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Las banquetas de Guadalajara : rôles et enjeux du trottoir au Mexique

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Academic year: 2021

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Submitted on 3 May 2018

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Las banquetas de Guadalajara : rôles et enjeux du

trottoir au Mexique

Tania Gauvain

To cite this version:

Tania Gauvain. Las banquetas de Guadalajara : rôles et enjeux du trottoir au Mexique. Architecture, aménagement de l’espace. 2018. �dumas-01784580�

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Las banquetas de Guadalajara

Rôles et enjeux du trottoir au Mexique

ECOLE

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Mémoire réalisé sous la direction de Frédéric Barbe

Ensa Nantes 2017-2018

Tania Gauvain

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Je remercie Frédéric Barbe pour m’avoir

accompagnée intellectuellement et soutenue

moralement.

Je remercie tous les mexicains, anonymes ou

ami(e)s, qui ont croisé mon chemin, pour m’avoir

fait aimer et comprendre leur pays.

Je remercie Gonzo, Julio, Alma, Gerardo, Paula,

Miriam, Ricardo Agraz Orozco et tous les autres

interviewés pour leur participation et leur

honnêteté indispensables à la réalisation de ce

mémoire.

Je remercie mes parents, premièrement pour

m’avoir donné le goût du voyage, ensuite pour

m’avoir aiguillée patiemment.

Je remercie ‘Toulouse’ et ‘Hippie’ pour leur

regard éclairé, leurs conseils pertinents et leur

aide constructive.

Je remercie Zoé et Sofia pour leurs petites mains.

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PRÉAMBULE

INTRODUCTION

I. DÉCOUVERTE

I.

1.

OBSERVATION

CARTE PSYCHOGÉOGRAPHIQUE A. LA VUE B. LE TOUCHER C. L’OUÏE

D. LE GOÛT & L’ODORAT

I.

2.

EXPÉRIENCES

II . LES HABITANTS & LES HABITUDES DU TROTTOIR

II. 1.

LE TROTTOIR, COMME CATALYSEUR DE SOCIABILITÉS

A. LA COLONIA SANTA THÉRÉ À TRAVERS PAULA

B. LA COLONIA AMERICANA À TRAVERS GERARDO

C. DIVERS ‘BARRIOS’ À TRAVERS GONZO

II. 2.

LA PHYSIONOMIE DES TROTTOIRS

A. MATÉRIALITÉS

B. FORMALITÉS

II. 3.

LE TROTTOIR MODELÉ PAR SES OCCUPANTS

A. NATURE

B. LES INDIVIDUS ET LEURS TRACES

C. LES USAGERS DE LA CIRCULATION

II. 4.

L’ INSÉCURITÉ SOCIALE

A. UN CLIMAT DE TENSION

B. LA FEMME DANS L’ESPACE PUBLIC

C. UN ÉCLAIRAGE DÉFAILLANT p.5 p.12 p.18 p.17 p.20 p.22 p.24 p.26 p.28 p.30 p.34 p.34 p.36 p.38 p.46 p.42 p.48 p.51 p.52 p.60 p.78 p.84 p.86 p.87 p.88 p.14

III. DES FACTEURS EXOGÈNES INFLUENT SUR LE TROTTOIR

III.

1.

L’URBANISATION ANARCHIQUE DE LA VILLE

A. ABSENCE DE PLANIFICATION URBAINE

B. UNE VILLE MODIFIÉE AVEC L’ARRIVÉE DE LA VOITURE

C. LA DÉMOGRAPHIE

III.

2.

UN LIBÉRALISME ÉCONOMIQUE SCULPTE LE TROTTOIR

A. DES TROTTOIRS MODELÉS PAR LE FONCIER

B. FINANCEMENT DE L’ESPACE PUBLIC PAR LES PARTICULIERS

C. UNE MATÉRIALITÉ GÉNÉRÉE PAR UN PARTICULIER

E. LES INTÉRÊTS DES COMMERÇANTS

F. DES PROPRIÉTAIRES POUR UN TRANSPORT PUBLIC

III.

3.

CULTURE, MENTALITÉS & COMPORTEMENTS

A. UNE VILLE CONNECTÉE SOCIALEMENT

B. RELIGION ET CONSERVATISME

C. « DEUX POIDS, DEUX MESURES »

D. ÉDUCATION

E. ACCEPTATION DU POUVOIR ?

F. INÉGALITÉS

IV.

GUADALAJARA, À L’HEURE DU RENOUVELLEMENT URBAIN

IV. 1.

STRATÉGIES DE LA NOUVELLE STRUCTURE POLITIQUE

A. DU LOCAL AU GLOBAL

B. UN PROCESSUS PARTICIPATIF

IV. 2.

LES ACTIONS POLITIQUES

A. LE TROTTOIR AFFECTÉ PAR DE NOUVEAUX ESPACES ET ÉQUIPEMENTS PUBLICS

B. LA GENTRIFICATION

C. LE TROTTOIR À L’HEURE DE LA VERTICALISATION

IV. 3.

PERCEPTIONS DES POLITIQUES PAR LES HABITANTS

A. DES TROTTOIRS DÉLAISSÉS PAR LES SERVICES PUBLICS

B. LA CORRUPTION

CONCLUSION

p.96 p.95 p.95 p.96 p.102 p.101 p.98 p.104 p.98 p.106 p.98 p.108 p.115

p.112

p.99 p.110 p.116 p.111 p.118 p.120 p.120 p.126 p.128 p.130 p.130 p.131 p.127 p.94 p.94 p.90

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« Me toca Guadalajara »

Au départ, la décision d’aller étudier un an au Mexique était un peu

arbitraire. Il a fallu accommoder ses choix en fonction des désirs de chacun

des étudiants en partance. Spontanément, les miens visaient un pays

hispanique et lointain, spatialement et culturellement. Paradoxalement,

cette volonté de dépaysement s’inscrivait dans un retour aux sources. Je

souhaitais retrouver «la» culture d’Amérique latine, que j’avais connu en

Argentine pendant 3 années de ma petite enfance.

Avide de découverte, je m’en vais au Mexique, à Guadalajara. Je ne

connais rien de la culture mexicaine, je ne m’y suis jamais intéressée mais

j’ai déjà hâte. Je garde la surprise. L’immersion sera d’autant plus intense

sans préjugés.

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11:45 PM 13 Aout 2015.

Après avoir parcouru 10 000 km en «15h», un ami d’amie -Ivan1- m’accueille à bras ouverts dans le hall de l’aéroport. Je suis loin d’être perdue, ces lieux de transit sont ce qu’il y a de plus universel. Surexcitée, soulagée et un peu désorientée par le décalage, je suis chaleureusement recueillie dans une voiture roulant à 100km/h dans la pénombre étincelante de Guadalajara. De gigantesques infrastructures routières accaparent le paysage. Des voitures, des lumières, des bruits à toute vitesse dans l’immense obscurité. Je rentre dans le «néant» de la ville, protégée dans une capsule mobile.

J’ai hâte. Hâte que le soleil se lève, hâte de démasquer l’habitat de mon hôte, hâte de d’arpenter les rues, d’observer la vie qui l’anime.

Là, l’engin commence à freiner, au seuil d’une petite rue privée dans un quartier éloigné, à Zapopan2. C’est une des petites maisons mitoyennes, identiques les unes des autres. La première clé ouvre une porte en grillage fin, puis la deuxième, opaque, se déploie librement. Soulagement, une nuit méritée.

Ou suis-je ? C’est un réveil des plus curieux... Ivan n’est pas là mais m’a laissé un mot sur la table, accompagné de 200 pesos. Au petit soin !

