâtre européen, Grenoble, France ... 77 iv

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5.5 Barcelone, Espagne ... 80

CONCLUSION ... 83

BIBLIOGRAPHIE ... 86

Annexe A : Mes réalisations théâtrales ... 88

Annexe B : La pièce Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons ) ... 93

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LISTE DES FIGURES

Fig.1 La zone proximale de développement (ZPD) chez l’élève... 34

Fig. 2 Cécé : D’abord…vous savez tous que la terre est ronde ? ... 48

Fig. 3 Au fil des mois, les costumes prenaient forme, se précisaient. ... 53

Fig. 4 La ligne droite symbolisant le quai. ... 62

Fig. 5 La forme ronde pour symboliser les Antilles et le conseil de bande. ... 63

Fig. 6 L’équilibre du plateau : les marins et Cécé ... 64

Fig. 7 L’affiche ... 71

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À mes deux petits-enfants, Arnaud et Sophia, qui ont découvert très tôt le nez de clown accroché à mon babillard et qui font déjà les bouffons.

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Remerciements

Cette recherche création a débuté en 2005 pour se terminer en 2018. Les aléas de la vie se sont occupés de faire durer le plaisir. Je tiens à remercier les co-directrices, Irène Roy et Chantal Hébert, de la première phase de ma recherche qui portait sur le jeu clownesque. Leur rigueur dans la rédaction a été un précieux enseignement.

Un grand merci et beaucoup de reconnaissance à Marc Doré qui m’a confirmé l’importance de la pédagogie dans le jeu et qui a maintenu ma curiosité intellectuelle alors que ma santé était au plus bas.

À ces jeunes comédiens et musiciens qui ont cru à mon projet, je leur dis un immense merci pour leur générosité, leur confiance et leur abandon. Sans eux, l’odyssée n’aurait pas eu lieu.

À Francine Chaîné, qui m’a accompagnée dans le sprint final de la rédaction de cette deuxième phase de ma recherche qui se conclut par ce mémoire portant sur le jeu bouffonesque, je dis mon plaisir d’écrire sur mes chers bouffons. Ses éclairages justes et si précis n’ont fait qu’améliorer la clarté de mes propos.

Finalement, je remercie du fond de mon cœur Jean, mon mari, et mes quatre enfants, Benoit, Laurence, Ariane et Simon, pour votre patience, vos moqueries qui ont allégé ma vie, car vous êtes ma vie.

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1 Introduction

Lors de mes études au Conservatoire d’art dramatique de Québec (CADQ), qui se sont déroulées entre 1980 et 1983, Marc Doré, alors enseignant et directeur de cette institution, nous avait présenté les bases du jeu bouffonesque. À ce moment, les quelques connaissances que nous avions acquises en relation avec ce style de jeu n’étaient pas assez précises pour nous diriger vers une maîtrise de cet art. Par contre, nous savions que le bouffon se moque de tout, qu’il n’y a aucun sujet tabou pour lui, qu’il dénonce avec joie ce qui est politiquement incorrect, qu’il se fait un malin plaisir de rire de nos travers, qu’il vient des profondeurs de la Terre, ou d’un ailleurs indéfini, et qu’il n’est pas beau. Les bouffons se tiennent en bande, et le bonheur qu’ils ont à être ensemble est indescriptible. De plus, le jeu bouffonesque implique un travail de recherche de la part de l’acteur, car il doit trouver les parties de son corps qui prédominent et ainsi mettre l’accent sur celles-ci grâce à des bosses faites de morceaux de styromousse. Une combinaison d’une pièce permet de retenir ces bosses et d’en créer d’autres sur la combinaison elle-même. L’effet est saisissant.

Mais avant de connaitre les fondements du jeu bouffonesque, je suis passée par différentes étapes de recherche portant sur la pédagogie du jeu théâtral, sur les différents types de clowns (celui du cirque avec des animaux, sans les animaux et celui du théâtre) et aussi sur le bouffon enseigné par Jacques Lecoq, pédagogue de théâtre ayant son école à Paris. Ces étapes, qui m’ont permis de rédiger actuellement mon texte d’accompagnement, se sont déroulées de 2005 à 2018. À noter que mon projet en recherche création est constitué d’une œuvre, la mise en scène de Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) de Marc Doré et de ce texte réflexif sur mon expérience.

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En 2005, j’ai rencontré Marc Doré à quelques reprises. Je voulais en savoir davantage sur sa façon d’enseigner le théâtre. Je me posais les questions suivantes : pourquoi les principaux enseignements que j’avais retenus me venaient de lui ? Puis, quelque vingt-cinq ans plus tard, pourquoi je transmettais les savoirs pédagogiques de Doré à mes élèves ? Pourquoi ses enseignements étaient si efficaces pour faire comprendre simplement à des jeunes la complexité du jeu théâtral ? Je voulais mieux connaitre le terreau qui avait permis à Marc Doré de planter les bases de sa pratique pédagogique. C’est en discutant de toutes ses expériences théâtrales : la pédagogie, les études chez Lecoq à Paris, l’écriture de pièces, de romans et d’essais, les pièces sociales avec le Théâtre Euh!, etc., que le sujet du jeu bouffonesque a refait surface. De plus, Doré m’a présenté une pièce de théâtre : Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) qu’il avait écrite et mise en scène en 1992 avec des finissants du CADQ pour souligner le 500e anniversaire de la découverte des Antilles par Christophe Colomb et son équipe de marins. J’avais ce qu’il fallait pour entreprendre une merveilleuse odyssée qui allait me conduire vers une meilleure connaissance de ce type de jeu, et, par la suite, mettre en pratique mes connaissances en mise en scène afin de diriger une bande de bouffons dans le cadre d’une pièce de théâtre écrite pour eux.

Mise à part ma volonté d’en apprendre sur les bouffons, il me fallait des comédiens capables et désireux de participer à la création de Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons). Je me suis donc tournée vers d’anciens élèves que j’avais dirigés lors de productions théâtrales dans le cadre des activités parascolaires de la Polyvalente Benoît-Vachon de Sainte-Marie en Beauce entre 1996 et 2003. J’ai fait appel à celles et à ceux qui allaient démontrer la constance et la persévérance nécessaires pour mener à terme cette production théâtrale. De plus, je savais qu’ils avaient le talent d’interprétation nécessaire pour incarner un style de jeu aussi complexe que celui des bouffons. Cette

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aventure a duré deux ans. La première année a servi au développement d’apprentissages du jeu bouffonesque et la deuxième, à l’interprétation de la pièce Christoeuf (Colomb)(sotie pour bouffons).

Afin de rendre cette implication alléchante, j’ai proposé aux comédiens de participer aux Rencontres du jeune théâtre européen qui se tiennent chaque année, à Grenoble, au début du mois de juillet. La plupart des participants au projet avaient déjà présenté une pièce, que j’avais mise en scène, dans le cadre de ce festival de théâtre qui regroupe une quinzaine de pays d’Europe. De plus, nous avions la possibilité d’aller présenter la pièce à Barcelone, en Espagne, tout près du musée qui met en valeur les découvertes de Christophe Colomb. Mais avant d’arriver en territoire hispanique, je devais développer une série d’exercices exploratoires visant la découverte de chacun des bouffons en vue du spectacle.

Pour débuter le travail, j’ai fait appel à Marc Doré. Celui-ci a jeté les bases de ce qui allait nous permettre de connaître les prémices de la recherche du bouffon. Nous avons tous bénéficié de son enseignement pendant une dizaine d’heures.

Par la suite, j’ai assuré la continuation des apprentissages en mettant l’accent sur des exercices d’entraînement physique; d’identification de la provenance de la voix du bouffon; d’improvisation théâtrale et musicale. Deux musiciens ont suivi le travail de recherche des bouffons et se sont inspirés de l’esprit bouffonesque pour créer la musique qui allait soutenir les chansons et les ambiances que nous avons ajoutées au spectacle.

