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L'articulation entre la liberté d'entreprendre et la liberté d'association dans les cas de restructurations d'entreprises

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L’ARTICULATION ENTRE LA LIBERTÉ

D’ENTREPRENDRE ET LA LIBERTÉ

D’ASSOCIATION DANS LES CAS DE

RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES

Thèse

JULIE BOURGAULT Doctorat en droit Docteure en droit (LL.D.)

Québec, Canada

© Julie Bourgault, 2016

(2)

L’ARTICULATION ENTRE LA LIBERTÉ

D’ENTREPRENDRE ET LA LIBERTÉ

D’ASSOCIATION DANS LES CAS DE

RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES

Thèse

JULIE BOURGAULT

Sous la direction de :

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iii

Résumé

Au cours des dernières décennies, les restructurations d’entreprises ont connu une transformation majeure. En plus des restructurations ponctuelles, de type « crise » dans des secteurs de l’économie en déclin, il est possible de constater des restructurations de type « permanent » dont l’objectif principal est la quête de profit et l’augmentation de la productivité de l’entreprise. Perçus comme nuisibles à la rentabilité des entreprises, la syndicalisation, la négociation collective et les moyens de pression, poussent ainsi certaines entreprises à se restructurer. Les restructurations d’entreprises, produit de l’exercice de la liberté d’entreprendre, impliquent des conséquences importantes sur l’emploi des travailleurs, en plus d’affecter à bien des égards leur liberté d’association.

Dans cette perspective, il est pertinent de s’interroger sur l’articulation entre la liberté d’entreprendre et la liberté d’association dans le contexte de restructurations d’entreprises. Les différentes théories du droit s’accordent quant à l’importance de la cohérence du système juridique tant à l’interne qu’à l’externe. L’essentiel de notre analyse repose, en conséquence, sur un souci de cohérence du système juridique lors de l’affrontement des libertés d’entreprendre et d’association dans le cadre de restructurations d’entreprises, par le biais, entre autre, de l’étude de la juridicité et de la normativité de ces principes du droit.

D’une part, la liberté d’association est un principe du droit à statut constitutionnel, d’ordre public et qui occupe une place importante en droit international. D’autre part, la liberté d’entreprendre est un principe du droit implicite, dont les fondements et la mise en œuvre demeurent ambigus. Pourtant notre étude démontre que la jurisprudence accorde une interprétation restrictive à la liberté d’association et large à la liberté d’entreprendre. Cette réalité accorde à la liberté d’entreprendre une mainmise sur la liberté d’association, particulièrement dans les cas de restructurations d’entreprises. Il n’y a qu’à citer comme exemple le droit de cesser de faire affaire même pour des motifs socialement condamnables, énoncé à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada.

(4)

iv

Le principe de cohérence du système juridique devrait nous amener à une interprétation plus large de la liberté d’association afin de respecter la hiérarchie des droits et d’autres principes généraux du droit, tels que l’égalité, la dignité et la bonne foi, et ce, même si cette interprétation a parfois pour effet de restreindre la liberté d’entreprendre dans le contexte de restructurations d’entreprises.

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... ix

Liste des figures ... x

Remerciements ... xii

Introduction ... 1

Titre préliminaire : Le système juridique et ses exigences logiques ... 23

Chapitre 1 : Les dimensions du système juridique ... 25

Section 1- Le droit comme phénomène normatif ... 25

Section 2- Le droit comme phénomène social ... 32

1. L’évolution du contexte socio-économique et l’émergence de la notion de réseau ... 32

2. Le pluralisme juridique ... 36

2.1 La théorie institutionnelle de Santi Romano ... 37

2.2 Les institutions du droit de Neil MacCormick ... 40

2.3 Le pluralisme juridique chez les auteurs canadiens ... 43

Chapitre 2 : Des exigences logiques du système juridique ... 48

Section 1- Une théorie du raisonnement juridique ... 49

Section 2- L’exigence de cohérence ... 54

1. La cohérence interne ... 55

2. La cohérence externe et les principes ... 60

2.1 La cohérence dans différentes théories ... 60

A) La logique juridique de Perelman ... 60

B) Le principe d’intégrité de Dworkin ... 64

C) L’argument de cohérence de MacCormick ... 66

D) Conclusion ... 67

2.2 Un instrument de cohérence : les principes ... 67

A) Les principes généraux du droit ... 68

B) Les principes constitutionnels ... 69

Conclusion du Titre préliminaire ... 72

Titre I : L’importance respective de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’association dans le système juridique ... 74

Chapitre 1 : La juridicité et la normativité de la liberté d’association des travailleurs .... 74

Section 1- Les fondements de la liberté d’association ... 76

1. La répression : absolutisme des droits de direction et illégalité des associations . 80 2. La tolérance : conciliation et décriminalisation ... 83

3. La reconnaissance de la liberté d’association et du droit de négociation collective ... 95

Section 2- Le degré de mise en œuvre de la liberté d’association ... 112

1. Une liberté fondamentale de valeur constitutionnelle et quasi constitutionnelle 113 1.1 D’une définition simplement constitutive… ... 116

(6)

vi

1.3 Le droit de grève ... 139

1.4 Applications ... 142

A) Décisions de l’État législateur ... 145

B) Décisions de l’État employeur-législateur ... 158

2. Une liberté à caractère d’ordre public ... 174

2.1 Au Québec ... 175

2.2 Au Canada : juridiction fédérale ... 187

A) Ingérence de l’employeur ... 190

B) Refus d’embauche, congédiement pour activités syndicales ... 197

3. Une liberté de portée universelle, reconnue en droit international ... 198

1.1 Contenu de la protection ... 199

1.2 Certains mécanismes de plaintes ... 207

1.3 Portée du droit international en droit interne canadien ... 210

Chapitre 2 : La juridicité et la normativité de la liberté d’entreprendre ... 221

Section 1- Les fondements de la protection de la liberté d’entreprendre ... 222

1. La nature de la liberté d’entreprendre ... 223

2. Le sujet de la liberté d’entreprendre : l’entrepreneur ... 231

2.1 L’unité de l’appartenance et de la maîtrise de l’entreprise et le droit de propriété ... 233

2.2 La dissociation de l’appartenance et de la maîtrise de l’entreprise ... 247

3. L’objet de la liberté d’entreprendre : l’entreprise ... 257

Section 2- Le degré de mise en œuvre de la liberté d’entreprendre ... 272

1. Une liberté implicite ... 273

1.1 Pouvoirs de décision et de contrôle ... 273

A) Décisions concernant les affaires ... 274

B) Décisions concernant le travail ... 284

1.2 Pouvoir de réglementation ... 294

2. Une liberté expressément reconnue en France ... 300

3. Une liberté reconnue en droit international ... 318

Conclusion du Titre I ... 325

Titre II : La cohérence de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’association dans le système juridique : le cas des restructurations d’entreprises ... 326

Chapitre 1 : L’encadrement juridique des restructurations d’entreprise : la mainmise de la liberté d’entreprendre ... 326

Section 1- Le principe : le droit de restructurer ... 330

Section 2- L’exception : l’encadrement juridique de certaines conséquences ... 341