Dès le premier pas dehors, je me sens étrangère, spectatrice d’un autre monde. Après 5 mètres, je quitte la ruelle et mets le pas sur le trottoir : des petites maisons rouille et ocre devancées d’un jardinet et d’un parking. L’air n’est pas le même, les voitures non plus. Des vieilles Volwagen Coccinelles (nommées «Bochos» par les mexicains en référence à «Volwo»). Un serrurier aux pieds d’une place de stationnement dans son mini commerce…

Quelques petites minutes de marche plus loin, la route s’agrandit, plus de voitures et de grandes terrasses abritées, des commerces de restauration presque sans espace intérieur. J’ai faim mais n’ai pas envie de me poser directement. Est-ce de la timidité ?

Je continue en me dirigeant vers des parterres végétalisés et en suivant la courbe de la rue j’aperçois soudain un cheval, à côté d’un terrain de jeux pour enfants. Le sol du trottoir est pavé de petits carreaux bicolores et commence à être de moins en moins entretenu, de la poussière et quelques pavés, des parcelles vides. Au loin, une forêt ? Des platanes ? J’entre par un grillage métallique grand ouvert. A ma droite réside une micro architecture où ne peut loger qu’un homme assis pour surveiller, mais personne. Drôle pour un parc s’appelant la «Centinela3». L’endroit à l’air abandonné, pas un chat. C’est un parc sauvage, de hautes herbes serpentées par un étroit chemin en terre. Explorant ce dépaysement végétal et animal, je m’assois dans le parc pour continuer mon bouquin.

Pendant deux jours, c’est à travers la vitre d’une voiture que j’arpente Guadalajara. Je n’ai aucun repère. Ivan m’emmène aux quatre coins de la ville pour effectuer mon intégration administrative (logement, téléphone, argent), et culturelle (la nourriture, quelques lieux iconiques de Guadalajara). Je suis encore moins seule que si j’étais partie accompagnée.

1 Ivan est mexicain, originaire de Guadalajara.

2 Commune intégrée à l’Aire Métopolitaine de Guadalajara (AMG)

3 Centinela signifie sentinelle

(personne qui a pour tâche de surveiller)

Carpe Diem.

Symboliquement, je n’ai pas pris de billet de retour. S’il y a un début, il n’y

a pas de fin. L’idée est de rester minimum une année -pour l’Erasmus- et

plus si affinité... L’expérience escomptée dépasse le cadre scolaire. C’est

plus qu’un voyage-passage, je vis à Guadalajara. La posture que j’adopte

n’est pas celle de la visiteuse mais celle de l’habitante. Le processus

d’intégration est tout autre.

Je me retrouve dans une position d’expatriée. Celle-ci convoque l’exercice

de passer outre sa propre culture afin d’en comprendre celle de son

hôte. Certes, la tentation d’aller se rassurer entre français est présente,

cependant je veux m’intégrer tel un caméléon.

Leur quotidien devient le mien.

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6:20 PM 16 Aout 2015.

Me voilà dans une colocation avec 10 autres mexicains dans une maison au cœur de Guadalajara. La soirée s’annonce accueillante : une petite mise à niveau du jargon mexicain accompagnée de deux «caguamas»(1L de bière dans une bouteille en verre -la moins chère- conviviale et écologique car la bouteille est consignée). Elles m’expliquent les différentes significations des mots identiques, puisqu’ici le langage c’est comme la nourriture : avec les mêmes ingrédients, on fait quatorze plats différents.

Je sens déjà que j’ai énormément à apprendre et qu’il suffira de demander pour avoir des réponses.

Le lendemain matin, c’est la bienvenue de la ‘Universidad de Guadalajara’ (UDG) pour les étudiants Erasmus, au Theatro Diana. Décidément, ces mexicains ont le sens de l’hospitalité ! C’est le grand show, l’université nous montre un vidéo et fait un speach de promotion, pas seulement de l’institut mais aussi du pays. On dirait une publicité d’agence de voyage. A la sortie, un buffet est servi. Comme si on était à un congrès ou qu’ils avaient quelque chose à vendre.

Mon premier déplacement seul. Je sais que je peux prendre le bus, plusieurs personnes m’ont expliqué l’itinéraire mais je vais y aller à pied. Presque toujours tout droit à 25 minutes, facile. J’atteins l’objectif en me perdant d’une ou deux rues mais ça valait le coup : j’ai appris que l’on ne disait pas «todo recto» pour «tout droit» mais «derecho».

Ce chemin, jusqu’au théâtre Diana, est devenu le parcours que je fais tous les jours pour aller à l’école. 20 min de marche jusqu’au Macrobus puis 30 min de camion traversant la ville à toute pompe pour arriver tout au nord de Guadalajara, à la ‘barranqua1’ de

Huentitan. Durant ce déplacement pédestre, plus j’avance vers la Calzada Independencia, moins les maisons sont entretenues. Parallèlement, c’est tout une avenue de boutiques de matériaux de salle de bain qui défilent.

1 Barranqua : Falaise

Il faut prendre ses repères. Je suis dans une ville étrangère, étrangère à la ville. Je veux prendre mon temps, vivre l’ordinaire des mexicains. Aller au plus lentement pour tout capter. Pour se faire, je décide d’explorer ce nouvel environnement, littéralement pas à pas.

Mettre un pied devant l’autre, rien de plus. Marcher est la manière la plus abordable et directe pour se déplacer. C’est le moyen le plus primitif pour se transporter. C’est l’autonomie, la flexibilité, l’agilité, la liberté. Marcher c’est aussi l’observation, l’attention, les regards...

Définie par le Laroussecomme un moyen de locomotion, par Hyppocrate1 comme un remède, aux vertus tant physiques que mentales. Mouvement lent et régulier, elle supporte et conforte le voyage de l’esprit, l’approfondissement de la réflexion.

Néanmoins, la marche est indéniablement liée au milieu qui l’entoure. Elle s’en inspire et s’y contraint. Si l’on détache la marche de la ville, les deux concepts ont une symbolique paradoxale. La ville est un espace aux mouvements grouillants, hétérogènes et discontinus, source de stress. La marche n’en a ni la vitesse, ni le rythme. De plus, la ville loge une société, c’est l’espace du communautaire, «l’en-commun». L’espace urbain dans lequel on déambule est un lieu public, qui incarne le collectif. La marche, elle, est personnelle et solitaire. Ainsi, marcher en ville est une individualité parmi un commun, «une communauté des solitudes»2. Avant de plonger dans cette déambulation urbaine, quelques repères semblent utiles.

1 « La marche est le meilleur remède pour l’Homme. » Hyppocrate 2 Jean-Luc Nancy, philosophe

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1 561

MÈTRES d’altitude

3,265.

KM2de superficie

La Zone Métropolitaine de Guadalajara est la plus étalée du Mexique

(Paris intra muros : 105,40 km2)

Dans la vallée d’Atemajac, Guadalajara est entourée par plusieurs collines dont le Cerro del Coli et le volcan de la Primavera, toujours en activité. La ville, elle, a un relief plat.

20°39’58’’N 103°21’07’’O

MEXICO

GUADALAJARA

ZONE MÉTROPOLITAINE DE GUADALAJARA (ZMG)

ÉTAT DE JALISCO

GUADALAJARA, JALISCO, MÉXICO

Guadalajara s’est étendue jusqu’à venir embrasser l’urbanité de ses villes voisines. C’est pourquoi la métropole est divisée par différentes communes. Chacune d’entre elle est gouvernée par un maire. La Zone Métropolitaine de Guadalajara (ZMG) est contrôlée par le conseil métropolitain, constituée des maires de chaque commune.

histoire du Méxique histoire de guadalajara 0 5 15 10 20 25 23 15 16 18.5 20.5 23 22.5 21 20.5 20 17 15.5 11 11.4 12 12.6 13.4 13.2 13.1 12.8 12.2 11.6 11.1 10.9 19 25 28 29 26 26 25 26 25 24 30 32 30 35 0 50 150 100 200 250 300 7 9 12 15 15 16 16 16 11 9 7 7      °c) °c) °c)            

Avec son milieu tempéré- subtropical, elle est connue pour son climat «agréable» tout au long de l’année.