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C’est au fil de tous ces exercices que la précision des bosses et du costume s’est aiguisée lentement et sûrement. Une fois les bouffons trouvés et incarnés, j’étais prête à mettre en scène la pièce Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons). Nous avons, du même coup, trouvé le nom de la troupe : Les Torrieux. Dans la pièce, Doré utilise ce terme pour désigner les marins.

C’est lors de ces étapes de travail d’appropriation du bouffon qu’est apparu le constat qu’il nous fallait apprivoiser le jeu bouffonesque avant de nous attaquer à la pièce. Ne pas avoir respecté cette étape essentielle de recherche aurait fait en sorte que nous n’aurions pas pu interpréter la pièce de théâtre avec toute la saveur bouffonesque dont elle était imprégnée. Pour jouer cette œuvre de Doré, les comédiens devaient être complètement habités par leur bouffon, sinon tout tombait à plat et nous perdions le sens de l’écriture dramatique. Afin d’aider les jeunes comédiens dans leurs apprentissages du jeu bouffonesque, j’ai utilisé différentes formes de travail, des stratégies, et ce, dans le but de permettre à chacun d’explorer, dans le plaisir, son bouffon. Quelques années après la réalisation du projet, j’ai commencé à lire sur la zone proximale de développement (ZPD) de Lev Vygotski. J’ai retrouvé, chez ce chercheur, de stratégies pédagogiques qui s’apparentent aux miennes. Il a mis des mots sur mes intuitions. Cette notion, la ZPD, est au cœur de mon cadre théorique.

C’est ainsi que les différents exercices que j’ai proposés aux jeunes comédiens m’ont menée vers des questionnements auxquels j’ai tenté des réponses. J’ai pu comprendre, entre autres, que le bouffon n’interprète pas un personnage, il n’en présente qu’une

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esquisse. J’allais ainsi à la rencontre d’une réflexion de Philippe Gaulier1 : « Quand les bouffons débarquent dans un théâtre, pour dire la vérité du diable, le libérateur, ils ne jouent pas le personnage d’un salaud, ils le parodient, imitent de façon grotesque ou dérisoire les travers du mec ou de la rombière. » Cette prise de conscience de la façon qu’ont les bouffons d’interpréter un personnage était essentielle avant de commencer la mise en scène de la pièce de Doré.

D’une durée de deux heures, je devais ramener la pièce à une heure, ce qui était une exigence des Rencontres de Grenoble pour la présentation de la pièce. Cette contrainte ne devait pas la dénaturer. Je devais suivre l’histoire et assurer la montée dramatique pour faciliter et donner un sens au jeu des bouffons. Afin de me guider dans les coupures, j’ai identifié les trois grandes étapes de la pièce : la première : en Espagne, sur le quai; la deuxième : la traversée de l’Atlantique et la troisième : l’arrivée aux Antilles. De plus, j’ai privilégié des moments précis de la pièce pour chacune des étapes. Je dois mentionner que la mise en place, la mise en scène et la musique ont permis de rendre compréhensible la pièce de théâtre malgré l’élagage.

Après plusieurs répétitions, où ont été faits des ajustements par rapport au jeu, à la mise en place, à l’apport musical, à l’utilisation de différents accessoires et à la remise en question quant à l’utilisation de certains d’entre eux, sont arrivées les représentations devant public. Il y en a eu trois au Québec et deux en Europe.

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Mais avant de plonger dans l’univers bouffonesque, il est essentiel de présenter la genèse de mon mémoire de maitrise en recherche création qui a débuté en 2005 et qui se termine en 2018. C’est ce qui constituera le premier chapitre de mon texte.

Au deuxième chapitre, nous verrons le contexte dans lequel le désir d’aborder le jeu bouffonesque s’est manifesté et comment j’en suis venue à choisir et à mettre en scène Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons).

Dans le troisième, il sera question des différents exercices physiques, vocaux et d’improvisation qui ont permis la recherche et l’appropriation des bouffons, et ce, pour chacun des participants. De plus, j’exposerai comment la ZPD de Lev Vygotski m’a permis de mettre des mots sur ma façon d’enseigner le jeu bouffonesque.

Le quatrième porte sur les différentes étapes de la réalisation de la pièce : les coupures du texte, la mise en place, la mise en scène, la musique, la scénographie (accessoires et éclairages) et l’affiche.

Le dernier chapitre permet de raconter le déroulement des cinq représentations que nous avons réalisées au Québec et en Europe.

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CHAPITRE 1 : La genèse de mon projet en recherche création à la

maitrise

De 2005 à 2018, j’ai planché sur deux projets de recherche à la maîtrise : l’un, sur le clown et celui-ci, sur le bouffon. Dans ce chapitre, qui me permet d’exposer la genèse de mon projet en recherche création jusqu’à la rédaction de mon mémoire de maitrise sur le jeu bouffonesque, il est question de ma recherche sur le clown; de ma rencontre avec mon ancien professeur du CADQ, Marc Doré; de mes raisons professionnelles et personnelles qui ont fait en sorte que j’ai dû suspendre la rédaction de mes deux projets de recherche; de ma participation aux Rencontres du jeune théâtre européen qui est déterminante pour mon projet en recherche création qui m’a menée à ce mémoire de maitrise. De plus, je présente brièvement le cadre théorique de ma recherche : la zone proximale de développement, outil de pédagogie imaginé par le russe Lev Vygotski. Finalement, il est question de ce qui m’a motivée à reprendre la rédaction de mon texte réflexif : l’essai de Marc Doré intitulé : Variations sur le clown et le bouffon (2016).

1.1 Recherche initiale sur le clown

En 2003, après avoir participé à quelques festivals de théâtre en Europe avec des élèves de la polyvalente Benoit-Vachon, je me suis rendue compte que les metteurs en scène européens parlaient de la théorie et de la pratique théâtrale. Alors qu’ici, au Québec, les théoriciens du théâtre ne côtoyaient pas les praticiens. Au Conservatoire d’art dramatique, nous étions formés en jeu. La théorie était quasi inexistante. À écouter les Européens, j’ai compris qu’il me manquait des notions théoriques sur le théâtre qui pouvaient m’aider à mieux diriger les acteurs. Je voulais en connaitre davantage sur l’histoire théâtrale du monde et du Québec, sur les courants théâtraux qui ont marqué les

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époques, sur la réception spectaculaire, etc. Je voulais lire les théoriciens afin de raffiner ma façon de diriger les acteurs et de réfléchir sur ma pratique théâtrale afin de sortir des sentiers battus et de me diriger vers des territoires inconnus. Le contact avec les Européens a éveillé en moi une volonté d’augmenter mes connaissances théâtrales. Le baccalauréat en théâtre de l’Université Laval était tout indiqué pour répondre à mes besoins.

Dès la fin de mon baccalauréat en 2004, je voulais faire une maitrise afin d’approfondir mes connaissances en mise en scène. Dans le cadre de la formation en jeu au CADQ, nous touchions le clown grâce aux enseignements de Marc Doré. Déjà en 1982, alors que j’étais une élève de 2e année, la dynamique du jeu clownesque me fascinait par ce qu’elle demandait de sensibilité et de naïveté. Lorsque je faisais de la mise en scène avec les élèves de la polyvalente Benoit-Vachon (1996-2003), les bases du jeu clownesque m’inspiraient pour diriger les apprentis comédiens. Je leur apprenais à jouer juste, à sentir leur personnage de façon sensible et vraie, à ne pas se complaire dans une émotion qui pouvait teinter leur personnage pour la durée de la pièce. Je les invitais à vivre plusieurs sentiments dans un laps de temps relativement court.

Aussi, afin de les amener à parfaire leur jeu théâtral, la direction de la polyvalente m’avait permis de leur donner des ateliers de jeu clownesque. Ainsi, ils ont pu transférer ces connaissances du jeu vers le jeu réaliste que leur demandaient les pièces de théâtre que nous étions en train de réaliser. Au-delà de ces expérimentations, je voulais connaitre la différence entre deux types de clown : celui du cirque et celui qu’on retrouve au théâtre, et l’enseignement du jeu clownesque. Je me suis tournée vers Marc Doré dans le but de lui poser quelques questions sur le sujet. Ses réponses ont représenté un ajout important à mon projet de recherche sur les clowns.