1. Les protections législatives ... 343

1.1 La protection de l’accréditation ... 343

A) Le transfert de l’accréditation et de la convention collective ... 344

B) L’élargissement de l’unité d’accréditation ... 366

C) Osmose ou employeur unique ... 374

1.2 La protection lors de tentatives de syndicalisation et de la négociation collective ... 387

A) L’obligation de négocier de bonne foi ... 387

(7)

vii

C) L’impossibilité de restructurer une entreprise en recourant à des briseurs de

grève ... 408

1.3 La protection de l’association ... 412

1.4. La protection du lien d’emploi ... 431

A) Préavis de fin d’emploi et licenciement collectif ... 432

B) Interdictions de mettre fin à l’emploi ... 437

2. Les dispositions conventionnelles ... 448

Chapitre 2 : Le respect de la hiérarchie des normes en contexte de restructurations d’entreprises : pour une meilleure cohérence du système juridique ... 467

Section 1- Liberté d’association et liberté d’entreprendre : une inversion de la hiérarchie des normes qui entrave la cohérence interne du système juridique ... 467

1. La protection de nature constitutionnelle et quasi-constitutionnelle ... 468

A) Atteinte ... 470

B) Justification ... 480

2. La protection d’ordre public ... 497

Section 2- L’exigence de cohérence de la liberté d’entreprendre avec les principes généraux du droit ... 500

1. La relativité des droits et l’abus de droit ... 501

2. Dignité/Égalité ... 517 Conclusion du Titre II ... 532 Conclusion ... 536 Bibliographie ... 548 Législation et réglementation ... 548 Textes constitutionnels ... 548 Textes fédéraux ... 548 Textes provinciaux ... 549 Textes internationaux ... 550 Législation française ... 551 Législation américaine ... 551 Jurisprudence ... 551 Jurisprudence québécoise ... 551 Jurisprudence canadienne ... 575 Jurisprudence internationale ... 587 Jurisprudence française ... 589 Jurisprudence américaine ... 590 Doctrine ... 590 Dictionnaires ... 590 Monographies et traités ... 590 Articles de revues ... 596

Articles tirés d’ouvrages collectifs ou de conférences ... 602

Documents gouvernementaux, syndicaux ou internationaux ... 611

Textes inédits ou non-publiés ... 614

Articles de journaux ... 614

(8)

viii

ANNEXE I :DATES IMPORTANTES DANS L’ÉVOLUTION DE LA LÉGISLATION FÉDÉRAL EN MATIÈRE DE NÉGOCIATION COLLECTIVE AU CANADA ... 618

(9)

ix

Liste des tableaux

Tableau 1- La liberté d’association et les juges de la Cour suprême ... 114 Tableau 2- La liberté d’association et les juges de la Cour suprême : les types

d’atteinte ... 143 Tableau 3- La liberté d’association après Fraser ... 144

(10)

x

Liste des figures

(11)

xi

À mon père, un modèle de courage et de persévérance.

(12)

xii

Remerciements

Il y a maintenant 10 ans que j’entreprenais mes études doctorales, pensant terminer en 3 ou 4 ans. Mais voilà que mon parcours de vie en a décidé autrement. Je n’aurais pas pu imaginer au départ l’ampleur que prendrait cette thèse et tout ce que je pourrais en retirer. L’obtention d’un poste de professeure au Département de Relations industrielles de l’UQO, deux grossesses, les revirements jurisprudentiels de la Cour suprême m’obligeant à réviser mon manuscrit à plus d’une reprise et ma propension à accepter de nouveaux projets de recherche ont grandement retardé les délais que je m’étais fixés au départ.

Je voudrais d’abord remercier mon conjoint, Terry Cameron, qui a cru en ma capacité d’y arriver depuis le début. Sans son support, il aurait été impensable de terminer ma thèse à quelques jours de la fin de ma deuxième grossesse. Son amour, ses encouragements et son aide pour compléter les derniers aspects techniques de ma thèse m’ont permis d’atteindre mon objectif. L’amour de mes fils, Thomas et Matthis, et la joie qu’ils m’ont apportée au cours de la rédaction de ma thèse sont précieux. Je ne voudrais pas oublier ma famille, mes proches et mes amies, qui m’ont toujours supportée et aidée lorsque le travail était plus difficile et que je ne croyais pas y arriver.

À mon directeur de thèse, M. Christian Brunelle, qui était aussi mon directeur à la maîtrise. Travailler avec lui à la maîtrise m’a permis de découvrir mon intérêt pour la recherche et le monde universitaire, ce qui m’a poussé à commencer des études doctorales. Merci de m’avoir fait confiance, d’avoir nourri ma réflexion tout au long de ces années. Merci de m’avoir encouragée à poursuivre mes études doctorales et à me dépasser dans ce parcours long et sinueux. Merci aussi de m’avoir parfois rappelé à l’ordre en me remémorant que des projets de recherche intéressants, il y en aura d’autres après la thèse!

Merci à Urwana Coiquaud et Maude Choko pour avoir accepté d’être membre du jury. Merci pour la qualité des rapports d’évaluation.

(13)

xiii

Je voudrais remercier plus particulièrement le professeur Dominic Roux pour avoir accepté d’être le prélecteur de ma thèse et membre du jury. Merci pour tous les conseils qui m’ont permis de bonifier ma thèse et d’apporter les éclairages nécessaires à mon argumentation. Merci au professeur Michel Coutu de l’Université de Montréal pour ses précieux commentaires sur certaines parties du texte, pour m’avoir fait confiance et m’avoir permis de me joindre à lui dans plusieurs projets de recherche tous plus stimulant les uns que les autres et ainsi m’avoir permis de faire progresser ma carrière universitaire.

Merci à la professeure Anne-Marie-Laflamme pour ses encouragements et son amitié. J’en profite aussi pour remercier mes collègues de travail du Département de Relations industrielles de l’UQO pour leur support et conseils.

Un merci tout spécial à Charles Tremblay-Potvin pour le travail technique réalisé. Sans son aide il aurait été impensable de déposer ma thèse en prélecture avant l’arrivée de mon deuxième fils, Matthis.

Finalement, le mot de la fin revient au Centre de recherche en sciences humaines du

Canada (CRSH) et au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) qui ont cru en mon projet de thèse et ont accepté de me financer pour sa réalisation. C’est grâce au soutien de toutes ses personnes que j’ai pu accomplir ce travail.

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1

Introduction

L’internationalisation des marchés, l’intensification de la concurrence, les innovations technologiques et organisationnelles ainsi que la mondialisation de l’économie1 qui s’ensuit ont créé une pression économique croissante sur les entreprises. Cette situation entraîne un déséquilibre dans la relation entre la production et la consommation, d’où l’émergence d’un nouveau modèle de production.

En fait, jusqu’ici, le milieu de travail avait été principalement modelé sur le système fordiste. Le fordisme est un modèle qui régit la gestion de la production, l’organisation du travail et les relations d’emploi et qui a influencé la construction du droit du travail2. La gestion de la production fordiste est caractérisée par la standardisation des tâches et la production de masse3. Le fordisme présente aussi les caractéristiques du taylorisme dans l’organisation du travail, c’est-à-dire « la séparation entre la conception et l’exécution, la division du travail en une série de tâches fragmentées et simplifiées, ainsi que l’analyse « scientifique » de chaque tâche, afin de déterminer la meilleure façon de procéder »4. L’employeur exerce donc le contrôle sur l’exécution du travail. De même, ces caractéristiques ont favorisé l’institutionnalisation des rapports sociaux et des relations d’emploi, principalement par la consolidation du mouvement syndical5. Ainsi, c’est la standardisation des tâches, de même que la proximité des travailleurs, qui donnent

1 La mondialisation se définie comme un « phénomène complexe d’interdépendance économique résultant des

échanges de marchandises et de services et des flux de capitaux » : CONFÉRENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL, L’action normative de l’OIT à l’heure de la mondialisation – Rapport du Directeur général, 85e session, 1997, p. 3.

