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SYSTÉMATIQUE DES VALEURS DE BIEN (ADVERBE) EN FRANCAIS CONTEMPORAIN

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Université de Franche-Comté. Besançon Faculté des Lettres et Sciences humaines

UFR Sciences du Langage de l'Homme et de la Société

SYSTÉMATIQUE DES VALEURS DE BIEN (ADVERBE)EN

FRANCAIS CONTEMPORAIN

Pierre PÉROZ

Thèse de doctorat de linguistique (arrêté du 23/11/88) Sous la direction de M. Denis PAILLARD

Jury:

M. Jacques BOURQUIN

Professeur à l'Université de Franche-Comté M. Antoine CULIOLI

Professeur à l'Université de Paris VII M. Jean-Jacques FRANCKEL

Maître de conférences à l'Université de Franche-Comté M. Georges KLEIBER

Professeur à l'Université de Strasbourg II M. Denis PAILLARD

Chargé de recherche au C.N.R.S.

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REMERCIEMENTS

Je tiens a remercier Denis Paillard qui a accepté de diriger cette thèse. J'ai apprécié, tout au long d'une recherche qui a eu ses aléas, la grande valeur de ses remarques et le tact amical de ses silences.

Ma reconnaissance va également à Jean-Jacques Franckel. Ses critiques et ses conseils ont joué un rôle essentiel dans la maturation de ce travail.

Je dois aussi beaucoup à César Akuetey. Les nombreuses discussions, parfois passionnées, que j'ai pu avoir avec lui m'ont permis de dépasser bien des obstacles.

Je veux remercier enfin les membres du "groupe du mercredi" et les membres du Centre Lucien Tesnière de l'Université de Besançon. C'est lors des séances de travail de ces deux groupes que nombre des hypothèses qui ont été finalement retenues ont été formulées pour la première fois.

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SOMMAIRE.

INTRODUCTION:Lesvaleursdebien...p: 5 CHAPITREI:L'"appréciatif"...p: 37 CHAPITREII:L'"intensif"...p: 73 CHAPITREIII: Lasuite"bien+dét+nom"...p: 101 CHAPITREIV:Le"confirmatif"...p: 127 CHAPITREV:Le"confirmatif.t"...p: 149 CHAPITREVI:La"prophétie" et la "sollicitation"...p: 178 CHAPITREVII:L'"optatif"etle"concessif"...p: 204 CONCLUSION:Systématiquedesvaleursdebien...p: 232 BIBLIOGRAPHIE...p: 260 TABLEDESMATIERES

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INTRODUCTION

LES VALEURS DE BIEN

Le sens de l'adverbe bien varie selon le contexte dans lequel on le trouve. La constatation est banale, "tout dépend du contexte, n'est-ce pas?". Il n'y a qu'à consulter un dictionnaire, on verra que "La description des valeurs de (fort) bien telle qu'elle apparaît dans le Littré, le TLF, le Robert, Lexis ou le Grand Larousse de la langue française est plus ou moins ordonnée, plus ou moins complète, mais est, pour l'essentiel acceptable".(A. Culioli, 1978, p300) (1).

Mais où est l'essentiel?

Selon que l'on consulte un dictionnaire (critères sé-mantiques) une grammaire (critères grammaticaux) ou certains articles de linguistique (critères syntaxiques) l'"essentiel" varie considérablement.

Doit-on considérer, à la suite d' E. Littré (éd de 1963) (2), que bien peut prendre huit valeurs différentes (sans compter les locutions) ou bien quatre comme le propose P. Robert (éd de 1966) (3)? Faut-il faire une moyenne, n'en retenir que cinq comme l'ont fait les auteurs du Lexis (1975) (4)? Ou faut-il ici

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abandonner tout espoir? On peut le penser après avoir parcouru les treize types d'exemples différents retenus par les auteurs du Dictionnairedel'Académiefrançaise (éd de 1877) (5)!

C'est sans aucun doute l'idée de D. Duprey (1979) (6) qui a consacré une thèse au "problème de bien". A son avis (p45), la question du nombre des valeurs de bien est "une impasse: l'impasse de la liste et de la classification des sens, liste infinie, classification désopilante".

Admettons que la question du nombre des valeurs soit une mauvaise question. Mais par où doit-on commencer? Là, les dictionnaires sont unanimes, bien est d'abord un adverbe de manière qu'on peut gloser par "comme il convient", "d'une manière satisfaisante" (P. Robert, éd de 1966) ou par "de la bonne manière", "à merveille" (E. Littré, éd de 1963) etc... C'est la première valeur de bien. Voilà quelque chose d'établi (elle correspond pour une bonne part à ce que nous nommerons l'"appréciatif"). Qu'en est-il de la seconde?

Las, déjà les avis divergent. S'agit-il de l'adverbe de quantité glosable par "très" ou "beaucoup" (E. Littré) ou de l'emploi adjectival de bien: "Suis-je bien ainsi?", "Il est difficile aux hommes de ne pas outrer ce qui est bien" (P. Robert).

Les grammairiens rejoignent les lexicographes sur le premier point: bien est d'abord un "adverbe de manière" (ainsi M. Grevisse, §833, p876) (7). La plupart distinguent aussi deux

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autres valeurs, l'"intensité" (parfois nommée "quantité") comme dans "Il est bien malade" (R.L. Wagner et J. Pinchon, 1962, §489, p413) (8), et l'"opinion" (que nous nommons "confirmatif") comme dans: "C'est bien lui que j'ai vu hier" (M. Grevisse, §870, p924) (nous verrons des exemples de "confirmatif" au chapitre IV).

Les problèmes commencent quand on aborde d'autres valeurs de bien. Comment doit-on analyser un exemple comme: "Vous entrerez bien cinq minutes?" ("sollicitation") ou encore, en contexte polémique, un exemple comme "Et vous, vous mangez bien des grenouilles!" ("confirmatif.t"). Les grammairiens que nous citons n'en disent pas un mot (nous verrons des exemples de "sollicitation" au chapitre VI et des exemples de "confirmatif.t" au chapitre V; les appellations comme "appréciatif", "intensif" ou "confirmatif.t" seront justifiées au cours de l'étude (9).

On nous dira que pour les grammairiens, comme pour les lexicographes, c'est l'usage qui préside au choix des valeurs retenues, oui mais selon les auteurs, l'usage est bien changeant.

Nous devons peut-être nous tourner vers des analyses dont les critères sont moins sémantiques, en un mot nous tourner vers des études de type syntaxique. Sur bien à proprement parler, il n'en existe pas. On peut cependant consulter des ouvrages qui dans l'optique de l'analyse syntaxique traitent des adverbes en général. Ces ouvrages sont fort nombreux, nous n'en citerons que quelques uns dont les auteurs ont inclus bien dans leur corpus d'étude.

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Nous rappellerons brièvement les conclusions de B. Combettes et R. Tomassone (1978) (10) et celles de J-Ph. Dalbera (1980) (11). En simplifiant, on peut dire que ces auteurs ont le même objectif, ils veulent constituer des classes d'adverbes homogènes sur la base de leurs propriétés syntaxiques.

Voyons d'abord brièvement comment ils traitent de la définition des adverbes. C'est un problème depuis longtemps débattu (12). La plupart des auteurs, dont ceux que nous citons donnent l'invariabilité comme un critère essentiel de définition mais ils s'accordent à dire qu'il s'agit d'une catégorie très hétérogène (13) donc difficile à définir. Dans la mesure où nous ne travaillons que sur un seul adverbe nous pourrions nous contenter de ces remarques. Mais nous ne voulons pas revenir à bien sans en donner une définition qui quoiqu'elle fût ancienne nous a paru plus satisfaisante.

Il s'agit de celle établie par James Harris (1751) (14). De son point de vue, les parties du discours peuvent être ramenées à deux types de mots, ceux qui sont "significatifs par eux-mêmes" et ceux qui sont "significatifs par relation" (p31). Dans la première catégorie il place les noms et les pronoms personnels qu'il nomme tous ensemble "substantifs" (p73) ainsi que les verbes, les adjectifs, les participes et les adverbes qu'il regroupe sous le terme d'"attributifs" (p30). Ces derniers n'existent pas isolément, ils sont joints à un à un autre mot, en particulier à un substantif pour former une phrase correcte. J.