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9 1.2 Rencontres avec Marc Doré

En 2004, Marc Doré venait de prendre sa retraite. C’était le moment idéal pour le rencontrer : il avait du temps. Ces échanges qui devaient essentiellement porter sur le clown et le jeu clownesque ont débordé sur ses expériences artistiques et pédagogiques. À l’hiver 2005, j’ai commencé à l’entretenir sur ce qu’il avait réalisé pendant les années qu’il avait consacrées au théâtre2 à savoir entre 1959 et 2004. Il m’est apparu nécessaire de discuter de ses connaissances théâtrales qui font partie de notre patrimoine artistique.

Toujours en 2005, où j’étais en train de poursuivre ma recherche sur les clowns et où je venais de terminer ma scolarité au 2e cycle à l’Université Laval, j’ai reçu une mauvaise nouvelle concernant ma santé m’obligeant à suspendre mes activités de rédaction.

1.3 Suspension des études de 2e cycle

C’est au printemps 2005 que j’ai appris que j’avais un troisième cancer. Ma vie a commencé à basculer. L’inquiétude face à ma santé a pris le dessus sur mon moral. C’est à ce moment que j’ai présenté une grande partie de ma recherche de maitrise sur les clowns à mes deux co-directrices : Irène Roy et Chantal Hébert. J’ai écouté attentivement leurs commentaires. Lorsque je suis sortie de cette rencontre, j’étais consciente du travail que j’avais à faire dans ma recherche : je devais amputer presque la moitié de ce que j’avais écrit qui ne semblait pas correspondre au thème : les clowns. Le découragement

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s’est invité, j’ai baissé les bras et j’ai placé mes papiers sur une tablette où je pouvais les oublier. Je n’ai plus touché à ces écrits.

Au même moment, je suis entrée dans une profonde dépression qui a duré presque trois ans. J’ai conservé les activités artistiques et professionnelles qui me plaisaient dans le but de garder le moral qui était déjà fragile. En plus de soutenir ces activités, j’avais à maintenir le sourire pour mes quatre enfants et mon mari. Étant comédienne de formation, j’ai pu cacher mon désarroi aux membres de ma famille afin de ne pas les affecter et qu’ils puissent continuer leur vie paisiblement. Ce qui a eu pour résultat de me fragiliser de plus en plus, et que le manque d’énergie se faisait sentir dans les différentes sphères de ma vie.

Malgré tout ce que je vivais, j’avais entrepris, au début de 2005, pour le plaisir, la mise en scène de la pièce Les Reines (1991) de Normand Chaurette, avec des étudiantes du programme théâtre de l’Université Laval. J’ai poursuivi ce travail que nous sommes allées présenter aux Rencontres du jeune théâtre européen à Grenoble.

1.4 Ma participation aux Rencontres du jeune théâtre européen de Grenoble (2001, 2003, 2005 et 2007)

En 1999, lors d’un voyage à Grenoble, j’ai fait la connaissance de Fernand Garnier, directeur des Rencontres du jeune théâtre européen de Grenoble. Nous avions à travailler ensemble sur une production théâtrale. Il a aimé ma façon de créer. Il m’a invitée à participer aux Rencontres de 2001 afin d’y présenter une pièce de théâtre montée avec

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mes élèves de la polyvalente Benoit-Vachon de Sainte-Marie3 située en Beauce. Nous avons choisi de monter Albertine en cinq temps (1984) de Michel Tremblay. Comme Fernand Garnier appréciait mon travail, j’ai reçu une invitation pour les Rencontres de 2003. Toujours avec des jeunes de la même polyvalente, nous avons décidé de présenter une pièce que nous avions déjà réalisée : La complainte des hivers rouges (1974) de Roland Lepage. À Grenoble, en 2005, avec Les Reines, me vient l’idée de monter Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) (1992) de Doré pour la 19e édition des Rencontres en 2007. J’ai deux ans pour réaliser ce projet. Dès mon retour au Québec, je veux contacter d’anciens élèves de la polyvalente Benoit-Vachon afin de vérifier leur intérêt à participer à cette aventure théâtrale. Aussi, je tiens à m’informer auprès de Doré s’il accepte de libérer les droits d’auteur sur sa pièce. La réponse est affirmative.

Même si je n’ai pas beaucoup d’énergie, même si la dépression se fait de plus en plus sentir, même si des idées suicidaires apparaissent de plus en plus souvent, même si ma thérapeute me soutient du mieux qu’elle peut, malgré tout cela, je veux monter cette pièce bouffonesque. En 2005, je ne savais pas encore que j’étais en train de préparer une recherche création qui allait me conduire à mes études de maitrise actuelles.

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12 1.5 Recherche création à la maitrise 2008-2018

Après la réalisation de l’aventure bouffonesque en juillet 2007, j’ai tenté de terminer ma recherche de maitrise sur les clowns, mais le cœur n’y était plus. La commission scolaire de la Beauce-Etchemin a commencé à m’offrir des tâches d’enseignement que j’ai acceptées et qui m’ont tenue fort occupée.

En 2008, Irène Roy, directrice de mon mémoire de maitrise, s’est informée où j’en étais avec ma rédaction. Je lui ai avoué que j’étais incapable de la terminer. Le travail qu’elle me demandait, afin de bonifier mon mémoire sur les clowns, m’apparaissait comme une montagne. Le découragement m’habitait et je n’avais pas la motivation nécessaire pour continuer. Par contre, je lui parlais avec enthousiasme et passion de la création de Christoeuf avec mes anciens élèves de la polyvalente Benoit-Vachon, tout ce que j’avais appris sur le jeu bouffonesque et sur la pédagogie théâtrale. Suite à ces confidences, elle m’a proposé de reprendre une nouvelle recherche à la maitrise qui porterait, cette fois, sur mon expérience avec les bouffons. Ce que j’ai accepté avec grand plaisir. Je me suis remise à la tâche d’écriture.

1.5.1 Recherche création sur les bouffons

Dans un premier temps, j’ai constitué le plan de mon mémoire avec facilité. Je savais déjà que je voulais parler de la pédagogie : comment j’avais enseigné le jeu bouffonesque aux apprentis comédiens en démontrant les étapes de l’élaboration du bouffon. Par la suite, je désirais témoigner de la mise en scène de la pièce de théâtre Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) ainsi que des cinq représentations présentées au Québec, en France et en Espagne. Dans un second temps, il m’importait de souligner

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l’importance pour les comédiens de connaitre les gammes avant de jouer la symphonie; il fallait que les bouffons se connaissent avant d’entreprendre de jouer la pièce de Doré.

En 2008, j’ai donc commencé ma recherche création. Une fois rédigée, je l’ai présentée à Irène Roy. Elle m’a suggéré de l’inscrire dans un cadre théorique.

1.5.2 Un cadre théorique : Lev Vygotski

Nous sommes en 2010, j’entends parler de la zone proximale de développement (ZPD) par une amie qui a enseigné de nombreuses années à Ottawa. Dès lors, je commence à lire sur Lev Vygotski, le père de la ZPD. Il me permet de mettre des mots sur ma façon d’enseigner le théâtre, de mieux comprendre comment j’ai procédé avec mes jeunes comédiens afin de leur apprendre le jeu bouffonesque. Je retrouve ma démarche pédagogique théâtrale dans les textes de Vygotski.

Le travail de rédaction sera de nouveau suspendu. La commission scolaire de la Beauce-Etchemin me donne de plus en plus de tâches d’enseignement, j’enseigne aussi le français aux futurs enseignants qui étudient à l’Université Laval, je suis chargée de cours au baccalauréat en enseignement des arts plastiques où j’y enseigne le processus de création des Cycles Repère. Je n’ai plus de temps pour rédiger; le mémoire de maitrise est à nouveau mis de côté.