2 Daniel MERCURE, « Nouvelles dynamiques d’entreprise et transformation des formes d’emploi : Du

fordisme à l’impartition flexible », dans Jean BERNIER, Rodrigue BLOUIN, Gilles LAFLAMME, Fernand MORIN et Pierre VERGE (dir.), L’incessante évolution des formes d’emploi et la redoutable stagnation des lois du

travail, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 5.

3 Jacques BÉLANGER, Anthony GILES et Gregor MURRAY, « Vers un nouveau modèle de production :

possibilités, tensions et contradictions », dans Gregor MURRAY, Jacques BÉLANGER, Anthony GILES et Paul-André LAPOINTE (dir.), L’organisation de la production et du travail : vers un nouveau modèle ?, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004, p. 13, à la page 20.

4 Id., à la page 21 ; voir aussi Paul-André LAPOINTE, « La réorganisation du travail : Continuité, rupture et

diversité », dans Rodrigue BLOUIN, René BOULARD, Paul-André LAPOINTE, Alain LAROCQUE, Jacques MERCIER et Sylvie MONTREUIL (dir.), La réorganisation du travail : Efficacité et implication, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1995, p. 3, aux pages 8 et 9.

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2

naissance à une solidarité entre eux, à leur regroupement et à la représentation collective. Le contenu des conventions collectives traduit les intérêts communs, c’est-à-dire un compromis entre la sécurité d’emploi du travailleur et ce contrôle exercé par l’employeur sur le travail6.

Désormais, les entreprises recherchent davantage de flexibilité, ce qui explique en grande partie le déclin du fordisme. Plus particulièrement, la récession économique du début des années 1980 a incité les entreprises à modifier la gestion de la production en adaptant leurs investissements aux coûts du marché, ce qui leur permet une plus grande « flexibilité financière ». Elles prônent la production flexible tout en appliquant la standardisation des processus, afin de demeurer compétitives et rentables. Inéluctablement, elles utilisent des stratégies qui font correspondre les salaires aux variations de la production et du marché, pour remplir les besoins de « flexibilité salariale ». Ces stratégies peuvent aussi faire concorder le volume de la main-d’œuvre aux conditions changeantes du marché, garantissant ainsi une « flexibilité numérique »7.

Pour atteindre ces objectifs, les entreprises mettent l’accent sur les innovations technologiques en milieu de travail, qui leur assurent une « flexibilité technique » accrue et modifient ainsi l’organisation du travail. En fait, la nature du travail exige des qualifications et des compétences fondées sur le savoir et le travail abstrait. Le nouveau modèle est donc marqué par la polyvalence dans les tâches de travail et la réduction de la supervision directe pour répondre aux besoins de « flexibilité fonctionnelle ». Celle-ci se manifeste dans la diversification des formes d’emploi en fonction du temps de travail, du degré de permanence et des caractéristiques de l’employeur8. Bref, au coeur de la problématique se

6 Id., à la page 24.

7 D. MERCURE, préc., note 2. 8 Id., aux pages 34-44.

(16)

3

trouvent, d’une part, les pratiques d'externalisation du travail (l'impartition) et, d'autre part, la quête de flexibilité tous azimuts9.

Cette recherche de flexibilité et la mondialisation des marchés poussent, par conséquent, les entreprises à se restructurer. Ces restructurations d’entreprises se manifestent principalement par l’essor de l’externalisation (par exemple la sous-traitance), la réduction du volume de la main-d’œuvre, la modification de la structure juridique des entreprises (par exemple la création d’entreprises dites « réseau ») et la modification des statuts d’emploi (par exemple, le passage au travail à temps partiel, temporaire, autonome, à la pige, à domicile, ou encore sur appel)10. Dans le cadre de notre étude nous utiliserons, une définition large des restructurations11 « comme des processus diffus, récurrents et complexes de réorganisation [des entreprises] dans une recherche de flexibilité et d’avantages compétitifs»12 autrement dit comme « concernant l’ensemble des changements d’activités et d’actifs des entreprises [qui] ne se manifestent pas nécessairement par des réductions d’activité et d’emploi, mais par des remaniements structurels internes et externes à la firme »13. Cette définition large permet d’y inclure fusions et acquisitions, licenciements collectifs, fermetures d’entreprise ou d’établissement, délocalisations, sous-traitance, changements technologiques et privatisations14.

Les restructurations d’entreprises ont connu une transformation majeure ces deux dernières décennies. On est en effet passé des restructurations ponctuelles, de « crise », marquées par

9 Id. Voir en résumé la figure sur l’entreprise flexible : Patrice JALETTE et Mélanie LAROCHE, « Organisation

de la production et du travail », dans Patrice JALETTE et Gilles TRUDEAU (dir.), La convention collective au

Québec, 2e éd., Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 2011, p. 187, à la page 191.

10 Pierre VERGE, avec la participation de Sophie DUFOUR, Configuration diversifiée de l’entreprise et droit du travail, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2003.

11 Linda ROULEAU, « Les restructurations d'entreprise: quelques points de repère », (2000) 5 Management International 1, 45-52.

12 Claude DIDRY et Annette JOBERT, « Introduction », dans Claude DIDRY et Annette JOBERT (dir.), L’entreprise en restructuration. Dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives, Rennes, Presses

universitaires de Rennes, 2000, p.11, à la page 11

13 Marie RAVEYRE, « Introduction », (2005) 47-1 Restructurations. Nouveaux enjeux – Revue de l’IRES 7, 10. 14 Michel COUTU et Julie BOURGAULT, « L’entreprise, les restructurations et le droit : une perspective

socio-juridique », dans Patrice JALETTE et Linda ROULEAU (eds.), Perspectives multidimensionnelles sur les

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4

des fermetures d’entreprise et licenciements massifs de salariés dans des secteurs en déclin, aux restructurations permanentes15 traduisant la pression exacerbée que la « mondialisation » exerce sur les firmes nationales et transnationales. Ces restructurations de type permanent s’ajoutent aux restructurations de type « crise » qui continuent pour leur part de marquer l’évolution cyclique de l’économie16 :

[…] de plus en plus d’auteurs prétendent que les restructurations ne sont pas que le fait d’entreprises en difficulté : elles sont souvent le fait de firmes en quête de profit voulant augmenter leur profitabilité et leur efficacité technique. D’évènements ponctuels et radicaux, il semble que les restructurations soient devenues des processus de changements permanents et évolutifs. Les restructurations prennent de multiples formes et elles sont l’objet de divers projets de changements, qui se produisent de manière simultanée ou qui se succèdent les uns aux autres. Selon plusieurs auteurs, on assiste à la mise en place d’un système de production reposant sur une réorganisation permanente des activités et sur une recherche incessante de flexibilité et d’efficience.17

Par exemple, certaines entreprises utilisent l’extériorisation de l’emploi comme moyen de « se recentrer sur leur activité principale et redistribuer le travail ainsi délaissé à une mosaïque de travailleurs aux statuts variés ou à de nouvelles structures organisationnelles »18. Toutes ces formes de restructuration entraînent l’apparition « de nouvelles formes de vulnérabilité et de précarité »19 et « le morcellement des entités

15 Marie-Ange MOREAU, « Restructuration et comité d’entreprise européen », (2006) 2 EUI Working Paper

Law 1.

