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L’existence d’une confusion entre le statut d’hébergeur et celui d’éditeur de

A. LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES PLATEFORMES DE CONTENUS

2. L’existence d’une confusion entre le statut d’hébergeur et celui d’éditeur de

La Loi pour la confiance dans l’économie numérique ne mentionne pas quelle responsabilité s’applique aux plateformes de contenus. Il s’agit d’une catégorie d’intermédiaire technique non prévue par la Loi pour la confiance dans l’économie numérique qui s’est développée très rapidement au cours de ces dernières années. On peut notamment citer comme exemples la plateforme Youtube, Dailymotion, Facebook, Twitter ou encore Instagram. Ainsi, les réseaux sociaux font partie de cette catégorie des plateformes de contenus. En effet, ces derniers sont définis comme étant des « plateformes de communication en ligne qui permettent à tout internaute de

rejoindre ou de créer des réseaux d’utilisateurs ayant des opinions similaires et/ou intérêts communs » selon l’avis sur les réseaux sociaux en ligne rendu le 12 juin 2009 par le G 29109.

Un contentieux a récemment proliféré concernant la qualification juridique de ces plateformes. En effet, beaucoup d’œuvres ont été partagées en masse sur ces plateformes sans l’accord de leurs ayants droits. La circulation de ces œuvres contrefaisante a eu pour conséquence de créer un déséquilibre dans le partage de la valeur étant donné que les plateformes ont tiré profit de l’exploitation des œuvres au détriment des auteurs légitimes. La question de la qualification de ces plateformes se posait donc, l’enjeu était de savoir si elles devaient être considérées comme des éditeurs de contenus ou comme des hébergeurs, et par conséquent, à quelle responsabilité devaient- elles obéir.

Les plateformes de contenus se définissent elles-mêmes comme étant des fournisseurs d’hébergement. En effet, elles revendiquent qu’elles sont totalement étrangères aux contenus mis en ligne par les internautes. Elles n’exerceraient alors aucun contrôle sur les contenus qui sont publiés par les internautes et ne se contenteraient que de les héberger ; leur rôle ne serait alors que passif.

Au contraire, les ayants droits arguent que ces plateformes doivent être considérées comme des éditeurs de contenus car ils « tirent délibérément profit de l’exploitation des contenus

contrefaisants et que leur rôle dépasse largement celui d’un simple hébergeur dans la mesure où des outils de mise en page et de référencement sont proposés aux utilisateurs »110. L’intérêt pour

les ayants droits de voir reconnaître aux plateformes de contenus le statut d’hébergeur est de faire jouer leur responsabilité afin d’obtenir une indemnisation plus avantageuse. En effet, les plateformes de contenus sont des acteurs solvables qui peuvent être aisément identifiés, contrairement aux internautes.

Au Québec, l’hébergeur est défini par l’article 22 de la Loi sur le cadre général des

technologies de l’information comme « [l]e prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de conservation de documents technologiques sur un réseau de communication ». Le régime qui lui est applicable est calqué sur le régime européen et donc sur le

régime français.

La définition française du fournisseur d’hébergement prévue par l’article 6, I, 2 de la Loi

pour la confiance dans l’économie numérique tient compte de la mise à disposition du public par

des services de communication au public en ligne, alors que cette dernière n’est pas envisagée par la définition de la Directive sur le commerce électronique. Par ailleurs, d’après cette définition, le fournisseur d’hébergement peut tout à fait être une personne qui n’exerce pas cette activité de stockage de manière professionnelle, mais à titre purement gratuit. La conséquence est qu’il existe une certaine confusion dans la qualification de fournisseur d’hébergement, ce qui a permis aux juges d’élargir le statut d’hébergeur afin de le faire reposer sur d’autres acteurs du numérique111.