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1.5.3 Variations sur le clown et le bouffon (Marc Doré 2016)

Je continue de voir Marc Doré. Il m’annonce qu’il est en train d’écrire un livre qu’il veut intituler : Variations sur le clown et le bouffon. Il est publié en 2016. Doré s’est inspiré de nos échanges pour rédiger son essai. L’idée de terminer mon mémoire revient, revit. Cela prendra deux ans avant que je remette le projet sur les rails. C’est en 2018, en compagnie de Francine Chaîné, nouvelle directrice de ma recherche, que je termine cette grande aventure bouffonesque.

Je conclus ce chapitre qui peut paraître paradoxal : l’envie indéniable d’en connaitre davantage sur le clown, d’échanger avec Marc Doré pendant des heures, lui, que j’ai connu avare de mots pendant nos cours au Conservatoire d’art dramatique de Québec, et la difficulté d’écrire toutes ces connaissances dans un mémoire de maitrise qui en comptait deux : le jeu clownesque et la vie théâtrale de Marc Doré. Lors des Rencontres, de 2007, je présente Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons). En racontant l’aventure bouffonesque à ma co-directrice, Irène Roy, je réalise que j’ai le matériel nécessaire pour l’écriture d’un texte qui expliquera l’appropriation du bouffon et la mise en scène de la pièce de Doré. Madame Roy me propose d’inscrire mon texte dans un cadre théorique. Je découvre Lev Vygotski, un Russe qui propose une stratégie pédagogique appelée la zone proximale de développement. Ce n’est qu’en 2018 que je mets un terme à cette grande aventure théâtrale où la passion et le désenchantement se sont côtoyés pendant treize ans.

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CHAPITRE 2 : Contexte et choix de la pièce

Dans ce chapitre, il est question du comment j’en suis venue à travailler le jeu bouffonesque et à mettre en scène Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) en vue d’une présentation dans le cadre des Rencontres du jeune théâtre européen qui ont lieu, à chaque année, à Grenoble. D’entrée de jeu, je dois mentionner que les échanges avec Marc Doré ont grandement contribué à me diriger vers ce choix. Aussi, j’y aborde mon travail à la polyvalente Benoit de 1997 à 2003 où j’ai formé plusieurs dizaines de jeunes comédiens, dont ceux qui ont joué la pièce écrite par Doré.

2.1 La pédagogie et les écrits de Marc Doré

Dans le but d’en savoir davantage sur la pédagogie de Marc Doré et de ses œuvres artistiques, nos échanges ont porté, entre autres, sur ses études à Paris, à l’école Jacques Lecoq, de 1960 à 1963. C’est là qu’il a appris l’importance du corps au théâtre. Il y a découvert le masque neutre de l’Italien Sartori, les masques larvaires venus de Suisse, la commedia dell’arte, la pantomime, l’objet mime, la figuration mimée, l’improvisation, etc. Les apprentissages ont été riches et le Québec en a bénéficié. De plus, Doré m’a dit, lors d’une rencontre, qu’en plus d’apprendre toutes les techniques théâtrales qui mettent le corps en mouvement, il a eu la chance d’observer le grand pédagogue du théâtre : Jacques Lecoq. Dès son entrée au CADQ, en tant que professeur, en 1967, Doré a mis en application ses connaissances acquises à Paris.

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Vers la fin des années 1970, il retourne chez Lecoq afin d’approfondir les jeux clownesque et bouffonesque. Dès son retour au CADQ, il les enseigne et les met à l’épreuve auprès de ses élèves. Il bonifie l’enseignement de ces jeux complexes au fil des ans. Grâce aux improvisations exécutées par ses élèves, il en comprend davantage les rouages pour en faire profiter les générations d’acteurs à venir.

Il m’a confié que son enseignement du clown et du bouffon a pour but de toucher, de façon ludique, les fondements du jeu théâtral: jouer dans l’instant présent, croire en ce que l’on joue, jouer juste en étant toujours disponible à l’autre et à soi, réagir à ce que l’autre dit ou fait, se mettre en action et en réaction. Bref, il transmet à ses élèves le plaisir profond de jouer et de créer. Ce sont précisément ces enseignements et ces connaissances que j’ai transmis à mes élèves de la polyvalente Benoit-Vachon, ce qui leur a permis de jouer avec justesse assez rapidement lors des répétitions des pièces de théâtre.

En ce qui a trait à son œuvre artistique, Doré a écrit des nouvelles, des dramatiques pour Radio-Canada, une quinzaine de pièces, cinq romans et deux essais. Les romans : Le billard sur la neige (1970), Le raton laveur (1971); les pièces de théâtre : Kamikwakushit (1978), Autour de Blanche Pelletier (1984), Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) (1992); les nouvelles : Parigi ! Parigi ! (2007), Traveling (2008), Petites histoires de petits pour les grands (2008); des essais : De l’improvisation et de la tactique du jeu (2011), Variations sur le clown et le bouffon (2016) font partie de son œuvre.

J’ai eu la chance de lire plusieurs de ses créations littéraires où j’ai constaté qu’il écrit comme il nous a montré à improviser. Il confie que son expérience en improvisation a eu

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un impact sur sa façon d’écrire : l’acteur qui improvise doit se jeter dans le vide, sans filet, « Pas de silence entre les répliques d’une improvisation sauf après le cri4 ».

Du côté de l’écriture, Doré me confie qu’au fil des années il en vient à écrire sans plan. Et c’est de cette façon qu’il a rédigé Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons). Il avait lu plusieurs documents sur Christophe Colomb, sur l’histoire d’Isabelle de Castille et de son mari Fernando 1er, sur l’histoire des Maures, sur la traversée de l’Atlantique, sur l’arrivée des trois caravelles en 1492 sur le sol des îles antillaises, sur le retour de Colomb et de son entrée triomphale à Barcelone, etc. Une fois sa soif de connaissances étanchée, il s’est lancé dans l’écriture de cette pièce en l’improvisant. Elle ne peut être jouée que par les bouffons. Les répliques sont savoureuses. En voici un exemple :

Cécé (Christophe Colomb): Je vais découvrir les Indes. Pinzon : Les Indes ?

Cécé : Oui, c’est bien ce que j’ai dit, les Indes.

Pinzon : Et vous avez bien montré cette direction-là, tout à l’heure ? Cécé : C’est tout à fait cela. Je m’en vais aux Indes par là.

Pinzon : Je m’en vais aux Indes par là là. On dirait une chanson.

Cécé : Vous savez, moi, il y a pas mal de temps que je me la chante à moi-même.

Pinzon : Et par là, vous dites !

Cécé : Oui, par là, par là, par là ! Parla françese ? Pour ne rien vous cacher, je m’en vais à l’est par l’ouest.

Pinzon : Un instant, je n’ose plus vous nommer, car on n’en finit plus de déclamer tous vos titres. Savez-vous à qui vous parlez ?

4 Citation de Marc Doré lors d’une rencontre portant sur l’improvisation. Ce cri qui arrive à la fin de la série de répliques échangées entre des personnages qui vivent un conflit, qui sont en colère. On remarque un crescendo en relation avec l’intensité de la voix, des mots et des intentions. Ainsi, les dernières paroles du dialogue sont presque criées. Après, c’est le silence pour laisser retomber la poussière.

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Cécé : Parfaitement. Au signor Martin Alonso Pinzon, très respecté et apprécié ici à Palos de tous les « marineros ».

Pinzon : Et vous prétendez être de la mer ? Cécé : J’ai beaucoup voyagé.

Pinzon : Dans votre chambre. Cécé : Sur les eaux5.

La pièce a été écrite pour ridiculiser cette histoire abracadabrante de ce qu’on va nommer la découverte de l’Amérique. Dès lors, la tentation était grande d’aller présenter la découverte de l’Amérique aux Européens dans le cadre des Rencontres du jeune théâtre européen. J’allais faire le chemin inverse en 2007 avec une bande de bouffons, de mes anciens élèves qui avaient fait du théâtre en parascolaire, qui voulaient porter un regard critique, grâce à la pièce, sur cette découverte qui allait changer le monde.