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Harris écrit (p179): "Quand nous disons: Cicéron et Pline furent tous deux éloquents, ou, Stace et Virgile ont tous deux écrit, dans ces exemples les attributifs, éloquents et ont écrit, ont un rapport immédiat aux substantifs Cicéron, Virgile etc... et comme ils expriment des attributs de substances, on les appelle attributifs du premier ordre". Les adverbes eux vont se rapporter à d'autres attributs, "et comme ils expriment des attributs

d'attributs, nous (J. Harris) les appelons attributifs du second

ordre" (15).

Lorsqu'il détermine un syntagme nominal, comme dans "Il n'y a pas que vous, bien des gens ont lu ce livre, vous savez!", bien ne satisfait pas immédiatement à cette définition. Nous étudierons des exemples de la suite "bien + dét + nom" au chapitre III.

Mais revenons à B. Combettes et à R. Tomassone, le titre de leur article est: "L'adverbe comme constituant du groupe de l'adjectif". Les auteurs distinguent quatre sous-classes d'adverbes parfaitement homogènes sur la base de sept propriétés syntaxiques. Voici ces quatre sous-classes telles qu'elles apparaissent dans le tableau final, résumé de leurs observations (p67):

1- aussisitouttrès (il n'y a pas d'autres adverbes dans cette classe)

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3- diaboliquementpaternellementrigoureusementatrocement.. 4- linguistiquementsexuellementphysiquement...

Selon eux (p60) les "adverbes de manière" vérifient généralement la propriété dite de "détachement de l'adjectif avec pronominalisation"; en effet on peut dire:

"Amoureux, il l'est ardemment. Cruel, il l'est atrocement. etc.."

Ils en distinguent les quatre adverbes de type 1 qui ne la vérifient pas, en effet il paraît beaucoup plus difficile de dire:

"* Rapide, il l'est très. * Rapide, il l'est si. * Etonné, il l'est tant."

Ils ajoutent en note (p60, n9): "On peut se demander si l'adverbe bien n'appartient pas aussi à cette catégorie (le type 1); les phrases obtenues dans cette transformation sont en effet plus ou moins acceptables":

"-Il est bien tranquille ---> ? Tranquille, il l'est bien. -Il est bien attentif ---> ? Attentif, il l'est bien. -Il est bien gentil ---> ? Gentil, il l'est bien."

L'hésitation des auteurs tient sans doute à la possibilité de considérer ces phrases comme acceptables si bien prend une valeur de "confirmation":

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Tranquille, il l'est bien, mais un peu trop si tu veux mon avis!

Attentif, il l'est bien, aujourd'hui, mais est- ce que ça va durer?

Malheureusement les auteurs ne nous donnent pas les moyens de trancher car ils ont omis d'insérer bien dans le tableau final qui regroupe pourtant 27 adverbes. Si malgré tout on l'y inscrivait, il faudrait, eu égard aux propriétés syntaxiques retenues, le faire entrer dans deux sous-classes du tableau qui perdraient alors leur caractère homogène. Bien appartiendrait au "type 1" avec très ainsi qu'au "type 2" avec assez, bigrement, follement, ou trop. Mais comme nous le disions plus haut B. Combettes et R. Tomassone ne font pas état de cette possibilité qui découle pourtant des exemples qu'ils donnent eux-mêmes aux pages 56, 60 et 63.

J-Ph Dalbera intitule son article: "Esquisse d'une classification syntaxique des adverbes français". Les critères choisis par l'auteur sont les différentes possibilités qu'ont les adverbes d'apparaître à telle ou telle place dans une chaîne d'adverbes comme: "Il travaille beaucoup (1°) trop (2°) peu (3°) régulièrement (4°)". L'auteur précise (p43) que d'une part "Dans la classe 4 peuvent figurer un très grand nombre d'adverbes tels que volontiers, assidûment, longtemps, souvent, vite, correctement, etc... et d'autre part que "Les classes 1, 2 et 3 semblent devoir se limiter aux éléments figurant dans son exemple ou à leur absence".

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Nous ne discuterons pas l'argumentation de l'auteur. Par contre nous constatons qu'il conclut à l'existence de "deux bien" qu'il propose de noter (p47) "bien 1" et "bien 2". Pour cela, il s'appuie sur les constatations suivantes: "Il existe un adverbe bien qui signifie "de belle ou de bonne manière" qui appartient d'après son comportement distributionnel à la classe 4:

il chante bien

il chante très bien

il chante beaucoup trop bien etc...

Il existe également un adverbe bien "intensif" qui se comporte comme les adverbes en "-ment" (qui peuvent prendre une valeur intensive):

il chante bien mal

il chante bien trop mal il chante bien peu.

J-Ph Dalbera (p46) part du postulat que les adverbes ont "un sens spécifique" qu'ils perdent lorsqu'ils prennent une valeur intensive; si bien peut prendre deux valeurs différentes dans la même position syntaxique on peut postuler l'existence de deux bien. On sait que cela revient à expliquer l'ambiguïté du marqueur par une cause d'origine diachronique. J-Ph Dalbera ne manque pas de souscrire à cette thèse. Il l'évoque d'abord pour les adverbes en -ment (p46): "Notons que cette série d'adverbes en -ment2 (comprenez "intensifs") est ouverte et que le mécanisme

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de création d'adverbes "intensifs" nouveaux par déplacement dans la chaîne est bien vivant". Puis il la reprend à propos de bien (p47): "A considérer le mécanisme de création d'intensifs par déplacement des adverbes tel qu'il est utilisé dans le français d'aujourd'hui (...)".

Pour notre part, nous ne voyons aucun argument qui justifierait l'idée de la nouveauté des valeurs intensives relativement à d'autres valeurs considérées comme "spécifiques" des marqueurs étudiés. Cette idée laisse à penser qu'il a pu exister un état de la langue sans ambiguïté, sorte d'âge "d'or" où les malentendus étaient imposssibles... tandis qu'à notre époque, ainsi que l'écrit J-Ph. Dalbéra (p47): "il semble que l'ambiguïté soit devenue la règle (...)"...

L'argument strictement étymologique nous paraît (lui aussi) très fragile, surtout pour bien dont l'origine n'est pas douteuse (16) (adverbe bene en latin).

Nous soutenons une autre thèse qui est celle de l'unicité du marqueur. Nous essaierons d'en (re)démontrer la pertinence comme cela été fait pour si par S. de Vogüé (1987) (17). Nous faisons nôtre la règle méthodologique qu'elle énonce au début de son article (p110): "la thèse de l'homonymie ne doit pas être une solution pour laquelle on opte; c'est une solution à laquelle on se résout lorsque les autres tentatives ont échoué".

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évidence l'existence de deux valeurs déjà identifiées par les grammairiens, bien: "adverbe de manière" et bien: "adverbe de quantité". Il y a une régularité, une permanence des résultats que nous ne saurions négliger. A cet égard précisons que les valeurs d'"appréciatif" et d'"intensif" feront l'objet des deux premiers chapitres.

Mais quel serait le statut des autres valeurs? Il ne faut pas s'attendre à trouver de réponse à cette question dans les études syntaxiques citées car il faut bien le dire, leurs résultats sont moins intéressants que ce que pouvaient offrir les dictionnaires ou les grammaires. On peut s'interroger sur cette relative pauvreté. Le projet classificatoire qui est le fondement même de ces études en est la véritable cause. La comparaison entre plusieurs marqueurs, assez nombreux le plus souvent, entraîne une réduction du nombre de contextes étudiés d'où une déperdition en termes de valeurs pour des marqueurs comme bien.

L'approche syntaxique n'est pas satisfaisante. Non pas, en soi, (pour notre part nous y reviendrons pour chacune des valeurs que nous étudions) mais telle qu'elle est pratiquée: dans une optique classificatoire, en refoulant vers une étape ultérieure (18) la prise en compte des variations sémantiques dont le marqueur est le lieu.