16 M. COUTU et J. BOURGAULT, préc., note 14.

17 Linda ROULEAU et Patrice JALETTE, « Enjeux et défis des restructurations d’entreprise », (2008) 12 Management international v (citations omises).

18 Urwana COIQUAUD, « Le droit du travail québécois et les restructurations d’entreprise : un encadrement et

un contrôle juridiques anorexiques? », (2008) 12 Management International 51, 51

19 Urwana COIQUAUD, id., 51. Voir aussi Jean BERNIER, Guylaine VALLÉE et Carol JOBIN, Les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle, Rapport final du Comité d’experts

chargé de se pencher sur les besoins de protection sociale des personnes vivant une situation de travail non traditionnelle, Québec, Gouvernement du Québec, 2003, 568 pages; Guylaine VALLÉE, « Pluralité des statuts de travail et protection des droits de la personne : quel rôle pour le droit du travail? », (1999) 54 R. I. 277 Guylaine VALLÉE, Pour une meilleure protection des travailleurs vulnérables : des scénarios de politiques

publiques, Rapport No 2, « Collection sur les travailleurs vulnérable », Ottawa, Réseaux canadiens de

recherche en politiques publiques (RCRPP), mars 2005, 69 pages ; Guylaine VALLÉE, Toward Enhancing the

Employment Conditions of Vulnerable Workers : a Public Policy Perspective, Report No 2, « Vulnerable

Workers Series », Ottawa, Canadian Policy Research Networks (CPRN), March 2005, 57 pages; Brigitte RORIVE, « Restructurations stratégiques et vulnérabilités au travail », (2005) 47 Revue de L’IRES 117.

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5

organisationnelles » a un impact sur « le modèle traditionnel de représentation collective des travailleurs »20.

En conséquence, les travailleurs sont plus vulnérables face à l’employeur puisque le lien d’emploi est de plus en plus fragilisé21 : « C’est toute la logique économique, en place au moment de l’instauration des régimes de rapports collectifs de travail que nous connaissons aujourd’hui, qui semble en proie à la rupture »22. Par conséquent, la mondialisation influence même « l’équilibre de pouvoir entre les syndicats et les employeurs »23.

Plus particulièrement, la condition de salarié dans le milieu de travail s’est transformée pour permettre l’adaptation de l’entreprise au marché : « Le noyau dur de l’emploi permanent et stable dans l’entreprise se rétrécit, en même temps que se développe une périphérie de plus en plus importante de ce travail flexible et précaire »24. Cette diversité des nouveaux statuts d’emploi ainsi que la fragmentation des unités de production individualise les situations de travail25 et a tendance à diminuer l’adhésion aux valeurs collectives de la majorité26, provoquant ainsi une remise en cause de la représentativité des

20 U. COIQUAUD, préc., note 18, 51. Voir aussi : J. BERNIER et al., préc., note 19; Pierre VERGE et Gregor

MURRAY, La représentation syndicale : Visage juridique actuel et futur, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1999.

21 Pour en savoir davantage, voir : G. VALLÉE, préc., note 19 ; J. BERNIER, G. VALLÉE et C. JOBIN, préc., note

19 ; Stéphanie BERNSTEIN et Guylaine VALLÉE, « Leased Labour and the Erosion of Worker’s Protection : the Boundaries of of the Regulation of Temporary Employment Agencies in Quebec » dans Judy FUDGE et Kendra STRAUSS (eds), Temporary work, agencies, and unfree labour : Insecurity in the new world of work, New York, Routledge, 2013, p. 184.

22 Christian BRUNELLE, Discrimination et obligation d’accommodement en milieu de travail syndiqué,

Cowansville, Éditions Yvons Blais, 2001, p. 6.

23 Christian LÉVESQUE et Gregor MURRAY, « Le pouvoir syndical dans l'économie mondiale: clés de lecture

pour un renouveau », (2003) 41 Revue de l'IRES 1.

24 Pierre VERGE et Guylaine VALLÉE, Un droit du travail? Essai sur la spécificité du droit du travail,

Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, p. 172. Voir aussi : Christian LÉVESQUE, Gregor MURRAY et Stéphane LE QUEUX, « Transformations sociales et identités syndicales: l'institution syndicale à l'épreuve de la différentiation contemporaine », (1998) 30-2 Sociologie et sociétés 1, 4.

25 Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Gallimard,

1999, p. 757.

26 J. BÉLANGER, A. GILES et G. MURRAY, préc., note 3, aux pages 43 et 44 ; Alain SUPIOT (dir.), Au-delà de l’emploi, Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, Paris, Flammarion, 1999, aux

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6

syndicats27. De plus, les emplois sont de plus en plus axés vers le secteur des services plutôt que le secteur industriel, lequel est plus difficile d’accès pour les syndicats28.

D’ailleurs, les statistiques démontrent un recul léger, certes, mais constant de la syndicalisation29. Des études permettent de constater que la croissance de l'affiliation syndicale au Québec et au Canada n’est pas équivalente à la croissance du nombre d’employés30. Le taux de syndicalisation au Québec (proportion des travailleurs membres d’un syndicat) a chuté depuis le début des années 90, pour atteindre 37,5 % en 200231 et 36,3% en 201332, tandis que le taux de présence ou de couverture syndicale (proportion des salariés régis par une convention collective) se situe à 39,5%33. Plus précisément, en 2013, 1 381 400 travailleurs salariés québécois étaient couverts par une convention collective et de ce nombre, 1 268 800 ou 92 % étaient membres d’un syndicat. Le même phénomène s’observe au Canada, alors que le taux de syndicalisation est passé de 33,7 % en 199734 à 30,8 % en 200635 et 27,2% en 201336. Dans le secteur privé, le taux de syndicalisation a glissé de 9% entre 1977 (26 %) et 2003 (18 %)37.

27 P. VERGE et G. VALLÉE, préc., note 24, p. 172 et 173 ; J. BÉLANGER, A. GILES et G. MURRAY, préc., note 3,

à la page 43 ; A. SUPIOT (dir.), préc., note 26.

28 C. BRUNELLE, préc., note 22, p. 7 ; C. LÉVESQUE, G. MURRAY et S. LE QUEUX, préc., note 24, 134 ;

Guylaine VALLÉE, « Pluralité des statuts de travail et protection des droits de la personne : quel rôle pour le droit du travail? », (1999) 54 R. I. 277, 296 et suiv.

29 Diane GALARNEAU et Thao SOHN, Regards sur la société canadienne – Les tendances à long terme de la syndicalisation, Ottawa, Statistique Canada, novembre 2013, p. 2 et Luc CLOUTIER-VILLENEUVE et Marc-André DEMERS, Regard statistique sur la couverture syndicale au Québec, ailleurs au Canada et dans les

pays de l’OCDE, Québec, Institut de la statistique du Québec, 2014, p. 29.

30 STATISTIQUE CANADA, Regard sur le marché du travail canadien – Taux de syndicalisation : la croissance de l’affiliation syndicale n’a pas été équivalente à celle des employés, Ottawa, Statistique Canada, 2005 et L.

CLOUTIER-VILLENEUVE et M.-A. DEMERS, préc., note 29, p. 11.

31 Tommy CHOUINARD, « Le syndicalisme québécois dans des sables mouvants : S’il demeure numéro un en

Amérique du Nord, il est confronté à une conjoncture défavorable », Le Devoir, 7 et 8 août 2004.