C’est le pôle économique de l’ouest du Mexique. On dit d’elle que c’est la «grande ville des petites entreprises». Guadalajara est la ville comptant le plus ‘tianguis’ (marchés ouverts formels et informels). Elle est la première ville d’Amérique Latine à s’équiper d’un centre commercial, Plaza del Sol et d’un métro.

La ville est leader de par sa vie culturelle et éducative. La culture ne se limite pas à la création et diffusion artistique (comme conçu en Europe) mais à toute forme de culture, depuis l’identité et les traditions jusqu’à l’innovation et les alternatives.

Elle est aussi très touristique grâce notamment à son architecture coloniale.

Capitale Américaine de la Culture en 2005

Sport : Juegos Panamericanos de 2011

Cinéma : Festival Internacional de Cine de Guadalajara

Littérature : La FIL (Salon international du livre)

Religion : 90% catholique

Nourriture : répertoriée au patrimoine de l’UNESCO Indigènes : Huicholes

Artisanat, musique et danse de divers traditions

4 495 182

la seconde ville du Mexique par son nombre d’habitants. (ZMG)

1 460 148

dans la commune de Guadalajara

9 644,31

habitants par km2

En 2016, le Mexique est le pays comptant le plus de chiens errants d’Amérique Latine . Comparé au nombre d’habitants, Guadalajara est plus atteinte par ce phénomène que México.

39%

des déplacements se font à pied et nous sommes

tous piétons à un moment de la journée.

30%

en transport public

29%

en véhicule particulier

2%

à vélo

Le Mexique est le 7ème pays comptant le plus de morts causées par le trafic routier. 50 personnes par jour meurt à cause du trafic. C’est la première cause de mort des enfants de 5 à 9 ans.

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Mon regard de future architecte amène intuitivement à observer et questionner les espaces que j’arpente. Aujourd’hui, je suis piéton dans une métropole et explorer Guadalajara par la marche me conduit à m’attarder sur ses trottoirs. En France, le mot «trottoir» ne provient pas seulement de verbe «trotter» qui en 1178 signifie «marcher beaucoup, faire de long déplacement à pieds», devenant ensuite synonyme de marche intensive. D’abord, il est employé pour les fortifications en tant que soubassement protecteur. Avant de passer dans le domaine urbain, le terme est utilisé dans le domaine du théâtre. Il désigne l’espace où l’on se met en avant, une image, une façade. Ce n’est qu’à partir de 1781 que le trottoir se conçoit pour les piétons. Ces deux étymologies illustrent bien l’aspect réversible de cet espace tantôt protecteur, tantôt exhibitionniste. Dans la langue hispanique, plusieurs termes sont employés pour désigner le «trottoir». On trouve le mot «acera» en Espagne, «vereda» au Pérou et celui de «banqueta» au Mexique. La diversité du vocabulaire hispanique ressort d’une volonté d’affirmer la singularité d’une culture face à l’Espagne. Ainsi, à travers une même langue, différents langages se démarquent. «Acera», est le plus commun, il vient du mot «hacera» «facera» « faceira » « facaira » « fachada » qui signifie «façade». Le trottoir comme partie intégrante de l’enveloppe d’un bâtiment. C’est le reflet d’un intérieur, le visage de quelque chose, il expose une apparence. «Vereda», en Argentine et au Pérou, signifie une délimitation informelle des communes.

«Banqueta» n’est utilisé qu’au Mexique. Le terme signifie également «tabouret». Il provient de « banca » qui signifie « banc ». Le mot est de l’ordre de l’immobile, d’une posture assise. Il n’est pas assimilé à un élément traversé et mouvant mais davantage à un point de vue fixe, d’observateur. Il se rattache aussi au domaine du mobilier plus que de l’infrastructure, comme extension de l’espace domestique plus qu’une partie intégrante de la voie publique.

Communément, le trottoir est un espace urbain délimité à destination du piéton. En Europe, il disparaît au Moyen Âge, au profit d’un aménagement de voiries avec ruisseau central. Au XVIIIème siècle, il est réinventé en Angleterre, où de nouvelles règles d’urbanisme prônent l’élargissement des rues, trop souvent étroites. Le trottoir, comme on le connait aujourd’hui, n’arrive en France qu’à partir de 17801. Cependant, le premier trottoir est apparu aux alentours de 1990

avant J.C en Turquie2. Cette ancienneté prouve qu’il n’est pas seulement une

barrière entre la voiture et le piéton mais que sa fonction est plutôt sociale. En effet, il est le lieu où tous les flux se croisent. Ce sont les veines irriguant les organes de la ville. Tout le monde a un contact direct avec le trottoir. Élément urbain, il appartient à tous et à personne. Dans l’épaisseur de cet interstice, interagit une multiplicité d’acteurs et d’usages. Espace d’entre-deux, à la croisée de tout flux urbain, c’est une interface, une marge. A la lisière du privé et du public, le trottoir dévoile une certaine ambiguïté. C’est l’espace intime, le plus public de la ville.

Suivre un trottoir c’est suivre un bout de chemin que l’histoire a construit, c’est comprendre le parcours de l’histoire urbaine. Les trottoirs sont le visage d’une ville, la scène quotidienne de la culture. Dans cette mesure, on peut se demander comment les trottoirs représentent cette culture ? Qu’est-ce que le trottoir pour les habitants et qu’est-ce l’habitant pour les trottoirs ? Est-ce les trottoirs qui façonnent les usages ou les usages qui façonnent les trottoirs ?

1 Le premier trottoir français apparu en 1607 sur le Pont-Neuf à Paris. A cette époque, ce sont des pistes surélevées longeant certains ponts et quais. Le trottoir «contemporain» arrive bien plus tard, en 1780, rue de l’Odéon.

2El mosaico en las banquetas de Guadalajara. « Cosas de todos los

dias », 2014

Ce mémoire propose une analyse quadri-dimensionnelle du trottoir pour comprendre, à différentes échelles, son rôle et ses enjeux à Guadalajara.

La première étape de la compréhension est l’observation. Dans une 1ère partie décrit mon expérience sensible, vécue sur le trottoir, la perception d’une française à Guadalajara, ce qui m’a marquée en marchant dans cette ville. Les cinq sens en éveil, j’essaie de capter tout ce qui m’atteint. C’est une observation flottante guidée par la dérive.

Le deuxième stade est l’empathie. Il consiste à décaler son point de vue, se mettre à la place des autres pour comprendre la position des différents usagers face au trottoir. Elle met en évidence l’interaction et les possibles conflits entre ses acteurs. Cette partie s’appuie sur de nombreux entretiens effectués sur place auprès des protagonistes. Les controverses liées aux appropriations impactent, de manière plus globale, la façon de concevoir les trottoirs et l’urbain. Comment les individus s’approprient le trottoir pour les adapter à leurs usages et besoins, tandis que les trottoirs répondent à des enjeux exogènes ?

La troisième partie met en fond de carte le contexte dans lequel s’inscrivent ces usages. En effet, le trottoir est soumis à des enjeux économiques, politiques, sociaux et historiques plus globaux. Cette partie dévoile l’envers du décor. Elle aborde le cadre qui influence inexorablement notre sentiment d’appartenance ou de dépossession au trottoir.