Cette manière de procéder présuppose qu'il n'y ait pas d'interaction entre les différents plans sur lesquels se

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construit une relation (notionnel, syntaxique, énonciatif). On voit l'intérêt de ce postulat, il permet de constituer les valeurs sémantiques des marqueurs comme une sorte de "contrôle" (a posteriori) de ce qui aura été fondé sur le plan syntaxique. Mais faute de les avoir considérées le moment venu (lors de l'analyse des exemples) les auteurs sont amenés en fin de parcours à les réduire à une seule, sorte de valeur de base dont la primauté (hors-contexte) ne peut qu'être suspecte. Nous ne reviendrons pas sur les conséquences de cette option mais cela nous amène à redire (19) "que toute relation est a priori une relation complexe". Voyons cela sur deux exemples:

1- Si on néglige la prise en compte du plan notionnel, il sera difficile d'expliquer pourquoi "Il est bien orthographié" donnera normalement lieu à un "appréciatif" tandis que "Elle est bien cabossée" sera tendanciellement interprété comme un "intensif".

2- Si on ne tient compte que de la syntaxe on gommera la différence entre deux valeurs que l'on peut distinguer en tenant compte de la relation à l'énonciateur dans un exemple comme: "Il est bien raccourci ce pantalon". On obtiendra un "intensif" dans un contexte de surprise et un "appréciatif" dans un contexte de comparaison (ne parlons pas du "confirmatif" qui est aussi possible, dans un autre contexte).

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Culioli (1978) passe en revue la plupart des valeurs de bien car le meilleur argument de sa thèse est la diversité des valeurs prises en compte. Le postulat est qu'à une unité morphologique donnée correspond une seule (poly)opération linguistique. L'auteur résume ainsi son programme (p300): "Est-il possible de ramener les valeurs de bien à une opération fondamentale dont bien serait le marqueur?".

Il commence par une valeur généralement négligée par les ouvrages cités précédemment, il s'agit de la valeur prise par bien dans "On achève bien les chevaux!". Il montre, à partir de cet exemple, qu'on peut décrire bien (p303) comme la trace de "(1) la construction d'une classe d'occurrences équivalentes à partir d'une occurrence e1, (2) le parcours sur la classe et (3), au terme du parcours, la sélection d'une seconde occurrence e2, qui est posée comme appartenant au voisinage de e1." Ajoutons que le terme "voisinage" peut être interprété comme une identification. Les termes employés ont évidemment un statut théorique précis, nous y reviendrons. Le plus important est sans doute celui de "parcours" qu'on définira intuitivement (mais cela est suffisant ici) comme une hésitation entre plusieurs valeurs.

A. Culioli va montrer qu'on retrouve cette (poly)opération ("parcours" et "sélection") dans d'autres valeurs, celles que peut prendre bien dans des exemples sur lesquels nous reviendrons tout au long de notre étude:

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(p306) Il a bien expédié une lettre. ("confirmatif": chapitre IV)

(p309) Il postera bien la lettre (un jour ou l'autre). ("prophétie": chapitre VI)

(p309) Vous prendrez bien un petit quelque chose. ("sollicitation": chapitre VI)

(p312) Je boirais bien un verre de bière, moi. ("optatif": chapitre VII)

NB: la pagination est celle de l'article d'A. Culioli.

Au contraire des auteurs que nous venons de citer, A. Culioli (1978) passe en revue la plupart des valeurs de bien car le meilleur argument de sa thèse est la diversité des valeurs prises en compte. Le postulat est qu'à une unité morphologique donnée correspond une seule (poly)opération linguistique. L'auteur résume ainsi son programme (p300): "Est-il possible de ramener les valeurs de bien à une opération fondamentale dont bien serait le marqueur?".

Il commence par une valeur généralement négligée par les ouvrages cités précédemment, il s'agit de la valeur prise par bien dans "On achève bien les chevaux!". Il montre, à partir de cet exemple, qu'on peut décrire bien (p303) comme la trace de "(1) la construction d'une classe d'occurrences équivalentes à partir d'une occurrence e1, (2) le parcours sur la classe et (3), au terme du parcours, la sélection d'une seconde occurrence e2, qui est posée comme appartenant au voisinage de e1." Ajoutons que le terme "voisinage" peut être interprété comme une identification. Les termes employés ont évidemment un statut

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théorique précis, nous y reviendrons. Le plus important est sans doute celui de "parcours" qu'on définira intuitivement (mais cela est suffisant ici) comme une hésitation entre plusieurs valeurs.

A. Culioli va montrer qu'on retrouve cette (poly)opération ("parcours" et "sélection") dans d'autres valeurs, celles que peut prendre bien dans des exemples sur lesquels nous reviendrons tout au long de notre étude:

(p306) Il a bien expédié une lettre. ("confirmatif": chapitre IV)

(p309) Il postera bien la lettre (un jour ou l'autre). ("prophétie": chapitre VI)

(p309) Vous prendrez bien un petit quelque chose. ("sollicitation": chapitre VI)

(p312) Je boirais bien un verre de bière, moi. ("optatif": chapitre VII)

NB: la pagination est celle de l'article d'A. Culioli.

Puis il vérifie que bien peut toujours être décrit de la même manière lorsqu'il est combiné avec les modaux, "savoir" et "pouvoir".

Sans nul doute, A. Culioli atteint son objectif et chacun des exemples qu'il analyse posait des problèmes qu'il dénoue au passage (en particulier les définitions du conditionnel et du futur); sans doute est-il largement préférable de se référer à une seule opération pour chacune des valeurs de bien plutôt que

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de postuler l'existence de deux (ou trois, quatre etc) bien comme le fait J-Ph Dalbera (1980); mais pourquoi s'arrête-t-on à ces valeurs-là? Ne doit-on pas craindre de trouver un exemple qui remette en cause ce qui a été établi?

Cette question a été posée, de manière moins naïve, en 1987 par S. de Vogüé (à propos de si); voici comment (p112): "(...) il ne suffit pas de montrer (...) que les valeurs observées obéissent au même schéma général de construction (la même opération). (...) Pour que l'on soit en droit de parler d'unicité, il faudrait que l'on puisse ramener non seulement la variabilité de si (pour nous de bien) à un principe général, mais aussi la distribution exacte des valeurs attestées. Cela suppose que cette distribution obéisse elle aussi à un système, et en particulier qu'elle puisse être conçue comme saturée par rapport à ce système". La question du nombre ou de la diversité des valeurs de bien mérite d'être posée. Si pour l'essentiel nous ne revenons pas sur ce qui a été établi en 1978, l'affaire cependant suppose un complément d'enquête. C'est l'étude que nous voulons engager. La voie à suivre est clairement tracée par S. de Vogüé: La "première condition est par conséquent que chaque valeur puisse être opposée aux autres (...)" et que pour chacune d'entre elles on distingue ce qui appartient au marqueur et ce qui relève du contexte.

Une telle recherche suppose une théorie qui nous fournisse les outils d'investigation nécessaires. Nous voulons parler des

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concepts définis par A. Culioli et les linguistes qui souscrivent à sa démarche.

Il n'est pas possible d'exposer ici l'ensemble de ces concepts. Nous rappellerons seulement ceux auxquels nous aurons le plus fréquemment recours, ceux de "situation d'énonciation", de "domaine notionnel", d'"occurrence", de "classe d'occurrences" et de "repérage".

C'est dans la mesure où l'énoncé comporte les traces de sa mise en relation à une situation d'énonciation qu'il est interprétable. Dans le cas contraire on a affaire à une phrase, un agencement de termes grammaticalement recevable mais ininterprétable à proprement parler: "Un chien aboie" (quel chien?, à quel moment? etc).

La situation d'énonciation doit être clairement distinguée de ce qu'on appelle, dans l'apprentissage des langues étrangères, la "situation de communication" dont on trouvera une description approfondie dans le premier chapitre du Niveau-Seuil (20). Sa définition ne suppose pas moins de dix-neuf critères. On tend vers une adéquation aussi parfaite que possible à la réalité extra-linguistique.