32 L. CLOUTIER-VILLENEUVE et M.-A. DEMERS, préc., note 29, p. 40 (figure 26). 33 Id.

34 STATISTIQUE CANADA, préc., note 30.

35 RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA, Politique et Information sur les milieux de travail, Programme du travail, Ressources humaines et Développement social Canada, 2006, en ligne :

http://www.hrsdc.gc.ca/fr/pt/imt/effectif_syndicaux.shtml.

36 L. CLOUTIER-VILLENEUVE et M.-A. DEMERS, préc., note 29, p. 40 (figure 26).

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Pourtant, la représentation collective prend une importance grandissante dans ce contexte, puisqu’elle a justement pour effet de donner davantage de pouvoir aux travailleurs face à l’employeur du fait de leur force collective38 :

De façon paradoxale, un tel renforcement de la représentation collective des intérêts contribuerait à la consolidation et à la légitimation du nouveau modèle de production, en faisant en sorte que les salariés y trouvent leur compte.39

Quoi qu’il en soit, dans certains contextes, les restructurations d’entreprises peuvent avoir un impact direct ou indirect sur les syndicats, qu’ils soient en période de recrutement ou déjà en place. Dans la mesure où l’on parle maintenant d’un « état de reconfiguration permanent »40, les nouvelles restructurations étant plus diffuses, variées et régulières, la question de leur impact sur les syndicats se pose avec acuité. Puisque les restructurations d’entreprises entraînent un élargissement des frontières de l’entreprise, la diversification des statuts d’emploi et, par le fait même, l’individualisation croissante des relations de travail, la tâche des syndicats devient plus ardue, en fonction de lois du travail qui n’évoluent manifestement pas au rythme des « stratégies patronales »41.

Dans la mesure où les restructurations modifient la nature de l’entreprise, le syndicat s’en trouve affecté. En effet, en Amérique du Nord, l’existence légale des syndicats est tributaire de l’obtention d’une accréditation. Une fois accrédité, un syndicat obtient le monopole de représentation des salariés de l’unité d’accréditation dans l’entreprise. Fait à noter, l’accréditation est rattachée à l’entreprise et non à la personne (physique ou morale) de l’employeur42. Ainsi, les restructurations d’entreprises donnent parfois à l’employeur « l’occasion […] de limiter le rôle des syndicats, voire de se départir de ces derniers »43. En fait, beaucoup d’employeurs voient les syndicats comme un obstacle à la flexibilité

38 Gregor MURRAY, « Les transformations de la représentation collective au Québec », dans J. BERNIER et al.

(dir.), préc., note 2, p. 65.

39 J. BÉLANGER, A. GILES et G. MURRAY, préc., note 3, à la page 61. 40 M. RAVEYRE, préc., note 13.

41 Voir par exemple : BERNIER, VALLÉE et JOBIN, préc., note 19. 42 P. VERGE, préc., note 10.

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recherchée, principalement en raison de la rigidité qui caractérise, à leurs yeux, la convention collective.

Ces restructurations peuvent affecter le syndicat tant au stade de sa constitution, qu’au stade de la négociation collective ou, le cas échéant, de l’exercice de moyens de pression, comme la grève. La portée restreinte de la protection offerte par la loi pourrait, dans certaines situations, porter atteinte à la liberté d'association syndicale. D’abord, la loi n’a qu’une portée territoriale limitée, ce qui a permis à plusieurs entreprises d’éviter la syndicalisation en déménageant leur établissement à l’extérieur de la province44. Ensuite, seulement les salariés sont couverts par le régime collectif, ce qui incite certaines entreprises à modifier le statut de leurs salariés pour en faire plutôt des travailleurs autonomes. Finalement, la représentation collective est liée à une « entreprise », dans le sens organique du terme45. En fait, l’accréditation ne lie que l’établissement concerné. Dans le contexte de la mondialisation, il devient ainsi plus facile d’échapper à la syndicalisation ou à ses conséquences en effectuant une restructuration dont l’effet est de permettre à l’entreprise d’extérioriser sa production vers des établissements qui ne sont pas couverts par l’accréditation, pour former, par exemple, une « entreprise-réseau ». Le droit continue tout de même à considérer l’entreprise comme une organisation46.

L’opposition entre la liberté d’entreprendre et la liberté d’association des travailleurs dans le contexte de restructurations d’entreprises fait d’ailleurs l’objet d’une grande médiatisation et d’une judiciarisation grandissante des débats. Par exemple, ces dernières années, trois cas de fermeture d’établissements, survenant au stade de l’accréditation ou de

44 Voir par exemple : Compagnie de caoutchouc Servaas Inc. c. Syndicat des employés de Servaas Inc. (CSN),

D.T.E. 89T-199 (T.A.) ; Syndicat des travailleurs de Beau-Roc inc. c. Ateliers Beau-Roc inc., [1998] R.J.D.T. 483, D.T.E. 98T-238 (T.A.) [Beau-Roc].

45 Érik SABBATINI et France LEGAULT, « Le droit de cesser ses activités en droit du travail québécois :

historique de la jurisprudence jusqu’aux récentes affaires Société de la Place des Arts et Wal-Mart », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, L’ABC des cessations d’emploi et des indemnités de

départ (2006), vol. 246, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 1. 46 U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 [Bibeault].

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la négociation de la convention collective ont donné lieu à de nombreuses décisions judiciaires :

1. Wal-Mart : 20 décisions [dont 18 pour le seul magasin de Jonquière] 2. Zellers : 7 décisions

3. Couche-tard : 7 décisions au stade interlocutoire uniquement47

C’est l’affaire Wal-Mart qui a attiré le plus d’attention48. Wal-Mart est la plus grande entreprise de vente au détail à travers le monde et l’un des plus grands employeurs privés avec plus de 1 700 000 salariés. Le chiffre d’affaires de la compagnie était de 288 milliards de dollars. La multinationale américaine est implantée au Québec depuis 1999, avec une cinquantaine de magasins qui emploient 10 000 salariés49. Aucun établissement en Amérique du Nord n’était syndiqué avant que le Wal-Mart de Jonquière ne fasse l’objet d’une accréditation syndicale en août 2004. Les négociations n’ayant pas porté leurs fruits, le syndicat a demandé la nomination d’un arbitre pour la conclusion d’une première convention collective50. Le jour même où le ministre du Travail du Québec nommait un arbitre, l’établissement de Jonquière a fermé ses portes, prétendument pour raisons économiques. Dans cette affaire, plusieurs questions ont été soulevées51. D’abord, qu’est-ce

47 Décompte au 01-11-2013.

48 Jean-Guy BELLEY et Patrick FORGET, « La fermeture de Wal-Mart n’a pas eu lieu », Le Devoir, 24 mai

2005 ; Michel COUTU, « Décision de la Commission des relations de travail sur Wal-Mart – Le droit de propriété, seul droit fondamental ? », Le Devoir, 1er juin 2006 ; Noël MALLETTE, « La fermeture d’un magasin

signe la fin d’une première convention collective », Le Devoir, 15 février 2005 ; Guylaine VALLÉE, Gilles TRUDEAU et Gregor MURRAY, « Relations de travail : Le cas Wal-Mart - Quelle responsabilité sociale ? », Le

Devoir, 15 février 2005 ; Pierre VERGE, « Dans la foulée de la fermeture d’un Wal-Mart : un employeur a-t-il le droit de fermer son entreprise pour motif antisyndical ? », (2005) 37-5 Journal du Barreau.

49 Michel COUTU, « Licenciements collectifs et fermetures d'entreprise au Québec : Le cas Wal-Mart »,

(2007) 109 Travail et emploi 39, 39-50.

