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(1)

Le traitement juridique des propos haineux sur les

plateformes numériques de partage de contenus

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Leslie Herail

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Paris-Sud 11

Orsay, France

Master (M.)

(2)

LE TRAITEMENT JURIDIQUE DES PROPOS HAINEUX

SUR LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES DE PARTAGE

DE CONTENUS

Mémoire

Cheminement bi-diplômant Maîtrise en droit / Master 2

Propriété intellectuelle fondamentale et technologies numériques

Leslie Herail

Sous la direction de :

Pierre Rainville, Université Laval

Arnaud Latil, Université Paris-Sud

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RÉSUMÉ

L’internet était à l’origine un réseau bien différent de celui qui existe aujourd’hui ; né du réseau Arpanet, qui avait été créé dans un but militaire afin de résister à une attaque nucléaire, il a su s’adapter à l’évolution des sociétés. Désormais, l’internet est devenu un réseau de communication si puissant que des problématiques nouvelles voient sans cesse le jour, notamment avec l’avènement des plateforme numériques telles que les réseaux sociaux. Parmi ces problématiques, celle du traitement juridique des contenus haineux sur l’internet est de plus en plus mise en avant. La notion de propos haineux est une notion floue qui n’est pas toujours bien comprise, ce qui donne parfois lieu à l’émergence de différents problèmes. Un des soucis majeurs est qu’il est difficile de déterminer avec précision ce qu’englobe le terme de contenu haineux. Par conséquent, il sera tout aussi fastidieux d’affirmer ou non que des propos partagés en ligne sont condamnables. En effet, chaque parole incriminée devra être mise en balance avec le principe de la liberté d’expression. Par ailleurs, la responsabilité des auteurs des propos diffusés n’est plus la seule à être pointée du doigt. Cette dernière a fait l’objet de nombreux travaux, mais désormais, beaucoup avancent que les différents acteurs du numérique, tels que les intermédiaires techniques, devraient, eux aussi, avoir des obligations quant à la suppression de ces discours de haine. Étudier le traitement juridique des propos haineux sur l’internet permet de mettre en avant des problématiques actuelles liées au développement des nouvelles technologies. Il faut cependant garder à l’esprit que l’internet n’est pas une zone de non-droit. Ainsi, ce mémoire a pour objet de démontrer comment la diffusion des propos haineux en ligne est appréhendée par le droit, tant canadien que français. Il s’agira de déterminer les ressemblances et les différences entre ces deux systèmes nationaux, afin de mettre en lumière des solutions pertinentes permettant de combler les éventuelles lacunes.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... II

TABLEDESMATIÈRES ... III

REMERCIEMENTS ... V

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I : ... LA CONCILIATION DE LA LUTTE CONTRE LA HAINE EN LIGNE ET DU DROIT A LA LIBERTE D’EXPRESSION ... 10

A. LALIBERTÉD’EXPRESSIONAPPLIQUÉEAUMONDEDEL’INTERNET .... 10

1. Les plateformes numériques comme outil de libre communication au service de la liberté d’expression ... 11 2. Les dérives liées à l’utilisation abusive du droit à la liberté d’expression

engendrées par l’utilisation massive des plateformes numériques ... 14 3. La crédibilité donnée aux propos partagés en ligne ... 19

B. LARECHERCHED’UNÉQUILIBREENTRELIBERTÉD’EXPRESSIONET PROTECTIONDESTIERS ... 22

1. La suppression conditionnée par le caractère nécessairement illicite du contenu 22

2. La restriction judiciaire de la liberté d’expression dictée par la mise en balance des intérêts ... 25 3. L’espoir d’une meilleure conciliation entre les objectifs de lutte contre la

diffusion de contenus de haine et de respect de la liberté d’expression ... 30

CONCLUSIONI ... 37

CHAPITRE II : ... LA RESPONSABILITE DES PLATEFORMES DE CONTENUS FACE À LA PUBLICATION DE CONTENUS DE HAINE ... 39

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A. LAQUALIFICATIONJURIDIQUEDESPLATEFORMESDECONTENUS ... 39

1. La classification des différents intermédiaires du numérique ... 40

2. L’existence d’une confusion entre le statut d’hébergeur et celui d’éditeur de contenus ... 42

3. Vers une consécration du statut d’hébergeur au profit des plateformes de contenus ... 46

B. LESOBLIGATIONSMISESÀLACHARGEDESPLATEFORMESDE CONTENUS ... 49

1. L’obligation de conservation et de communication des données d’identification et de connexion ... 50

2. L’obligation de retrait des contenus illicites ... 52

3. L’absence d’obligation générale de surveillance ... 57

CONCLUSIONII ... 65

CONCLUSIONGÉNÉRALE... 67

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REMERCIEMENTS

Je souhaite tout d’abord remercier Monsieur le Professeur Pierre Rainville de l’Université Laval ainsi que Monsieur Arnaud Latil de l’Université Paris-Sud pour m’avoir si bien guidée dans la rédaction de mon mémoire. Leur disponibilité et la qualité de leurs conseils m’ont été d’une grande aide.

Je tiens également à remercier Madame la Professeure Alexandra Bensamoun qui m’a donné la chance de suivre une formation d’une telle qualité en m’acceptant au sein du double programme qu’elle dirige ; le Master II – LLM Propriété intellectuelle fondamentale et technologies numériques. C’est grâce à ses enseignements dispensés au sein de la faculté de Rennes que j’ai pu découvrir mon attrait pour le droit de la propriété intellectuelle et le droit du numérique. En m’acceptant au sein de sa formation, elle m’a permis de suivre le chemin que je convoitais.

Je ne peux achever la rédaction de ce mémoire sans remercier Maître Émilie Vinqueur ainsi que Maître Jérôme Damiens-Cerf, qui m’ont beaucoup appris lors de mes premiers stages. Ils m’ont permis d’acquérir une rigueur et une connaissance juridique qui me serviront tout au long de ma vie professionnelle. Pour cela, je ne peux que leur être reconnaissante.

Enfin, merci à mes parents qui ont toujours cru en moi, m’ont apporté leur plus grand soutien tout au long de mes études et balayé chacun de mes doutes.

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INTRODUCTION

Dans les années 1990, l’internet1 n’était pas le réseau que nous connaissons aujourd’hui ; il

n’était d’ailleurs pas utilisé par la plupart de la population car il était alors très méconnu. Le commerce en ligne se faisait en France par le biais du Minitel qui était un moyen de communication télématique commercialisé à partir de 1980 après avoir été développé par le groupe France Telecom. Par ailleurs, aucune plateforme du numérique n’existait à cette époque, on peut cependant noter la création d’Amazon qui est désormais un des géants de l’internet moderne.

Petit à petit, l’internet a grandi et est devenu un lieu où les questions de droit ne se posaient pas réellement, puisqu’il était vu comme un symbole de liberté ; « les seules règles étaient celles

que se fixaient eux-mêmes les internautes de l’époque, précurseurs du réseau : pour l’essentiel, des règles de comportement, parfois teintées de morale »2. En janvier 2019, le Rapport Digital

Global rendu par We Are Social et Hootsuite révélait le nombre d’utilisateurs de l’internet au niveau mondial : 4,39 milliards ; une augmentation de 9% par rapport à janvier 2018. Le nombre d’utilisateurs des médias sociaux s’élève quant à lui à 3,5 milliards3. Avec cette montée en

puissance, progressivement, des litiges sont apparus, notamment en matière de propriété intellectuelle et les juristes se sont alors interrogés sur la manière de régler ces différends sans règles venant s’appliquer directement au domaine du numérique. C’est alors la jurisprudence qui a bâti tout un régime autour de l’internet, notamment avec l’intervention de la Cour de justice de l’Union européenne qui s’est prononcée à de multiples occasions afin de préciser sa position quant à ces problématiques. La Commission européenne a également eu un rôle à jouer dans la régulation des GAFAM qui représentent Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. C’est ainsi que le droit de l’internet est né. Il s’est construit au fur et à mesure des jurisprudences et recommandations.