Au contraire la situation d'énonciation est une abstraction. Elle articule deux instances, une instance subjective, l'énonciateur (So) et une instance temporelle, l'instant

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d'énonciation (To). Elle constitue le lieu origine de toutes les déterminations; quantitatives (construction) et qualitatives (spécification) des différents termes de l'énoncé.

La valeur de vérité d'un énoncé dépend de sa prise en charge par So. Si d'un côté "p est vrai pour So" il est possible que "p ne soit pas vrai" pour le coénonciateur So'. So' constitue donc un pôle d'altérité pour p, mais il est possible aussi que So' rejoigne la position de So: "Tu as raison...".

L'idée que la "situation d'énonciation" constitue un repère fondateur s'inscrit dans la ligne des travaux d'E. Benveniste (1974, p82) (21) qu'on nous permettra de rappeler ici: "L'acte individuel d'appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole. C'est là une donnée constitutive de l'énonciation. La présence du locuteur à son énonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre de référence interne".

A partir du sujet énonciateur s'organise la catégorie de la personne (S) (je/tu/il...). A partir de l'instant de l'énonciation s'organise la catégorie du temps (T) (présent, passé...). Le rôle distinctif de ces deux catégories est aisément repérable dans toutes les langues. Nous voulons montrer qu'elles jouent un rôle essentiel dans l'organisation des différentes valeurs de bien. Prenons le commentaire d'A. Culioli (1978, p311) sur deux exemples qu'il donne comme "assez proches" l'un de

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l'autre. On verra que l'opposition S/T permet de les distinguer formellement:

(s): Tu achèteras bien un petit souvenir, non? Juste pour le geste ("sollicitation": même si tu n'y es guère disposé, fais cet effort, ça ne te tuera pas...).

(p): Tu achèteras bien un de ces horribles souvenirs, genre Tour Eiffel! Les marchands sont si forts... ("prophétie": tu auras beau faire, tu finiras bien par...)"

Sans entrer dans les détails (ce qui sera fait au chapitre VI), on peut remarquer que la "sollicitation" (s) renvoie à une validation subjective: A. Culioli écrit: "On presse autrui de prendre même le minimum (...), on le prie de ne pas se faire prier. L'énoncé a une force conative (je cherche à vous faire prendre) (...); d'où le sentiment qu'on a affaire à une invite pressante. Tandis que la "prophétie" (p) renvoie à une validation temporelle indépendante des instances subjectives qui sont en jeu; A. Culioli écrit: "On ne sait rien sur la valeur du paramètre ti dans Siti, repère (visé) de <lui poster la lettre> (pour nous <toi acheter un souvenir>, d'où un jour ou l'autre."

Nous allons revenir sur ces deux instances (S/T) mais auparavant nous voulons évoquer les concepts de "notion" et de "domaine notionnel".

La notion est un système de relations. Les relations s'ordonnent aussi bien à partir de propriétés physiques "animé vs

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non-animé", "cassable vs friable", que de propriétés culturelles "mangeable vs non-mangeable" par exemple. A. Culioli (1981, p65) (22) définit la notion comme: "un système complexe de représentation de propriétés physico-culturelles". Elle est à la fois relativement stable et sans limites. On conçoit qu'on n'ait pas accès directement à la notion et que celle-ci ne puisse pas se réduire à une seule propriété. Parlant par exemple de la lecture, A.Culioli (1981, p68) écrit que cette notion renvoie à un ensemble de termes parmi lesquels "lire; lecture; livre; lecteur; bibliothèque; etc et (il ajoute) c'est dire qu'on ne peut pas ramener les choses à une unité lexicale" (mais c'est ce que nous avons fait! pour les besoins de notre explication). Même si on peut considérer qu'une propriété, comme 'être livre', est en elle-même un faisceau de propriétés, la propriété ne recouvre pas le champ de la notion toujours plus large que celui d'une propriété donnée.

Pour représenter les occurrences d'une propriété P comme 'être livre' on aura recours au concept de "domaine notionnel" introduit par A.Culioli. On définira le domaine comme la zone sur laquelle toute valeur est identifiable à toute autre en tant qu'elle est une valeur de P. A priori toute occurrence de livre vérifie la propriété 'être livre'. Tendanciellement toute valeur sera ramenée au centre du domaine; "centre organisateur" ou "Type" en tant qu'il est l'exemple le plus parfait de la propriété, par exemple ce que j'appelle 'être livre'; "centre attracteur" en tant qu'il représente la propriété à un haut

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degré, à un degré d'excellence, par exemple "Ca, c'est ce que j'appelle un livre!". A. Culioli (1981, p74) écrit: "On voit alors qu'un domaine se définit comme ayant un attracteur, signifiant par là que quelle que soit sa position, toute occurrence y est ramenée, (...).

Une valeur (notée p) pourra être ramenée au centre mais elle pourra aussi s'en écarter, être "autre-que-p" (notée p'). Cette possibilité est envisagée dans une question comme: "C'est un livre ça?". Il s'agit d'une opération qui est d'une nature différente de la propriété "primitive" qui fait que les valeurs de P constituent un ensemble organisé autour d'un centre, un ensemble qui "se tient". Au contraire l'opération qui consiste à envisager "autre-que-p" est une opération de détermination dont on trouvera les traces dans l'énoncé (ne serait-ce que par une négation).

Dans notre étude nous verrons deux types de rapports entre p et son complémentaire p'.

1) p' est le complémentaire de p en étant "plus ou moins p", par exemple: "c'est encore un livre, à la limite on peut le dire". Les valeurs de ce type constituent la "Frontière" du domaine. Les valeurs de p considérées comme étant "vraiment des livres" constituent l'Intérieur du domaine. Dans un exemple comme "Ce devoir est bien orthographié", le locuteur peut conclure cela parce qu'auparavant on a envisagé les deux zones I et F (construites, nous verrons comment au chapitre I) du domaine de

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25 'être orthographié'.

2) On peut aussi métaphoriquement "fermer" la frontière, considérer qu'il n'y a pas de valeurs intermédiaires mais seulement p et ce qui n'est pas p, par exemple: "Il y a un livre sur la table mais là il n'y en a pas". Dans ce cas l'Intérieur du domaine s'oppose directement à l'Extérieur du domaine. Dans un exemple comme "Tu as raison, c'est bien lui!", le locuteur peut conclure cela parce qu'auparavant on a envisagé les deux zones I et E auxquelles correspondent les valeurs p 'être lui' et p' 'ne pas être lui'.

Un domaine notionnel n'est appréhendable qu'à travers les occurrences qui le constituent. Qu'est-ce qu'une occurrence?

Pour répondre à cette question nous nous appuierons sur l'article de D. Paillard (199.) "Indéfinition et altérité" (23). "Occurrence doit être pris dans "son sens premier d'événement". Un exemple comme "Ce devoir est bien écrit" suppose la construction d'une occurrence repérée par rapport au t de mon énonciation et que je pourrais gloser comme "Il y a de l'écrit". Une propriété n'est pas appréhendable directement, il est donc nécessaire de passer par une "forme" construite temporellement (comme on vient de le voir) ou subjectivement comme dans "Avez-vous écrit votre lettre?" L'opérateur Qnt correspond à la construction de cette forme. Le terme de "construction" renvoie à l'idée de l'existence de l'occurrence, indépendamment de ses propriétés singulières. D. Paillard écrit: "la construction d'une

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occurrence est étroitement dépendante de l'ancrage situationnel de la relation prédicative à laquelle elle participe: selon la nature des coordonnées en jeu, on pourra définir plusieurs modes de construction d'une occurrence". Nous serons ainsi amenés à opposer des occurrences construites sur le plan factuel, indépendamment de toute prise en charge subjective, à des occurrences construites comme "validables" sur le plan subjectif, ainsi dans "Vous entrerez bien cinq minutes!". Ces deux modes de construction de l'occurrence trouvent leur origine dans les deux instances (T/S) que nous évoquions plus haut.