C’est ainsi que le Tribunal de grande instance a affirmé que la plateforme de partage de contenus Dailymotion bénéficiait du statut d’hébergeur. Or, l’activité même de l’hébergeur est dans la loi une activité de « stockage […] de messages de toute nature » dans un but de « mise à

disposition du public par des services de communication au public en ligne »112. Il s’agit donc ici

d’une activité purement technique, et l’hébergeur ne devrait donc pas avoir de contrôle sur les contenus postés par les internautes. Or, en l’espèce, comme il l’était avancé par les demandeurs, la plateforme Dailymotion « sélectionne la taille des fichiers et en modifie le contenu par ré- encodage » et « fait des choix éditoriaux en imposant une certaine architecture au site et en percevant pour son compte des revenus publicitaires du fait des publicités qu’elle publie sur le site ». Les juges ont cependant considéré d’une part que la sélection de la taille des fichiers ainsi que le ré-encodage du contenu n’étaient que des contraintes techniques qui n’impliquaient pas de regard sur le contenu posté par l’internaute, et d’autre part que la Loi pour la confiance dans

l’économie numérique « n’interdit [pas] à un hébergeur de tirer profit de son site en vendant des espaces publicitaires »113. Or, on ne peut nier que les plateformes de partage de contenus comme

Dailymotion ou encore YouTube ne sont pas à l’origine d’un choix éditorial puisqu’elles choisissent de mettre en avant sur leur page d’accueil certaines vidéos plutôt que d’autres et d’associer à certaines vidéos une publicité plutôt qu’une autre. Il s’agit là de choix qui ne sont pas purement techniques.

111 Supra note 8, p. 1137, §1935. 112 Supra note 17, art. 6-I-2.

113 TGI Paris, 3e ch., 15 avril 2008, Lafesse c Dailymotion. En ligne : < https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-

La conséquence en est que ces plateformes devraient plutôt être considérées comme des éditeurs de services, qui sont, selon l’article 6, III, 1 de la Loi pour la confiance dans l’économie

numérique des personnes « dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne »114. Il s’agit de la définition de l’éditeur professionnel donnée par la Loi pour la confiance

dans l’économie numérique, laquelle distingue l’éditeur qui agit à titre professionnel de l’éditeur

amateur, qui est défini cette fois à l’article 6, III, 2 de la Loi pour la confiance dans l’économie

numérique comme une personne « éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne »115. De toute évidence, il s’agit là d’une définition qui n’en est pas une, car elle

est très insuffisante. Cependant, il n’en existe pas d’autre, et il faut donc se tourner vers la jurisprudence pour se faire une idée des contours de la notion d’éditeur.

Le Tribunal de grande instance de Troyes a ainsi affirmé que l’éditeur était

« personnellement à l’origine de la diffusion » des contenus et « présente les contenus hébergés selon une ligne éditoriale délibérée »116. De plus, les juges considèrent qu’une « mise en page

actualisée par catégorie d’achats, et non par annonces des vendeurs […] démontre l’absence de choix éditorial sur les contenus hébergés ». En revanche, les personnes qui « mettent à disposition des vendeurs des outils de mise en valeur du bien vendu, organisent des cadres de présentation des objets sur leur site en contrepartie d’une rémunération, et créent les règles de fonctionnement et l’architecture de leur service d’enchères » doivent être considérées comme des éditeurs de services

en ligne.

Ainsi, les éditeurs de services de communication en ligne doivent être à l’origine de choix éditoriaux personnels et avoir par conséquent un rôle actif sur les contenus qu’ils hébergent, à la différence des hébergeurs qui n’ont qu’un rôle purement technique sur ces mêmes contenus.

114 Supra note 17, art. 6-III-1. 115 Supra note 17, art. 6-III-2.

116 TGI Troyes, 4 juin 2008, Hermès International c eBay et autres. En ligne :

<https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-troyes-chambre-civile-jugement-du-4-juin- 2008/>.

3. Vers une consécration du statut d’hébergeur au profit des plateformes de