1 Si « Internet » était de manière originelle un nom propre désignant un réseau de télécommunication mondial,

désormais, le dictionnaire de l’Académie Française semble présenter le mot « internet » comme un nom commun masculin, ce qui suppose l’utilisation de la minuscule, ainsi que celle d’un article défini devant le mot. Ainsi, bien que plusieurs orthographes soient utilisées au sein des différents ouvrages que j’ai pu lire au cours de la rédaction de ce mémoire, j’ai choisi d’utiliser l’orthographe « l’internet », dans un souci d’uniformité.

2 Vincent FAUCHOUX, Pierre DEPREZ, Frédéric DUMONT et Jean-Michel BRUGUIERE. Le droit de l’internet, 3e

édition, Paris, LexisNexis, 2017, p. 2.

3 We Are Social, « Digital, social media, mobile et e-commerce en 2019 » (2019). En ligne :

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On peut dire que le développement de l’internet présente de nombreux avantages. Les moyens de communication qui s’offrent à nous sont de plus en plus performants ; les informations peuvent désormais être partagées en masse. De plus, il est dorénavant possible d’affirmer qu’avec la montée en puissance des réseaux sociaux, la parole s’est libérée.

Cependant, bien que le développement de l’internet fasse naître de nombreux avantages, la rapidité avec laquelle il a pris de l’ampleur n’a pas permis de prendre en compte certaines difficultés qui peuvent être rencontrées aujourd’hui. Parmi ces difficultés, on peut notamment noter une multiplication des contenus haineux publiés sur l’internet. Ce phénomène s’explique en partie par le fait que sur les réseaux sociaux par exemple, les individus ont la possibilité de partager instantanément leurs avis et états d’esprit, ce qui peut parfois amener certaines personnes à déverser leur haine en ligne, en se pensant protégées derrière leur écran. D’autres seront tout simplement auteurs de paroles qui, prononcées de manière trop instantanée, dépassent leur pensée. En 2017, on comptait 153 586 signalements sur la plateforme Pharos, 51% de ces signalements concernaient des faits d’escroqueries, 13% des atteintes aux mineurs, 9% des discriminations et 4% se rattachaient au terrorisme4.

L’expression de ces discours de haine peut prendre des formes variées ; il peut s’agir d’attaques à l’encontre d’un individu en particulier, ou encore à l’encontre d’un groupe de personnes identifiables tel que les personnes homosexuelles, les musulmans, les juifs, etc. La nature du discours peut également être différente ; il peut s’agir de paroles visant l’orientation sexuelle, la religion, la race, mais encore bien d’autres choses.

Lorsque l’on parle de contenus haineux, il semble au premier abord plutôt simple de déterminer quels sont ceux qui pourront entrer dans cette catégorie ; les insultes, la diffamation, et les autres formes apparentées d’expression sont des propos qui semblent attiser la haine. Cependant, lorsque l’on se penche sur la question, il apparait finalement fastidieux de déterminer avec certitude quelles sont les paroles qui relèveront de la haine, et celles qui ne seront qu’une critique ou un propos avancé sans réfléchir aux conséquences qu’il pourrait avoir. En effet, il s’agit

4 20 minutes, « Contenus illicites sur Internet: 153.000 signalements sur la plateforme Pharos en 2017 » (2018). En

ligne : < https://www.20minutes.fr/societe/2206963-20180123-contenus-illicites-internet-153000-signalements-plateforme-pharos-2017>.

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d’une « appréciation très subjective qui dépend du contexte, des mots employés, du caractère

identifiable des personnes ou groupes de personnes visés »5. En réalité, il n’existe à l’heure actuelle

aucune définition officielle d’un contenu haineux, et c’est ce qui pose d’ailleurs problème car l’internet n’ayant pas de frontières, le traitement de ces contenus ne peut se faire de manière efficace si aucune définition commune n’est acquise au niveau international.

Le Comité des ministres au sein du Conseil de l’Europe a adopté en 1997 une recommandation n°R(97)20 dont le champ d’application s’applique au discours de haine « en

particulier à celui diffusé à travers les médias »6. Il est précisé au sein de cette recommandation

que « le terme “discours de haine” doit être compris comme couvrant toutes formes d'expression

qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l'antisémitisme ou d'autres formes de haine fondées sur l'intolérance, y compris l'intolérance qui s'exprime sous forme de nationalisme agressif et d'ethnocentrisme, de discrimination et d'hostilité à l'encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l'immigration ». Cette définition ne tient

cependant pas compte de la diffamation qui, en France, doit prendre la forme « d’une articulation

précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire »7, ces faits devant « porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la

personne »8. Ainsi, la diffamation pouvant également attiser la haine, elle devrait être prise en

compte au sein de cette définition.

La Directive européenne sur le commerce électronique du 8 juin 2000 prévoit quant à elle que les mesures prises par les États membres doivent être nécessaires notamment pour des raisons d’ordre public, et plus particulièrement pour ce qui concerne la « lutte contre l'incitation à la haine

pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité

5 Sulliman OMARJEE dans Baradi SIVA, « Mieux lutter contre les propos haineux sur Internet » (2019), Linfo.re. En

ligne : <https://www.linfo.re/la-reunion/societe/mieux-lutter-contre-les-propos-haineux-sur-internet>.

6Recommandation n° R(97)20 du Comité des Ministres aux États membres sur le « discours de haine », 30 octobre

1997. En ligne :

<https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168050116d

>.

7 Crim., 6 mars 1974, Bull. crim. n°96.

8 Bertrand de LAMY, Bernard BEIGNIER et Emmanuel DREYER, Traité de droit des médias et de la presse,

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de la personne humaine »9. Ainsi, un discours de haine serait n’importe quelle forme d’expression

qui soit incite à la haine et est fondée sur la race, le sexe, la religion ou la nationalité, soit porte atteinte à la dignité de la personne humaine.

Au Québec, une définition du discours haineux avait été ajoutée au projet de loi n°59 et se composait comme suit : « Est un discours haineux le discours [...] qui aux yeux d’une personne

raisonnable est d’une virulence et d’un extrême tel qu’il est susceptible d’exposer ce groupe à la marginalisation ou au rejet, à la détestation, au dénigrement ou à l’aversion notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime dangereux ou ignoble »10. Il semble ici que l’atteinte

à la dignité ne suffise pas pour caractériser un propos d’haineux. Cette définition tient compte de la décision rendue dans l’arrêt Whatcott11 qui invalide une disposition d’une loi provinciale

prohibant la diffusion de manière publique de propos qui rabaissent ou portent atteinte à la dignité d’un groupe minoritaire. En effet, « les idées offensantes ne suffisent pas »12. Cependant, la

définition qui avait été prévue au sein du projet de loi n°59 présente également le problème de ne pas inclure la diffamation. Par ailleurs, les contours de la notion, bien qu’ils soient objectivés, restent flous.