La "classe d'occurrences" nous permettra d'envisager les opérations de construction (quantification) des occurrences (Qnt) que nous venons d'évoquer, et les opérations de qualification (Qlt) qu'il était possible de décrire en termes topologiques avec le domaine notionnel. Comment cela?

L'occurrence est le terme à partir duquel on peut ap-préhender, et la classe d'occurrences, et la propriété qui la fonde. Considérons l'exemple: "Ce devoir est bien écrit"; à travers la relation <le devoir / être écrit> nous avons la construction d'une occurrence qui vérifie la propriété P 'être écrit'. Mais dans l'énoncé cette occurrence fait l'objet d'une détermination à travers l'emploi de bien. Cela signifie qu'à un moment donné on ne savait pas quel était le rapport de l'occurrence à la propriété. Il existe un grand nombre de rapports possibles à la propriété P; ils peuvent recevoir une

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définition sémantique dans des syntagmes comme: "écrire vite", "mal écrire", "écrire comme un cochon" etc, etc... Après D. Paillard nous définirons "la classe d'occurrences comme l'ensemble des rapports possibles à la propriété fondatrice de la classe, et une occurrence (donnée) comme un des rapports possibles" (p6). Ainsi lorsque nous notons l'ensemble des valeurs p,p' nous signifions qu'il existe plusieurs rapports possibles et qu'on ne s'est pas arrêté sur l'un d'entre eux. En posant que ce rapport n'est pas un rapport défini on dit aussi que ce rapport doit être calculé. Nous avons le résultat de ce calcul quand nous disons: "Aucun doute, il écrit comme un cochon!" ou bien "Voilà ce que j'appelle un devoir bien écrit!".

On voit immédiatement que certaines occurrences n'ap-partiendront pas à la classe d'occurrences, celle-ci peut être pourvue d'une limite. La singularité peut déboucher sur la négation d'appartenance à la classe, ainsi dans une négation comme "Il n'écrit pas, il dessine!". La détermination (le calcul) de la singularité d'une occurrence passe par sa mise en relation avec les autres occurrences relativement à un troisième terme, la propriété fondatrice de la classe.

Pour décrire cette opération on fera appel à l'opérateur de repérage introduit par A. Culioli, avec deux de ses principales valeurs. L'identification (notée =) à laquelle "on peut rattacher les relations de ressemblance, d'équivalence, d'égalité et d'identité" (A.Culioli et J-P. Desclés, 1981, p72) (24). La

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différenciation (notée par nous # (9) à laquelle "on peut rattacher les valeurs d'inclusion, d'appartenance, de localisation et de partie au tout".

Il faut insister sur le fait que ces relations (= et #) sont orientées. Dans une relation de repérage il y a toujours un terme qui est repère et l'autre qui est repéré. Quand je dis "Ce travail n'est pas bien écrit", on peut dire qu'une relation de différenciation est mise en jeu, mais il est tout aussi important de préciser qu'elle se fait relativement à un repère, quelque chose comme ce à quoi j'aurais pu m'attendreentermesd'écriture.

Les opérations que nous avons décrites en termes de domaines notionnels peuvent dès lors être mieux définies. Antérieurement à toute détermination les occurrences sont identifiables au centre (altérité primitive) c'est le centre qui est le repère de cette opération (=).

Dans le cas de bien, une opération de délimitation distingue (#) deux zones sur le domaine, par exemple I et F et c'est I qui est le repère de la relation. Ce sont ces deux zones qui sont prises en compte dans le cas de l'"appréciatif": "Ce devoir est bien orthographié". La délimitation du domaine de P peut aussi "fermer" la Frontière, on distinguera (#) alors I et E (I restant le repère de la relation. Ces deux zones sont prises en compte dans le cas du "confirmatif": "C'est bien la femme que j'ai vue hier".

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Nous allons maintenant définir nos objectifs. Nous en profiterons pour nous situer par rapport aux travaux de D. Duprey (1979) et par la même occasion nous donnerons quelques uns des principes méthodologiques que nous avons voulu respecter dans notre propre étude.

L'article "Valeurs modales et opérations énonciatives" d'A. Culioli et la thèse de D. Duprey: Quelques remarques polémiques sur "bon" et "bien" montrent à l'évidence qu'on peut associer plusieurs valeurs à bien. Combien y en a-t-il? Une infinité comme l'écrit D. Duprey? Nous ne le pensons pas. Lui-même, n'écrit-il pas (p11): "Et pourtant, si on observe ce qui se passe dans plusieurs langues non apparentées, on s'aperçoit qu'elles se ressemblent dans une large mesure. Dans toutes ces langues, bon et bien ont, à peu de choses près, le même noyau de valeurs: concession, vérité, appréciation, existence, acceptation, possession, actuel, identité, égalité, augmentation, diminution, conformité... etc ...etc... On a là une (deuxième) contradiction: le français est différent des autres langues et il est identique aux autres langues".

Notre objectif est (pour le dire simplement) de supprimer les points de suspension à la suite de la liste des valeurs de bien. C'est en sachant comment se construisent les valeurs en français que nous pourrons interroger les autres langues non plus en termes de signification a priori ("Est-ce que se marque une

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valeur "d'existence" en Akan?") mais en termes de "construction" de valeurs ("Que se passe-t-il si l'on place se en contexte de surprise?"). Il nous semble que c'est le point de passage obligé si l'on veut savoir en quoi "le français est différent" et en quoi "il est identique aux autres langues". La comparaison, sans précautions, de deux marqueurs de deux langues différentes sur la base de leurs significations respectives a de fortes chances de déboucher sur la projection de ce qui revient à une seule langue sur l'autre. D. Duprey (1979), nous semble-t-il, n'échappe pas à cette critique, on trouve ainsi (p11): "A l'unité morphologique bon,bien s'oppose une diversité de valeurs. Parmi celles-ci, on peut signaler les valeurs appréciatives (il travaille bien), les augmentatives (bien des gens sont venus), les diminutives (it's as good as done)..." ou (p28): "En français, anglais, allemand, italien, latin, swahili etc... bien peut signifier possession, propriété", ou encore (p42): "Dans certaines langues bien va signifier 'oui'. C'est le cas en Swahili. En effet vema, racine pour bon,bien peut être employé pour 'oui'" etc... On a compris que pour notre part nous bornerons notre étude au français.

Mais revenons au travail de D. Duprey. L'auteur montre sur un grand nombre d'exemples que "bien est la trace de l'identification d'un particulier à son concept". A peu de choses près nous proposerons le même genre de formulation. Mais le terme "concept" fait problème, il paraît fort bien adapté à des exemples comme: "Ce devoir est bien orthographié" ("orthographié comme ce que j'appelle "'être orthographié'") ou "Cette pièce est

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bien tapissée" ("tapissée comme ce que j'appelle 'être tapissé'"). En revanche l'idée d'un concept comme repère de l'opération d'identification est mal adaptée à des exemples comme "Il est bien ridé, cet homme!" (? "ridé comme ce que j'appelle être ridé") de même qu'avec des exemples de "prophétie" comme "Laisse-le, il y arrivera bien tout seul!". Prenons par exemple l'analyse qu'il fait d'une "confirmation": "C'est bien Paul qui est malade: le frère de Jacques". Son commentaire est le suivant (p276): "Il est légitime d'appeler ce particulier malade Paul (...) parce que le particulier ainsi désigné est identique au concept de Paul, c'est-à-dire x, tel que x est le frère de Jacques. (...) ". Il nous semble que, dans ce cas précis, le terme repère de l'identification ne se définit pas comme étant "Paul, le frère de Jacques" (par sa place dans la famille) mais par le fait qu'il a déjà été mis en relation avec la propriété 'être malade'. On définira difficilement cette première mise en relation <Paul / être malade> comme étant "le concept de Paul".

Le mode de construction du terme repère de l'identification (le "concept" de D. Duprey) est un élément capital de l'analyse. Voyons comment nous l'avons conduite.

