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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Quelques problèmes relatifs à la preuve en sciences et dans l'enseignement scientifique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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QUELQUES PROBLÈMES RELATIFS

À

LA PREUVE

EN SCIENCE ET DANS L'ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE

Pierre KAHN LU.F.M. de Versailles

MOTS-CLÉS:MÉTHODE EXPÉRIMENTALE - PARADIGME - PREUVE-RATIONALITÉ SCIENTIFIQUE

RÉSUMÉ: Notre recherche sur l'initiation au sens de la preuve se heurte à des analyses épistémologiques récentes remettant en cause les modèles "classiques" de rationalité scientifique.De telles analyses peuvent-elles féconder la didactique ou l'oblige+elle,a contrario,àassumer le postulat traditionnel de l'unité méthodologique de la science?

SUMMARY:

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1. INTRODUCTION

La question de la preuve en science et dans l'enseignement des sciences est celle sur laquelle notre équipe de recherche travaille. Mais cette question me semble également, par rapport au thème des journées de Chamonix - l'alphabétisation scientifique -, particulièrement pertinente.

Nous nous sommes en effet posés d'abord un problème d'''alphabet'' : une éducation à la preuve, au sens de la preuve, doit-elle (peut-elle?) faire partie du B.A.BA de la formation scientifique des élèves ? Or, ce problème didactique renvoyait à un préalable épistémologique : qu'est-ce qu'une preuve en science, et peut-elle être considérée comme un élément fondamental de la scientificité, une propriété à la fois distinctive et essentielle de toute science, qui permet donc de distinguer entre ce qui est scientifique et ce qui ne l'est pas (religion, idéologie, mythe, etc.) ? En somme, avant même de nous poser, en didacticiens, la question de savoir si l'enseignement de la preuve est élémentaire, il fallait s'interroger sur le caractère épistémologiquement élémentaire, ou constitutif si l'on veut, de la preuve elle-même.

2. UN PROBLÈME ÉPISTÉMOLOGIQUE PRÉALABLE 2.1 Nature du problème

Cette question, on s'en doute, n'est pas sans soulever des difficultés. J'aimerais surtout attirer l'attention sur le problème suivant: on assiste depuis quelques temps à des tentatives plus ou moins radicales de remise en cause de l'idée d'une rationalité scientifique rigoureuse, fondée sur une méthode définissable et transmissible - donc enseignable. En d'autres termes, des réflexions épistémologiques récentes mettent en doute l'existence de procédures caractéristiques de la scientificité, définissant une "logique" de la science: mise en doute qui, on le devine, ne peut manquer d'interroger qui travaille sur la preuve.

Cette épistémologie "hypercritique" a pour mobile essentiel ce qu'on pourrait appeler l'anti· positivisme, c'est-à-dire le combat contre la croyance, jugée illusoire, d'un savoir ou une méthodologie scientifiques "purs", préservés des convictions subjectives, des influences idéologiques, des postulats métaphysiques et aussi des mécanismes institutionnels de la Cité savante (consensus, jeu de pouvoir, mandarinat etc.). Trois auteurs principaux campent sur cette ligne de front : Imre Lakatos, Thomas Kuhn et Paul Feyerabend ; ils s'attaquent non seulement au positivisme classique, mais aussi à ce qui s'en présentait pourtant déjà comme une critique, jugée par eux insuffisante: les travaux de Karl Popper.

2.2 Thomas Kuhn

Je laisserai de côté ici Lakatos et son concept central de "programme de recherche". Cet auteur reste en effet finalement attaché à l'idée traditionnelle d'une rationalité scientifique universelle: les programmes de recherche constituent pour lui une méthodologie, valable pour toute science et pour

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sur un autre (cohérence du programme, aptitude à découvrir de nouveaux phénomènes etc.). Avec Kuhn, en revanche, notre réflexion sur la preuve se heurte à un problème. Le concept qui nous intéresse ici est celui de paradigme. Pour Kuhn, la "science nonmale" repose sur des "paradigmes", c'est-à-dire des modèles idéaux de l'ordre naturel et de la bonne façon de connaître le monde, modèles autrement dit à la fois ontologiques et méthodologiques, qui résultent d'une généralisation à partir de réussites initiales (par exemple, en biologie, le modèle mécaniste de l'animal machine, au XVIIe siècle, généralisé à partir des travaux de Harvey sur la circulation sanguine et des succès de l'interprétation mécaniste en physique). Kuhn insiste sur deux points: 1

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la tendance propre à la "science nonmale", contrairement à ce qu'en disait Popper, est de ne pas remettre en cause ces paradigmes, mais au contraire de les consolider; ils ne sont soumis à l'examen critique que lorsqu'ils se révèlent invivables, impraticables: s'ouvre alors une ère de "révolution scientifique", conçue comme la période de transition au cours de laquelle on va substituer au paradigme ancien un paradigme nouveau. 2° Un paradigme intègre non seulement des résultats avérés, mais des croyances méthodologiques et des postulats ontologiques ou idéologiques communs à l'institution scientifique, et reproduit par l'enseignement qu'elle dispense. Bref, l'accord des esprits qui caractérise la communauté scientifique ne résulte pas de la reconnaissance rationnelle de l'autorité objective des preuves, mais elle relève d'un consensus.