Dans la quatrième partie, nous verrons comment, à l’heure où la métropole ne peut plus s’étendre, se met en place un renouvellement urbain dans une ville de 500 ans qui n’a jamais été planifiée. Quelle importance les pouvoirs publics et les concepteurs donnent-ils au trottoir ? Comment les pouvoirs publiques pensent et gèrent le trottoir, afin de permettre un cadre d’usage, mais également sa transgression nécessaire. Quels impacts l’évolution des trottoirs a sur la ville et ses habitants ?

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I. DÉCOUVERTE

« La ville commence avec le trottoir. »

Louis Sébastien Mercier

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I. 1. L’OBSERVATION

L’observation est une expérience de sélection et de recueil d’informations sur un phénomène ou un objet d’étude. Inconsciemment, la sélection se porte sur les choses qui sont inhabituelles. L’exploration d’une ville étrangère se rapporte souvent à l’expérience passée vécue. Ici, c’est la moitié de la journée sur les trottoirs, dont deux heure de marche, minimum. Le but n’est pas d’avoir un exercice régulier. L’objectif est d’arpenter la ville pour sentir sa vie, être en immersion. En marchant, tout est plus direct. La lenteur que procure le pas, amène à ouvrir gand les cinq sens, à imprégner plus en profondeur l’environnement. Les éléments atteignent plus longtemps le corps et l’esprit car je vais plus lentement. Je suis plongée dans le tumulte de la ville. Par l’exploration sensitive, j’apprends à connaître la ville comme un sujet, d’en découvrir tous ses recoins pour en faire une alliée. Je dévie, je dérive, je profite de la liberté de la marche.

La méthode qui a paru être évidente d’utiliser est la psychogéographie. Ce terme, défini pour la première fois par Guy Debord en 1955, se proposerait comme étant «l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur les émotions et le comportement des individus.»

La dérive urbaine constitue le principal outil pour appréhender « le relief psychogéographique », c’est-à-dire le changement d’ambiance au sein de la ville, de ses quartiers et de ses rues. Ces espaces urbains que l’Internationale situationniste1 nomme « unités ambiances » sont les lieux dont les caractéristiques

sont homogènes. L’objectif de la dérive, qui se déroule à pied, est de localiser ces ambiances, de les évaluer et de les expliquer. À partir de ces observations récoltées sur le terrain, les « psychogéographes » reportent et localisent ces aires d’ambiances sur des cartes.

1 L’Internationale situationniste (IS) était une organisation révolutionnaire désireuse d’en finir avec le malheur historique, avec la société de classes et la dictature de la marchandise. Mais elle représentait à ses débuts l’expression d’une volonté de dépassement des tentatives révolutionnaires des avant-gardes artistiques de la première moitié du XXe siècle, le dadaïsme, le surréalisme et le lettrisme.

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I. 2. EXPLORATION PAR LES CINQ SENS.

I. 2. A. LA VUE

Marcher dans une ville quadrillée offre une perspective bien particulière. C’est le cas tout du moins dans les zones que j’ai l’habitude d’arpenter. L’angle de vue est quasiment toujours pareil et le rythme des rues est régulier. Plein... Vide. Plein... Vide. Plein... Vide. Le point de fuite est central. Il reste régulier tout au long du pâté de maison, puis s’ouvre soudain sur les côtés. La morphologie de la ville apporte des effets de surprise à chaque coin de rue.

D’autre part, la perspective change lorsque la rue est étroite ou large. Sur la rue Belgica, les façade d’en face sont à moins de 10 mètres puisque c’est une petite rue à sens unique, chose commune à Guadalajara. La perspective a un champ large et détaillé sur les façades mais la profondeur ne va pas très loin. En revanche, lorsque j’avance sur l’avenue Juarez, la portée de ma vue s’allonge. J’ai une vue d’ensemble, puisque l’horizon est plus large, et les lignes de fuites moins obliques.

Guadalajara est une ville bariolée, aux multiples teintes. De plus, le soleil mord bien les couleurs. Où que ce soit, j’aperçois une pointe de couleur vive dans le paysage. Les tonalités saisissantes de la ville attirent, attrapent. Un peu de joie et de chaleur, cela contraste avec Nantes où même les individus ont des vêtements sombres et moroses. Toute la ville est parsemée du jaune des bordures de trottoirs ou des taxis, du rouge du sol ou des parasols, du bleu des façades ou de la lumière des croix d’églises.

Dans les quartiers aux alentours de Chapultepec, une végétation luxuriante exhibe ses pigments. Toute une gamme de vert des feuilles, du orange vif des fleurs de Tabachines et Strelitzia, puis du magenta des bougainvilliers. J’observe avec curiosité et fascination la végétation, à un angle de la rue Balbuena. Deux arbres me touchent particulièrement. Le premier recouvre toute une intersection. Le deuxième ressemble à des jambes de femme renversées, sculpté à la Botero. Dans le centre historique, les folles couleurs des fruits et des magasins -aussi pétantes les unes que les autres- attirent leurs clients. Les façades des maisons accrochent le regard. Tantôt par un revêtement constitué de petites boules, en pierre volcanique auburn, rue Cruz Verde. Tantôt par un mur en terre rose Barbie qui s’effrite par endroits, dans la rue Zaragoza. De la mosaïque composée de minuscules géométries incitent à l’arrêt, rue Miguel Blanco. La matière est palpable, rien qu’avec les yeux. Il y a des détails dans tous les sens. Guadalajara est une ville aux influences architecturales multiples. En marchant quinze minutes, je peux admirer des maisons traditionnelles, puis des modernes aux influences françaises, italiennes ou américaines et d’autres aux courbes mozarabes. Ensuite, des édifices coloniaux, puis contemporains ou néoclassiques. Il y a même des constructions néogothiques et art déco. Une succession et un entremêlement de styles forment la ville. On est loin de la monotonie. Le sol du trottoir change d’aspect à chaque rue, à chaque maison. Parfois mât et sec à Federalismo, parfois brillant à Mexicaltzingo.

Dans ma rue, je m’amuse à regarder l’intérieur d’une maison depuis une fenêtre ou par la porte grillagée donnant vers le patio, rue San Felipe. En parlant de grillage, chaque fenêtre a son propre genre de barrière. Aussi, les entrées des constructions rythment la rue. Il y a une porte singulière tous les huit mètres. Dans le centre-ville, chaque commerce a sa devanture complètement ouverte, ce qui donne l’impression de rentrer dans un nouvel univers loufoque à chaque foulée.

En levant la tête, j’aperçois souvent des chiens, faisant le guet sur les toits terrasses. Les deux pattes au bord du mur, la poitrine en avant, ils protègent les lieux, gardent la maison. Dans toute la ville, les compteurs électriques circulaires sont en saillies des façades, comme des petites verrues métalliques. Je suis surprise par tous ces câbles. Ce sont des nœuds organisés. Les lignes électriques tranchent le ciel. Parfois, des chaussures sont suspendues à ces fils. Il parait que c’est un code mafieux, indiquant la présence de marchandise ou la mort d’une personne, je ne sais plus. D’autre part, de grands muraux s’ancrent dans le paysage.

A Guadalajara, les gens ne détournent pas leur regard. L’intimité et la sphère de chacun n’a plus de frontière avec celle des autres. Ils n’ont pas peur de regarder dans les yeux ou d’inspecter un corps de la tête aux pieds.

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I. 2. B. LE TOUCHER

Je suis proche de la matière. Mes pieds chevauchent un nouveau sol. Parfois grumeleux, parfois glissant, parfois oblique sur Vidrio. Parfois soulevé, parfois troué rue Morelos côté Federalismo. Parfois craquelé, parfois gravé rue Pavo. Parfois doux, parfois lisse, comme sur Union.

