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Questions pour une étude de la chorégraphie située

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Academic year: 2021

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(3)

Que soient ici remercié·e·s les artistes, auteur·e·s, collègues et étudiant·e·s cité·e·s dans cet écrit, et tout particulièrement Philippe Guisgand d’avoir accepté d’en être le garant.

Mes remerciements vont également à Laurent Barré et Léa Bosshard pour leur relecture du texte.

(4)

SOMMAIRE

P

ARCOURS DE RECHERCHE

(I

NTRODUCTION

)

5

La recherche en danse à l’université (1999-2018)

6

Enseigner et diriger des recherches (1999-2018)

13

Adresser la recherche

17

I.

E

XPERIENCE ESTHETIQUE

:

LE POINT DE VUE DU SPECTATEUR

29

1. Cadre méthodologique et épistémologique : pratiquer et

enseigner l’analyse d’œuvre

29

2. Relation esthétique : analyser comment la chorégraphie nous

regarde

41

 Les fabriques de l’attention

42

 Les modalités d’apparition de la figure dansante

46

 Le spectateur face aux limites du représentable

51

3. Les matérialités de l’œuvre chorégraphique (et de la chorégraphie

située, en particulier)

57

 Les manifestations de l’œuvre chorégraphique

58

 Les contours singuliers de la chorégraphie située

61

 Vers une analyse chorégraphique de la situation

64

Jalons d’une recherche en esthétique de la danse

69

II.

A

PPROCHE HISTORIQUE

:

DU MODELE MONOGRAPHIQUE A L

ENQUETE DOCUMENTAIRE

71

1. Le modèle monographique

72

2. L’approche transculturelle : France/États-Unis

78

3. Les logiques de l’archive

83

4. Problèmes posés par une histoire de la chorégraphie située

88

 Les prémices de récits historiques

88

 L’enquête documentaire

92

(5)

III.

S

PATIALITE

:

DANS ET HORS DU THEATRE

100

1. Spatialité chorégraphique : à l’épreuve de la scène théâtrale, de

l’architecture et du site

104

Les jeux de la perspective corporelle sur la scène théâtrale

104

 Expérimenter avec l’architecture

109

 Analyser des pratiques situées

117

2.

Chorégraphie située : les raisons d’une nouvelle dénomination

121

La danse in situ

122

La danse en situation

131

Habiter en danseur·euse

134

Qu’est-ce qu’une scène ?

138

 La dimension descriptive du geste

142

 Chorégraphier des situations

148

Jalons d’une recherche sur la spatialité en danse

153

IV. C

OMPOSITION

:

LA FABRIQUE DES ŒUVRES

157

1.

L’environnement comme partition

157

 La dimension urbaine : sujet ou prétexte d’une chorégraphie située en forme de marche

159

 Les formes de sociabilité

161

 La dimension partitionnelle de la chorégraphie située

165

2. Quatre méthodes d’analyse des logiques compositionnelles

170

 L’approche esthétique

170

 L’approche génétique

174

 L’approche ethnographique

177

 L’approche par le témoignage

181

3.

Un vocabulaire pour les

pratiques compositionnelles aujourd’hui

184

Jalons d’une recherche sur la fabrique des œuvres

198

V.

D

ISCOURS D

ARTISTES CHOREGRAPHIQUES

USAGES ET LECTURES

200

1. Le chercheur comme passeur ?

206

 Publier des écrits d’artistes : une construction du témoignage

209

Publier des entretiens : réserves et nécessité

213

(6)

2.