2.2 Le parascolaire à la polyvalente Benoit-Vachon

Dès la fin de mes trois années de formation au CADQ, en 1983, je suis revenue dans mon patelin, à Sainte-Marie, en Beauce. J’ai joué dans des pièces avec la troupe de théâtre La Méchatigan, j’ai fait des mises en scène, j’ai écrit des spectacles6. C’est entre 1997 et 2003, à la polyvalente Benoit-Vachon de Sainte-Marie, que je côtoie des jeunes ayant un grand talent pour les arts de la scène. En faisant des mises en scène, j’enseigne du même coup les fondements du jeu théâtral à tous ces jeunes qui veulent faire du

5 Marc DORÉ, Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons), Québec, 1992-1993, p. 21 et 22.

6 Entre 1973 et 2017, j’ai participé à quelque cent trente spectacles. Voir Annexe A portant sur mes réalisations théâtrales.

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théâtre grâce au parascolaire, seulement. À la polyvalente, il n’y a pas de cours d’art dramatique. J’ai donc formé de jeunes comédiens et j’ai essayé de les amener le plus loin possible dans leurs connaissances du jeu théâtral. La direction de l’école, pendant toutes ces années, reconnaissait le travail que je faisais auprès de ces élèves.

Les mises en scène étaient un beau prétexte pour enseigner la construction du personnage, les motivations des déplacements, le rôle de la parole et son impact sur l’action-réaction, tout le pouvoir de l’imagination, la justesse du geste et du mot, etc. Afin que tous ces éléments du jeu soient mieux intégrés, les jeunes acteurs suivaient une formation en jeu clownesque que je donnais toujours en parascolaire.

Aussi, j’initiais des jeunes au montage des éclairages et je leur expliquais mes choix afin de mettre en valeur les différentes scènes de la pièce. De plus, je faisais des réunions techniques avec ceux qui s’intéressaient à la régie de plateau. Aujourd’hui, certains sont directeurs artistiques sur des plateaux de tournage à Montréal autant au cinéma qu’à la télévision.

À ma sortie du CADQ, je me disais que je voulais être une personne-ressource en théâtre dans ma région et permettre à des jeunes d’accéder aux écoles de théâtre de Québec et de Montréal. Le fait qu’ils soient en dehors des grands centres n’était pas une raison qui les empêcherait d’acquérir des connaissances théâtrales qui allaient mettre la table à leur admission dans ces écoles. Mission accomplie. Des jeunes venant de Sainte-Marie, avec qui j’ai eu la chance de travailler, se démarquent dans leur domaine : Fabien Cloutier (auteur, comédien et metteur en scène); Guillaume Cyr (comédien et réalisateur de courts métrages); Rémi Chassé (chanteur, finaliste à l’émission La Voix 2015); Alexandre Soublière (trois romans publiés chez Boréal : Charlotte before Christ (2012),

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Amanita virosa (2015) et La Maison mère (2018); Mélissa Lefebvre (metteure en scène du documentaire Bagages, réalisation : Paul Tom, 2017), Émilie Jobin (metteure en scène et professeure de théâtre au cégep de Longueuil). Cette dernière a passé deux ans à étudier le théâtre à l’école Jacques Lecoq, à Paris; Martin Savoie (conteur et conférencier); Carole Cyr (soprano) fait partie du chœur de l’orchestre symphonique de Québec.

En constatant ce travail, ce plaisir que j’avais à travailler avec les jeunes, le responsable des activités étudiantes m’a proposé de participer à un projet provincial qui regroupait environ 2000 jeunes de la francophonie mondiale. Ma réponse a été affirmative et nous sommes en 1998.

Lors de ce vaste projet théâtral, mondial et francophone, quelque cinquante polyvalentes québécoises ont accepté l’invitation de la polyvalente Hyacinthe-Delorme située à Saint-Hyacinthe. Chaque institution québécoise montait la pièce Léo à vélo (1995) écrite par Gilles Vigneault et Marcel Sabourin. Notons que chaque polyvalente était jumelée à un pays de la francophonie. C’est ainsi que la pièce québécoise a été présentée partout dans le monde francophone, et chaque polyvalente du Québec a permis à son école associée de présenter, à quelques reprises, sa production théâtrale. La polyvalente Benoit-Vachon avait choisi de s’associer au Lycée Louise-Michel de Grenoble. La direction de cet établissement avait demandé à Fernand Garnier, directeur des Rencontres du jeune théâtre européen, de diriger une création avec les élèves du lycée. Comme la direction de la polyvalente Hyacinthe-Delorme était soucieuse que les écoles du monde montent des productions théâtrales de bonne qualité, elle avait demandé à chaque responsable du projet des polyvalentes québécoises de se rendre dans le pays jumelé. J’ai donc représenté ma Polyvalente. Lors de ce voyage à Grenoble, j’ai fait la rencontre de cet

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homme qui m’a permis de participer aux Rencontres du jeune théâtre européen en 2001, en 2003, en 2005 et en 2007.

2.3 Choix d’une pièce pour Grenoble 2007 : Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons)

Je venais de compléter plusieurs échanges avec Marc Doré et ceux-ci m’avaient permis de réfléchir sur la direction d’acteurs, sur l’enseignement du jeu et sur ce qui le constitue, sur les différents styles de jeu dont le bouffonesque. Il m’était donc difficile de résister à l’envie de diriger des comédiens maintenant que j’étais riche de ces nouvelles connaissances et précisions concernant la direction d’acteurs. Grâce à tout ce que m’avait livré Doré lors de nos rencontres, il me semblait que je pouvais être encore plus précise dans mes indications pour aider les comédiens à aller plus loin dans leur façon de jouer. Du même coup, je me sentais un peu plus outillée pour m’aventurer dans l’enseignement du bouffon.

Je dois mentionner que la réponse positive d’une dizaine de mes anciens élèves à vouloir participer à ce projet unique augmentait mon désir de me lancer dans ces sentiers très peu explorés dans le paysage théâtral québécois. De plus, je savais que Jacques Laroche, diplômé du CADQ en 1993 et qui avait joué dans Christoeuf lors de sa création, montait une pièce qui avait été écrite pour des bouffons : Amour et protubérances de Marcelle Dubois qui fut présentée en février 2007, à la Petite Licorne à Montréal par la compagnie théâtrale Les porteuses d’aromates. Aussi, Laroche avait fait un stage à l’école de Philippe Gaulier sur le jeu bouffonesque vers la fin des années 1990.

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Avec les apprentis comédiens, nous sommes allés voir cette pièce. Ce fut instructif d’assister à un projet abouti. Les jeunes comédiens ont été à même de constater l’implication du jeu bouffonesque : premièrement, jouer dans l’ici et maintenant; deuxièmement, aller au bout de leur corps afin que les bosses ne soient pas plaquées, mais bien senties; troisièmement, recevoir la réplique de l’autre avec intensité. Suite à la représentation d’Amour et protubérances, ils ont eu le loisir de discuter des éléments, ci-haut mentionnés, qui composent le jeu bouffonesque. Ils ont pu vérifier si les bouffons jouaient des personnages ou s’ils en faisaient une esquisse, et qu’arrivait-il lorsque le jeu des bouffons devenait psychologique ? Les embryons de réponses aux questions, les tâtonnements vers une meilleure compréhension du bouffon faisaient leur chemin.

Grâce à mon expérience en enseignement de l’art dramatique et en mise en scène, j’avais, à mon avis, les outils nécessaires pour monter Christoeuf et conduire cette production vers les Rencontres du jeune théâtre européen à Grenoble.