Je rase le bord de la façade en passant la main sur le mur. La terre asséchée craquelle sous la paume. Le trottoir doit faire 1m50, je frôle la façade. Je peux apprécier leurs minutieux détails, sa matière, sa composition. La proximité se sent davantage lorsque que le trottoir est partagé. Pour ne pas se retrouver coller à un inconnu, il faut se stopper sur les côtés afin de pouvoir laisser le passage à quelqu’un. Les gens s’effleurent mais se poussent rarement.

La ville entière est à échelle humaine, ses maisons sont basses et ses trottoirs étroits. A Guadalajara, les arbres embrassent leur passant, jusqu’à 180 degrés. En marchant, quelques fois mes pieds buttent sur des racines émergeant à la surface du sol. Sur l’avenue Mexico, mes cheveux restent coincés aux branches. D’autres fois, des feuilles caressent les joues. Les jours de grosse chaleur, je viens chercher leur ombre et leur fraicheur vital. Sur l’avenue Hidalgo, il est possible de marcher pendant 13 cuadras1, soit sur 650 mètres, sous l’ombre des gros arbres, dans le noir et la fraicheur.

J’ai l’habitude de marcher vite. Ici, ce n’est pas si simple, les trottoirs sont petits, il n’y a pas de place pour doubler et les mexicains sont plutôt lents, alors le changement de rythme est nécessaire sinon c’est s’aventurer sur la route qui ne m’accepterait pas. La poussière sur l’avenue Federalismo fouette les yeux lorsque le vent souffle. Sur Juan Manuel, parfois les murs tremblent par le passage des camions.

1 Cuadra : rue (délimitée par

les rues perpendiculaires)

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I. 2. C. L’OUIE

La maison au portail vert, rue Colonias, loge un chien dans son avant-cour. Je le sais, pourtant à chaque passage, son aboiement me surprend et je sursaute. Il met son museau dans le mince espace entre le sol et le portail opaque en métal, je ne le vois donc jamais venir, même si j’essaie d’anticiper sa venue. Parfois, ce n’est pas d’en bas que les chiens interloquent, mais d’en haut, du toit. En début de soirée, dans certains quartiers vers le Refugio, c’est toute une chorale de canins qui résonne.

Les oiseaux sont bien lotis dans les quartiers aisés de la colonia Moderna, ils peuvent jouir de l’abri et de la nourriture des arbres et le font bien ressentir. A l’aube déjà tiède, ils bercent le réveil par leur douce mélodie. Souvent, les sabots des chevaux sur le goudron intercepte l’attention. Il s’agit de calèches de touristes ornementées de la roue jusqu’au toit. C’est un folklore mexicain, les cow-boys en costume traditionnel dirigent les animaux, eux aussi déguisés par un toupet de plume. Au départ, je trouvais ça drôle, maintenant je trouve ça cruel. Ils passent toute leur vie les naseaux dans la fumée des voitures, sous un soleil ardant et sur un sol dur et incertain.

Les alarmes, signaux et appels divers retentissent dans la ville. Des livraisons ou des va-et-vient pour la vente de biens et de services. Les éboueurs font sonner une cloche pour prévenir de leur arrivée. Elle ressemble à celle de nos vaches. Les vendeurs ambulants crient d’une voix qui portent jusqu’à trois cuadras. Ils annoncent les produits en vente, en mâchant leurs mots. Dès que les camions de fourniture de gaz passent dans la rue, une chansonnette se grave dans la tête : «Fais pas, fais pas , fais pas ça !». En réalité, leur musique répétitive ébruite «Zeta, Zeta, Zeta gaz !» Le marchand d’eau, traînant son caddie rempli de 6 bidons de 10 litres, ressasse son couplet pour inviter les habitants à sortir changer leurs bidons vides. En outre, la religion est très présente. Les cloches des églises signalent l’heure pendant 15 minutes parfois.

Dans les quartiers déshérités, les lignes électriques grésillent sous la tension. Sur la rue Juan Manuel, les moteurs des immenses camions des transports en commun grondent quand ils démarrent, puis quand ils s’arrêtent, leurs freins sifflent. Si ce ne sont pas les bus, ce sont les voitures qui klaxonnent à Federalismo. Les véhicules ne font pas seulement des bruits néfastes. Régulièrement, les automobilistes roulent sur un rythme Reaggeton ou de la musique de «banda» (musique traditionnelle, Mariachis par exemple)

Ca discute toujours devant les ‘abarrotes’, la fameuse «la tienda». L’accent calme et chantant à la fois de la langue mexicaine dégage une atmosphère de tranquillité. Des voix lentes et rassurantes s’entendent depuis l’épicerie à l’angle de Libertad et Belgica. Souvent, les gens s’interpellent de loin. Comme si toute la rue se connaissait, ils discutent à 10 mètres d’écart.

Le matin, lorsque les commerçants ouvrent, les portes roulantes en métal grincent. Les devantures sont ouvertes, les rythmes des machines des travailleurs et artisans s’agitent. Dans le quartier des imprimeries, vers Federalismo et Pedro Moreno, les appareils tambourinent. J’écoute les cliquetis des machines à écrire. En passant devant les boutiques de vêtements, dans le centre, près du marché Corona, c’est une enfilade de musiques de radio, toutes plus fortes les unes que les autres. Vers Chapultepec, c’est plutôt dans les bars et restaurants qu’on monte le son. Les terrasses bourdonnent des discutions et de rires.

L’espace peut s’apprécier avec le son, en sentant ses ondes se déployer ou s’atténuer en sourdine. On sent la proximité ou la distance des éléments. Il est possible de distinguer un son «dangereux» (travaux, voitures), d’un son «sécurisant» (enfants, rires). On entend le rythme des flux environnements.

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I. 2. D. LE GOÛT & L’ODORAT

Les mexicains sont de «bons vivants» comme on dit chez nous. C’est pourquoi les premières activités d’intégration sont d’aller boire un verre ou d’aller manger un bout. Or, la différence avec la France c’est que l’on mange sur le trottoir et que l’on boit derrière la limite de propriété, l’inverse des français, qui boivent sur le trottoir et mangent à l’intérieur.

Il y a des odeurs de nourriture à chaque coin de rue. Des tacos, des fruits, des elotes (épis de maïs), des tamales (pain de maïs fourré), des hot-dog, des burgers... La fumée des puestos1 de tacos prolifère dans la rue Mexicaltzingo. Des odeurs de viandes grillées m’ouvrent l’appétit. Les fruits et les jus du puesto à Vallarta, exhibent des parfums de pastèques, papayes ou mangues. Les saveurs des pays exotiques. Dans la colonia Americana, des goyaviers, des citronniers, des orangers, enivrent mon passage. Quelques fois, je me penche pour ramasser les fruits bien mûres tombés des arbres. Les fleurs de la rue Colonias dévoilent leurs émanations. Je ferme les yeux pour mieux les sentir.

Vers Niños Heroes, des relents de céréales renfermées inondent le quartier. Les grandes brasseries Corona et Modelo ne sont pas loin. Dans le centre-ville, les magasins embaument ou empestent les rues. Les effluves de maïs et de levure se propagent par les grandes ouvertures des petites fabriques de tortillas. Les marchands de poulets laissent leur viande au soleil. Le mélange de parfums des magasins de beauté, l’odeur puissante de dissolvant et de vernis à ongles des esthéticiennes. Vers la Paz, les produits chimiques de sérigraphie redonne envie de créer. Un peu plus loin, c’est l’odeur des tacos de poissons et de panures qui s’étale.

La pollution des camions de la rue Mariano Barcena, absorbe l’odorat. Il faut bloquer sa respiration ou boucher ses narines pour éviter les vapeurs toxiques. À Cristobal Colon, des relents de poubelles ou d’égouts se font sentir, surtout aux moments de grosses chaleurs.