Le livre comme œuvre

216

L’autobiographie comme œuvre

216

L’écriture comme lieu d’invention du geste

219

La dimension chorégraphique du livre

221

Le livre d’artiste chorégraphique : une catégorie à interroger

224

3. Perspectives géocritiques

228

 Relations au monde : figurations géographiques

233

 Le texte et le territoire : lectures géocritiques

237

Jalons d’une recherche sur les discours d’artistes

248

C

ONCLUSION

250

L

ES CONDITIONS DU PAYSAGE

253

A

NNEXES

B

IBLIOGRAPHIE

267

L

ISTE COMPLETE DES PUBLICATIONS

279

(7)

P

ARCOURS DE RECHERCHE

(I

NTRODUCTION

)

Ma recherche récente sur les pièces chorégraphiques en forme de marche, c’est-à-dire des pièces dont la marche hors des plateaux de théâtre constitue sinon le sujet du moins le medium du projet artistique, invite à réfléchir aux notions de parcours et de chemin. En particulier à observer ce qui domine dans le cheminement : la forme de sa trajectoire, les points de vue qu’il ouvre sur le territoire, son point d’arrivée ou bien les étapes qui le ponctuent. Ces questions prennent une résonance toute métaphorique alors que s’amorce cette synthèse de mon parcours de recherche et que des choix s’imposent. Comment définir ce qui constitue une étape, autrement dit, comme le veut la polysémie du terme, autant un point d’arrêt, un jalon dans un parcours de recherche, qu’une distance parcourue, une période de travail apparue dans son unité ? Selon quelle hiérarchie ordonner la suite des activités ou décisions qui ont ponctué ce parcours ? Il est bien sûr des hiérarchies évidentes forgées par l’institution académique et qui offrent un cadre de lecture dominant. Pourtant cette logique commode tout autant que normative masque, d’une part, la complexité des motivations, d’autre part, l’importance d’événements déterminants bien qu’en apparence mineurs à l’échelle du parcours effectué : par exemple, le trouble intellectuel et sensible produit par une œuvre chorégraphique, l’élan procuré par une lecture, la clarification suscitée par la question d’un auditeur, la commande d’un texte ou d’une conférence sur un sujet qui ne semblait pas vraiment être le mien, la position qu’un·e artiste me propose à l’intérieur d’un cadre discursif ou performatif, etc. Comment dès lors rendre compte de ce qui a conduit à telle ou telle orientation de la recherche, alors même que ces décisions sont par ailleurs loin d’être toujours délibérées ? On est éminemment travaillé par un milieu – par des milieux – et par les questions qui les traversent. Ces milieux orientent les façons d’interroger les problèmes liés à l’art chorégraphique. Et réciproquement les questionnements soulevés infléchissent sinon l’art chorégraphique lui-même, du moins les discours qui le qualifient et peut-être les contours du champ épistémologique consacré à ce qu’il est convenu d’appeler « la recherche en danse ». Enfin, l’exposé du parcours lui-même organise une logique discursive qui répond bien sûr à ses propres codes ou structures culturelles, mais surtout s’ordonne au présent, c’est-à-dire selon les nécessités et cohérences d’un moment singulier. Car l’écriture est moins la consignation de la suite des activités ou décisions qui fondent un parcours, que la construction au présent de ces activités mêmes – sélectionner parmi les faits et les mettre en relation. Elle constitue une mise en ordre de l’expérience moins tournée vers le passé que vers une recherche à venir qui pourra elle-même tirer parti de la dimension heuristique de l’exercice même d’écrire.

Aussi, les cinq axes qui organisent cette synthèse sont-ils à comprendre non comme des périodes successives, mais comme des fils susceptibles de se nouer çà et là entre eux. Comme

(8)

la synthèse le met en évidence, j’ai en effet toujours travaillé sur plusieurs axes de recherche à la fois. Chacun des fils tente alors de saisir le déplacement d’une question dans le temps, à l’intérieur d’un même champ de recherche, ces questions constituant les moteurs progressifs de ma recherche. Le mouvement qui fait passer d’une question à une autre confère donc une cohérence interne à chaque champ qui suit sa logique propre. Pour autant, ce mouvement fait aussi converger un faisceau de questions vers un même objet – l’objet actuel de ma recherche : la chorégraphie située, c’est-à-dire des pratiques ou des œuvres chorégraphiques qui font de la situation leur ressort. Cet objet d’étude spécifique et plus largement la chorégraphie hors des théâtres permettent ainsi de lier ces cinq fils entre eux et donnent son titre à cette synthèse : « Questions pour une étude de la chorégraphie située ». C’est au fond cet objet de recherche qui a principalement conduit à faire surgir ces questionnements, comme à faire évoluer mes méthodologies de travail.

