par
M; LETOURNEAU
. ·. . . .
~~Les avancées scientifiques ont rythmé les transformations de la culture contemporaine. L'histoire des sciences permet d'appréhender l'évolution des savoirs, mais aussi celle des représentations et des idées. Présente ·
dans la plupart des programmes scolairés, eUe met en relation les champs disciplinaires.
Mémento pour les professeurs, cet ouvrage est un précieux outil d'analyse destiné à introduire cette pers-. pective dans l'enseign~tment
R rappelle les objets et les mlthodes
tk
l'historien de~ sciences, présente les conceptions et les visions du monde qui ont accompagné les révoluitins scientifiques •. R évoque les principaux aspects de la questionaù
long de tableaux et de biblioifr.aphies commentées, sans éludèr s.es dimenSions politiqués et s.ociales ". ·Sit~é
en quake de couvertUre, ce texte défini parfaitement lé contenu de ceJivrC
de 155 pages, trèsde~se
et constellé de très nombreuses référenCe~ bibliographiques. . ·Aux éditions Hachette Education et, C ND P, "L'histoire des sciences" par Jean Rosmorduc- 19~6-Ci-dessous un extrait du chapitre
m.
CIIAPRREIII
Sciences
et
technologies
Deux opinions antagonistes se sont affrontées à propos de 1 'origine des sciences :pour les uns ( 1 'histo-rien Roland Moumier par exemple) c'est la curiosité qui a fait naître l'aventure scientifique; pour les autres (Jvfarx et ses disciples entre autres), la spurce princi-pale de cette quête humaine réside dans les nécessités
de la vie économique. Nous sommes plutôt favorable à cette dernière opinion, tout en rejetant le matérialisme mécaniste réducteur de certains épigones. Si la néces-sité sociale s'impose, le caractère de l'individu, sa mentalité ... jouent également un rôle dans la pulsion de connaître.
L'homme, par son activité de production, inter-vient sur son environnement (matériel et social) afin de satisfaire ses besoin$; Au départ, ceux-ci sont surtout vitaux : nourriture, protection contre le froid, abri. L'être humain vit en groupe, en société. Une fois dé-passé le stade où seuls des besoins élémentaires sont à
combler, les individus rechetchent d'autres satisfac-tions. Celles-Ci sont dès lors à comptabiliser parmi leurs besoins. Lçz possession d'une automobile ou d'un poste de télévission n'est pas indispensable à la vie d'un Français de la fln du XXe siècle. Ce n'en est pas
? .
moins un besoin, fpcial cette fois. Le rapport entre le savoir screntiflque
et
la production ne constitue pas un donné intangible. Comme la science elle même ce rap-port a une histoire. Sa connaissance est indispensableà 1 'appréhension de son évolution. ·
Techniques
ettechnologies
L'ensemble desmoyens par lesquels l'homme intervient sur son environnement constitue les tech-niques. À 1 'origine une technique était un geste, un pro-cédé, qui visait à transformer à utiliser la matière. Dans une acception plus générale c'est la totalité des pra-tiques relatives à un métier-à un art, disait-on jusqu'au
XIXe siècle. ·
L'usage du terme technologie ne s'est répandu qu'au siècle dernier. André-Marie Ampère la définit comine « la science relative aux procédés par lesquels nous transformons les corps pour les approprier à nos besoins ou à nos jouissances ».
n
assimile en quelque sorte la technique à un empirisme, la technologie com-prenant en plus sa théorisation. Le sens s'est modifié depuis Ampère. En parlant par exemple de technologie. nouvelle à .Propos de l'informatique, on englobe les techniques nrlses en oeuvre (fabrication des micropro-cesseurs, architecture des machines ... ), les loisphy-siques et les princiPeS qUi· sont à la base du fonètionne-ment et des utilisations des appareils (logiciels y com-pris). Une technologie est donc aujourd'hui à la fois la relation d'une pratique qui vise à transfornier te inon~ matériel et/ou la société et la justification scientifique de cette pratique.