Pour conclure ce chapitre, je mentionne que ce projet, qui a duré deux ans, a débuté grâce aux rencontres que j’ai eu le plaisir de réaliser avec Marc Doré. Les sujets abordés concernant sa pédagogie théâtrale au CADQ m’ont permis de faire une réflexion personnelle sur ma façon d’aborder le jeu avec des apprentis-comédiens. Ses explications concernant le bouffon ont été une bougie d’allumage pour préciser davantage ma pédagogie du jeu, pour aller plus loin avec des élèves que j’avais formés lors de mon travail de metteure en scène à la polyvalente Benoit-Vachon. Après leur passage au secondaire, ils avaient fait du théâtre au collégial et/ou à l’université. Connaissant leurs différentes expériences théâtrales, je pouvais m’aventurer sur un territoire presqu’inconnu qu’allait m’offrir la mise en scène de Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) de Marc Doré et qui serait présentée aux Rencontres du jeune théâtre européen

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en 2007, à Grenoble. Pour mener à bien ce beau projet, je devais former les jeunes comédiens avant même d’aborder la pièce de Marc Doré. Ses enseignements concernant la pédagogie théâtrale m’ont été précieux et ils m’ont donné des repères dans le cadre de mon enseignement du jeu bouffonesque.

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CHAPITRE 3 : Le jeu bouffonesque

Avant d’aborder les composantes du jeu bouffonesque, je crois qu’il est nécessaire de différencier brièvement le clown du bouffon. À première vue, on pourrait croire que c’est du pareil au même alors qu’ils sont si différents. Le clown met en évidence la naïveté, l’enfance, les émotions à fleur de peau : un instant, il rit; l’instant qui suit, il pleure. Tout ce qui se passe autour de lui l’émeut, le chavire. Tout ce que le clown vit nous fait rire, nous touche parce qu’on reconnait notre propre vulnérabilité. Il ne faut pas oublier qu’il porte le plus petit des masques : le nez rouge, celui des permissions.

Pour ce qui est du bouffon, il va puiser dans le côté sombre de l’humain, il se vautre dans les tabous, il dénonce, il a un discours disjoncté, il s’amuse à répéter, ad nauseam, un geste, un mot qui lui permettront de délirer pour notre plus grand bonheur. Le bouffon représente un exutoire collectif. Il est laid, il met en évidence le tout croche de l’humain grâce aux bosses qu’on retrouve sur son costume qui devient un grand masque derrière lequel se place le comédien pour se permettre de jouer la folie du monde.

Le présent chapitre porte plus précisément sur ce que sont les bouffons. Pour ce faire, j’élaborerai sur la façon dont les participants sont parvenus à trouver le leur. Il sera question des ateliers donnés par Marc Doré, des différents exercices d’échauffement, de voix, de jeu et d’improvisation ainsi que la recherche des bosses et du costume du bouffon. Avant d’aborder la technique que ce style de jeu commande, je m’attarderai sur la description des différentes composantes de l’esprit bouffonesque. De plus, tout au long de ce chapitre, je ferai la démonstration que la ZPD me permet, aujourd’hui,

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d’arrimer mes stratégies d’enseignement à celles élaborées par Vygotski, au début du siècle dernier.

3.1 L’esprit bouffonesque

Tout d’abord, les bouffons de chez Lecoq n’ont rien à voir avec les fous du roi du Moyen Âge. Pas de clochettes sur le chapeau ni aux pieds. Ils sont affreux, comme sortis de la terre. Ils arborent des bosses et ont des voix qui résonnent dans leurs corps déformés. Ils sont construits de façon asymétrique : ils boitent, ils claudiquent, ils ont un bras paralysé, le cou raide, etc.

Les bouffons n’imitent pas, ils se moquent des humains. Ils sont capables de déceler la faille qui se trouve en chacun de nous et d’aller chatouiller ce que nous ne voulons pas montrer au monde. Il n’y a aucune malice chez le bouffon, juste le plaisir de la moquerie. Doré fait remarquer que « la moquerie commande de l’esprit et de la spiritualité. L’esprit moqueur est rapide, incisif et foudroyant7. »

Les bouffons se tiennent en bande. On ne retrouve pas de conflit entre les membres du groupe. Ce n’est pas un théâtre psychologique. Par exemple, si un des bouffons quitte la bande, ce n’est pas parce qu’il est en colère, c’est qu’il est en train de se moquer de celui qui s’en va, de celui qui quitte un groupe. On rigole des départs, de la gestuelle que les

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humains utilisent pour exprimer leur peine, leur douleur à laisser l’être aimé. Les bouffons répéteront les gestes, les mots qu’ils « aiment » dans ce rituel.

Lorsqu’ils arrivent sur scène, ils savent qu’ils vont faire rire. Ils sont délinquants par ce qu’ils disent, par ce qu’ils font. Doré demande à ses élèves de bien identifier de quoi, précisément, ils se moquent. Par exemple, il rappelle une improvisation réalisée dans le cadre d’un cours sur les bouffons. La scène se déroule dans un dépanneur. Le vendeur propose à l’acheteur tous les produits alors qu’il est venu pour faire l’acquisition d’un seul. Ici, les bouffons se moquent de la surconsommation. Avant de commencer à improviser, ils savaient qu’ils voulaient se moquer de la folie de ceux qui veulent nous faire consommer des billets de loterie, un briquet, un beigne, un café, un journal, une barre de chocolat, etc. alors qu’on n’en a pas besoin. C’est ainsi que Marc Doré nous parle du micro théâtre de la vie. Autre exemple : ces gestes, ces manies, ces paroles que nous utilisons pour faire nos polis : « Ta robe te va très bien. – Ce n’est rien à comparer à la tienne. –Vraiment ? – Elle est dans ta palette de couleurs. Magnifique ! – Tu me dis ça pour me faire plaisir. –Non, non. Je le pense vraiment... » Dialogue creux où les bouffons vont se lover pour se moquer.

De plus, Doré fait remarquer que le bouffon tourne l’objet à l’envers pour nous le faire voir autrement, pour briser la référence que nous avons du monde qui nous entoure dans le but d’avoir une autre pensée, un autre discours. Notons que les grandes peurs de l’humanité (les maladies, la mort, les catastrophes naturelles, etc.) et les interdits (les handicapés, la religion, le suicide, les éclopés de la guerre, les enlèvements d’enfants, le 11 septembre 2001, etc.) sont un véritable terrain de jeux pour les bouffons. Ce que nous prenons au sérieux, ils vont en rire. Aux dires de Doré, cet exutoire représente « un

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véritable service public ! Le discours bouffonesque n’est ni didactique ni militant. Il est drôle, il met de la vie et permet la circulation du bon sens dans notre monde8. »

Au cours de ses années d’enseignement, Doré a conduit ses « élèves bouffons » vers les grands textes : l’Ecclésiaste; les illustres moments de notre Histoire : les guerres; les grands thèmes : la naissance de Jésus. Les bouffons savent beaucoup de choses. Par exemple, ils demanderont au public : Qui sait combien pesait Jésus à sa naissance ? Personne ne le sait sauf eux, car ils viennent d’un ailleurs que nous ne connaissons pas. Ils détiennent des réponses qui nous échappent. Lorsqu’ils racontent l’Histoire, les bouffons ne s’en tiennent pas à l’ordre chronologique des événements, car tout le monde le connaît. Dès lors, ils vont s’amuser à répéter les bouts de l’Histoire qu’ils aiment, à mettre du désordre dans le connu. De plus, plaisir inestimable, ils peuvent dire de gros mots, juste pour rigoler parce que c’est interdit.

Au fil des ans, Marc Doré développe le bouffon parleur afin que s’exprime « la parole libérée de la raison9 ». Grâce à des improvisations, les élèves sont initiés au discours disjoncté (comme on le retrouve dans En attendant Godot (1952) de Samuel Beckett) et à l’écriture automatique10 verbale où le désordre est roi. Les spectateurs ont à remettre de l’ordre, à combler les trous de l’histoire laissés volontairement béants. L’intelligence des spectateurs est donc mise à contribution même si les formulations du discours surprennent et étonnent. C’est donc dans cet esprit que le bouffon nait, prend vie et qu’il est en mesure de se moquer du monde.