Autrement dit, c’est tout autant un parcours qu’un programme de recherche qui seront présentés là. Ce sera l’occasion de réfléchir à la place de ma démarche au sein des recherches en danse et par là de préciser les liens qu’elle tisse avec différentes traditions théoriques. Ou encore d’éclairer ce qui rassemble des travaux qui pourraient peut-être sembler disparates aux yeux d’un lecteur épisodique (c’est-à-dire sans unité thématique, historique ou géographique évidente). Mais aussi de définir ce qui constituera la priorité pour les travaux à venir, que cette forme de bilan fait apparaître. Tel serait aussi l’enjeu heuristique de cette synthèse.

Il convient au préalable de tenter de débrouiller dans quels contextes ce travail a pu se développer. Il s’agira tout au moins d’esquisser les traits saillants d’un contexte à petite échelle : celui de la recherche en danse dans le cadre universitaire français – selon deux axes successifs et néanmoins liés : la recherche puis l’enseignement – et celui des relations entretenues avec le milieu chorégraphique lui-même – ce que j’ai inclus dans la dernière partie de cette introduction, intitulée « Adresser la recherche ».

La recherche en danse à l’université (1999-2018)

Le contexte de la recherche en danse dans l’université française a évolué de manière frappante en vingt ans, modifiant considérablement l’environnement intellectuel dans lequel j’évolue mais aussi le regard sur la discipline porté par les chercheur·euse·s d’autres domaines. Lorsque j’entame une thèse en esthétique de la danse1 en 1999 à l’université Paris 8 Saint-Denis, soit dix ans après la création d’un diplôme universitaire en danse par le philosophe Michel Bernard, aucun enseignant en poste n’est habilité à diriger des recherches et le

1 Thèse en « esthétique, sciences et technologie des arts » (spécialité : théâtre et danse), sous la direction

de Philippe Tancelin (codirection : Hubert Godard jusqu’en 2002, puis Isabelle Ginot en 2004). L’équipe d’accueil est alors en théâtre. C’est en 2005 que la sous-équipe Discours et pratiques en danse rejoint l’unité de recherche 1572 « Esthétique, musicologie, danse et création musicale ».

(9)

département Danse est porté par deux maîtresses de conférences2. Huit thèses y ont été soutenues jusqu’en 19993, et le travail de thèse ne donne pas lieu, sauf affinités singulières, à des dynamiques de recherche collective entre les doctorants tant l’effort est mis alors sur la consolidation de la place des études en danse. Dans les années 1980 et 1990 en effet, la place de la danse s’affirme – en particulier à l’université de Nice et de Paris 8 Saint-Denis – en tant que discipline qui a été institutionnellement reconnue depuis 19894. Cela constitue de ce fait un moment formidablement stimulant pour une jeune chercheuse en danse : un moment de construction et d’élans, de projections portées par les premiers signes d’une reconnaissance, bref, un moment qu’on pourrait qualifier de militant, en cela qu’il ne visait pas seulement l’inscription dans l’institution mais la constitution d’un domaine critique à même de faire bouger les lignes. Isabelle Ginot le résume ainsi en 2006 :

« [Michel Bernard et Hubert Godard] ont su créer ce département [à l’université Paris 8] non pas à partir du seul effort qui consiste à “obtenir” la création et les moyens d’existence d’un département universitaire, mais à partir d’une question formulée de façon à ce qu’elle soit toujours irrésolue : que pourrait être un département de danse à l’université ? Et en quoi peut-il être utile à la danse elle-même ? Un des aspects actuels de l’éthique de notre département est le questionnement sur l’efficacité politique du travail théorique et de la recherche5. » En 2012, elle appellera l’ensemble des chercheur·euse·s en danse à une « extrême vigilance » face aux normes scientifiques perçues comme « appareil de normalisation idéologique6 ». Car « les études en danse, poursuit-elle, encore fragiles au sein de l’institution universitaire, demeurent perçues comme subalternes […]. La tentation peut alors être grande, dans la lutte commune pour défendre et asseoir notre discipline, de se plier du mieux possible aux normes des savoirs légitimes. L’autre choix, [lui] semble-t-il, est de penser les études en danse comme