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Quel qu'ait été le mode d'élaboration d'une technique (ou d'une technologie), c'est par son inter-médiaire que 1 'individu agit
sur
1 'objet le matériau ... La science n'intervient pas en dernier ressort, qu'elle soit - ou non - à l'origine delà
technique utilisée. Celle-ci est le vecteur dei •
action.Marx écrit à propos de l'évolution du mode de
production que,
«
le développement duLe siècle de la machine
Dès le ëours
du
XVITie siècle en Grande Bretagne, ·principalement au XIXe siècle dans les autres pays, s'installe le système capitaliste classique (qualifié par-fois de « libéral » ou de « sauvage » ). Les usines crois-sent et se multiplh~nt ; elles se mécanisent, cotnmencent quelquefois à s'automatiser (celles du textile par · capital fuœ montre ( ... ) que le savoir .social est devenu une force productive directe». Le capital fixe comprend
es-sentiellement les bâtiments et les :QJ.a-chines. Son augmentation traduit
sur-tout la mécanisation
accrue
de la pro .. duction, aujoUrd'hui son informatisationet son automatisation. Le corollaire en
ëst la diminution du travail vivant, c'est-à-dire de la main;.d,'oeuvre hu-maine. Le savoir social intègre les
connaissances. scientiflques (dont la
part augmente) mais aussi le savoir technique qui demeure le fer de lance de l'actiVité de production. Les transfor-mations du procès de la production sont,
·L
'h
isto·i·rli. ·.·. ·
des··sc:ienCes
par conséquent, déterminées· par cellesdes techniques. Une composante déci-. sive de ces changements est la relation
biunivoque entre les sciences et les
tech-niques. ·
L' étu:de de la forme du rapport sciences .. techniques
daits
l'histoire est donc cruciale pour notre propos. Toute spéculation scientifique repose sur une pratique : gestes de la vie courante, ob-servations diverses, analogies . avec le connu. Formulé différemment, on re-inarque, de manière générale, que laré-flexion scientifique - si abstraite soit-elle en fin de compte ·dérive d'une pra-tique sociale.
n
s'agit là aussi, d'un pro-cesSus d'interaction, qui ne se réSum.e que rarement à une relation causaleévi-dente. Sciences et techniques sont deux
Jeon
RosmorJuc
- CiiiTIIE NAfi"IIAL. DE IIOCIIMEllmlDII
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aspects, dialectiquement liés, d'une LuJ1I/IIIIi/lmœmmmmlllllmmmJIIIDilillllm!l!lllllllllllDOIIllllliJJI!IlliiJJil!lliDllllJJillllllmDil!lllJ!JI!IIIIIllilliiL'illllllmmmimammll!llllllll!à!Bllmilll
même fonction de cet animal social
qu'est l'être humain. Plus que l'évolution des tech-niques par elle•même, c'est l'histoire de leur relation
qui nous préoccupe ici, en rapport avec les structures des sociétés qui en ont constitué bien plus qu'un simple décor.
Les grandes étapes de la relation
science-technique
[
...
]eXemple). Les transports se modernisent La machine à vapeur est sans do\lte l'objet technique qui symbolise le mieux le siècle. Le charbon supplante pour l'essentiel les autres énergies primaires: La vapeur actionne lès locomotives, les bateaux, les usines.
A
la fin du XIXe siècle, et plus encore pendant la première moitié du X:Xe. siècle, le .pétrole jusque~là utilisé surtout pour l'éclairage prend de plus en plus d'importance : d'abord dans le trafic routier puis dans la plupart des autres secteurs de l'activité économique et sociale. Versaptepinfo N°78 Décembre 1998 '
·1950- 1960, il domine largement le charbon. L'électri-cité, longtemps restée du domaine du laboratoire, pé~ nètre en force dans l'industrie après l'invention de l'al-. tetnateur (1883) et du tranSformateur (1884).
A
notercependant que l'électricité ést. un vecteur énergétique, :non une énèrgie primaire (il faut la fabriquer à partir du charbon, du. pétrole, de la force de l'eau. .. ).
Des cadres. ·techniques ayant une formation scientifique· solide sont maintenant indispensables à · l'industrie. D'où le·développement programmé de la cuiture scientifique et technique des ingénieùrs, soit
dans
etes
écoles spécifiques (France),' soit dans desuni-versités (Allenlagn.e). Quelques rares branches indus-trielles font déjà appel à la recherche. Les chimistes ont été sollicités dès la fin du. XVIIIe siècle par les entrepre-neurs
cm
textile, puis par ceux de la métàllutgie et par . tes· iniljtaires. L'agriculture et l'agro-ali:tnentaire em.: bryonnaire font de même (nota:rinnent lestravaux
de Pasteur pour les brasseurs du :nord de la France). LanaissanCe de l'électrotechnique, celle des télécommuili-catioils ~ectromagnétiques .sont dues dans un premier temps à l'initiative des physiciens.