Plusieurs infractions liées au partage de contenus de haine sont prévues et s’appliquent également au monde de l’internet en France. La diffusion de propos injurieux, la diffamation, la provocation à la haine ou au suicide, l’apologie de crimes et délits, les propos racistes ou antisémites ainsi que la diffusion de fausses informations sont autant d’infractions liées au traitement des contenus haineux sur l’internet. Au Canada, la diffusion de propos injurieux n’est en revanche pas considérée comme une infraction. Par ailleurs, la diffusion de fausses informations n’en est plus une depuis l’invalidation de l’article 181 du Code criminel13.

9Directive européenne n° 2000/31/CE du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société

de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur [Directive sur le commerce

électronique], art. 3 4-a-i.

10 Projet de loi n°59, Loi apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes, 41e

législature, 1re session.

11 Saskatchewan (Human Rights Commission) c Whatcott, [2013] 1 RCS 467, 2013 CSC 11. 12 Ibid., §90.

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Au regard de ces éléments, bien qu’aucune définition des contenus de haine ne soit pour le moment acquise, il est indéniable que le champ de ces contenus doit être vu de manière large. C’est la raison pour laquelle ce mémoire ne se contentera pas de traiter de l’infraction de propagande haineuse. Comme nous l’avons vu, la haine se rencontre dans diverses situations, comme dans le cadre de partage de propos diffamatoires, qui peuvent également propager la haine. Il sera donc traité dans ce mémoire de la notion de haine de manière large.

Avec l’internet, les frontières territoriales sont abolies. La Cour d’appel de Paris a d’ailleurs considéré que la clause d’élection de for prévue au sein des conditions générales d’utilisation de

Facebook prévoyant la compétence des juridictions californiennes pour trancher tous les litiges qui

opposent la société à ses utilisateurs devait être réputée non écrite14. La compétence de la juridiction

française avait en l’espèce été retenue. Cet effacement des frontières territoriales a pour conséquence un rapprochement des individus sur l’internet. Ces derniers tissent alors de nouveaux liens, et des comportement déviants apparaissent alors de plus en plus. Mais le droit, qui se doit de régir les interactions sociales, ne peut laisser l’internet libre de règles15. Cependant, tous les propos

de haine partagés en ligne ne vont pas forcément faire l’objet à terme d’une condamnation pénale ou civile.

En effet, l’une des difficultés du traitement juridique des discours de haine est que ces derniers doivent être mis en balance avec le droit à la liberté d’expression. Il faut en effet préciser que des propos qui ne font que mettre en avant une critique ou encore des propos qui choquent ne vont pas forcément être considérés comme des discours de haine. C’est une approche contextualisée puisqu’elle ne dépend pas que de l’intention de l’accusé, mais également de différents éléments, tels que le ton utilisé, les mots employés, mais aussi la manière dont les personnes extérieures vont interpréter le message en question. Il y a donc ici des enjeux antagonistes ; d’un côté celui de la liberté d’expression, de l’autre ceux du droit au respect de la personne et de la dignité humaine. L’un devra forcément être limité de manière raisonnable afin que l’autre puisse être sauvegardé.

14 CA Paris, 12 février 2016, Facebook Inc. c Monsieur X.. En ligne :

<https://www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-2-chambre-2-arret-du-12-fevrier-2016/>.

15 Jérôme JULIEN, « Préface » in La responsabilité civile des acteurs de l'internet, Bruxelles, Éditions Larcier, 2014,

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Cette mise en balance des discours de haine avec le droit à la liberté d’expression fait naître des incompréhensions. En effet, l’appréciation subjective de la notion de propos haineux ne permet pas de dégager des contours précis permettant de reconnaître ce qui dépasse ou non les limites d’un discours acceptable pouvant être protégé par la liberté d’expression. Il semblerait tout d’abord que la qualification de contenu haineux dépende d’éléments externes tels que la conscience par leur auteur des conséquences que ces propos peuvent avoir, ce qui donnerait lieu à une qualification subjective des propos. Et bien que l’arrêt canadien Whatcott semble objectiver cette qualification en tenant compte de l’interprétation qu’aurait une personne raisonnable, cet arrêt est limité du fait notamment de son application en matière provinciale.

Cela fait naître une difficulté, notamment vis-à-vis de la responsabilité des intermédiaires techniques. En France, la jurisprudence a affirmé que les plateformes numériques tombaient sous le régime des fournisseurs d’hébergement16, qui bénéficient d’une quasi-irresponsabilité. Ainsi, les

plateformes en ligne comme Facebook, Twitter ou encore YouTube, sont régies par la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique17 (ci-après « Loi pour la confiance

dans l’économie numérique »), adoptée en 2004, qui vient transposer la Directive sur le commerce électronique. Cette loi relative à la communication en ligne prévoit en son article 6-I-2, l’obligation pour les fournisseurs d’hébergement de retirer tout contenu illicite dont ils auraient eu connaissance. Cependant, lorsqu’un contenu est signalé par les utilisateurs comme étant un discours haineux, ces plateformes ont tendance à répondre que les propos signalés ne violent pas leurs conditions d’utilisation, profitant des contours flous de la notion de discours haineux pour considérer qu’ils ne tombent pas sous la qualification de contenu illicite.

À l’échelle fédérale canadienne proprement dit, les articles 318 à 320.1 du Code criminel18,

qui sanctionnent notamment la propagande haineuse, ne s’appliquent que si celle-ci est dirigée contre un « groupe identifiable », c’est-à-dire toute section du public qui se différencie des autres

16 CJUE, 23 mars 2010, Google France SARL et Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA (C-236/08), Google

France SARL contre Viaticum SA et Luteciel SARL (C-237/08) et Google France SARL contre Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL et autres (C-238/08) ; Cass. 1ère Civ., 17 février 2011, n° 09-67.896. 17 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique [Loi pour la confiance dans

l’économie numérique].

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par la couleur, la race, la religion, l'origine nationale ou ethnique, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité ou l'expression de genre ou la déficience mentale ou physique. Au Québec, la responsabilité des intermédiaires techniques est quant à elle appréhendée par la Loi concernant le

cadre juridique des technologies de l’information19 qui prévoit en son article 22 que le prestataire

de service pouvant être qualifié d’intermédiaire n’engage sa responsabilité pour les activités accomplies par les utilisateurs du service que s’il n’a pas agi promptement pour supprimer l’accès aux document conservés qui étaient utilisés dans le cadre d’une activité illicite, alors qu’il avait connaissance que cette activité avait un caractère illicite.

Les intermédiaires bénéficient donc, tant au niveau français que canadien, d’une quasi-irresponsabilité, le but étant que leur responsabilité ne soit pas sans cesse mise en cause alors qu’ils ne sont pas auteurs des discours de haine. Cependant, il faut également composer avec l’intérêt des victimes des propos haineux qui subissent un préjudice devant être réparé. L’actualité juridique est très tournée vers la qualification que l’on peut donner aux plateformes du numérique tels que les réseaux sociaux ou encore les plateformes de partage de vidéos. Il existe une hésitation entre le statut d’éditeur et celui d’hébergeur. Le sujet du traitement juridique des propos haineux étant un sujet large, il conviendra de resserrer l’étau autour de la question de la responsabilité des plateformes numériques et des traitements qu’elles mettent en place dans le but de lutter contre la propagation des contenus de haine en ligne.