Lorsque la porte d’un Oxxo ou d’un 7 Eleven s’ouvre, un arôme artificiel s’en dégage. Une odeur très spéciale, comme un mélange de hot-dog industriel et de café brûlé. Ce genre de magasin, paraissant à des boutiques de station services, sont présents tous les 100 mètres, si ce n’est plus. Leur devise est : « Un magasin à pas plus de 3 minutes de chez soi ».

1 Puesto : chariot, tricycle ou

remorque utilisé pour vendre de la nourriture.

‘PUESTO’ À L’ANGLE DE LA RUE LIBERTAD ET BELGICA

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I. 3. MES EXPÉRIENCES

La dérive permet, par l’éveil des sens, d’observer. Cependant, elle n’apporte pas que cela. Pratiquer les trottoirs force à se confronter aux autres usagers. Marcher dans la rue c’est déjà agir et interagir, de manière choisi ou hasardeuse. Lieux de sociabilité et d’effervescence, les trottoirs de Guadalajara m’ont tout de suite plu. Pourtant, en les expérimentant, ces espaces dévoilent la vulnérabilité de leurs utilisateurs. Cette réalité vécue a été déterminante dans la décision du mon sujet de mémoire. Cet exotisme n’est pas si rose, il recèle des facettes sombres.

« Les peuples heureux n’ont pas d’histoire.»

Roger-Gérard Schwartzenberg

Les trottoirs de Guadalajara me font vivre différentes aventures :

« Un homme en fauteuil roulant est bloqué sur la route à une intersection. La marche du trottoir est trop élevée, il n’y a pas de rampe. Je lui propose alors de l’aider. Son poids est conséquent, j’essaie de soulever les roues avant mais ça ne fonctionne pas. J’y parviens enfin en le montant dans le sens inverse. Ce n’est pas une mince affaire ! »

« Un aveugle marche au loin, je le vois tomber, son corps à moitié sur la route. Lorsque j’arrive à l’endroit où il a chuté, il y a un énorme trou dans le trottoir. Des travaux de tuyauteries ne sont pas finis et aucun panneau n’indique cet obstacle. »

« C’est l’heure de pointe, les brouhahas de la ville se font entendre. Le trottoir est bouché, rempli par trois passants arrivant en face de moi. Un homme marche à plus vive allure derrière. Il les double en s’aventurant sur la route. Là, une masse grondante arrive en trombe sans ralentir. Elle se rapproche, elle se rapproche... Je saute sur le bras du monsieur pour l’éjecter vers le trottoir. Le camion file, on est passé une seconde de l’accident. Il n’avait ni vu, ni entendu. »

« Je suis avec trois amies françaises, à un carrefour de l’avenue Federalismo. On discute en attendant que ce soit à nous de passer. Lorsque les voitures s’arrêtent, Marjorie s’élance la première. Je regarde à gauche, vérifiant les voitures qui tournent. Je vois une voiture, je vois Marjorie, je l’extirpe vers moi, la voiture continue. Ici, les voitures s’imposent, le piéton s’adapte. »

Ces expériences me font prendre conscience de mon regard -peut être un peu idéaliste- d’étrangère, qui n’est pas forcément de l’avis du grand public.

« Je rentre tranquillement chez moi, vers 21h, ramenant des pizzas chaudes à mes colocataires. Soudain, j’aperçois un homme à vélo, juste à côté de moi sur le trottoir. L’espace ici est minuscule et il a toute la place pour aller sur la route. J’ai l’impression qu’il me veut quelque chose. Je fais attention à mon sac à main, en le rapprochant vers moi pour ne pas qu’il me le vole. D’un coup, je ne vois plus, il s’est arrêté pour ouvrir un portail. Ouf ! Je me suis fait des films. Dix mètres plus loin, je sens une main taper mes fesses puis vois le cycliste partir au loin. Je cris, choquée. Il n’y a personne, aucune lumière, les arbres imposants cachent tout ce qu’il peut se passer. De jour, ils donnent une impression de protection, mais de nuit, les arbres rendent vulnérable. Concernant les lampadaires, c’est très étrange, certains sont allumés le jour mais pas la nuit... »

« Une nuit, vers 3h du matin, nous décidons de changer de bar. 400 mètres de marche pas plus. Je suis en tête avec Joséphine, le reste du groupe est plus loin. Soudain, deux hommes arrivent, armés de pistolets. Tenant son téléphone portable dans la main, Joséphine n’a pas de choix que de le donner. J’observe la situation à 2 mètres, ébahie. Un temps de réaction, et je me retourne vers le reste du groupe en criant «Ayuda !» (A l’aide). Les deux voleurs, pas trop sûrs d’eux, s’en vont en courant. »

« En Août, je comprends qu’il vaut mieux rester du côté bâti lorsqu’on marche. Les camions roulent à toute allure dans une espèce de rivière qui ruisselle au bord du trottoir. A mon arrivée, je me suis retrouvée trempée de la tête aux pieds. »

« En sortant de chez moi un matin, deux pitbulls sont étalés, morts sur le trottoir. Chacun d’eux est placé dans le même position : à l’angle d’un pâté de maison, l’un en face de l’autre. Il n’y a pas un goutte de sang... Bizarre pour des chiens allongés au bord de la route. Je demande alors à la gérante de la tienda d’à côté ce qu’il s’est passé. Elle m’explique que ça doit être un moyen de pression entre narcos, un avertissement. »

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Crédit photo : Gonzalo Bojorquez (Cuadra Urbanismo)

II. LES HABITANTS & LES HABITUDES DU TROTTOIR

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Ces expériences personnelles du trottoir m’ont directement amené à questionner le rapport que les autres usagers avaient sur cet espace. Il faut que mon point de vue soit discuté, remis en cause, approuvé ou complété. Le trottoir est le lieu commun par excellence et chaque acteur prend une place et une posture particulière. Comprendre le rôle du trottoir dans une société demande à s’attarder sur l’usage et la perception que chacun s’en fait. C’est la raison pour laquelle la parole des habitants est essentielle pour cette analyse. Ce mémoire se base sur leurs récits. Ces derniers seront identifiables par des couleurs tout au long du développement. Les deux teintes de couleur sont associées aux générations. Le choix a été d’utiliser des témoignages d’individus à caractères différents pour éviter d’avoir une entrée unilatérale. Il ressort de ces récits, des expériences d’usages et de paysages.

L’espace du trottoir fait coexister du vivant, de l’humain et du matériel. C’est un espace polyvalent qui se laisse approprier par une grande diversité d’éléments et d’individus, de telle manière que, la cohabitation peut créer entente ou litige, coopérations ou conflits entre les protagonistes. Nous verrons alors en quoi le trottoir est un espace de socialisation, avant d’en dévoiler ses aspects physiques. Ensuite, nous analyserons les occupations de chaque élément de ce cadre en les confrontant les uns aux autres.

PAULA

23 ans, Barcelonaise.

Arrivée depuis plus d’un an à Guadalajara, pour une année d’étude d’anthropologie à la base. Aujourd’hui, elle ne veut plus repartir, elle a trouvé un petit boulot grâce à un ami.

GERARDO

La cinquantaine, Tapatio1.

Tient un petit restaurant chez lui, dans la colonia Americana. Il passe sa matinée dehors et l’après midi chez soi pour le travail.

GONZO

29 ans, Tapatio.

Photographe engagé à Cuadra Urbanismo. Observateur et acteur avéré du trottoir. « Quand j’ai beaucoup de stress ou de pression , je marche. 4 heures... Marcher, marcher, marcher, et c’est bon, tout s’en va. Pendant que tu penses, tu te nettoies car le corps met la dynamique. Un mécanisme, comme un relaxation, une méditation. Et quand tu n’as pas d’idées, tu sors et elles t’arrivent. »

JULIO

La cinquantaine, Chilango2.

Il travaille dans le secteur immobilier.