alternative aux savoirs dominants. » Cet esprit vigilant et éminemment inventif quant aux

méthodologies du travail pédagogique et de recherche que partagent Isabelle Ginot, Isabelle Launay, Hubert Godard, rejoints en 2003 par Christine Roquet, constituait un formidable tremplin pour s’engager dans la recherche en danse.

2 Isabelle Launay depuis 1998 et Isabelle Ginot depuis 1999 ; Hubert Godard nommé maître de

conférences en 1992 s’étant mis en disponibilité en 1999. Le professeur Michel Bernard a pris sa retraite en 1995 mais continue d’enseigner ponctuellement jusqu’en 1998.

3 Huit thèses en danse seront ensuite soutenues de 2000 à 2009 à l’université Paris 8. Pour une

présentation synthétique de l’histoire du département Danse, voir Isabelle Ginot, Mahalia Lassibille et al., « Le département Danse de l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis : quelques repères », Recherches en

danse [En ligne], 1 | 2014, mis en ligne le 1er mars 2014.

4 Voir en particulier Simone Clamens, Michel Bernard et Robert Crang, « La danse entre à l’université

française : histoire des origines », Recherches en danse [En ligne], 1 | 2014, mis en ligne le 1er mars 2014 ;

Hélène Marquié, « Regard rétrospectif sur les études en danse en France », Recherches en danse [En ligne], 1 | 2014, mis en ligne le 1er mars 2014.

5 Isabelle Ginot, « La critique en danse contemporaine : théories et pratiques, pertinence et délires. Texte

de synthèse des travaux de recherche, 1996-2006 », HDR, volume 1, université Paris 8 Saint-Denis, 2006, p. 3.

6 Isabelle Ginot, « Inventer le métier », Recherches en danse [En ligne], 1 | 2014, mis en ligne le 1er janvier

(10)

J’appartiens sans doute à la première génération de doctorants à avoir été formée principalement dans le cadre des études en danse. Comme le rappelle Marina Nordera, « la plupart des chercheurs de [s]a génération [conduisant une thèse dans les années 1990] n’a pas étudié la pratique, ni la théorie, ni l’histoire de la danse à l’université, mais a modelé, en la forçant parfois, une formation obtenue à l’extérieur et à l’intérieur de l’université, en l’adaptant à l’objet spécifique de leur étude7. » J’ai à l’inverse bénéficié, en suivant une année de licence (1998) puis une année de DEA (1999) au département Danse de l’université Paris 8, d’une

formation pensée depuis les études en danse (après avoir moi-même, pour reprendre le terme de Marina Nordera, « forcé » la littérature générale et comparée vers une analyse de la critique en danse, lors d’une maîtrise à l’université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle en 1998). L’introduction à l’analyse du mouvement, aux systèmes de notation, aux discours philosophiques sur la corporéité, aux ressorts de l’écriture chorégraphique, à la critique en danse, à une histoire de la danse pensée à partir de l’histoire des gestes, des débats qui animent la communauté des danseur·euse·s et d’une lecture des œuvres, allait jeter les bases d’une approche disciplinaire. On voit bien par cette énumération ce que cette discipline doit à des savoirs spécifiques, à travers les liens qu’elle tisse avec son terrain de recherche : avec la pratique elle-même (les chercheur·euse·s sont aussi des danseur·euse·s ou praticien·ne·s somatiques, sinon professionnel·le·s du moins amateurs), avec le milieu chorégraphique plus largement (notateur·rice·s, interprètes, chorégraphes, pédagogues, programmateur·rice·s, etc.) et avec les sources spécifiques qui la concerne. Mais aussi ce qu’elle doit à d’autres disciplines : la philosophie, l’histoire des arts, l’histoire, la critique littéraire, etc. Cette interdisciplinarité qui sous-tend la formation même des premier·ère·s enseignant·e·s-chercheur·euse·s en danse n’est alors pas revendiquée, au profit d’un discours militant quant à la constitution d’une discipline. On retrouve là un processus que les Dance Studies aux États-Unis ont aussi traversé alors qu’elles commencent à poser les fondements épistémologiques de leur champ d’études, dans les années 1980 : Randy Martin a décrit « l’innocence feinte de croire8» qu’il n’y aurait pas une fondation