On assiste donè à une profonde transformation · du rapport sciences/technologies. La plupart des objets techniques symboliques de la première révolution in-dustrielle sont encore dus à des ingénieurs, des cadres techniques ·moyens, voire des bricoleurs autodida~es. Les chercheurs eux-mêmes sont rarement actifs à ce stade des processus. ·Cela commence néannioins à se produire de temps en temps. Par ailleurs, l'exemple des progrès en électricité montre bien que, dans nombre de cas, si les produ.its finaux et donc les innovations sont dus à des techniciens, ce sont des scientifiques qui ont effectué les découvertes originelles. Le rôle de la re-cherche en tant que facteur social de l'essor de la pro-duction tend donc à émerger.
La« tecbnoscience » du :XXe siècle
Une :ruptute véritable marque notre époque. Se-lon les domaines, elle intervient plus ou moins tôt Les
phases cruciales de ce. ~int de vue sont les deux guerres mondiales. En voici les caractéristiques princi-pales:
Inversion de la.relation s.ciences-techniques
La plupart des innovations techiùques découlent (à plus ou moins long terme) de. résultats de la re-cherche.
n
en est ainsi des vingt produits relatifs au X:Xe siècle qui figurent dans la liste de L'Exp~sion déjà citée, de même que des réalisations relevées dans le Tableau synchronique de Bertrand Gille.En voici quelquès exemples significatifs : les tubes à vides éléments de base de l'électronique de 1904
à 194 7 ; leurs successeurs, les transistors (conSéquences des travaux des.laboratoires Bell sur la physique du so-lide), puis les circuits intégrés et les microprocesseurs
; le laser à rubis(T. Maiman, 1960) qui dérive de
l'hy-pothèse de l'émission induite (Einstein, 1916) en pas-sant par le pompage optique (Kastler et Brossel, 1947-1950) ·; l'ordinateur ; les biotechnologies ; le micro-scope électronique; les instruments actuels de l'image-rie médicale ..•
n
s'agit:-et bien davantage encoreqU'aupara-vant- d'interactions : entre une science et des technolo· gies ; entre plusieurs technologies ; entre plusieurs . sciences quelquefois ; entre l' et1Semble et une demande · sociale. Très peu d'investigations scientifiques de
pointe sont aujourd'hui possibles sanS un apPort tech-nologique notable; à l'inverse la plupart des innova-tions introduites dans la vie .sociale découlént de
tra-. VaUX sciêiltifiques antérieurs:
Un
exemple caractéris· tique du processus : la :résonance magnétiqne nucléaire(RMN). Découverte en 1945 par Bloch et Purcell, elle est essentiellement un objet d'étude des laboratoires de
physique dans les quinze années qui suivent Vers . 1960, des spectromètres RMN sont fabriqués par
l'in-dustrie des instruments scientifiques. La chimie et la biologie s'en emparent pour étudier différentes sub-stances. En 1973, l'imagerie médicale (Lautelbur) s'y intéresse à son tour. En moins de trente ans, le statut du phénomène est donc passé de celui d'objet de la phy-sique à celui de principe de fonctionnement d'équipe-ments sophistiqués qui servent aussi bien aux progrès des sciences qu'à des usages dans l'industrie et dans la pOlitique de santé.
Automatisation (et donc technicisation) accrue de l'appareil de production
Cette évolution est inhérente · au processus, amorcé depuisle Xle siècle, de remplacement d'éner-gies primaires « vivantes » (essentiellement mu8cu-laires) par des énergies primaires d'origine mécanique puis chimiques (moulin à eau, machines à vapeur ... ) et de substitùtion du travail des machines au travail <<,vivant » dans la production. L'industrie textile est mécanisée dès le XVIIIe siècle (navette de John Kay). Le phénomène s'accentue au XIXe Siècle (métiers Jac-quard, machines-outils ... ). Ce que l'on a appelé·« la rationalisation » des fabrications au début du XXe siècle (Taylor, Ford ... ) représente l'étape suivante de ce changement De nos jours, avec l'utilisation des ordina-teurs, l'automatisation a, depuis une trentaine d'années acquis une dimension qualitativement et quantitative-ment très supérieure.