Doit marcher au moins une heure par jour puisqu’il a des problèmes cardiovasculaires.

MIRIAM

25 ans, Tapatia

Colocataire et amie mosaïste. Collaboratrice de ‘Bonjour Mosaïque’, avec une française expatriée depuis 5 ans à Guadalajara. Elles réalisent des ateliers dans la rue, avec les enfants, pour faire des muraux.

ALMA

47 ans, Tapatia.

Fondatrice d’un collectif citoyen en faveur de la mobilité et la sécurité de la voie publique. «Nous défendons les plus vulnérables, les oubliés

des politiques publiques.» 1Tapatio : originaire de

Guadalajara 2Chilango : originaire de la ville de Mexico (CDMX)

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II. 1. LE TROTTOIR, COMME CATALYSEUR DE SOCIABILITÉS

II. 1. A.

DANS LA COLONIA SANTA THÉRÉ

Paula

vit à Guadalajara depuis plus d’un anmaintenant. Elle est originaire d’un village près de Barcelone. C’est pourquoi sa posture m’intéresse. Celle d’une étrangère mais qui parle la même langue. Celle d’une femme, européenne. Celle d’une étudiante en anthropologie qui a grandit dans un village et vécu dans une grande ville. Sa perception est relative à sa culture de référence, ce qui permet de dévoiler certaines caractéristiques des comportements sociaux, des attitudes de l’altérité, qui sont évidentes pour des mexicains.

Elle a choisi de vivre à Santa Théré, un quartier du centre historique, ancien quartier ouvrier connu pour son ambiance populaire.

« Dans le centre, c’est

très oppressant. Beaucoup de gens, des magasins, du bruit, et blablabla. Des

couleurs, de la nourriture... C’est trop. C’est pesant. »

Ce tumulte d’éléments et d’actions (aspect populaire et traditionnel), sur les trottoirs, naît d’un mode d’interaction vif et instinctif.

« À Barcelone, j’ai l’impression que chacun

est dans son monde, que personne ne veut savoir de personne. [...] Ici, la

distance entre toi et l’autre est plus courte. [...] Il y a un ‘bonjour’, ils te

disent quelque chose, te regardent ou te sourient. Je sens les distances plus

proches. »

Les mots de politesse, les mots ‘réflexes’ sont hautement présents au Mexique. Ils montrent une approche sociale très ouverte, de par la spontanéité de leur parole. Par exemple, un éternuement est toujours suivi d’un ‘Salud’ (À tes souhaits), peu importe de connaître ou non la personne. Aussi, pour dire au revoir, il y a une gradation de politesses : ‘Adios’ (Au revoir), ‘Que te vaya muy bien’ (Que tout se passe bien), ‘Cuidate mucho’ (Prends bien soin de toi). « Au marché,

les commerçants sont toujours aimables. Ils te demandent d’où tu viens et

après ils te connaissent, dans les lieux où tu as l’habitude d’acheter. ‘Pasale

Güerita

1

!

’’ (Allez-y ma petite blanche !). À Barcelone, ils sont aimables mais

ils ne vont pas te demander ce que tu fais . »

Le rapport social sur le trottoir ne s’entretient pas qu’avec les commerçants. De nombreux autres usages prennent place et créent de la convivialité dans les rues. Ces pratiques d’ordre domestique deviennent des mœurs, voir des habitus

2.

« Il y a beaucoup de contradictions, ici. Habiter l’espace public s’est perdu,

mais ça continue d’exister. On mange dans la rue, on discute dans la rue, les

voisins de rassemblent. Les puestos* de tacos, etc. Oui, il y a beaucoup de

vie dans la rue, pour le simple fait de manger quotidiennement dans la rue.

»

Les usages créent le ‘vivre-ensemble’. On mange, on boit, on discute, on joue... Mais parfois c’est le ‘vivre-ensemble’ qui créé l’usage. Le fait de se retrouver, engendre des usages externes à celui prévu à la base. « Sur le trottoir, en face

de chez moi, il y a toujours du monde. Tout le quartier est là. Ce ne sont que

des hommes ou des enfants, les femmes sont à la maison. [...] Tu connais tes

voisins. Les autres, qui sont en face de ma maison, font toujours attention

à nous et ils surveillent le camion de mon colocataire. Il y a une convivialité

entre les jeunes et ceux de toujours. »

Les usages du trottoir provoquent de interactions bienveillantes entre les habitants. Ils sont un support de sociabilisation.

1 Güera-o est employé pour désigner les personnes de couleur blanche. Ce terme n’est pas péjoratif, les mexicains sont très différents «racialement.» 2 Un habitus désigne une manière d’être, une allure générale, une tenue, une disposition d’esprit.

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II. 1. B.

DANS LA COLONIA AMERICANA LA MAISON-COMMERCE DE GERARDO

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Gerardo

vit dans la colonia Americana, un quartier créé dans les années 50 pour familles aisées. Similaire à la colonia Moderna ou Francesa, elle est constituée majoritairement de maisons au style fonctionnaliste, aux inspirations européennes et américaines. Cette zone est notamment jonchée de bâtisses dessinées par l’architecte Luis Barragán ou sa famille. Ce bout de ville est le manifeste des réalisations ‘officiellement architecturales’, c’est-à-dire conçues par un architecte en suivant un style (cf. p.94). Gerardo est sensible à cet art habitable, qui donne une singularité matérielle, mais aussi sociale au quartier. C’est une zone «bobos», les habitants sont de classe aisée mais revendiquent une philosophie de vie plutôt ‘hippie’.

Les habitants de la colonia Americana s’investissent dans leur quartier. Ils s’impliquent humainement pour des relations sociales entre voisins.

« On se

connait tous entre voisins, on sait qui vit dans les rues suivantes. C’est très

chouette ça. »

Mais aussi matériellement pour que la végétation soit respectée,

par exemple. (cf. photo ci-contre) . Ces interactions commencent sur le trottoir, c’est l’espace du premier contact.

« J’aime ce contact avec les gens. Ce quartier

le permet. Tu vois qu’ils te saluent. »

Puis, continuent de s’alimenter et de

s’approfondir sur des réseaux virtuels.

« Pour communiquer, il y a une page, un

blog , qui s’appelle ‘Voisins vigilants, Colonia Americana’. Il y a un président,

un secrétaire. »

Cette organisation est due notamment à une bonne entente

entre les habitants et à leur ouverture d’esprit, qui créent une cohésion par leur considération mutuelle.

« C’est un quartier plus tolérant, plus décontracté que

les autres. Quant à la diversité. Pour la préférence sexuelle, ça se manifeste

plus que dans d’autres quartiers. Que chacun fume ce qu’il lui plaît. Ici, c’est

un village... »

Don Juan, le tapissier d’ameublement situé à quatre rues, a lui aussi son commerce au rez-de-chaussé de son logement. Il vit dans une maison traditionnelle, donc son commerce loge dans le garage de l’habitat. Son atelier est donc constamment ouvert. Il connait tout le quartier, puisqu’il passe toute sa journée à travailler en contact direct avec le trottoir. Chaque fois que quelqu’un passe, il fait un petit commentaire.

L’espace tampon, à l’avant des maisons modernes du quartier, offrent un espace mi-public, mi-privé. Lorsqu’il évoque le bon contact avec les gens, Gerardo fait référence à la proximité visuelle que permettent les murets des avant-cours. Cet espace intermédiaire a l’intimité nécessaire pour choisir de se socialiser ou non avec les piétons, notamment les vendeurs ambulants.

