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Vers une consécration du statut d’hébergeur au profit des plateformes de

A. LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES PLATEFORMES DE CONTENUS

3. Vers une consécration du statut d’hébergeur au profit des plateformes de

Il faut tout d’abord noter que le but de la Directive sur le commerce électronique est

« d'améliorer l'efficacité de la transmission » des informations sur l’internet. C’est pour cette

raison qu’elle instaure un régime particulier de responsabilité bénéficiant aux prestataires techniques. Cependant, « [C]es dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente

directive ne couvrent que les cas où l'activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l'information est limitée au processus technique d'exploitation et de fourniture d'un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement […] Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l'information n'a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées »117. Pour qualifier un acteur

du numérique d’éditeur ou d’hébergeur, les juges vont donc prendre en considération le rôle de cet acteur et regarder s’il est étranger ou non à la publication des contenus ; il faut alors déterminer s’il a un rôle passif ou actif dans le processus.

La Cour de cassation, au sein de son rapport de 2011118, a précisé que le rôle actif ou passif

se déduisait « de la définition de l’éditeur et de celle de l’hébergeur ». Selon ce rapport, le fait que l’éditeur réunisse les contenus « et sélectionne ceux qu’il publie, met en forme, etc. » induit qu’il ait un rôle actif dans la publication des contenus, contrairement à l’hébergeur. Ainsi, il faut rechercher si le prestataire a eu un rôle à jouer dans la publication du contenu, notamment s’il a exercé un filtrage du contenu, ou encore une sélection de celui-ci.

Tout d’abord, en 2007, le Tribunal de grande instance de Paris avait considéré que la société MySpace n’avait pas qu’une fonction technique en « imposant une structure de présentation par

cadres, qu’elle met manifestement à la disposition des hébergés et » en « diffusant, à l’occasion de

117 Supra note 9, §42.

118 Cour de cassation, Rapport annuel, « Le risque », 2011, p. 405. En ligne : <

chaque consultation, des publicités dont elle tire manifestement profit »119 ; elle devait donc être

qualifiée d’éditeur. Ainsi, le fait pour un intermédiaire de proposer des fonctionnalités permettant à l’internaute de naviguer plus simplement sur le site semble être pour les juges un critère important dans la qualification juridique.

En 2008, les juges rejettent cependant la demande de qualification de la plateforme de contenus Dailymotion en tant qu’éditeur et se tournent vers la responsabilité des fournisseurs d’hébergement. Les ayants droits avançaient que la société Dailymotion devait être qualifiée d’éditeur car « elle sélectionne la taille des fichiers et en modifie le contenu par réencodage et

qu’elle fait des choix éditoriaux en imposant une certaine architecture au site et en percevant pour son compte des revenus publicitaires du fait des publicités qu’elle publie sur le site ». Cependant,

les juges considèrent en premier lieu que le réencodage n’est qu’une « opération purement

technique qui ne demande aucun choix quant au contenu de la vidéo postée »120 et considèrent de

même pour la limite imposée à la taille des fichiers publiés par les internautes. Les juges se fondent sur la Loi pour la confiance dans l’économie numérique qui, selon eux, affirme que seuls les choix des contenus des fichiers mis en ligne constituent des choix éditoriaux. Enfin, ils considèrent que la Loi pour la confiance dans l’économie numérique n’interdit en aucun cas aux fournisseurs d’hébergement de tirer profit de la publicité en proposant à la vente des espaces publicitaires. Ainsi, la qualification retenue au profit de Dailymotion est celle d’hébergeur.

Cependant, dans un arrêt Tiscali rendu en 2010, les juges de la Cour de cassation ont considéré que le fait d’offrir « à l'internaute de créer ses pages personnelles à partir de son site » et de « proposer aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion », dépassait « les simples fonctions techniques de stockage »121. Pour ces raisons, la société Tiscali devait être considérée non pas comme un

fournisseur d’hébergement, mais comme un éditeur de contenus.

119 TGI Paris, 22 juin 2007, Jean Yves L. dit Lafesse c MySpace. En ligne : <

https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-paris-ordonnance-de-refere-22-juin-2007/>.

120 Supra note 113.

Les juges se tournent également vers un autre critère en se demandant qui est à l’origine de la publication du contenu pour décider si c’est à l’internaute lui-même d’engager sa responsabilité du fait de la publication du contenu ou non. En 2011, les juges ont dû apprécier la qualité de la plateforme Dailymotion. En l’espère, un utilisateur de la plateforme Dailymotion avait posté un film qui pouvait être visualisé en streaming sur celle-ci. Les juges ont décidé de retenir qualification d’hébergeur au bénéfice de la plateforme de contenus Dailymotion car « la commercialisation

d’espaces publicitaires ne permet pas de qualifier la société Dailymotion d’éditeur de contenu dès lors que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur, lequel, par essence même, est personnellement à l’origine de la diffusion, raison pour laquelle il engage sa responsabilité »122.

La Cour de cassation revient donc finalement sur la jurisprudence Tiscali.

La Cour de justice de l’Union européenne intervient sur le sujet au cours de l’année 2012. Elle précise les critères permettant de qualifier un prestataire d’éditeur ou d’hébergeur. La Cour décompose son argumentation en deux temps123. Dans un premier temps, le critère utilisé est celui

de la neutralité du prestataire. Pour être qualifié d’hébergeur, ce dernier doit exercer une activité qui « revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire

de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées »124. Dans un second temps, la Cour explique que pour le prestataire puisse

bénéficier du statut d’hébergeur, il ne doit pas avoir joué un « rôle actif de nature à lui confier une

connaissance ou un contrôle des données stockées »125. Par cette décision, la Cour de justice de

l’Union européenne affirme que Google Adwords est bel et bien un hébergeur car son rôle n’est que technique.

122 Cass civ 1re, 17 février 2011, n° 09-67.896, Christian C. e.a. c Dailymotion. En ligne : <

https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-paris-3eme-chambre-2eme-section-jugement- du-13-juillet-2007/>.

123 Philippe STOFFEL-MUNCK, « La notion d’hébergeur à la lumière de l’affaire Google Adwords » (2010), CCE,

n° 9, p. 41.

124 CJUE, 23 mars 2012, Google France SARL et Google Inc. c Louis Vuitton Malletier SA, aff C-236/08, §42. En

ligne :

<http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=83961&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir =&occ=first&part=1&cid=11588493>.

Enfin, la plateforme Youtube a également été qualifiée d’hébergeur par les juges du Tribunal de grande instance de Paris. Ces derniers ont indiqué, dans un arrêt rendu le 29 mai 2012126,

qu’aucune preuve n’avait été rapportée que la plateforme de contenus Youtube avait eu un rôle actif dans la publication des contenus mis en ligne. Ils ont également rappelé que la Loi pour la confiance

dans l’économie numérique n’interdisait en rien de tirer profit de la mise à disposition

d’emplacements publicitaires sur le site en question.

C’est également le cas des réseaux sociaux, le Tribunal de grande instance de Paris ayant affirmé que c’est à la catégorie des fournisseurs d’hébergement que ces derniers devaient être assimilés127, ce qui leur permet eux aussi de bénéficier du régime d’irresponsabilité conditionnée

prévue au bénéfice des hébergeurs.