Les acteurs. des premiers temps de la mécanisa-tion sont des techniciens : Villard de Honnecourt (XIIIe siècle) ; Léonard de Vinci et ses confrères, Agricola
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(XVe-XVIe· siècle). Au cours des « Temps modernes »
si les « hommes de 1' art
»
restent très majoritaires, quelques scientifiques sont· également concernés Schi-ckard, Torricelli, Pascal, Leibniz ... sont des savants;Denis Papin, Newcomen, Watt, Vaucanson ... et plus . tard Jacquard, Babbàge, Hollerlth ... sont des
techni-ciens, des praticiens. Aujourd'hui, si la collaboration s'intensifie entre ces deux catégories, c'est pour effec-tuer un travail qUi est « scientificisé >> de part ~ part. Outil primordial de l'automatisation, l'ordinateUr est un prodUit scientifique. C'est un résultat d'une technos-cience qu'il féconde largement enr~tour.
. .
. Transferts technologiques et « mondialisation »
des technosciencés
Chiné. La· modernité réside principalement dans la di-. mension contemporaine de ces transferts, dans leur ra-pidité, dans leur sens pratiquement constant (des pays industrlelleinent développés vers ceux du Tiers Monde) et dans la fonne prise depuis quelques années. La plu-part du temps il ne s'agit plus d'échanges de (bons) procédés mais de constructions d'usines et d'équipe-ments entiers sous la houlette d'entreprises occidentale& et/ou multinationales. Ce ne sont plus, conuite eç le
fut
par le passé, des fécondations réciproques de civilisa- . tions diverses mais l'instauration, dans le cadre du sys-tème capitaliste mondial de «.rapports c:1e pouvoir et de doinination ». Nous dépassons, ce faisant, l'aspect techno-scientifique (qui n'est ici qu'un instrument) pour atteindre 1a dimension politico-économique duprocessus. DM.L ·
Depuis quelques décennies· et plus particulière-ment depuis l'effondreparticulière-ment de ce que l'on a appelé
pendant près de soixante-dix r - - - : - - - - ' - - - ,
ans le « bloe socialiste », les analystes admettent que ce qu'ils . nomment ·la «.mondialisation» de l'écono-mie est un élément décisif des · changements sociaux en cours.
n
n'est pas dans nos intentions de commenter ce phénomène, . qu'il serait léger ~e traiterné-gligemment même s'il nous parait servir souvent de pré-. texte à des politiques difficile-ment supportables. L'aspect qui nous intéresse ici est relatif aux transferts de technologies et donc . aux échanges tech-niques • mais aussi scienti-fiques - entre · les dif;férents · pays. Notons donc d'abord que le mécanisme n'est pas nou-veau. Si nous disPosons de trop peu d'informations sur ce qui s'est passé durant la préhistoire et même l'Antiquité pour nous prononcer à ce sujet sur ces pé-riodes, des échanges de ce type sont connus depuis très long-temps. TranSferts technolo· giques que la métallurgie du
fer apportée semble-t-il par les Hittites, que les multiples em-prunts (poudre ; bouSsole ; pa-pier imprimerie ; brouette ; horloge mécanique ; moulin à vent ... ) des pays musulmans et de l'Europe à l'Extrême-Orient, principalement à la
Les méthodes d'analyse
Points de vue sur l'histoire des sciences
Les facteurs du progrès de la science Notes
CUAPl'llW ill· Sciences et technologies
Techniques et technologies
Les grandes étapes de la relation science-technique
Les conceptions de l'histoire des techniques
La préhistoire :l'ère de la technique La coupure sciences/techniques
Du XVtt" au XVIII" siècle : la transition
le siècle de la machine
La « technoscience » du xxe siècle
Notes
CHAPfl'RE IV - Sciences et idéologies La pensée magique
La pensée primitive
Une cohabitation conflictuelle
Les sciences et leurs méthodes
l'aristotélisme
La méthode classique des sciences de la nature Le « nouvel esprit scientifique ))
Des transpositions méthodologiques
Sciences ct religions Le Moyen Âge De Copernic à Galilée
Les tliéories de l'évolution biologique
Philosophies et sciences : des influences réciproques
Du mécanisme à la « philosophie naturelle
»-Le .PQSitivisme Notes aptep-info N°78- Décembre 1998