Bien sûr nous avons d'abord collecté des exemples et pour cela nous avons emprunté largement à nos prédécesseurs, puis nous avons tenté de les classer, sur la base de différents critères, sémantiques, grammaticaux, syntaxiques et énonciatifs; on retrouvera la trace de ces travaux pour chacune des valeurs que

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nous avons étudiées. Nous avons considéré que l'analyse était cohérente chaque fois que nous avons pu caractériser la valeur par des critères formels (discrets) de telle sorte que nous étions à même d'expliquer comment on pouvait passer de cette valeur à une autre déjà étudiée.

Le problème n'était donc plus celui du nombre (stricto sensu) des valeurs de bien car celui-ci dépend en définitive du nombre de critères utilisés pour caractériser chaque valeur. Notre problème était d'établir la liste des critères fondamentaux à partir desquels s'organisent les différentes valeurs de bien. Ces critères distribuent les valeurs de bien autour de deux axes que nous avons déjà évoqués. Le premier, à tous égards, est l'opposition S/T (nous en avons donné un exemple en distinguant la "sollicitation" de la "prophétie"), le second renvoie au type d'altérité mise en jeu (par exemple I/F pour l'"appréciatif" et I/E pour le "confirmatif"). Bien sûr une vision synthétique complète ne peut être donnée qu'en fin de parcours.

Nous n'avons pas visé à l'exhaustivité au niveau des données (25) et nous ne rendons pas compte de toutes les variations sémantiques possibles du marqueur. Chacun pourra trouver des exemples que nous n'avons pas traités et qui pourront poser problèmes, notre projet n'étant pas de décrire le système des valeurs de bien mais d'établir une systématique des valeurs de ce marqueur.

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NOTES DE L'INTRODUCTION

(1): A. CULIOLI., (1978), "Valeurs modales et opérations énonciatives", in Le Français moderne T46-4, pp 300-317

(2): E. LITTRE., (1873), Dictionnairedelalanguefrançaise, en six volumes, Gallimard/Hachette, éd de 1963, T1.

(3): P. ROBERT., (1966),

Dictionnairealphabétiqueetanalogiquedelalanguefrançaise, en six volumes, S.N.L éd, T1, 1071p.

(4): LEXIS., (sous la direction de J. Dubois), (1975), "dictionnaire de la langue française", Larousse éd, 1950p.

(5): ACADEMIE FRANCAISE., (1844),

Dictionnairedel'Académiefrançaise, 7è éd 1877, Firmin-Didot éd, 2vol, 903p et 967p.

(6): D. DUPREY., (1979),

Quelquesremarquespolémiquessur"bon"et"bien": pédagogieetthéorie, Thèse de 3ème cycle, Université de Besançon, 452p.

(7): M. GREVISSE., (1975), Lebonusage, Duculot (10ème édition), 1322p.

(8): R.L. WAGNER et J. PINCHON., (1962), Grammairedufrançaisclassiqueetmoderne, Hachette éd, 648 p.

(9): Remarques orthographiques et typographiques:

-Nous avons considéré que parmi les noms attribués aux différentes valeurs de bien, l'"appréciatif", l'"intensif", le "confirmatif", l'"optatif", le "concessif" étaient du masculin, tandis que la "sollicitation" et la "prophétie" étaient du féminin. Pour ce qui est des notations, les abréviations p, p' et p,p' sont toujours du masculin sauf quand on précise "la valeur p (ou p').

-"cnqs" est l'abréviation de "c'est nous qui soulignons".

-Les séries d'exemples sont données en simple interligne, afin d'en faciliter la lecture

-Pour noter la différenciation on utilise habituellement le signe égal traversé d'une barre oblique, pour des raisons matérielles liées au matériel d'impression nous utilisons le # avec la même signification.

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constituant du groupe de l'adjectif", in Verbum n°I-2, pp 53-68. (11): J-Ph. DALBERA., (1980), "Esquisse d'une classification syntaxique des adverbes", in TravauxducerclelinguistiquedeNice n°2, Université de Nice, pp 39-60.

(12): S.O. SHIN., (1988),

LacatégorieadverbialedanslesgrammairesdesXVIIèetXVIIIèsiècles, thèse de 3ème cycle, Université de Montpellier III, 395p.

(13): J. TAMINE-GARDES (1986) écrit: "L'adverbe est sur le plan morphologique une catégorie qui n'est pas aisée à définir: 1° c'est une forme invariable, qui ne peut donc pas être carac-térisée par sa flexion; 2° c'est une catégorie hétérogène en ce qui concerne sa formation..." (voir: "Initiation à la syntaxe: l'adverbe" in L'informationgrammaticale n°28, Heck, pp 43-45). On note au passage que le critère de l'invariabilité est aussi "pertinent" pour les prépositions.

(14): J. HARRIS., (1796),

Hermesourecherchesphilo-sophiquessurlagrammaireuniverselle, 1ère éd en anglais en 1751, traduction et remarques par F. Thurot, édition, introduction et notes par A. Joly, 1972, Droz, 469p.

(15): André Joly (1972, p80) fait remarquer que cette description trouve un écho très contemporain dans le concept de "rang" proposé par un linguiste comme Jespersen. Il écrit (p80) dans son introduction à la réédition de l'ouvrage de J. Harris: "Ces trois "rangs" -celui des mots primaires, celui des secondaires également appelés "adjoints" (adjuncts), et celui des tertiaires ou "subjoints" (subjuncts)- coïncident en tous points avec les trois niveaux de Harris: substantifs, attributifs de substantifs, attributifs d'attributifs. Jespersen remarque en effet qu'au premier rang correspondent "habituellement" les substantifs, au second rang les adjectifs, au troisième les adverbes. De plus, le même type de subordination existe dans une phrase verbale comme

the dog barksfuriously (le chien aboie furieusement), où dog est

le mot primaire, barks le secondaire, furiously le tertiaire, si bien qu'au résultat l'adjectif et le verbe, chez Jespersen comme chez Harris, se trouvent appartenir au même rang, entre le substantif (1er rang) et l'adverbe (3è rang).

(16): O. BLOCH et W. VON WARTBURG., (1932), Dictionnaireétymologiquedelalanguefrançaise, PUF éd, septième édition 1986, 682p.

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définit rien de plus qu'un programme, au sens où elle doit être, pour chaque cas particulier, redémontrée" (voir "La conjonction si et la question de l'homonymie", in BULAG n°13, Université de Besançon, pp 105-190).

(18): Voici l'introduction d'un article intitulé "Les adverbes et la modalisation de l'assertion" sous la plume d'A. Borillo (1976): "Lorsqu'on définit une classe grammaticale en termes de propriétés syntaxiques, l'étude systématique de structures simples permet de dégager des familles d'éléments lexicaux sur la base d'un ensemble de propriétés que ces éléments possèdent en commun. Cette classification qui constitue une assise pour la description, prend un réel intérêt lorsque cette homogénéité syntaxique peut être mise en corrélation avec des intuitions concernant des propriétés sémantiques que ces éléments posséderaient également en commun".

On constate que la mise en "corrélation" n'intervient qu'à la fin de l'article (p86) et encore pour des classes d'adverbes constituées, ce qui revient à gommer les spécificités éventuelles de tel ou tel adverbe. voirLanguefrançaise, n°30, pp 74-89.

(19): C. AKUETEY., (1989),

Etudedesénoncéséquatifs,locatifsetpossessifsenEwe (Problèmes du verbe "être"), Thèse nouveau régime, Université de Besançon, 503p.

(20): D. COSTE et alii, (1976), Unniveau-seuil, (Conseil de l'Europe: "Projet langues vivantes"), Hatier éd, 663p.

(21): E. BENVENISTE., (1966 et 1974),

Problèmesdelinguistiquegénérale, T.I et II, Gallimard éd, 356p et 286p.

(22): A. CULIOLI., (1981), "Sur le concept de notion", in BULAG n°8, Université de Besançon, pp 62-79.

(23): D. PAILLARD., (199.), Indéfinition et altérité, in FestschriftfürS.Karolak, Krakow, (à paraître).

(24): A. CULIOLI.et J-P. DESCLES, (1981), Systèmesderepré-sentationslinguistiquesetmétalinguistiques: "Les catégories grammaticales et le problème de la description de langues peu étudiées", Collection ERA 642, Université de Paris VII.