50 Les articles 93.1 et suiv. du Code du travail du Québec prévoient qu’en cas d’impasse, une 1ère convention

collective peut être imposée par un arbitre de différend nommé par le ministre du Travail, de manière à assurer le parachèvement du processus de syndicalisation.

51 T.U.A.C., section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada – Établissement Jonquière, D.T.E.

2006T-891 (T.A.) (plainte pour le maintien des conditions de travail) ; Compagnie Wal-Mart du Canada c.

Commission des relations du travail, 2006 QCCS 3784 (demande de révision judiciaire d’une plainte en

congédiement pour activités syndicales) ; Pednault c. Compagnie Wal-Mart du Canada, [2006] R.J.Q. 1266 (C.A.) (demande d’autorisation d’exercer un recours collectif) ; Boutin c. Wal-Mart, 2005 QCCRT 0269 (ordonnance de sauvegarde pour la réouverture de l’établissement de Jonquière) ; Bourgeois c. Compagnie

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qu’une « entreprise »? Est-ce qu’un simple établissement constitue une « entreprise » au sens du Code du travail52 [ci-après C.t.]? Est-ce que le droit de direction de l’employeur lui permettant de restructurer l’entreprise peut justifier une atteinte à la liberté d’association des travailleurs? Est-ce que la fermeture de l’entreprise constitue une telle atteinte à la liberté d’association des travailleurs, étant donné la concomitance de l’accréditation et de l’annonce de la fermeture? La Cour suprême a finalement confirmé le droit de l’employeur de cesser de faire affaire53. Toutefois, elle a jugé que Wal-Mart avait, lors de cette fermeture, manqué à son obligation de maintenir les conditions de travail des salariés54.

De plus, le 16 octobre 2009, la multinationale a fermé l’atelier mécanique de son établissement de Gatineau, dont les travailleurs avaient obtenu une accréditation syndicale, auprès des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC)55. Les négociations en vue de la signature d’une première convention collective traînant en longueur, le syndicat obtint l’intervention d’un arbitre de différends pour en déterminer la teneur. Deux mois après la décision de l’arbitre imposant, entre autres, une hausse des salaires de 9$ de l’heure à 11, 54$ de l’heure, Wal-Mart fermait sans préavis cet atelier syndiqué.

Wal-Mart du Canada, 2005 QCCRT 502, conf. par 2006 QCCRT 0209 (plainte pour congédiement pour

activités syndicales) ; Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2006 QCCRT 207 (plainte pour congédiement pour activités syndicales et atteinte à la liberté d’association) ; Compagnie Wal-Mart du

Canada c. Commission des relations du travail, D.T.E. 2005T-815 (C.S.) (demande de contrôle judiciaire et

ordonnance de sauvegarde concernant les décisions d’accréditation de l’établissement de Gatineau) ;

Compagnie Wal-Mart du Canada c. Commission des relations de travail, J.E. 2005-1545, D.T.E. 2005T-758

(C.S.) (demande de contrôle judiciaire prématuré). Le problème d’une fermeture d’établissement qui semblait anti-syndicale s’était déjà posé avec les restaurants McDonald’s : THE INTERNATIONAL BROTHERHOOD OF TEAMSTERS,TEAMSTERS CANADA,FÉDÉRATION DES TRAVAILLEURS DU QUÉBEC etINTERNATIONAL LABOR RIGHTS FUND, Violation des obligations et des principes prévus à l’ANACT dans l’affaire du restaurant

McDonald’s de Saint-Hubert, Communication du public sur des questions relatives à la législation du travail

survenant au Canada (Québec) au Bureau administratif national des États-Unis en vertu de l’Accord Nord-Américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), en ligne : http://laboris.uqam.ca/anact/mcdonald_fr.htm (Consultée le 22 novembre 2006).

52 RLRQ, c. C-27.

53 Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada Inc., 2009 CSC 54, [2009] 3 R.C.S. 465.

54 Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2014 CSC 45, [2014] 2 R.C.S. 323.

55 Un regroupement de syndicats d’origine états-unienne, membre de la Fédération des travailleurs et des

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En ce qui concerne Zellers, tout juste quelques mois avant l’expiration de la convention collective en 1994, l’entreprise avait annoncé l'ouverture d'une nouvelle succursale au Carrefour Alma, située tout près de celle déjà existante aux Galeries d’Alma, tout en précisant vouloir garder les deux succursales en activité. Cependant, au moment de renégocier la convention collective, Zellers est revenue sur sa position et a annoncé qu'elle souhaitait transformer la succursale des Galeries en centre de liquidation pour, quelques mois plus tard, annoncer finalement la fermeture définitive du premier établissement et mettre à pied tous les employés qui y travaillaient. Dans cette affaire portant sur l’article 39 du C.t., la Cour a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une fermeture, mais plutôt d’un transfert et donc que les salariés auraient dû être transférés plutôt que congédiés56. En fait, l’article 39 du C.t. permet de faire suivre l’accréditation lors d’un changement d’adresse d’un établissement.

Finalement, en ce qui concerne l’affaire Couche-Tard, la fermeture des dépanneurs sur St-Denis et Jean-Talon à Montréal en plein processus de négociation, bien qu’aucune décision au fond n’ait été rendue57, plusieurs plaintes ont été déposées pour entrave, intimidation et menaces dans l’exercice d’activités syndicales58. Le président de Couche-tard a d’ailleurs évoqué dans une vidéo interne la fermeture des magasins syndiqués59.

56 Arsenault c. Commission des relations du travail, 2011 QCCS 2006 ; Syndicat des employées et employés des magasins Zellers d'Alma et de Chicoutimi (CSN) c. Zellers inc., 2009 QCCA 474, [2009] R.J.D.T. 6

(requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée 33178, requête en tierce opposition demandant la rétractation d'un jugement rejetée (2010 QCCA 2009), requête accueillie dans le dossier no CQ-2009-2008 et requête rejetée dans le dossier no CQ-2010-0547 (2011 QCCRT 0101), requêtes pour suspendre l'exécution accueillies (2011 QCCS 2006), jugement sur acquiescement accueilli et requêtes en révision judiciaire accueillies, le dossier est retourné à la Commission des relations du travail (2011 QCCS 4632));

Syndicat des employées et employés des magasins Zellers d'Alma et Chicoutimi (CSN) et Zellers inc., 2011

QCCRT 101 ; Zellers inc. et Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section

locale 500, 2013 QCCRT 295.

57 Une convention collective a finalement été conclue et le syndicat s’est désisté des plaintes : Pierre SAINT

-ARNAUD, « Couche-Tard: une convention collective pour 6 dépanneurs », La Presse canadienne, 28 octobre 2013, disponible en ligne : http://affaires.lapresse.ca/economie/commerce-de-detail/201310/28/01-4704472-couche-tard-une-convention-collective-pour-6-depanneurs.php (consulté le 11 décembre 2014).

58 Syndicat des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard de Montréal et Laval - CSN et Couche-Tard inc., 2012 QCCRT 0516; Syndicat des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard de Montréal et Laval - CSN et Couche-Tard inc., 2012 QCCRT 340; Syndicat des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard de Montréal et Laval - CSN et Couche-Tard inc., 2012 QCCRT 0544 (requête en révision judiciaire, 2012-12-05

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Ces dossiers démontrent l’actualité du sujet et l’intérêt de cette thèse de doctorat. La judiciarisation de ces processus et le nombre élevé de décisions rendues laissent entrevoir que le droit n’est pas clair à ce sujet. D’ailleurs, une étude réalisée en 1997 concluait que le droit du travail du Québec ne prévoit pas de recours pour une fermeture d’entreprise anti-syndicale60. Bien qu’il existe, un tel recours en vertu des articles 12 à 14 du C.t., nous verrons que son application demeure restreinte.