Au niveau civil, la question de la réparation du préjudice subi par la communauté se pose également. Or, au Québec, il est admis que chaque membre du groupe doit obligatoirement démontrer avoir subi un préjudice personnel du fait des paroles prononcées à l’encontre du groupe. En effet, « l’économie de la Charte québécoise confirme l’obligation de prouver un préjudice

personnel »20. Cependant, il est majoritairement affirmé par les juges que le préjudice subi par la

communauté, qui est l’atteinte à la réputation, n’est pas assez grave pour que la responsabilité civile soit engagée. Les juges se réfèrent à la notion de « citoyen ordinaire » et avaient en l’espèce conclu qu’une telle personne « n’aurait pas ajouté foi aux allégations offensantes » et n’aurait « sûrement

pas associé les allégations d’ignorance, d’incompétence, de malpropreté, d’arrogance et de

19 Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ, C-1.1 20 Bou Malhab c Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 RCS. 214, 2011 CSC 9, §46.

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corruption à chacun des »21 individus du groupe visé par les propos de haine. Il est donc difficile

pour les membres d’un groupe visé par la haine d’obtenir une réparation civile.

Ainsi l’on voit se profiler la question suivante : Comment améliorer le traitement juridique des discours de haine diffusés en ligne ? Afin de répondre de manière efficace à cette question de recherche, quatre questions spécifiques devront être résolues :

1) Quelles sont les dérives engendrées par l’utilisation massive des plateformes numériques ?

2) Les infractions de haine sont-elles adaptées à la diffusion de discours haineux en ligne ?

3) Comment concilier la lutte contre les propos haineux et le droit à la liberté d’expression ?

4) Quel devrait être le degré de responsabilité des différents intermédiaires techniques dans le traitement de la publication des contenus haineux ?

Il semblerait tout d’abord que l’utilisation massive d’internet et plus particulièrement des plateformes numériques engendre, outre des problèmes de diffusion illicite d’œuvre et donc de droit d’auteur, des problèmes de partage de contenus illicites. Les infractions de presse et les infractions liées à la diffusion de discours de haine se retrouvent également sur l’internet. Les plateformes semblent engendrer une multiplication de ces discours de haine, les individus profitant de l’exercice de leur liberté d’expression et d’opinion qui dégénère alors en abus.

Les infractions liées au traitement des contenus de haine en ligne sont relativement peu nombreuses. Mais mon hypothèse est que ces infractions ne permettent pas de lutter efficacement contre tous les contenus haineux diffusés en ligne, car elles nécessitent que la personne victime appartienne à un groupe identifiable. Or parfois, les propos haineux rédigés sur l’internet ne sont pas relatifs à des caractéristiques particulières de la personne, il n’y a alors pas de groupe identifiable, et l’infraction ne peut donc s’appliquer. Cependant, il est possible d’évoquer la contre-hypothèse selon laquelle les propos haineux peuvent être appréhendés par d’autres mécanismes tels que l’incrimination des propos injurieux ou encore par l’infraction de harcèlement.

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Les propos haineux qui peuvent parfois écorcher le principe de dignité de la personne humaine et de droit au respect, doivent être mis en balance avec le droit à la liberté d’expression, protégé par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés au Canada, et par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen22. Le juge devra déterminer en fonction du

cas d’espèce quel droit mérite d’être protégé et par conséquent, quel droit se doit d’être limité. Mon hypothèse est que la conciliation ne peut fonctionner qu’en présence de limites raisonnables, comme le prévoit par exemple l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Concernant les intermédiaires techniques, il en existe plusieurs, et leurs obligations ne sont pas les mêmes. Par hypothèse, il conviendrait de mettre en place une responsabilité plus forte afin que ces intermédiaires techniques soient contraints de supprimer les contenus haineux publiés en ligne dans un délai prompt. La contre-hypothèse qui pourrait être formulée est que cette obligation mettrait à la charge de ces intermédiaires une trop grande responsabilité en ce qu’ils devraient exercer un contrôle continu sur les contenus publiés, ce qui serait difficile étant donné le traitement massif de données auquel ils font face chaque jour. Par ailleurs, l’intermédiaire serait en quelque sorte érigé en juge, ce dernier étant contraint de décider quels propos méritent d’être supprimés ou non. Cela entraînerait automatiquement un risque de censure illégitime.

Ainsi, il conviendra d’aborder dans un premier chapitre le sujet de la conciliation de la lutte contre la haine en ligne et du droit à la liberté d’expression en étudiant d’une part comment la liberté d’expression a trouvé sa place au sein du monde de l’internet (A) et comment ce droit peut être mis en équilibre avec la protection que l’on souhaite accorder aux tiers (B).

Enfin, dans un second chapitre, la responsabilité des plateformes de contenus face à la publication de discours de haine sera envisagée, d’une part en étudiant leur qualification juridique (A), et d’autre part en exposant les obligations qui sont mises à leur charge (B).

22 Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, 26 août 1789 (France). En ligne : <

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CHAPITRE I : LA CONCILIATION DE LA LUTTE CONTRE LA HAINE EN LIGNE ET DU DROIT A LA LIBERTE D’EXPRESSION

La liberté d’expression est un droit défini à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 194823 qui prévoit que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et

d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et

du Citoyen française va, quant à elle, jusqu’à affirmer que « La libre communication des pensées

et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Cette liberté fondamentale est

également protégée en tant que telle au sein de l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Avec le développement du numérique, la liberté d’expression a trouvé ses marques et est largement exercée dans un monde de l’internet (A) qui ne cesse de progresser. Cependant, la liberté d’expression n’étant pas un droit absolu, certaines situations l’ont menée à être confrontée directement à l’intérêt des tiers. Il a donc fallu rechercher un certain équilibre entre l’exercice de ce droit et la protection des individus (B).

A. LA LIBERTÉ D’EXPRESSION APPLIQUÉE AU MONDE DE L’INTERNET

Le développement de l’internet, qui s’est rapidement transformé en un véritable outil de communication à l’échelle mondiale a permis d’appuyer cette liberté d’expression (1) qui a pu être exercée par les individus sans limites de frontières. Cependant, de nouvelles problématiques liées à l’utilisation de la liberté d’expression en ligne sont apparues, l’utilisation massive des plateformes numériques étant à l’origine de certaines dérives (2). La parole étant largement utilisée sur l’internet, la question de la crédibilité qu’il faudrait accorder aux propos de haine diffusés en ligne s’est également posée (3).

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1. Les plateformes numériques comme outil de libre communication au service de la liberté d’expression

Avec le temps, l’internet est devenu un puissant outil de communication au niveau mondial. Il y a encore quelques années, les internautes devaient s’armer de beaucoup de patience pour ne serait-ce que réussir à charger une page sur l’nternet. Aujourd’hui, l’internet ne fait que repousser ses limites un peu plus chaque jour. Il s’agit d’un réseau mondial qui n’a pas de frontières ; l’internet est « une immense bibliothèque ouverte au monde entier »24.

L’internet n’a pas non plus la même utilité. Divers usages de l’internet sont apparus. Initialement, les individus utilisaient l’internet afin d’avoir accès à toute sorte d’informations stockées en ligne : textes, photos et vidéos. Désormais, les individus sont devenus de véritables consommateurs avec l’apparition du commerce en ligne ou encore e-commerce ; faire son shopping sur l’internet ou encore y commander son déjeuner est devenu pour certains une habitude de consommation.