« Ils viennent et

te proposent des choses. Parfois, je leur achète. Parce que premièrement

j’aime bien la plante et par solidarité aussi. Au moins aider un peu, avoir un

sentiment solidaire, réellement. »

Gerardo a décidé de monter un petit restaurant chez lui. L’espace intermédiaire entre sa maison et le trottoir, lui permet d’installer un terrasse ombragée. Espace protégé et détectable, il est parfait pour attirer sa clientèle. Dans le quartier, il est loin d’être le seul habitant à avoir transformé une partie d’un logement en commerce, surtout lorsque cet espace d’entre-deux est présent. Mais qui sait si, au départ, Gerardo avait demandé l’autorisation pour ouvrir son commerce. Son activité est bien visible.

« Il y a un voisin... Olala, il parle et il dénonce ! De

manière anonyme. Il disait : ‘ahh, c’est ouvert, il est en train de vendre...’ »

Depuis le trottoir, l’espace privé est visible et palpable (de par sa limite basse : le muret), pour les meilleures et les pires interactions.

« RESPECTES L’ESPACE, PRENDS-EN SOIN.»

Signé : La colonia Americana PARTAGE D’ORANGES ENTRE VOISINS Rue Miguel Blanco, avec Belgica

«C’est mon père qui avait planté l’arbre.»

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II. 1. C.

DANS DIVERS ‘BARRIOS’

Gonzo

me raconte son enfance, dans un quartier périphérique de Guadalajara. Il habitait dans un ‘barrio’, terme donné aux quartiers populaires. L’expérience de Gonzo sur les trottoirs est riche. Elle a forgé sa personnalité.

« Tout ce que j’ai vécu là-bas c’était parce que je marchais.

J’ai connu tout le monde. »

Les trottoirs de l’enfance sont souvent ceux du chemin de l’école. Le trajet de Gonzo, lui, était ponctué d’interactions sociales diverses, ce qui le faisait dériver jusqu’à rentrer tard chez lui . Sollicité par une multitude d’actions alentours, il interagissait de manière intentionnelle :

« Je passais mon temps dans la rue.

J’étais très vagabond. Je discutais avec le monsieur de l’eau, avec celui du

Pepsi, avec le loubard de l’autre côté... Avec tout le monde. Je rentrais jamais

directement chez moi de l’école. ‘Vagabonzo’ m’appelait ma grand-mère. »

Ou, faisait des rencontres hardeuses :

« Il y avait un fou du quartier, un ancien

militaire, qui jetait ses sacs de caca par la fenêtre. Les autres, il les frappait

et tout, mais avec moi il était toujours sympa. Il me disait : ‘qu’est-ce t’as

vu aujourd’hui à l’école ? ’ Je lui disais un truc de biologie et il le savait. Il me

disait : ‘aah, il y a ça, ça et ça.’, et il m’accompagnait. »

Là-bas, les commerces ne sont pas seulement des lieux de vente, ils sont des points de rencontres. Acheter devient un prétexte pour se retrouver. Les puestos ambulants sont des supports éphémères d’agglomération dans les rues.

« Le monsieur du maïs connaissait tout le quartier. Il traversait les quartiers

alentours et criait : ‘eeeeh’. A l’endroit où il s’arrêtait, ça engendrait une

communauté de personnes parce que les voisins restaient discuter. C’était

un point d’affluence. »

Certains commerces fixes sont des endroits de référence pour se rassembler. L’espace utilisé pour ces usages est le seuil de des boutiques : l’espace du trottoir.

« Dans les ‘barrios’, les gens se retrouvent dans les

épiceries souvent. Les petites épiceries sont un point de réunion. Ça continue

de se faire mais ce n’est plus pareil. Dans le centre-ville, ce sont les anciens qui

ont ces habitudes. Ils se rassemblent devant chez le mécanicien ou certains

types de commerces. »

Le trottoir est aussi un lieu de sociabilité lorsqu’on y circule. L’usage qu’on en fait, par un moyen de transport inhabituel, peut être le germe de curiosité.

«J’allais

à l’épicerie, en skateboard. Dans la rue suivante, il y avait le mécanicien,

de Chiva, un ami. Après, je traversais, et là était l’angle de l’école où ils se

retrouvaient. Un jour, ils ont criés ‘truco , truco’ (fais le truc!). Je l’ai fait et

j’ai fini par traîner avec eux. Ça a finit en une bande de ‘skatos’, je les ai tous

motivé à skater. »

Lieu des premières sociabilisations, espace de rencontre, le trottoir de la jeunesse est aussi le lieu des activités entre amis. Pour se retrouver, les maisons familiales ne sont pas adaptées, de par leurs tailles et leurs règles. Dans la rue, n’existent pas les mêmes lois, ni les mêmes enjeux qu’à maison. Affirmation ou dissimulation du caractère des individus, le trottoir est un théâtre social, un lieu

d’expression.

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Le trottoir est son terrain de jeu. Les conditions de son appropriation dépendent de sa physionomie. Ses caractéristiques et spécificités sont adaptées pour certains usages et pas d’autres.

« On faisait du skate près des usines parce que

le trottoir était grand là-bas. Il y avait des rampes de garage. J’ai su bien plus

tard que derrière ces vitres en miroir, il y avait le plus grand laboratoire de

méthamphétamine d’Amérique Latine. »

L’appropriation d’un trottoir relève de son aspect physique mais aussi de l’environnement dans lequel il est intégré.

« On se retrouvait à l’angle de la rue, près de l’école primaire. Il y avait deux

ralentisseurs, donc on était bien tranquille. On jouait au football aussi, parce

qu’il n’y avait presque pas de voitures. »

Le trottoir connecte, de par sa vocation de circulation et de par son rôle de catalyseur social. Si on le comparait à la gastronomie, il serait l’appareil. Il est le liant d’un quartier. Plus il est habité, plus il y a une filiation entre ses usagers.

« C’était très bien organisé. Si quelqu’un faisait quelque chose, ça se savait

directement. TOUT le monde se connaissait. »

Le trottoir est un espace d’exhibition. Il permet de montrer qui l’habite, rien que par ses traces.

« Il y a toujours eu une relation avec l’espace public car on

graffait sur les murs. T’etais toujours dans la rue, en train de boire un coup

ou fumer, s’approprier. »

C’est un espace démonstrateur de personnalités. Le lieu où l’affirmation est nécessaire pour se faire une place dans le quartier. Ensuite, se construit une mini-société au sein d’un bout de ville, qui elle aussi doit afficher son caractère.

« Ce qui fait un ‘barrio’, c’est la recherche de l’identité,

d’appartenance. Les amis se convertissaient en famille. Tu finissais par aimer

plus tes amis que ta famille, donc tu préférais être dans la rue. »

Dans le cas de Gonzo, le trottoir provoque un effet boule de neige quant à son aspect social. Plus il va dans la rue, plus il fait des rencontres, plus il fait des rencontres, plus il va dans la rue. Malheureusement, ce désir identitaire peut avoir des conséquences négatives.

« On avait notre ‘barrio’, et il y en avait un

autre à côté, à 5 rues. Et ça se battait... Il y avait une avenue qui divisait le Coli

de Paseos del Sol. Il y avait un espace entre les deux quartiers. Là-bas, c’était

chaud. Délinquance jusqu’à des combats de chiens. Intense. »

Dans ces ‘barrios’, n’existe pas «d’espace public» vaste et dessiné, comme on l’entend en Europe. Ici, l’espace public, c’est le trottoir, et par expansion, la route.

«Les espaces publics, c’est nous qui les faisions.»

L’espace du trottoir permet une

convi-vialité sociale qui apporte d’incontestables

bénéfices, depuis l’attente entre voisins

jusqu’à l’organisation de la vie quotidienne.

Crédit photo : Juan Benal

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II. 2. LA PHYSIONOMIE DES TROTTOIRS

« Sùbete a la banqueta »

(Montes sur le trottoir)

Crédit photo : Gonzalo Bojorquez (Cuadra Urbanismo)

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