(25): Nous n'avons pas traité les problèmes qui à notre avis n'interféraient pas directement dans cette problématique. Il s'agit en particulier de la combinaison de bien avec les verbes

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modaux ("pouvoir, "savoir", "vouloir", "devoir" ou "falloir"), des suites "bien + adverbe" (bien autrement, bien trop etc...) ou "adverbe + bien" (fort bien, très bien, assez bien, trop bien etc...) et toutes les locutions dans lesquelles bien peut entrer (bel et bien, bien sûr, bien que etc...

Sur "pouvoir + bien" on pourra se reporter à l'article d'A. Culioli (1988): "Autres commentaires sur bien", in HommageàlamémoiredeJeanStéfanini, Publications de l'Université de Provence, pp 169-180 qui traite tout particulièrement de cette question.

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CHAPITRE I

L'"APPRECIATIF"

L'"appréciatif" correspond à des emplois très courants de bien comme: "Elle cuisine bien" ou "C'est bien dessiné, ça!". Dans un premier temps, nous essaierons d'identifier cette valeur (§ 1.1) selon différents critères (sémantiques, grammaticaux et syntaxiques) puis nous en proposerons une caractérisation (§ 1.2) avant d'étudier quelques exemples (§ 1.3).

1.1. Identification de la valeur

1.1.1. Critères sémantiques

Voyons d'abord comment on peut, intuitivement, distinguer l'"appréciatif" des valeurs qui en sont proches. Un énoncé comme "Paul a bien joué cet après-midi" est ambigu. On peut l'interpréter soit comme "Paul a effectivement joué cet après-midi", soit comme "Paul a correctement joué cet après-midi". La première interprétation correspond à la valeur de "confirmation" tandis que la seconde correspond à l'"appréciatif". La portée

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humoristique de l'exemple suivant tient au rapprochement de ces deux valeurs (nous les signalons (c) pour "confirmation" et (a) pour "appréciatif"):

Le Bûcheron s'impatienta à la fin, car elle redit plus de vingt fois qu'ils s'en repentiraient et qu'elle l'avait bien dit (c). Il la menaça de la battre si elle ne se taisait. Ce n'est pas que le Bûcheron ne fût peut-être encore plus fâché que sa femme mais c'est qu'elle lui rompait la tête, et qu'il était de l'humeur de beaucoup d'autres gens, qui aiment fort les femmes qui disent bien (a), mais qui trouvent très importunes celles qui ont toujours bien dit (c). (Contesdemamèrel'Oye, "Le petit poucet", C. Perrault, Gallimard (Collection "Folio junior" n°28), p108.)

L'"appréciatif" ne doit pas être confondu avec une autre valeur, l'"intensif". L'énoncé: "Ce pantalon est bien raccourci" peut recevoir deux interprétations, soit l'"appréciatif" (dans un contexte de comparaison): "Ce pantalon est correctement raccourci", soit l'"intensif" (dans un contexte de surprise): "Ce pantalon est très, voire trop, raccourci".

Ces distinctions n'ont pas échappé aux lexicographes. L'"appréciatif" est la valeur la mieux représentée dans les dictionnaires. P. Robert (éd de 1966, p467) propose les exemples suivants: "Bien pensé, bien jugé. Des personnes bien pensantes. Qui aime bien, châtie bien... Faire bien. Bien agir. Agir, se conduire bien. Bien faire et laisser dire." avec comme définition: "Comme il convient, comme il faut, d'une manière satisfaisante ou parfaite".

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Il a bien employé son temps." avec comme définition: "De la bonne manière".

Le Dictionnairedel'Académie (éd de 1877 p178) propose les exemples suivants: "Il se conduit bien. Il se porte bien." et précise: "Bien sert alors à marquer un certain degré de perfection ou un certain état heureux, agréable, avantageux, convenable". etc..

On retiendra donc les gloses "de la bonne manière", "de manière satisfaisante" pour l'"appréciatif". Elles permettent de l'opposer à la valeur d'"intensif" qui reçoit des gloses comme "beaucoup de" (J. Girodet, 1986, p108) (1), "très" ou "beaucoup" (P. Robert, éd de 1966, p468).

L'"intensif" est en général assez bien représenté. P. Robert donne quelques exemples de ce dernier comme "se donner bien de la peine", "bien avancé pour son âge", ou encore "un amour bien fort", avec comme définition: "très, trop, beaucoup".

E. Littré (éd de 1966) propose: "Une lettre bien longue", "Encore bien jeune", "Il a parlé bien sévèrement".

Le Dictionnairedel'Académie (éd de 1877, p179) donne: "Il est déjà bien loin" ou "Bien de la peine", "Bien du monde".

Le "confirmatif" est plus difficile à identifier. Les auteurs hésitent généralement entre une définition grammaticale: "adverbe d'affirmation" (P. Dupré, 1972, T1, 280p) (2) et une définition fonctionnelle comme "bien renforce l'idée exprimée ou s'emploie par redondance, explétivement" (P. Robert). A ce stade,

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le plus simple est de retenir une glose du type "effectivement"; sémantiquement, elle suffit à distinguer le "confirmatif" de l'"appréciatif" et de l'"intensif".

1.1.2. Critères grammaticaux

M. Grevisse (éd de 1975, §832, p875) écrit qu'"On peut distinguer selonlesens (cnqs), sept espèces d'adverbes" et un peu plus loin qu'"il n'y a pas entre les catégories citées de limites bien fixes. (...) Certains adverbes peuvent même, dans une phrase donnée, appartenir à deux catégories à la fois. (...) 'Etre bien traité' (manière), 'Ils étaient bien deux cents' (opinion) et 'Il est bien malheureux' (intensité)". On hésite donc parfois pour distinguer un emploi d'un autre en particulier dans le cas de la suite "bien + verbe". Lorsque bien détermine un nom, un adjectif ou un autre adverbe, il ne s'agit pas (généralement) de l'"appréciatif" mais de l'"intensif". L'"appréciatif" correspond aux emplois de bien que la grammaire désigne généralement comme le bien "adverbe de manière" (3). On pourrait citer tout aussi bien M. Grevisse (§833, p876), R.L. Wagner et J. Pinchon (1962, §491, p416) que J-C. Chevalier et alii (1964, §613, p421) (4). Mais comment identifier l'"adverbe de manière"?

Si l'on veut s'en tenir à des critères grammaticaux (donc sémantiques), on a un changement d'étiquettes sans plus de justification. Pour lever les ambiguïtés évoquées plus haut, nous

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devons faire appel à d'autres critères, en premier lieu syntaxiques.

1.1.3. Critères syntaxiques

Quand l'adverbe bien détermine un verbe, il le suit si c'est une forme simple: "Il dessine bien"; il est intercalé entre l'auxiliaire et le participe passé quand il s'agit d'une forme composée: "Ce devoir est bien orthographié".

On peut identifier l'"appréciatif" à partir de trois tests syntaxiques: "la négation", "le questionnement", "la commutation". Soit l'exemple:

Ce poisson est bien cuisiné.

-Il est possible de le mettre à la forme négative: Ce poisson n'est pas bien cuisiné.

-Il est possible de s'interroger sur la qualité du procès: Est-ce que ce poisson est bien cuisiné?.

-Bien commute avec très bien et avec mal: + Ce poisson est très bien cuisiné. ou + Ce poisson est mal cuisiné.

-Bien ne commute pas facilement avec très: ? Ce poisson est très cuisiné.

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Il est bien ridé, cet homme!

les tests nous donnent des résultats inverses: -La forme négative n'est guère possible (5):

? Il n'est pas bien ridé, cet homme!

-Le questionnement" donne lieu à une formulation bizarre: ? Est-ce qu'il est bien ridé, cet homme?

-Bien ne commute pas facilement avec très bien et avec mal: ? Il est très bien ridé, cet homme!

? Il est mal ridé, cet homme! -Bien commute facilement avec très:

+ Il est très ridé, cet homme!"

