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«Ne plus boire ses excréments» (1)

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1514 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 11 août 2010

actualité, info

Dr Jean-Paul Studer Médecine générale FMH 2034 Peseux

L’été, le malaise d’Anna

et la Coupe du monde de football

«Ne plus boire ses excréments» (1)

Il existe sans doute mille et une manières de rendre compte d’un livre ; mille et une manières de tenter d’inciter – ou non – à sa lecture. Le froid compte-rendu ; l’objective analyse ; la relecture emphatique ; la critique assassine… On peut aussi, lorsque l’ouvrage semble trop riche, fractionner les approches, multiplier les angles. C’est, nous semble-t-il, la meilleure conduite à tenir avec cette pas- sionnante somme que nous offre aujour d’hui Gérard Jorland, philosophe et historien des

sciences.1 Son ouvrage est aussi riche qu’am- bitieux : raconter par le menu ce que furent la progression de l’hygiène et de la salubrité publique lors du XIXe siècle.

«Ne plus boire ses excréments». La for- mule est forte. Elle est, nous précise Gérard Jorland, d’un certain Georges Buchanan et on la retrouve dans un ouvrage traitant de la santé publique en Grande-Bretagne sous l’ère victorienne.2 Le propos concerne la fiè- vre typhoïde et les réflexions qu’elle suscita

durant des décennies dans de multiples do- maines dépassant de loin la seule médecine.

L’entité fièvre typhoïde (Pierre-Fidèle Bre- tonneau) et son étiologie vraisemblable com- mençaient à être suffisamment cernées au XIXe siècle pour que l’on puisse, en Europe, commencer à en faire un bon indice de salu- brité urbaine. Il en fut de même du choléra.

Commence alors une formidable enquête pour tenter de combattre le fléau.

On observe que de 1850 à 1887 la mortalité par fièvre typhoïde avait presque été divisée par cinq en Grande-Bretagne alors qu’elle continuait à sévir avec une grande vigueur en France, et tout particulièrement à Paris. «La recherche des causes mit en branle la batte- en marge

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 11 août 2010 1515

1 Jorland G. Une société à soigner ; hygiène et salubrité publiques en France au XIXe siècle. Paris : Ed. Gallimard nrf ; coll. «Bibliothèque des histoires». 2010, 361 p. ISBN 978-2-07-012615-6.

2 Wohl Anthony S. Endangered lives. Public health in Vic- torian Britain. Cambridge : Harvard University Press, 1983.

cidental.

rie des corrélations statistiques habituelles : âge, sexe, profession, constitution, habitation, alimentation, ville», explique Gérard Jorland.

On distingue bientôt typhus et typhoïde mais on tâtonne encore grandement. Max Joseph von Pettenkofer (1818-1901), chimiste et hy- giéniste bavarois, développe une théorie se- lon laquelle le vecteur pathogène est véhi- culé par la terre. Plus précisément il observe, à Munich, que le niveau des nappes phréa- tiques est étroitement corrélé aux épidémies de fièvre typhoïde et de choléra. Postulat : lorsque les eaux montent, elles décomposent les matières organiques présentes dans les cou ches superficielles du sol, pour laisser place, quand elles baissent, aux miasmes mor-

bifiques résultant de cette décomposition.

C’est l’heure de la théorie «hydro-tellurique».

D’autres plaident pour la théorie de Mur- chison : le responsable est le mélange des ma- tières fécales en putréfaction dans les égouts avec l’eau potable ou l’air respiré. Puis la théorie de Budd : ce ne sont pas les matières excrémentielles en tant que telles qui sont responsables ; elles ne sont contagieuses que si elles contiennent le «germe». Loin d’être la cause première, elles ne sont que le véhi- cule second. Au début des années 1880 à Nancy, où la fièvre typhoïde est endémique, travaille Léon Poincaré, père du mathéma- ticien et titulaire de la chaire d’hygiène à la Faculté de médecine rapatriée de Strasbourg.

Le Pr Poincaré établit une corrélation entre les émanations des égouts et la vulnérabilité sociale. Il observe notamment que les domes- tiques des maisons aisées – très touchées – étaient soumises aux émanations des éviers et des cabinets d’aisance situés contre les cui- sines par où s’introduisait l’air des égouts, cette «continuation de l’intestin». Et l’absence de siphon à l’embranchement de ces égouts lui semble alors être la cause du mal.

Les observations statistiques se multiplient.

On va bientôt en finir avec la querelle entre

«miasmes» et «bactéries» grâce à la décou- verte de Karl Joseph Eberth. On est décidé- ment sur la bonne piste avec toutes les con sé- quences sociales, urbaines et économiques que l’on ne tardera pas à percevoir. «Jusqu’à la fin du siècle les médecins hygiénistes cri- tiquèrent leurs collègues ingénieurs, leur re- prochant de ne se soucier que d’amener la plus grande quantité d’eau dans les villes sans s’inquiéter de sa qualité», écrit Gérard Jorland.

On allait changer de siècle. On avait foi

comme jamais dans le progrès scientifique, technique, voire médical. En France comme en Grande-Bretagne, l’heure était à l’embel- lissement des capitales. Question : fallait-il seulement embellir ou embellir et assainir ? La suite est une histoire de la santé publique passionnante à tous égards concernant les sous-sols, l’adduction d’eau potable, le drai- nage et l’évacuation des eaux «usées» . Ob- jectif : éloigner au maximum le déversoir (puis

le recyclage) de cette continuation urbaine des intestins collectifs.

Nous venons à nouveau de changer de siècle. Si l’on en croit l’Organisation mondiale de la santé entre 16 et 33 millions de per- sonnes souffrent, chaque année de la fièvre typhoïde et, dans le même temps, plus de 200 000 en meurent. «Ne plus boire ses ex- créments» demeure un slogan d’actualité.

(A suivre)

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

fallait-il seulement embellir ou embellir et assainir ?

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