Si l'on accepte ces analyses, Popper a tort de parler d'une "logique de la découverte scientifique" (c'est le titre de l'ouvrage majeur qu'il fait paraître en 1934) : la science n'est pas cette attitude critique et intellectuellement exemplaire qui consiste à faire l'épreuve des théories (en langage poppérien : à les falsifier). D'autre part, les paradigmes sont entre eux incommensurables, ce qui revient à dire qu'il n'y a ni méthode ni altitude scientifique à la fois commune (quelles que soient les sciences) et transhistoriques (quelles que soient les époques). Un tel relativisme, un tel historicisme, constituent évidemment pour notre propos une lourde hypothèque.

Une éducation au sens de la preuve conçue comme compétence scientifique élémentaire n'apparaît-elle pas en effet, dans cette perspective, comme une triple illusion? D'une part, l'enseignement des sciences ne peut de fait consister qu'en une confonnation intellectuelle aux paradigmes en vigueur (conformation elle-même nécessaire au maintien du consensus de la Cité savante), c'est-à-dire en la transmission de croyances autorisées (autorisées par l'institution transmettante). D'autre part, la vérification d'une hypothèse théorique ne peut plus être considérée comme un acte intellectuellement simple et suffisamment indépendant des savoirs antérieurs pour être un objectif d'enseignement adapté à de jeunes élèves. Car une telle vérification met en jeu le réseau complexe des présupposés constitutifs d'un paradigme, c'est-à-dire tout un corpus théorique de connaissances acquises ou admises et de conventions acceptées. Troisième et radicale illusion: ce n'aurait tout bonnement aucun sens de vouloir éduqueràdes compétences méthodologiques générales, favoriser l"'attitude scientifique", parce que cela supposerait que l'on puisse parler, au singulier et anhistoriquement, d'une attitude scientifique, ce qui relève, aux yeux de Kuhn, d'un préjugé rationaliste non confonne à la façon réelle dont fonctionne la science nonmale.

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Peut-être se trouve-t-on là devant une des raisons majeures qui font que la didactique des sciences arrête en général ses références épistémologiques à Popper: peut-elle trouver dans les épistémologies post-popperiennes un modèle de rationalité scientifique, quel qu'il soit, dont elle puisse s'inspirer?

2.3 Paul Feyerabend

Feyerabend va plus loin encore et achève de nous rendre perplexes. Il prône en effet ce qu'il apelle l"'anarchisme épistémologique" dont le mot d'ordre est "tout est bon"("anything goes") : tout est bon au progrès de la science et l'examen attentif de l'histoire de sciences doit nous instruire que loin d'obéir à une "méthode", à des procédures garantes de ses résultats, la science a toujours agi, dans ses épisodes décisifs (Galilée, Darwin...), en violant les normes méthodologiques établies.

Feyerabend s'en prend à ce qu'il appelle la "ratiomanie" (les titres de ses ouvrages parlent d'eux-mêmes:Contre la méthode, 1975, Adieu la raison, 1987), accusation dirigée contre Popper mais qui est dans son principe d'une extension beaucoup plus large: l'anarchisme épistémologique va aussi loin que possible dans la contestation d'une méthode typiquement scientifique, d'une rationalité scientifique spécifique, d'une démarche scientifique identifiable. Il en résulte que rien ne peut distinguer clairement la science de la non science (et particulièrement, dit Feyerabend, du mythe), ni de considérer la science, sous le faux prétexte qu'elle ferait l'effort de contrôler ses assertions, comme une forme de connaissance privilégiée. La science n'est qu'une forme de connaissance comme une autre, avec ses avantages mais aussi ses inconvénients, et qu'il faut "mettre à sa place" (Contre la méthode, p.242)

3. CONCLUSION

Sommes-nous donc, dans notre projet d'initier les enfantsàune démarche scientifique élémentaire, des "ratiomaniaques", à la fois victimes et propagateurs du mythe "positiviste" de "la" méthode scientifique, de "la" science, modèle de connaissance objective? En réalité il ne s'agit pas pour nous de s'engager dans une interminable entreprise de réfutation de ces épistémologies hypercritiques.Le pourrions-nous seulement? L'intérêt de nous confronteràde telles épistémologies est autre : il oblige, je crois, toute didactique des sciences à expliciter ses présupposés, et à une mise auclair sur un problème sans doute crucial: existe-t-il, à l'instar de ce que pourrait proposer Kuhn, des modèles de rationalité renouvelés et pluriels qui fécondent une réflexion didactique sur l'apprentissage des démarches de preuve par les enfants? Ou bien nous faut-il assumer le postulat, aujourd'hui controversé, d'une unité méthodologique de la science, et continuer d'affIrmer que c'est dans cette unité que la science, grâce aux règles de confirmation qu'elle met en jeu, offre le modèle d'une conaissanceàla fois sans pareille (distincte) et pourtant suffisament exemplaire pour être un objet d'éducation intellectuelle?

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BIBLIOGRAPHIE

CHALMERS A., Qu'est-ce que la science?, La découverte, 1987. FEYERABEND P.,Contre la méthode, Seuil, 1979.

KUHN T.,Lastructure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983.

LAKATOS J., Falsification and Methodology of scientific research programmmes, Cambridge, 1973.

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