Malgré l’ampleur de l’impact des restructurations pour les travailleurs, aucune étude d’ensemble n’analyse en profondeur le rôle du droit du travail en regard des restructurations au Canada61. Les recherches menées à date qui prennent en considération la dimension juridique, suivant la méthode dogmatique ou empirique, se concentrent sur les normes du travail relatives aux licenciements collectifs62. N’est ainsi obtenue qu’une vison bien parcellaire de l’impact du droit du travail sur les restructurations, du moins en ce qui 2012-12-10)), 500-17-075012-123, requête de bene esse pour permission d'appeler sur la requête en sursis rejetée (2013 QCCA 41)); Syndicat des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard de Montréal et Laval —

CSN c. Couche-Tard inc., 2012 QCCRT 128; Syndicat des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard de Montréal et Laval — CSN et Couche-Tard inc., 2011 QCCRT 592 (requête en révision judiciaire, 2012-01-20

(C.S.), 500-17-070023-125).

59

http://www.lesaffaires.com/videos/entrevues/video-interne--couche-tard-evoque-la-fermeture-de-depanneurs-syndiques/528252

60 John MCKENNIREY, Lance COMPA, Leoncio LARA et Eric GRIEGO, Fermetures d'usines et droits des travailleurs, Rapport pour le Conseil Ministériel sur les répercussions des fermetures d'usines soudaines sur la

liberté d'association et le droit d'organisation au Canada, au Mexique et aux États-Unis, Washington, Commission de coopération dans le domaine du travail, 1997.

61 Patrice JALETTE, Jean-Noël GRENIER et Jérémie HAINS-POULIOT, « Restructuration de la fonction publique

québécoise : configurations et conséquences disparates », (2012) 67-4 R. I. 567 : « Cependant les impacts pour la main-d’œuvre de ces réformes structurelles, organisationnelles ou budgétaires demeurent peu étudiés (OECD, 2011; Flecker et Hermann, 2011). Les recherches disponibles montrent généralement que les restructurations engendrent une détérioration des conditions de travail : précarisation de l’emploi, réduction des effectifs, intensification de la charge de travail, accroissement des contrôles et des exigences quant à la performance, dégradation de l’environnement de travail (Hires, 2011; Datta et al., 2010; Stinson, 2010; MartinezLucio, 2007). »

62 Voir au Québec : Pierre VERGE et Dominic ROUX, « Fermer l’entreprise: un « droit »… absolu ? », dans

Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 245, Développements récents en droit du travail

(2006), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 225; U. COIQUAUD, préc., note 18, 51-57; M. COUTU, préc., note 49, 39-50 ; Bernard BRODY, « Les fermetures d’usines, les licenciements collectifs et les comités de reclassement de la main-d’œuvre : l’ébauche d’une analyse exploratoire », dans 12e colloque de Relations

industrielles, Le plein emploi à l’aube de la nouvelle révolution industrielle (1981), Montréal, École de relations industrielles, aux pages 125-134.

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concerne le secteur syndiqué. Des études de plus grande ampleur existent certes dans le domaine des relations industrielles ou du management, mais la dimension juridique n’y est généralement pas prise en considération sauf, dans le meilleur des cas, de façon marginale. Pourtant, il s’agit là d’une question cruciale, à la fois pour la direction et le personnel des entreprises visées, pour les communautés locales et régionales et pour l’économie et la société.

Rien dans la législation québécoise et canadienne n’empêche explicitement l’employeur de restructurer l’entreprise. Au contraire, la jurisprudence sur les restructurations d’entreprises lui reconnaît clairement cette possibilité, par égard pour sa liberté d’entreprendre63. Elle en fait même un droit quasi absolu64. En fait, le droit du travail a pour principale fonction l’amélioration des conditions de travail, mais aussi de permettre à l’employeur d’organiser son entreprise65. Il vise donc à rendre le capitalisme supportable pour les travailleurs. C’est la société capitaliste qui explique l’importance consacrée au droit de direction de l’employeur66. Pourtant, les lois du travail, les lois sociales et les conventions collectives ont généralement pour mission de limiter ce droit,67 et ce, afin de rétablir l’équilibre entre les parties68 :

63 E. SABBATINI et F. LEGAULT, préc., note 45. Voir par exemple l’affaire Beau-Roc, préc., note 44. 64 P. VERGE et D. ROUX, préc., note 62.

65 F. COLLIN, R. DHOQUOIS, P.H. GOUTIERRE, A. JEAMMAUD, G. LYON-CAEN et A. ROUDIL, Le droit capitaliste du travail, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1980 ; P. VERGE et G. VALLÉE, préc., note 24.

66 F. COLIN et al., préc., note 65. Voir aussi : Umberto ROMAGNOLI, « Libres propos sur les rapports entre

économie et droit du travail », dans Antoine JEAMMAUD (dir.), Le droit du travail confronté à l’économie, Paris, Dalloz, 2005, p. 7 ; Antoine JEAMMAUD, « Le droit du travail dans le capitalisme, question de fonctions et de fonctionnement », dans Antoine JEAMMAUD (dir.), Le droit du travail confronté à l’économie, Paris, Dalloz, 2005, p. 15 ; Olivier FAVEREAU, « Le droit du travail face au capitalisme : d’une normativité ambiguë à la normativité de l’ambiguïté », dans Antoine JEAMMAUD (dir.), Le droit du travail confronté à l’économie, Paris, Dalloz, 2005, p. 39 ; Georges RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, 2e éd., Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1951.

67 En vertu de la thèse des droits résiduaires, l’employeur conserve son droit de direction pour toutes les autres

matières : Gérard HÉBERT, Reynald BOURQUE, Anthony GILES, Michel GRANT, Patrice JALETTE, Gilles TRUDEAU et Guylaine VALLÉE, La convention collective au Québec, Boucherville, Gaëtan Morin éditeur, 2003, au chapitre 4.

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Ce phénomène souligne également, avec une intensité particulière, les tensions qui animent le droit du travail lui-même. En effet, ce droit assure non seulement la protection du salarié donc sa sécurité, mais contribue aussi au fonctionnement de l’économie. Pour ce faire, il doit prendre en compte les intérêts de l’entreprise qui se concentrent sur la recherche d’un profit et d’une plus grande flexibilité.69

L’interprétation extensive de la liberté d’entreprendre accorde à ce principe, en quelque sorte, une mainmise sur les systèmes juridiques québécois et fédéral.

À l’opposé, le principe de la liberté d’association a été interprété restrictivement pendant de longues années par le droit québécois et canadien70 avant de connaître une lente évolution vers une interprétation plus large. Sur le plan international, la protection de la liberté syndicale est distincte de la protection de la liberté d’association. Malgré l’adhésion du Canada aux principales conventions et déclarations internationales relatives à la liberté syndicale71, le concept de la liberté syndicale n’est pas intégré en termes exprès dans la législation canadienne tant fédérale72 que provinciale. En fait, la protection de la liberté d’association, prévue dans la Charte canadienne des droits et libertés73 ainsi que dans la

Charte des droits et libertés de la personne du Québec74 ne protégeait, jusqu’à tout récemment, qu’une modeste partie de la liberté syndicale.