L’internet est également devenu un outil de communication pour les individus. Grâce aux opérateurs de communication, les individus ont pu commencer à échanger par l’envoi de messages électroniques. Le développement de l’internet a également permis l’apparition des plateformes numériques et notamment des réseaux sociaux. Il y a par ailleurs eu une diversification de ces moyens de communication. Dorénavant, même les médias en ligne prennent peu à peu le dessus sur les journaux papiers, ce qui a d’ailleurs donné lieu au dépôt d’une Proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse25, l’idée d’une telle

proposition étant de permettre une meilleure protection de ces derniers.

L’apparition des plateformes électroniques a notamment permis une autre utilisation du droit à la liberté d’expression. En effet, sur ces plateformes électroniques, il est possible pour les internautes de partager de nombreux contenus. Il sera ainsi possible de partager son opinion, des documents, mais également des photographies, des fichiers audios ainsi que des fichiers vidéos. Ils

24 Mbadmb.com, Adèle BAILLY, « Histoire d’internet et son évolution » (2016). En ligne : <

http://www.mbadmb.com/2016/12/22/histoire-internet-evolution/>.

25 Proposition de loi n° 705, Loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de

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peuvent également choisir à qui ce contenu sera accessible ; à leur liste d’amis seulement, ou encore au public de manière générale. Il sera également possible pour un utilisateur de choisir une liste de personnes prédéterminées, encore plus réduite que la liste d’amis, qui auront accès au contenu. En ce sens, les plateformes numériques telles que les réseaux sociaux ainsi que les plateformes de type YouTube ou Dailymotion permettent de tels partages. Il faut également noter que ces plateformes se sont développées non seulement dans la sphère privée, mais aussi dans la sphère professionnelle, la création du réseau social LinkedIn en est d’ailleurs un exemple.

Déjà en 2011, il était affirmé que l’internet était devenu « pour la liberté d’expression un

vecteur d’une puissance inédite »26. En effet, puisqu’il n’a par définition pas de frontières, il est

dorénavant possible sur l’internet de partager des contenus en masse et de donner son opinion sur tous les sujets d’actualité, le choix étant par ailleurs laissé à l’utilisateur de la plateforme de réagir en distribuant des « likes » ou encore en laissant des commentaires directement sous les contenus partagés.

Cette utilisation par les internautes de leur liberté d’opinion et d’expression est d’ailleurs possible, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 précisant bien que les individus peuvent tout à fait partager « sans considérations de frontières, les

informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». L’expression « sans considération de frontières » et « par quelque moyen d’expression que ce soit », démontre qu’une

telle utilisation de la liberté d’expression sur l’internet est tout à fait possible.

Ainsi, l’internet rend l’exercice de la liberté d’expression par les individus encore plus simple, et la renforce en son principe par la même occasion. Il a d’ailleurs été affirmé dans un rapport d’information déposé́ par la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique à l’Assemblée nationale française que si l’internet « n’a pas élargi le

champ de la liberté d’expression », il a permis de renforcer « l’effectivité de ce droit, c’est-à-dire la capacité des individus à en jouir réellement », de telle sorte que l’internet « est aujourd’hui devenu l’un des principaux moyens d’exercice par les individus de leur liberté d’expression dans

26 Rtbf.be, « e-G8: Nicolas Sarkozy salue un "vecteur" de la liberté d'expression » (2011). En ligne :

< https://www.rtbf.be/info/medias/detail_e-g8-nicolas-sarkozy-salue-un-vecteur-de-la-liberte-d-expression?id=6157973>.

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ses deux dimensions. À travers la messagerie électronique, les réseaux sociaux, les sites de partage de contenus, les blogs, les plateformes de discussion, internet et la révolution du web 2.0 ont particulièrement renforcé la capacité des citoyens à jouir de leur liberté d’expression dans sa dimension “active” et à contribuer à la diffusion de l’information et à la circulation et l’échange d’idées et d’opinions » 27.

En France, l’accès à l’internet est d’ailleurs désormais un droit au bénéfice de tout individu. En effet, dans une décision de 200928, le Conseil constitutionnel a décidé que de la liberté de

communication et d’expression découlait une liberté d’accès à l’internet29, il a ainsi soutenu

qu’« en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des

services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ».

Au Québec, l’accès à l’internet n’a pas encore été consacré comme un droit à proprement parler. Cependant, le Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des nations unies, dont le Canada fait partie, a montré son souhait de condamner les restrictions d’accès à l'information sur l’internet en adoptant une résolution relative à la promotion, la protection et l'exercice des droits de l'homme sur l’internet. Le Conseil a également affirmé que conformément aux articles 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques30, « les mêmes droits dont les personnes disposent hors ligne doivent être aussi protégés

en ligne, en particulier la liberté d’expression, qui est applicable indépendamment des frontières et quel que soit le média que l’on choisisse »31. Cette résolution n’a cependant aucun volet pénal

27 Assemblée nationale, « Rapport d’information déposé par la Commission de réflexion et de propositions sur le droit

et les libertés à l’âge du numérique » (2015). En ligne : < http://www2.assemblee-nationale.fr/static/14/numerique/numerique_rapport.pdf>.

28 Cons. const., n° 2009-580 DC, 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. 29 Laure MARINO, « Le droit d'accès à internet, nouveau droit fondamental » (2009), D., n°30, p. 2045.

30 Assemblée générale des Nations unies, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966. 31 Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des nations unies, Résolution relative à la promotion, la protection

et l'exercice des droits de l'homme sur Internet, 27 juin 2016, A/HRC/32/L.20. En ligne : < https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/G16/131/90/pdf/G1613190.pdf?OpenElement>.

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et n’est pas contraignante pour les états membres de l’ONU, mais tous ces éléments démontrent l’importance de l’internet dans l’utilisation de la liberté d’expression.

2. Les dérives liées à l’utilisation abusive du droit à la liberté d’expression engendrées par l’utilisation massive des plateformes numériques

L’internet, et notamment les plateformes du numérique sont certes des outils permettant aux individus de véritablement jouir de leur droit à la liberté d’expression, cependant, certaines dérives dues à l’abus de ce droit apparaissent. Outre le partage illicite des œuvres, c’est-à-dire sans le consentement préalable de leurs ayants-droits, on remarque également une prolifération des discours de haine en ligne.

Cette expression de discours de haine se rattache à plusieurs infractions contenues dans la

Loi pour la confiance dans l’économie numérique. Cette dernière prévoit à l’alinéa 7 de son article

6-I que la lutte doit notamment être dirigée contre l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, contre l’incitation à la violence ainsi que contre les atteintes à la dignité humaine. Pour savoir ce que recoupe le terme de contenu haineux, il faut se tourner vers ces infractions qui punissent des comportements illégaux. Il est également possible de se référer à la diffamation, punie par l’article 29 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la

presse32 (ci-après « Loi française sur la liberté de la presse »), et aux injures incriminées à l’article

33 de la même loi, qui touchent à la réputation même de la personne. Au Canada, le Code criminel sanctionne quant à lui la propagande haineuse dirigée contre un groupe identifiable aux articles 318, 319 et 320.

La Loi pour la confiance dans l’économie numérique évoque également la lutte de l’apologie des crimes contre l’humanité. L’alinéa 1 de l’article 24 de la loi française sur la liberté de la presse sanctionne la provocation des infractions d’atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité de la personne, les agressions sexuelles, les vols, extorsions et destructions ainsi que les dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes. L’alinéa 5 du même

32 Loi n°1881-637 du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, JO du 30 juillet 1881 [Loi française sur la liberté de la

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article sanctionne quant à lui le fait de faire l’apologie de ces infractions, mais également de faire l’apologie des « crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en

esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi, y compris si ces crimes n’ont pas donné lieu à la condamnation de leurs auteurs ».