7 Marina Nordera, « Dépasser les frontières disciplinaires », Recherches en danse [En ligne], 1 | 2014, mis

en ligne le 1er mars 2014, §4.

8 « To avoid the feigned innocence of claiming grounds for dance studies as an absolute or original

discovery, it would be worth pursuing the hypothesis asserted by Michael E. Brown that disciplines always have interdisciplinary foundations. […] The creation of specific sites for academic practices (university departments) […] submerges the presence of interdisciplinary foundations. [It] generates the ideology of foundations as something intrinsic to a discipline that is then incapable of specifying what the conjoncture for that discipline was. The object of knowledge is thereby presented as something both eternal, in the sense of being without origin or end, and absolute, insofar as it is seen as being constitutionally stable within the discipline. » Randy Martin, Critical Moves. Dance Studies in Theory and Politics, Durham: Duke University Press, 1998, p. 189-190. Si les études en danse apparaissent aux États-Unis dès les années 1930, en même temps que la reconnaissance de la modern dance et aussi comme lieu de formation professionnelle de l’interprète, Randy Martin considère que la danse comme discipline et nouvelle épistémè date des années 1980, quand Susan Foster avec Reading Dancing. Bodies and Subjects in

Contemporary American Dance (Berkeley : University of California, 1986) sort du projet d’identifier la

(11)

interdisciplinaire à l’émergence d’une discipline et l’isolement qui en est le prix à payer. C’est cette « rhétorique de l’isolement (ou de l’unicité) […] pour protéger, promouvoir et légitimer la portion de territoire conquise, ou mettre l’accent sur la spécificité des compétences acquises » que Marina Nordera pointe également du doigt dans le champ français : une rhétorique qui n’a pas disparu à la fin des années 20009. Ce n’est que plus récemment qu’une forme d’apaisement identitaire ou disciplinaire est apparue, sans doute parce que d’une part le développement de la recherche en danse a su conforter ses fondations aussi bien en termes scientifiques (la qualité et la diversité des travaux conduits) qu’institutionnels (par exemple, depuis dix ans, un nombre relativement important, étant donné le contexte universitaire actuel, de postes en danse ont été créés dans les formations danse de Lille, Nice Sofia Antipolis – université Côte d’Azur, Paris 8 Saint-Denis et dans des départements d’arts du spectacle, d’études de genre, ou au CNRS).

D’autre part, le développement des recherches en danse est aussi le fait de personnalités issues de disciplines diverses (histoire, histoire culturelle, anthropologie, littérature…), personnalités qui font aujourd’hui vivre les études en danse universitaires en France. Par ailleurs, les chercheur·euse·s en danse à l’université dépendent de laboratoires interdisciplinaires. Par exemple, les collaborations au sein de l’unité de recherche 1572 MUSIDANSE « Esthétique,

musicologie, danse et création musicale » à laquelle j’appartiens ont permis des liens avec la musicologie (en particulier avec les musicologues Gianfranco Vinay, Jean-Paul Olive puis Olga Moll) et plus récemment avec une réflexion sur la dimension écologique de l’art (dans le cadre du Labex Arts-H2H « Arts, écologies et transition », codirigé par Roberto Barbanti, Isabelle Ginot et Makis Solomos). C’est ainsi que Marina Nordera avance :

« Au-delà des différences dans les approches, ce qui semble unir tous nos efforts est la construction d’un équilibre entre la disciplinarité (le développement d’outils spécifiques pour l’analyse, la publication des sources, une relation forte avec le monde professionnel ou avec le terrain d’investigation etc.) et l’interdisciplinarité (assimilation de méthodes, concepts et théories établies dans les universités, comme l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, les sciences cognitives entre autres)10. »

University Press, 1983) fondateur, selon R. Martin, d’une discipline académique du siècle passé) pour la considérer comme condition de production d’un certain savoir.