Si l'on prend un exemple de "confirmatif", on aura des résultats négatifs à tous les tests sauf au "questionnement". Dans ce cas, pour que l'énoncé soit acceptable il faut qu'il soit interprétable comme une demande de confirmation:

? Est-ce qu'il y a bien du pétrole ici? + Il y a bien du pétrole ici, n'est ce pas?

Le "confirmatif" a un comportement syntaxique très différent des deux autres valeurs. Sur cette base, il ne peut pas être confondu avec elles. Il est donc possible de renvoyer son étude à un autre chapitre (le IV).

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utilisé: "Ce pantalon est bien raccourci". On aura deux types de réponses selon le contexte choisi.

En contexte de surprise les tests seront négatifs (sauf la commutation avec très): bien est alors un "intensif".

En contexte de comparaison les tests seront positifs (sauf la commutation avec très): bien est un "appréciatif".

Les tests syntaxiques nous permettent une première approche (discriminer le "confirmatif") mais ils nous renvoient au contexte pour une réponse définitive en ce qui concerne les deux autres valeurs.

1.2. Caractérisation de la valeur

Nous avons vu que le choix des contextes permet de filtrer l'une ou l'autre des valeurs qui nous intéressent. Mais quels sont, dans ces contextes, les paramètres déterminants que nous devons nous attacher à décrire? Nous allons essayer de le savoir en revenant sur un exemple, qui nous servira d'exemple-type (6) parce qu'il autorise les deux valeurs, il s'agit de:

(1) Il est bien ridé, cet homme!

L'interprétation a priori la plus naturelle est que le locuteur exprime son étonnement à la vue d'un vieillissement auquel il ne

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s'attendait pas. Ce qui correspond à la valeur d'"intensif". Une glose de cet énoncé serait peut-être: "Cet homme est plus ridé que ce à quoi j'auraispum'attendre".

NB: Le terme "glose" correspond à l'interprétation sur laquelle chacun pourrait s'accorder relativement à un énoncé. On tente de donner une formulation qui rejoigne, autant que faire se peut, l'intuition générale. L'idéal étant d'arriver à une seule formulation (alors qu'il existe de nombreuses "paraphrases" possibles de l'énoncé). Comme pour l'acceptabilité des énoncés la question n'est pas traitée dans l'absolu, c'est relativement à une autre glose possible qu'une glose pourra être considérée comme une "bonne" glose.

On peut penser que la glose de (1) s'appuie effectivement sur des éléments contextuels puisqu'on en trouve une assez semblable pour l'exemple (2) qui est aussi un "intensif" mais qui, sémantiquement, en est assez éloigné:

(2) C'est bien improvisé, tout ça!

Ce serait: "Il y a vraiment de l'improvisation là où j'auraispum'attendre" à autre chose".

Mais comment passe-t-on à l'"appréciatif"? Il est nécessaire de changer de contexte. Ainsi pour le premier:

(1a) (Sur un plateau de cinéma, un acteur sort pour la deuxième fois des mains du maquilleur chargé de le vieillir; le metteur en scène peut alors déclarer:) Voilà, là, il est bien ridé. Maintenant on peut tourner

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Avec la glose suivante: "Il est ridé comme ilfaut qu'il le soit". Et pour le second (2):

(2a) (Au cours d'une répétition, après la prestation d'un acteur, le metteur en scène peut déclarer:) Au début, vos pas sur le côté, c'est bien improvisé, rien à dire, mais après...

Avec la glose suivante: "L'improvisation est telle qu'on pouvait le souhaiter".

Il suffit de rapprocher les gloses de l'"appréciatif" de celles de l'"intensif" pour voir ce qui les oppose. Dans le cas de l'"appréciatif", (1a) et (2a), la valeur spécifiée est considérée comme souhaitable du point de vue de l'énonciateur, éventuellement comme une valeur attendue. Dans le cas de l'"intensif", (1) et (2), la valeur spécifiée s'inscrit dans un contexte de surprise qui interdit la modalité du souhaitable au profit d'un (simplement) possible, reconstruit a posteriori.

On peut, sans entrer dans le détail, différencier les deux valeurs en tenant compte de la position de l'énonciateur par rapport à la relation qu'il construit. Soit pour le premier exemple:

"appréciatif": la relation <acteur / être ridé> est vérifiée commel'énonciateurpouvaitlesouhaiter. L'"appréciatif" est une valeur de "conformité".

(47)

46

"intensif": on constate (la surprise est une forme typique de constat) que la relation est vérifiée "comme elle est

vérifiée", c'est-à-dire

indépendammentdetouteconstructionsubjectivepréalable.

L'"intensif" est une valeur de "constat" (les termes "constat" et "conformité" recevront plus loin une définition formelle, au chapitre II pour le "constat").

Ces formulations sont un peu abruptes mais elles ont l'avantage de poser qu'il y a bien deux valeurs, qui se distinguent sur un point essentiel: l'existence (ou l'absence) d'une "construction subjective préalable"

1.2.1. La valeur d'"appréciatif"

Revenons à notre exemple de départ. Quand il prend la valeur d'"appréciatif" (1a), le contexte est le suivant: 1) le metteur en scène voit sortir l'acteur de la cabine de maquillage où il l'avait renvoyé une première fois parce qu'il ne le trouvait pas correctement grimé. Il y a un instant d'incertitude pendant lequel il est est clair que l'acteur est maquillé (ce n'est pas l'existence du maquillage qui est en question) mais il est tout aussi évident qu'on ne peut pas encore se prononcer sur la qualité de ce maquillage.

2) Puis, après examen, le metteur en scène ayant jugé que le nouveau maquillage était conforme à ce qu'il attendait ("Voilà, là, il est bien ridé..."), on passe à la suite...

(48)

47

Ces deux étapes correspondent à des opérations fondamentales que nous allons maintenant détailler; au passage nous introduirons les concepts indispensables à l'analyse. Ce développement théorique s'appuie en particulier sur l'article de D. Paillard (199.): "Indéfinition et altérité" et sur celui d'A. Culioli (1989) (7): "La négation, marqueurs et opérations".

1.2.1.1. "L'altérité est de fondation"

Dans notre exemple, le metteur en scène évalue une occurrence de 'être ridé' (il a déjà rejeté une première occurrence comme n'étant pas ce qu'il attendait).

A. Construction d'une occurrence pi de P.

1.

UneoccurrencepidePestl'événementàtraverslequeljepeuxappréhenderla propriétéP. Dans l'exemple, la notation "P" désigne la propriété fondatrice de la classe des occurrences de 'être ridé'. On a construit une occurrence, ce qu'on peut gloser par: "il y a du p" ou "du p existe".

2.

L'occurrencepin'estpasdistinguableaprioridesautresoccurrencesdela mêmeclasse. En (1), toutes les occurrences de la classe vérifient la propriété 'être ridé'.

(49)

48

3. Mais l'existence d'une occurrence est liée à une situation énonciative qui par définition est unique. Dans l'exemple, pi est repérée par rapport à Sito ("Voilà, là, il est...").

UneoccurrencedePestdonctoujours,parconstruction,susceptibled'être différentedesautres. "L'altérité est de fondation" (A. Culioli, 1989, p190).

B. p,p' a fait l'objet d'une délimitation subjective.

1. Plusieurs possibilités de traitement de cette (éventuelle) singularité existent. Par exemple la négliger, mais ce n'est pas celle qui retiendra notre attention (dans notre exemple le metteur en scène s'intéresse précisément à la singularité de cette occurrence). On peut aussi la mesurer et pourcelacomparerl'occurrenceauxautresoccurrencesdelaclasse.

2. A nouveau plusieurs possibilités existent, selon les termes choisis pour la comparaison. On peut comparer l'occurrence à une autre occurrence pj prise comme repère. On peut la comparer

à elle-même.

Onpeutsituerl'occurrenceparrapportàunenormeprécédemmentfixée (la "construction subjective préalable" évoquée plus haut). C'est le cas dans notre exemple, le metteur en scène a une "attente précise" en ce qui concerne le maquillage de l'acteur.

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