Les crimes de guerre sont codifiés à l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale

internationale de 199833 (ci-après « Statut de Rome ») et définis comme étant d’une part les

« infractions graves » aux Convention de Genève du 12 août 1949 et d’autre part les « violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international ». Leur apologie consiste à publier « un texte de nature à inciter tout lecteur à porter un jugement de valeur favorable aux auteurs de tels crimes en les présentant, notamment, comme susceptibles d’être justifiés »34. Les crimes contre l’humanité sont quant à eux codifiés à

l’article 7 du Statut de Rome35.

Au Canada, l’article 318 du Code criminel sanctionne le fait de préconiser ou de fomenter le génocide, c’est-à-dire le fait de « tuer les membres d’un groupe » ou le fait de « soumettre

délibérément le groupe à des conditions de vie propres à entraîner sa destruction physique »

comme le précise le (2) de l’article en question. Le fait de conseiller à une autre personne de participer à un génocide est également puni comme le démontrent les articles 22 et 464 du Code

criminel ; il s’agit alors d’une incitation au crime de génocide.

Le délit d’incitation peut aussi concerner l’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination. Ce délit prévu à l’article 24 de la Loi française sur la liberté de la presse se fait envers des personnes ou groupes de personnes en raison de caractéristiques particulières qui leur sont propres tel que la race, le sexe, la religion, etc. L’incitation se traduit par un désir de l’auteur que la haine, la violence ou la discrimination se produise après l’avoir provoquée. Il faut donc que

33 Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998 [Statut de Rome].

34 TGI Tulle, 9 septembre 2008, Comité des Martyrs de Tulle et autres c Christophe P.. En ligne : <

https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-tulle-jugement-du-09-septembre-2008/>.

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l’auteur des propos ait conscience des conséquences que ceux-ci peuvent avoir sur les personnes ou groupes de personnes en question.

L’article 319 du Code criminel prévoit quant à lui deux infractions ; d’une part celle de l’incitation publique à la haine et d’autre part celle de fomentation volontaire de la haine. La fomentation est volontaire lorsque l’auteur des propos est conscient des conséquences qu’auront ses paroles ; on exige une mens rea. Ainsi, les juges considèrent que l’auteur des propos doit nécessairement avoir le « dessein conscient de fomenter la haine contre le groupe identifiable » ou qu’il soit « certain que la communication aurait cet effet »36.

L’article 8-1-b du Règlement sur la distribution de radiodiffusion37 interdit quant à lui la

diffusion de « propos offensants ou des images offensantes qui, pris dans leur contexte, risquent

d’exposer une personne, un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou une déficience physique ou mentale ».

Le fait de proférer publiquement des injures représente également un délit au sens de l’article 23 de la Loi française sur la liberté de la presse. Il existe plusieurs types d’injures ; elles peuvent être aussi bien discriminatoires, racistes, mais aussi porter sur l’appartenance religieuse d’une personne. Il existe cependant des cas où les paroles prononcées ne seront pas considérées comme des injures car elles relèvent de la liberté d’expression ; il s’agira alors d’une opinion ou d’une critique. Par ailleurs, il existe une excuse légale à l’injure. En effet, si l’injure a été précédée de provocations, et que l’auteur en administre la preuve, alors aucune peine ne sera encourue par lui.

De même, la protection de la dignité et de l’honneur de la personne inscrite au sein de la

Charte québécoise des droits et libertés de la personne permet à la victime d’injures graves de

demander une réparation du préjudice subi au niveau civil. Dans les cas les plus graves, ce sera le

36 Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 RCS 100, 2005 CSC 40, §104. 37 Règlement sur la distribution de radiodiffusion, [1997] DORS/97-555.

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droit pénal qui entrera en jeu, et l’auteur des propos pourrait alors être sanctionné si l’incitation à la haine ou la fomentation volontaire de la haine est reconnue.

Enfin, la diffamation est quant à elle définie par l’article 29 de la Loi française sur la liberté de la presse comme étant « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur

ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé », que le fait en question

soit vrai ou se révèle être finalement faux. Ce fait allégué ou imputé peut tout à fait être présenté de manière à laisser paraître le doute, ou encore prendre la forme d’un message déguisé ; la qualification de diffamation subsistera38. Il faut également noter que le fait doit être vérifiable,

c’est-à-dire qu’il doit être susceptible de preuve et qu’il doit pouvoir être débattu ; à défaut, il ne peut être considéré que comme une injure. Par ailleurs, le fait doit être précis et déterminé, car s’il ne l’est pas, son imputation ou allégation sera protégée par le principe de la liberté d’expression qui permet le libre débat d’idées et le libre droit de critique. Le juge devra également déterminer s’il y a une atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne en se livrant à une analyse contextuelle.

La Cour suprême du Canada prévoit trois cas dans lesquels la diffamation peut être reconnue en droit civil québécois. Le premier « survient lorsqu’une personne prononce des propos

désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté́, avec l’intention de nuire à autrui ». Le second « se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité́. Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers »39. Dans les provinces de Common Law, la preuve de la véracité des propos

constitue un moyen de défense ; la personne qui la rapporte ne pourra donc pas être reconnue responsable de diffamation. Cependant, il faut noter que la province du Québec est une exception

38 Cass civ 1re, 27 septembre 2005, n° 04-12.148.

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puisque la véracité des propos n’entraine pas à elle seule l’irresponsabilité, il faut, en plus démontrer que les propos portaient sur un sujet d’intérêt public40.

Pour ce qui concerne les infractions visées par la Loi française sur la liberté de la presse, l’acte délictueux ne peut être sanctionné que lorsqu’il présente un caractère public. Or, l’appréciation de ce caractère présente certaines difficultés étant donné qu’il n’est pas défini. Il s’apprécie cependant en France selon une jurisprudence constante à l’aune d’une communauté d’intérêts. Le caractère public n’est pas remis en cause lorsqu’on ne se trouve plus face à un simple groupement lié par une communauté d’intérêts.

En droit canadien, la question de la délimitation de l’endroit public peut également se poser. En effet, on se demande si un endroit public ne peut être qu’un endroit physique ou s’il peut également être un endroit virtuel, tel que l’internet. Dans un arrêt canadien Marakah41, les juges

avaient affirmé que l’intéressé ne pouvait pas raisonnablement bénéficier d'une atteinte de vie privée dès lors que les messages qu’il avait envoyés n’étaient plus sous son contrôle une fois arrivés à leur destinataire, qui avait le choix d’en faire ce qu’il voulait. Les messages avaient ensuite été saisis par la police grâce à l’obtention d’un mandat judiciaire. Ainsi, une fois les messages arrivés à leur destinataire, la personne qui les envoie ne peut plus raisonnablement bénéficier d’une attende de vie privée. Par analogie, on pourrait alors considérer qu’une personne qui poste des contenus sur l’internet, dès lors que ces contenus sont visibles par d’autres personnes, ne peut plus bénéficier de la pleine protection accordée par le droit au respect de la vie privée.

Désormais, on peut donc dire que l’internet, et notamment les réseaux sociaux, sont vraisemblablement considérés comme des espaces publics. Par ailleurs, en France, il est admis qu’un profil Facebook ne peut être privé que si l’utilisateur décide de paramétrer son compte en ne permettant qu’un accès fermé. Si l’utilisateur décide de « de partager sa page Facebook avec “ses

amis et leurs amis” […] il en résulte que ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée »42.