69 U. COIQUAUD, préc., note 18, 51.

70 Christian BRUNELLE et Pierre VERGE, « L’inclusion de la liberté syndicale dans la liberté générale

d’association : un pari constitutionnel perdu ? » (2003) 82 R. du B. can. 711.

71 Principalement les conventions suivantes : C87 Convention sur le liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, en ligne : http://www.ilo.org/public/french/bureau/inf/pr/c87.htm (consultée le 20 novembre

2006) ; Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948, en ligne : www.unhchr.ch/udhr/lang/frn.htm (consultée le 20 novembre 2006) ; Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au

travail, 1998, en ligne : www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc86/com-dtxt.htm (consultée le 20

novembre 2006).

72 Sauf en ce qui concerne le Préambule de la Partie I du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2, qui y

fait clairement allusion.

73 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.),

al. 2 d) [ci-après Charte canadienne].

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Plus particulièrement, depuis la trilogie d’arrêts de la Cour suprême de 198775 la jurisprudence ne reconnaissait pas le droit de grève et de négociation collective comme partie intégrante de la protection constitutionnelle de la liberté d’association. Cette situation a perduré pendant 20 ans jusqu’à ce qu’en 2007, cette même cour, dans l’arrêt Health

Services76, reconnaisse que le droit à la négociation collective doit faire partie de la protection constitutionnelle de la liberté d’association. Néanmoins, la cour restreint l’étendue de ce droit au moment de le définir : « il doit y avoir une atteinte substantielle au droit procédural de négocier collectivement »77. Ce n’est qu’en 2015 que la Cour suprême finira par reconnaître la protection constitutionnelle du droit de grève78.

La liberté d'association est aussi le principe de base du régime des rapports collectifs de travail du C.t. L'article 3 C.t. la protège en termes exprès alors que les articles subséquents réglementent son exercice.

Bref, la liberté d'association est un principe de nature constitutionnelle et d'ordre public. Il justifie et oriente le contenu normatif du C.t. en affermissant une valeur dominante du droit international. Malgré tout, l’interprétation d’abord restrictive de la protection constitutionnelle et sa très lente et sinueuse évolution rend le principe vulnérable dans le système juridique québécois et fédéral. Elle a entre autres permis d’exclure plusieurs groupes de travailleurs de l’application du régime général de négociation collective et de modifier unilatéralement des conventions collectives dûment négociées79.

75 Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; AFPC c. Canada,

[1987] 1 R.C.S. 424 et SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460.

76 Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2

R.C.S. 391.

77 D’ailleurs, subséquemment, la Cour suprême rappelle ces conditions pour refuser d’invalider une loi

ontarienne : Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20. Voir Julie BOURGAULT, « Liberté d’association », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit du travail », Rapports individuels et collectifs du

travail, fasc. 11, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, no 18.

78 Saskatchewan Federation of labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245. 79 Voir à ce sujet le Titre I, chapitre 1, section 2.

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Alors qu’historiquement la liberté d’entreprendre a été limitée par la reconnaissance de la liberté d’association des travailleurs, voilà que la nouvelle réalité de l’entreprise permet à l’employeur d’utiliser sa liberté d’entreprendre pour restructurer l’entreprise même si, ce faisant, il se trouve à faire obstacle à la liberté d’association des salariés.

Dans ce contexte, la question se pose de déterminer comment arrimer la liberté d’entreprendre de l’employeur lui permettant de restructurer son entreprise et la liberté d’association des travailleurs de façon à assurer la cohérence du système juridique. Plusieurs variables peuvent avoir un rôle à jouer dans l’articulation de ces droits de manière à respecter la cohérence du système juridique. Ainsi en est-il de la nature et du poids juridiques accordé à chacun de ces droits, de leur portée, des principes qui les sous-tendent, de même que des conséquences qui en découlent.

Ainsi, la principale question à laquelle nous souhaitons répondre s’énonce comme suit : l’importance respective juridiquement accordée à la liberté d’entreprendre de l’employeur, d’une part, et à la liberté d’association des travailleurs, d’autre part, menace-t-elle la cohérence interne et externe du système juridique en cas de restructurations d’entreprises? Cette question amène à s’interroger sur la nature juridique de la liberté d’entreprendre de l’employeur, lequel sert de fondement aux restructurations de l’entreprise en tant que droit

économique, et sur la nature juridique de la liberté d’association, en tant que droit social.

Alors que le droit actuel semble mettre la liberté d’entreprendre et la liberté d’association en opposition, ne devrait-on pas, dans le contexte du travail, concevoir plutôt leurs rapports comme participant d’une dynamique à la fois économique et sociale :

Cette distinction [entre droit économique et droit social] est purement idéologique : il n’est pas de lien de droit qui n’ait à la fois une dimension économique et une dimension sociale. La relation du travail en particulier est indissolublement une relation économique et une relation sociale. Il faut donc prendre cette distinction de l’économique et du social pour ce qu’elle est : non pas comme une donnée de la science, mais comme une construction dogmatique sur laquelle il est possible d’adosser de nouveaux droits, non seulement à l’échelle nationale, mais aussi, mais surtout, à l’échelle internationale. L’institution d’un marché international conduit à envisager les

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droits sociaux comme autant de dérogations nécessaires aux règles du droit de la concurrence80.

Une réponse à cette question fait appel à des éléments de théorie du droit. En effet, la nature et la portée des droits en cause, de même que leur cohérence avec d’autres principes du système juridique influencera forcément leur conciliation dans le cadre de restructurations d’entreprises. Ainsi, l’originalité de notre démarche se trouve principalement dans l’application de la théorie du droit pour déterminer si l’interprétation de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’association dans le cas de restructurations d’entreprises menace la cohérence interne et externe du système juridique.

En fait, bien que la notion de « système » soit plutôt mal définie par la littérature81, des exigences logiques du système juridique découlent de la conception du droit comme système (innovation attribuée à Kelsen)82. L’étude du développement du droit du travail québécois permet d’ouvrir les frontières du système juridique à différents ordres juridiques.

Notre thèse se situera donc dans le courant du pluralisme juridique. Notre questionnement met en cause plusieurs ordres juridiques dans le cadre de restructurations d’entreprises au sein d’une entreprise syndiquée ou en voie de l’être : l’ordre de l’entreprise (règlements d’entreprise, code de conduite…), l’État (Loi sur les normes du travail83, Code du travail), l’autonomie collective84 (convention collective). Pour s’assurer d’une articulation cohérente entre la liberté d’entreprendre et la liberté d’association dans ce contexte, il faut être en mesure d’agencer les droits découlant de ces différents ordres juridiques. Pour ce faire, la

80 A. SUPIOT (dir.), préc., note 26, dans la préface.

81 Denis ALLAND et Stéphane RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de

France, 2003, « système juridique ».

82 Norberto BOBBIO, Essais de théorie du droit (recueil de textes), Paris, Éditions Bruylant LGDJ, 1998,

Traduit par Michel GUÉRET avec la collaboration de Christophe AGOSTINI ; Jean GOULET, La machine à faire

le droit, Québec, PUQ, 1987, p. 13-14. 83 RLRQ c N-1.1 [ci-après L.n.t.].

84 Sur le sens de cette expression, voir Stamatina YANNAKOUROU, L’État, l’autonomie collective et le travailleur. Étude comparée du droit italien et du droit français de la représentativité syndicale, coll.

« Bibliothèque de droit privé », Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1995. Voir aussi l’ouvrage : Dominic ROUX, dir., Autonomie collective et droit du travail, Mélanges en l’honneur du

Figure

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