8 Ibid.

9 Ibid.

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3.2 Trouver son bouffon : ateliers avec Marc Doré

C’est en janvier 2006 que Marc Doré vient donner une dizaine d’heures d’atelier afin de permettre aux jeunes comédiens de trouver leur bouffon. La recherche se fait grâce à des exercices physiques et d’improvisation. Tout d’abord, le bouffon s’inscrit dans le corps et les gestes et, par la suite, l’esprit en est contaminé.

Afin de trouver leur bouffon, Doré invite les participants à former un grand cercle. Un comédien se déplace à l’intérieur du rond et marche normalement. Il est suivi par un autre participant dont l’objectif est d’exagérer la démarche du premier. Celui qui déambulait normalement se voit marcher différemment, ce qui représente pour lui une source d’inspiration très riche pour la démarche de son bouffon. Une fois que cet exercice a été complété par chaque comédien, Doré demande aux participants de se déplacer dans l’espace tout en explorant leur démarche. De plus, il les invite à sentir leurs bosses internes et externes, et à intégrer ces sensations à leur nouvelle façon de marcher. En sculptant les corps, il permet la naissance des bouffons. L’asymétrie donne lieu à des démarches qu’on peut retrouver chez des handicapés physiques. Nous nous retrouvons au royaume du tout croche, de l’anormal, du bizarre, de l’accidenté, du profondément différent et du plaisir à être ainsi.

Dès lors, la position corporelle de chaque bouffon le conduit vers un schéma de pensée qui est régi par la moquerie, la folie et la légèreté du propos. Par exemple, Doré place tous les bouffons dans un salon funéraire. L’ambiance habituelle de ce lieu est souvent coincée, on ne rit pas trop, car ce n’est pas la place. On pleure, on transmet nos condoléances et on dit merci. Les bouffons se moquent de ces répétitions de mots. Le jeu bouffonesque fait éclater les paramètres de la normalité et il nous permet de voir l’envers

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d’une réalité que nous n’osons pas exprimer parce que nous sommes trop pris par les conventions mortuaires. Dans cette situation, chacun de nous a eu, à un moment donné, des idées moqueuses rapidement chassées de notre esprit. Quant aux bouffons, ils se nourrissent de ces idées malicieuses et ils vont jusqu’au bout de leur délire. Lors de cet exercice, Doré demande aux comédiens de prendre le temps de bien choisir l’élément (ou l’angle) dont ils veulent se moquer afin d’éviter l’éparpillement et la dilution du propos.

Il fait vivre une autre improvisation aux apprentis comédiens : le réveil du matin qui est constitué de plusieurs gestes que nous répétons chaque matin tel un rituel. Il enseigne aux comédiens comment les bouffons aiment insister sur un geste qu’ils affectionnent. Il leur montre le plaisir qu’un bouffon peut ressentir à enlever le petit bouchon d’un tube de pâte dentifrice. Il s’amuse à visser et à dévisser le bouchon tout en étant complice avec les spectateurs qui connaissent fort bien ce geste répété des centaines de fois, mais auquel ils ne prêtent plus attention tellement il est devenu machinal.

Doré propose aux jeunes comédiens une situation qui se déroule dans un magasin de vêtements où nous retrouvons l’acheteuse et la vendeuse. Nous voyons la « bouffon-vendeuse » mettre tout le magasin sur le dos de la « bouffon-acheteuse » qui transforme son corps sous le poids imaginaire de tous les vêtements essayés. Nous entendons la vendeuse dire à l’acheteuse que tout lui va tellement bien que celle-ci achète tout.

Lors de cette improvisation, Doré rappelle l’importance pour le bouffon de se sentir comme s’il était à bord d’un hélicoptère : regarder de haut, saisir ce qui est en relief, ne pas s’attarder aux détails et garder en mémoire l’essence de ce qu’il perçoit de la situation. Ce qui a pour conséquence que le bouffon ne s’implique pas dans l’émotion générée par les événements de la vie, au contraire, il s’en moque. De plus, il n’est pas

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pris par la psychologie, souvent complexe, du personnage. Il garde quelques éléments superficiels du personnage, cela lui suffit pour faire comprendre au public de qui il s’agit. Par exemple, pour le Petit Chaperon rouge, il retient sa démarche et sa naïveté. C’est suffisant. Le bouffon trouve une imperfection chez quelqu’un et il la regarde avec une loupe. Son objectif n’est pas de reconstituer fidèlement une situation réaliste, mais plutôt de représenter notre monde d’une manière exagérée, d’en rire et de s’en moquer.

Par la suite, Doré demande aux jeunes de bouger, dans l’espace, le parcours suivant: la plage, la forêt, la montagne, une rivière et un champ de blé. Ici, il met l’accent sur l’importance de faire les mouvements légers et fluides. Pour les bouffons, rien n’est forcé dans leur moquerie des gestes que peut poser, par exemple, l’alpiniste qui gravit une montagne. Ils se moquent de celui-ci en mettant, sans s’arrêter, des sangles et encore des sangles et toujours des sangles. En plus de rendre leur gestuelle légère, Doré invite les jeunes comédiens à alléger leur côté moqueur, à ne pas trop s’investir par rapport aux émotions et à ne pas chercher de logique dans leur moquerie, sinon on risque de perdre la parodie, la caricature.

Après avoir abordé le bouffon grâce à la démarche et aux gestes dans différentes situations amplifiées du quotidien, Doré invite les jeunes à expérimenter le discours disjoncté. Tout comme le corps bouffonesque, l’organisation des mots est anormale, chaotique, illogique. C’est la loi du non-sens duquel émerge une poésie du chaos. Le spectateur, quant à lui, s’efforce de trouver un sens, un fil conducteur dans cette prolifération de mots qui déferlent sans lien logique. Les bouffons poètes font de la « parlure automatique »: « La cuisine mange des oriflammes et le salon pleut des chiens. » Nous retrouvons aussi des bouffons prophètes qui mettent les gens en garde de tous les fléaux de la terre. Par exemple, nous avons entendu un bouffon nous parler de la

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bactérie mangeuse de chair : « La bactérie mangeuse de chair prend la forme des humains, elle devient une entité mangeuse de chair, tout le monde peut être atteint. Demandez aux autres s’ils l’ont : s’ils disent oui, c’est qu’ils l’ont, s’ils disent non, c’est qu’ils l’ont et qu’ils vous mentent. »

Autre élément qu’il fait travailler par les apprentis bouffons est la musique. Ils dansent au son de percussions qu’ils utilisent pour émettre des sons tribaux. Inévitablement, la danse, tout comme le discours disjoncté, se termine dans un formidable chaos où s’entassent, au sol, les corps. Pour se sortir de ce magma, ils roulent sur eux-mêmes en riant. C’est riche de ces apprentissages que le travail d’appropriation du bouffon se continue sans Doré, mais en ma compagnie, et où chacun des aspects qu’il a enseignés est travaillé pendant les dix-huit mois à venir avant le départ pour l’Europe.

3.3 La pédagogie selon Lev Vygotski

Cette expérience théâtrale représentait pour moi un véritable défi pédagogique. Les rencontres avec Marc Doré concernant sa pédagogie du théâtre m’avaient inspirée et guidée. Mais il y avait aussi Lev Vygotski.

Vygotski est né le 5 novembre 1896, dans la ville d'Orcha en Biélorussie. Quelques années après la Révolution d'octobre, en 1924, il présente au deuxième congrès panrusse de psycho-neurologie un rapport qui suscite l’intérêt de Kornilov, le nouveau directeur de l'Institut de psychologie de l'université de Moscou. Kornilov lui propose de prendre part à la reconstruction de la psychologie, dans l'esprit du marxisme. Vygotski accepte. Il a 28 ans et a comme but d'apporter des solutions concrètes à la lutte contre l'analphabétisme et le handicap mental. La tuberculose mettra un terme à l'intense

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activité de Vygotski. C'est sur son lit de mort qu'il dicte le dernier chapitre de Pensée et Langage, qui sera publié peu après sa disparition. Il meurt à l'âge de 37 ans, le 11 juin 1934. Dès 1936, toutes les oeuvres de Vygotski sont interdites en Union soviétique parce qu’il était trop ouvert à l'influence des travaux occidentaux. Longtemps censurée dans son pays d’origine et ignorée dans le reste du monde, son oeuvre est aujourd’hui considérée comme l’une des plus importantes de notre siècle.