40 Benoît CLERMONT, « La diffamation dans un contexte médiatique : les enseignements de la jurisprudence du

nouveau millénaire » (2007), Cahiers prop. intel., Vol. 19, n° 2, p. 49.

41 R. c. Marakah, [2017] 2 RCS 608.

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Toutes ces infractions permettent, dans l’ensemble, de traiter au mieux les discours de haine qui se rencontrent sur les plateformes numériques. Cependant, certains propos tels que ceux relevant du phénomène de « trolling » ne sont pas encore appréhendés par le droit, notamment parce que la question de leur crédibilité se pose encore.

3. La crédibilité donnée aux propos partagés en ligne

Toutes ces infractions liées à la propagation de la haine en ligne sur l’internet sont susceptibles d’être accomplies par les internautes sur les plateformes numériques à l’occasion du partage d’un contenu. En effet, les plateformes numériques sont un outil d’expression pour les tiers ; les contenus partagés le sont avec une grande facilité et tout se fait de manière instantanée ; dès lors que le contenu est posté sur le réseau, il est lu, « liké », partagé, etc. par toutes les personnes ayant un accès au réseau social.

Cette facilité dans le partage des contenus peut cependant comme on l’a vu rapidement se transformer en inconvénient. Avec l’internet, les paroles ne sont plus partagées à l’oral mais par écrit et se retrouvent vite cristallisées. D’ailleurs, même en cas de suppression d’un contenu, il est courant de le voir réapparaître sur l’internet. Ainsi, en cas de partage d’un contenu haineux, « [c]e

qui aurait été dans le monde d’avant un propos de comptoir, un mot irréfléchi mais lancé en petit comité et vite dissipé, non seulement prend la forme irrémédiable d’un écrit mais accède en quelques minutes […] à une diffusion planétaire, exponentielle, hors le contrôle de son auteur »43.

Beaucoup de débats existent cependant sur le niveau de crédibilité que l’on devrait accorder aux messages partagés en ligne. En effet, ces messages sont envoyés tellement furtivement que parfois la frontière se fait mince entre la notion d’oral et la notion d’écrit. Ainsi, certaines personnes pourraient considérer que de tels propos ne sont pas crédibles et sont nécessairement irréfléchis et qu’ainsi, ils ne devraient pas pouvoir être condamnés. D’autres, au contraire, pensent que la facilité

43 Renaud le GUNEHEC, « Twitter et la vie d’avant : les réseaux sociaux changent-ils tout ? », Légipresse, n°355, p.

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de partage de ces propos et le fait qu’ils puissent être publiés de manière anonyme sont des arguments en faveur d’une certaine sévérité envers le partage de tels propos44.

Tout d’abord, il est possible d’aborder la question des paroles partagées en ligne sans véritable intention dommageable. Ce serait par exemple le cas d’une personne qui insulterait ou menacerait une autre personne sous le coup de la colère. Les propos seraient alors irréfléchis et ne reflèteraient donc pas l’intention réelle de la personne qui les écrit. Le fait que l’internet soit un moyen de communication instantané induit le partage de paroles qui ne sont pas forcément calculées par leur auteur, ce dernier n’ayant pas conscience des effets que ces paroles peuvent avoir. Qu’en est-il de la personne qui, sous le coup de la colère, conseillerait à un de ses contacts de se suicider ? Les paroles peuvent parfois avoir des conséquences graves, que leur auteur n’avait malheureusement pas prévues. L’affaire Morin illustre cette possibilité ; un homme de 19 ans, pour prendre la défense de sa petite amie, a proféré à l’encontre d’une jeune fille de 14 ans des insultes et a « a suggéré à la victime d'aller se pendre »45. La jeune fille, affectée psychologiquement par

ces paroles, a décidé d’ingurgiter plusieurs cachets de médicaments afin de tenter de se donner la mort. L’accusé n’a finalement pas été tenu responsable des propos qu’il avait eus à l’encontre de la victime46.

La question se pose également concernant les propos de dérision qui ont un sens littéral qui est bien sûr apparent, mais qui ont également un sens caché, qui se devine. L’utilisation de l’humour peut être maladroite, ou parfois mal comprise. Par ailleurs, les limites de l’humour sont parfois difficiles à mettre en lumière. Prenons comme exemple l’affaire Dieudonné, l’intéressé ayant été condamné pour provocation à la haine raciale. Dieudonné avait, lors de son spectacle, évoqué le présentateur de télévision Patrick Cohen, et énoncé notamment « Quand je l’entends parler, je me

dis, tu vois, les chambres à gaz… Dommage ». Interrogé sur ces propos lors de son procès,

Dieudonné avait affirmé qu’ils relevaient de l’humour, et qu’ils n’étaient pas constitutifs d’une provocation à la haine. Les juges ont cependant prononcé la condamnation de l’humoriste au

44 Ibid., p. 598.

45 R. c Morin, 2014 QCCQ 1609, n°300-01-012937-126.

46 La Cour du Québec a considéré que « les propos de l'accusé ne traduisent pas le degré d'insistance, de persuasion

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paiement d’une amende d’un montant de 22.500 euros pour provocation à la haine raciale47. Par

ailleurs, son spectacle a été interdit dans plusieurs ville de France, le Conseil d’État étant venu confirmer la légitimité de cette mesure d’interdiction48.

Sur les plateformes numériques, de tels propos sont partagés chaque jour. Un autre phénomène est d’ailleurs de plus en plus en vogue ; il s’agit du phénomène du « trolling » qui est une « attitude consistant à provoquer les participants à une discussion en ligne, par exemple en

lançant systématiquement des débats sur des sujets très polémiques ou en agressant les participants au débat. Avec un but : faire dégénérer la discussion. »49. Pour beaucoup, ce genre de

pratique est un divertissement. D’ailleurs, la majorité des personnes qui se livrent à cette pratique sont de jeunes adolescents qui font ça pour s’amuser. Ils n’ont pour la plupart pas conscience des conséquences que leurs paroles pourraient avoir. Pourtant, ces paroles ont bien des conséquences psychologiques sur les personnes qui les reçoivent. Il n’existe ni en France, ni au Québec de loi spécifique qui incriminerait ce genre de pratiques. S’il y a eu profanation d’injures, ces faits ne pourront être punis que par ce moyen.

Cependant, pour pouvoir incriminer ces propos, il faut tout d’abord déterminer leur crédibilité. Les avis divergent sur la question. Certains peuvent penser que le niveau de crédibilité à accorder aux propos sur l’internet est faible, notamment parce que l’internet est un gigantesque réservoir où la multiplicité des sources n’a aucune limite. Il est alors parfois affirmé que l’internet appartient à la « low-trust culture »50.

Cependant, on peut également affirmer que les internautes ont justement de plus en plus confiance en l’internet ; certains n’hésitent d’ailleurs pas à demander par exemple des avis médicaux sur les forums de discussion. Cela suppose que les paroles prononcées par les utilisateurs des forums de discussion puissent revêtir une certaine crédibilité aux yeux des tiers ; il existe une

47 Lefigaro.fr, « Antisémitisme: Dieudonné condamné en appel » (2016). En ligne : <

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/04/14/97001-20160414FILWWW00170-antisemitisme-la-condamnation-de-dieudonnee-confirmee.php>.

