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CHAPITRE 2 : Contexte et choix de la pièce

3.4 Exercices d’approfondissement pour la recherche du bouffon

3.4.4 Les bosses et le costume

Tout au long de ce travail, qui a duré un an, les bouffons ont composé leur costume à partir d’une combinaison d’une pièce et de morceaux de styromousse avec lesquels ils formaient des bosses placées sous leur combinaison. Au fil des ateliers, je les ai vues changer de place sous les combinaisons et apparaître par-dessus, prendre du volume et de la longueur. Les visages sont disparus sous des bas de nylon de différentes couleurs, de différentes épaisseurs. Par contre il y avait des trous pour les yeux, la bouche et le nez. Aux nouveaux visages, en plus des orifices, s’ajoutaient des bosses, ce qui a permis de ne plus reconnaître les visages humains. Les costumes ont été en perpétuel changement tout au long des ateliers. Cette façon d’entrevoir le travail sur les costumes rencontrait celle de Jacques Lecoq : « Dans cette phase de travail, j’insiste pour que les costumes ne soient jamais définitifs, ni trop élaborés. Il importe qu’ils demeurent provisoires, relativement sommaires, jetables, et qu’ils puissent évoluer dans la recherche avant d’aboutir éventuellement, en fin de parcours, à une forme plus définitive28. »

28 Ibid.

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Fig. 3 Au fil des mois, les costumes prenaient forme, se précisaient. Crédit photo : François Saint-Hilaire

Au mois de mars 2007, nous étions prêts à préciser les costumes. Pour ce faire, nous avons discuté des ajouts possibles, signifiants et communs pour chaque bouffon. Suite aux discussions, il s’avérait important de rappeler que les personnages principaux étaient des marins et que l’action se passait majoritairement sur une caravelle. Il en est ressorti qu’il fallait voir des cordes, symbolisant les cordages, sur les costumes de chaque bouffon, à des endroits stratégiques. Sur les combinaisons, nous avons vu arriver différentes sortes de cordes, de ficelles et des bouts de laine colorés, courts ou longs.

Pour s’assurer de la spécificité de chaque bouffon et de la récurrence des cordes, nous avons procédé de la façon suivante : un bouffon allait en avant et chaque comédien de la troupe émettait des suggestions pour ajouter une corde autour de la taille, d’un bras ou d’une jambe. Certaines bosses ont perdu du volume, d’autres en ont gagné. Les comédiens, dont le visage était trop humain, se sont vu conseiller de superposer des bas

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de nylon ou d’en utiliser d’une couleur plus foncée ainsi que de diminuer la grandeur des orifices. Certains ont dû teindre leur combinaison pour arriver à une couleur qui s’agençait avec les différents éléments déjà proposés sur le costume. En plus de la teinture, nous en sommes venus à proposer que tous les comédiens patinent leur costume afin de mettre les bosses en relief. C’est ce qui a été fait. Le résultat fut saisissant, car la patine des costumes donnait aussi l’impression que les bouffons étaient sales, comme s’ils sortaient de la terre.

Le partage des commentaires des pairs servant à bonifier chacun des costumes bouffonesques a nourri les apprentissages des comédiens sur l’importance des récurrences retrouvées sur chaque costume : les cordes, les bosses, les couleurs ajoutées pour mettre en évidence les protubérances. De plus, ce qu’on retrouvait sur le costume devait avoir sa raison d’être au même titre qu’un décor et des accessoires pour une pièce de théâtre. Leur costume était le décor et les accessoires. Par exemple, sur la photo ci- dessous, le long pénis d’un bouffon sert de microphone à un autre qui a une annonce importante à communiquer.

Ces nombreuses réflexions partagées nous ont permis d’approfondir l’importance du costume dans le jeu bouffonesque. Ainsi, les avis se multipliaient au contact des réflexions énoncées. Cette stratégie pédagogique proposée par Vygotski me confirmait encore une fois l’importance de faire appel à la réflexion intellectuelle des participants et de la mettre en commun pour mettre en relief la multiplicité des propositions. De plus, le partage des idées et des expériences m’a permis de constater que cette forme de travail contribuait à maintenir la motivation des participants au projet. La pertinence de leurs commentaires servait à mesurer leurs connaissances accumulées au cours des derniers mois d’exploration. Ils en étaient témoins.

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En conclusion à ce chapitre, nous retenons, premièrement, que le bouffon vient de nous; deuxièmement, qu’il nait de notre façon habituelle de marcher qui sera exagérée et, troisièmement, que le jeune comédien a désormais conscience des bosses intérieures et extérieures de son corps. Quatrièmement, nous avons constaté que la voix du bouffon résonne dans la bosse principale, celle qui, précisément, détermine la particularité de la démarche.

Grâce à des exercices physiques et vocaux, d’improvisation et de rituel, les bouffons en arrivent à préciser leur jeu et à développer l’esprit de la moquerie et du rire. Cet esprit chasse ce qui peut être psychologique dans le jeu bouffonesque. Aussi, lorsqu’il interprète un personnage, le bouffon le survole en y ajoutant le minimum de traits afin que le spectateur puisse le reconnaitre. Ces précisions découvertes au fil des ateliers ont permis aux bouffons de peaufiner leur costume grâce au regard des pairs. L’enseignement du bouffon était presque complété.

Je fais le constat que la ZPD de chaque comédien m’a permis de proposer des exercices ni trop faciles ni trop difficiles afin que chacun puisse avancer dans les apprentissages du jeu bouffonesque tout en m’assurant qu’il ait des réussites qui allaient alimenter sa motivation à la réalisation du projet théâtral. J’ai encouragé les interactions afin de développer la réflexion intellectuelle des comédiens lors de certains exercices, spécifiquement ceux du conte, du film et du costume. Les conclusions des interactions ont été éclairantes quant à la distance que le bouffon doit entretenir avec les personnages, à l’importance des récurrences portées sur le costume qui sert à la fois de décor et d’accessoires. Ces discussions ont permis à chacun d’avoir une vue d’ensemble que je qualifie de sociale vers l’appropriation de connaissances individuelles et bouffonesques. Suite à ces nombreuses notions acquises, les apprentis-comédiens ont atteint une

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autonomie en regard de leur bouffon. Dès lors, nous pouvions passer des apprentissages vers le développement : la mise en scène de la pièce Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) de Marc Doré.

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