Ses travaux sur la zone proximale de développement (ZPD) mettaient des mots sur ma façon de transmettre mes connaissances théâtrales et sur les stratégies pédagogiques que j’ai utilisées tout au long du travail d’appropriation du bouffon. La ZPD repose sur la zone d’apprentissage de l’élève où il pourra compter sur l’aide d’un adulte qui le conduira vers des réussites et qui lui proposera des activités pédagogiques pas trop faciles (zone d’autonomie) et pas trop difficiles (zone de rupture). Voici un aspect de la ZPD qui a éclairé mon enseignement auprès des apprentis comédiens :

Cette zone est définie comme la différence (exprimée en unité de temps) entre les performances de l’apprenant laissé à lui-même et les performances du même apprenant quand il travaille en collaboration et avec l’assistance de l’adulte qui se définit comme suit : démonstrations de méthodes devant être imitées, exemples donnés, questions faisant appel à la réflexion intellectuelle et collaboration dans des activités partagées comme facteur constructif du développement11.

11 Ivan IVIC, Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIV, no ¾, 1994 (91/92), p.12. www.academia.edu/7282112, [Consulté le 4 aout 2018].

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Comme je l’ai mentionné précédemment, les notions pédagogiques de Lev Vygotski ont mis des mots sur ma façon d’enseigner le jeu bouffonesque à mes anciens élèves de la polyvalente Benoit-Vachon. Précisément, la zone proximale de développement (ZPD) m’a permis de comprendre la démarche pédagogique que j’avais préconisée tout au long du projet.

Assurément, je pouvais compter sur les années passées au CADQ où j’avais appris les fondements du jeu théâtral, sur mon expérience de mise en scène auprès des jeunes dont ceux faisant partie du projet Christoeuf, sur mes connaissances pratiques et théoriques de mon baccalauréat en mise en scène à l’Université Laval et sur les entretiens avec Marc Doré portant, entre autres, sur la pédagogie théâtrale du clown et du bouffon. Le projet était ambitieux. J’ai suivi une route que j’inventais de semaine en semaine.

Dès lors, je tenais à la première étape du projet qui relevait de la pédagogie. À mes yeux, elle était essentielle. En approfondissant la théorie de la zone proximale de développement de Lev Vygotski, je me rends compte qu’instinctivement j’ai utilisé des formes de travail qui ont facilité l’appropriation du jeu bouffonesque par les jeunes comédiens. Voici un schéma12 de la ZPD qui la situe dans les apprentissages de l’élève.

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Fig.1 La zone proximale de développement (ZPD) chez l’élève13

Cette zone repose sur l’aide apportée par l’adulte à l’apprenant. Ce dernier est en mesure d’apprendre en réalisant des réussites parce que l’enseignant adapte les apprentissages en fonction de ses capacités cognitives. Il réussit; il est motivé à poursuivre sa formation. Ainsi, l’adulte a le souci de présenter des exercices ni trop faciles ni trop difficiles afin de s’assurer que l’élève évolue tout au long de l’acquisition de nouvelles connaissances.

Voici une définition complémentaire à ce que j’ai déjà nommé concernant la zone proximale de développement qui permet de mieux saisir les paramètres qui définissent ma pédagogie théâtrale :

La zone proximale de développement (ZPD) se situe entre la zone d’autonomie et la zone de rupture. La ZPD se définit comme la zone où

13 Ibid.

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l’élève, à l’aide de ressources, est capable d’exécuter une tâche. Une tâche qui s’inscrit dans la ZPD permet à l’élève en apprentissage de se mobiliser, car il sent le défi réaliste. Afin de permettre aux élèves de se situer dans la ZPD, il pourrait être nécessaire pour l’enseignant de différencier les contenus, les structures, les processus et les productions pour éviter que des élèves se retrouvent soit en zone de rupture (trop difficile = non-mobilisation), soit en zone d’autonomie (trop facile = pas d’apprentissage). L’enseignant doit donc proposer à l’élève des situations d’apprentissage diversifiées qui visent sa zone proximale de développement. Ainsi, il lui sera possible de poursuivre le développement de ses compétences en mettant à profit ses connaissances antérieures, le soutien de l’enseignant et l’interaction avec ses pairs14.

Cette définition de la ZPD explique précisément comment j’ai procédé pour enseigner le jeu bouffonesque aux membres de la troupe. Comme le mentionne Vygotski, l’apprenant compte sur ses apprentissages antérieurs dans le but d’en faire de nouveaux. Pour ce qui est de mes élèves, je les ai formés, et d’autres metteurs en scène ont contribué à augmenter leur expérience théâtrale lors de leur passage au cégep et à l’université. Lorsque Marc Doré leur enseignait les fondements du jeu bouffonesque, je pouvais les observer et évaluer ce qu’ils avaient appris de nouveau par rapport au jeu, leur aisance à improviser et à s’amuser. J’étais en mesure de situer leur ZPD, c’est-à-dire, la zone où les apprentissages ne sont pas trop faciles et pas trop difficiles; une zone de réussites et non d’échecs. Je devais compter sur ce qu’ils savaient sur le jeu, sur ce que je pouvais leur apprendre et sur ce que les pairs avaient à ajouter.

Tout au long des ateliers que j’ai animés, j’ai eu à adapter ma façon d’enseigner. J’étais consciente que je devais diversifier les formes de travail, les stratégies d’enseignement

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afin d’emmener les apprentis comédiens à explorer les différentes facettes de leur bouffon. Tout comme Marc Doré avait fait lors des ateliers d’appropriation du jeu bouffonesque, j’avais à m’assurer que les exercices que je leur faisais vivre se solderaient par une réussite afin de vérifier que j’avais encore et toujours des jeunes motivés à aller jusqu’au bout du projet. Les activités que je préparais devenaient de plus en plus exigeantes, ce qui impliquait que je devais accompagner les comédiens dans leurs apprentissages. Lors de la lecture d’un article intitulé Tenir compte de la « zone proche de développement » des étudiants dans son enseignement, j’ai noté que « plus l’apprenant avance dans sa zone, plus il apprend, mais plus il a besoin d’aide pour ne pas vivre un échec qui le sortirait de sa zone15. » Comme Vygotski le mentionne dans ses écrits : « Grâce à l’imitation, dans une activité collective, sous la direction d’adultes, l’enfant est en mesure de réaliser beaucoup plus que ce qu’il réussit de façon autonome16. » Par contre, il ne faut pas oublier, toujours selon Vygotski, « […] ce que l’enfant peut accomplir aujourd’hui avec de l’aide, il sera en mesure de le faire demain de façon indépendante17. »

Cette indépendance a été vécue après que les comédiens aient peaufiné leur bouffon. Ce fut la première étape de l’autonomie. La seconde s’est réalisée lors des représentations de Christoeuf. Vers la fin des apprentissages, lors des improvisations, je laissais les

15 Katia RENAUD, François GUILLEMETTE et Céline LEBLANC, LE TABLEAU, Échange de bonnes pratiques entre enseignants de niveau universitaire, Tenir compte de la « zone proche de développement » des étudiants dans son enseignement, , UQTR, volume 5. numéro 1. 2016,

https://learning-raph.com/2016/04/05/vygotski-zone-proximale-développement [Consulté le 7 aout 2018]. 16 Ibid.

17 BODOVORA, Elena et Deborah J.LEONG, L’approche vygotskienne dans l’éducation de la petite enfance, 2012, Presses de l’Université du Québec, Québec, 358 p.

Figure

Fig. 3 Au fil des mois, les costumes prenaient forme, se précisaient.
Fig. 5 La forme ronde pour symboliser les Antilles et le conseil de bande.
Fig. 6 L’équilibre du plateau : les marins et Cécé  Crédit photo : François Saint-Hilaire

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