48 CE réf., 9 janvier 2014, n° 374508.

49 Damien LELOUP, « Du "trolling" au harcèlement morbide » (2011), Le Monde. En ligne :

< https://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/09/16/du-trolling-au-harcelement-morbide_1572366_651865.html>.

50 Glenn Harlan REYNOLDS, « Libel in the Blogosphere : Some Preliminary Thoughts » (2006), 84 Wash. U. L. Rev.

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relation de confiance entre les internautes qui se crée. Par ailleurs, il faut également noter que l’anonymat sur l’internet peut également pour certains donner de la crédibilité aux propos, il peut ainsi « constituer un “facteur aggravant” qui pourra faire pencher la balance en faveur des

victimes »51.

Il faut quand même avoir à l’esprit qu’il n’y a pas de réponse prédéfinie à la question de la crédibilité des propos partagés en ligne. En effet, en réalité, la crédibilité accordée aux propos dépendra souvent de l’endroit sur lequel les paroles sont partagées. Ainsi, la crédibilité accordée aux mots écrits sur un site journalistique ne sera pas la même que la crédibilité accordée aux articles partagés sur un blog personnel. De même, les propos partagés sur un site journalistique auront toujours plus de crédibilité que les paroles prononcées au sein des commentaires rédigés par les internautes sous cet article. Il faut donc « éviter de tirer des conclusions hâtives au sujet de la

crédibilité des propos publiés sur Internet. Dans certains cas, il pourra être utile de tenter d’évaluer la valeur du site ou de la page Web concernée, ainsi que la manière avec laquelle les commentaires sont exprimés […] Bien entendu, n’oublions pas que d’autres facteurs peuvent également venir influencer l’analyse des dommages »52.

En tout état de cause, pour empêcher que des discours de haine n’atteignent les tiers et portent ainsi atteinte à leurs droits, il a fallu composer avec le principe de la liberté d’expression et rechercher un équilibre qui permette aux droits de coexister.

B. LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE ENTRE LIBERTÉ D’EXPRESSION ET

PROTECTION DES TIERS

1. La suppression conditionnée par le caractère nécessairement illicite du contenu

La Loi pour la confiance dans l’économie numérique qui s’applique en France et transpose la Directive sur le commerce électronique prévoit une obligation de lutte contre la diffusion des

51 Frédéric LETENDRE, « De Gutenberg à Twitter : supports différents, même combat. La diffamation et les médias

sociaux », in Barreau du Québec, « Développements récents en droit de la propriété intellectuelle » (2010), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 298.

52 Florence FORTIER-LANDRY, « La diffamation sur internet : actualiser la responsabilité en droit civil et en

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contenus manifestement illicites. Cependant, une question s’est vite posée : qu’est-ce au juste qu’un contenu manifestement illicite ?

Le terme de contenu illicite « varie selon l’approche législative et politique qu’adoptent les

pays »53. Ainsi, en fonction de l’approche choisie, les contenus qui seront considérés comme

illicites seront différents d’un pays à l’autre. C’est justement cela qui pose problème car sur l’internet, il n’existe aucune frontière, et on peut donc se retrouver dans le cas où un contenu serait considéré comme illicite dans un pays mais pas dans l’autre. Néanmoins, le fait de prévoir une définition large peut avoir l’avantage de permettre de dégager des critères permettant de définir ces contenus illicites. Cependant, il semble difficile de dégager des critères car les pays n’ont pas tous les mêmes exigences en termes de morale et d’ordre public54.

Définis largement, les contenus manifestement illicites sont en tout état de cause un abus du droit à la liberté d’expression, puisque si ce n’était pas le cas, ils ne seraient pas considérés comme illicites. La notion de contenu peut se rattacher à n’importe quel support ; il peut s’agir d’un document, d’une photographie, d’une vidéo, d’un ensemble de mots, etc. Or, le moment à partir duquel ce contenu dépasse le champ du droit à la liberté d’expression et tombe dans la qualification d’un contenu illicite n’est pas précisément défini. Gérard Cornu définit l’illicéité comme le « caractère de ce qui est contraire à un texte ordonnant ou prohibant (loi, décret, arrêté)

» à « l’ordre public aux exigences fondamentales, même non formulées, d’un système juridique »,

et « aux bonnes mœurs », ce qui inclut l’immoralité. On parle également de la « transgression

d’une norme de comportement »55. Sur ce point, la notion de contenu illicite se différencie de la

notion de contenu illégal. En effet, le champ associé aux contenus illicites est plus large que le champ associé aux contenus illégaux puisque les premiers ne se contentent pas de violer la loi. Les contenus illégaux comportent notamment toutes les infractions de haine qui ont été listées plus haut : l’apologie des crimes et délits, l’incitation, la diffamation et les injures.

53 Caroline VALLET, « La règlementation des contenus illicites circulant sur le réseau internet », Mémoire Université

Laval, 2004, p. 11.

54 Supra note 53.

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Ainsi, un comportement illicite peut aussi bien être lié au non-respect d’une règle de droit qu’au non-respect d’une règle de coutume ; il faudra alors se référer à la notion de bon père de famille56. Au Canada, l’arrêt Whatcott, lui, fait référence à la notion de « personne raisonnable »

qui « informée du contexte et des circonstances, estimerait que les propos sont susceptibles

d’exposer autrui à la détestation et à la diffamation pour un motif de discrimination illicite »57.

La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion d’affirmer qu’un contenu ne pouvait être considéré comme manifestement illicite et restait alors dans le champ de la liberté d’expression lorsque les paroles litigieuses n’étaient que des critiques qui ne constituaient pas un abus58. Les faits

concernaient ici la réalisatrice du film « La Rafle » qui avait demandé la suppression d’un article outrageant posté à son égard sur le site de la société JFG Networks, qui avait alors décidé de laisser l’article litigieux en ligne, dont le nom était « Rose B. devrait fermer sa g… ». Or, aucun critère permettant d’affirmer que les paroles relèvent de la libre critique n’est mis en lumière. Il est donc possible de se demander comment le juge en est venu à cette interprétation.

La notion de contenu illicite pose problème notamment concernant le délit d’incitation à la haine ou de propagande haineuse. Il a été fait état de ce problème lors de l’examen en commission de la proposition de loi visant à lutter contre la haine en ligne. En effet, il a été avancé que « le

texte ne parvient pas à bien clarifier quels contenus les plateformes doivent accepter, et quels contenus elles doivent refuser »59. Ceci est dû au fait que la notion de contenus illicites, et

notamment la notion de haine en ligne, est large et imprécise. Ainsi, le risque est que les plateformes, qui doivent retirer les contenus illicites dans un délai prompt, ne sachent pas déceler ce qui relève du contenu illicite, et ce qui n’en relève pas. Par ailleurs, un autre risque pour la loi, sans définition précise de ces notions, est de « viser trop large et de menacer la liberté

56 Élise RICBOURG-ATTAL, La responsabilité civile des acteurs de l'Internet : du fait de la mise en ligne de contenus

illicites, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 27, §16.

57 Supra note 11, §59.

58 CA Paris, pôle 1, 2e ch. 4 avril 2013, n°12-12.001, Rose B. c JFG Networks. En ligne : <

https://www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-1-chambre-2-arret-du-04-avril-2013/>.

59 L’Obs avec AFP, « Contenus haineux: les acteurs d'internet s'inquiètent pour la liberté d'expression » (2019). En

ligne : <https://www.nouvelobs.com/medias/20190703.AFP9727/contenus-haineux-les-acteurs-d-internet-s-inquietent-pour-la-liberte-d-expression.html>.

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