9 Marina Nordera, art. cit., §6. Elle ajoute §10 : « Beaucoup d’entre nous continuaient [en 2007] à stagner

dans la rhétorique de l’isolement […]. Se référer à une théorie plutôt qu’à une autre servait à revendiquer une appartenance, à se positionner dans une toile de relations, à s’identifier à une communauté, en somme, à maintenir en vie ces mêmes dynamiques de pouvoir que la théorie critique vise à faire ressortir et à rendre explicites. »

10 Marina Nordera, art. cit., §5. Dans une perspective comparable, Laure Guilbert écrit : « Aujourd’hui, les

difficultés auxquelles sont confrontés les chercheurs sont liées aux enjeux soulevés par les ancrages universitaires de cet objet polysémique. Désormais reconnue comme entité transdisciplinaire, au même titre que la musicologie, les études théâtrales ou cinématographiques, il serait souhaitable que la recherche en danse puisse également rester nomade au sein des disciplines traditionnelles afin de pouvoir maintenir une diversité d’outils et de regards autour de ses objets d’étude et fondements théoriques. » Laure Guilbert, « Brève historiographie de l’émergence des recherches en danse au sein de l’université française. Quel rôle pour l’histoire ? », Recherches en danse [En ligne], 1 | 2014, mis en ligne le 1er mars

(12)

Ces débats sur la discipline ont participé de l’environnement dans lequel ma recherche s’est développée. Et la quête d’un équilibre entre disciplinarité et interdisciplinarité évoqué par Marina Nordera décrit assez bien l’état d’esprit et les méthodes de travail engagées. Elle supposait aussi de définir mon inscription dans une communauté de chercheur·euse·s. J’ai en effet pleinement bénéficié du premier élan de développement de la recherche en danse à l’université qui conférait à notre activité une forme de responsabilité mêlée d’un grand enthousiasme (nous étions souvent les premier·ère·s à écrire ou enseigner sur telle ou tel chorégraphe et donc à ouvrir les pistes de recherche à venir). Ceci, à une époque où l’isolement n’était pas que rhétorique : il n’existait pas alors de réseaux de chercheur·euse·s en danse. L’Atelier des doctorants au Centre national de la danse (CND) qui met en lien les jeunes

chercheur·euse·s sur la danse dans différentes disciplines débute en 2007 soit trois ans après que j’aie achevé ma thèse11. L’association des chercheurs en danse (aCD) est fondée à la fin de cette même année (j’y serai active surtout à partir de 2012 à travers le comité éditorial de la revue puis le bureau de l’aCD de 2014 à 2017). L’édition scientifique francophone en danse était par ailleurs presque inexistante avant la création d’une collection qui lui est dédiée aux éditions Chiron12 à partir de 1985 ou celle des éditions Contredanse13 et du

CND14 en 1999, puis

l’apparition de la revue scientifique Recherches en danse15 en 2014. Mais surtout, les ressources sur la danse au XXe siècle étaient difficiles d’accès avant l’ouverture de la médiathèque du CND

en 2004 : dispersées dans divers fonds ou chez les artistes, non répertoriées et méconnues, un·e chercheur·euse ne bénéficiant pas non plus alors de la circulation des référencements et des articles scientifiques permise ensuite par internet. Ma connaissance de la recherche en danse européenne et américaine est alors presque nulle. Et l’on doit à l’organisation par le service de la recherche au CND(sous l’impulsion de Christophe Wavelet et Claire Rousier, c’est-à-dire hors

11 Le catalogue du SUDOC révèle qu’entre 1999 et 2004, période où je suis doctorante, 38 thèses sur la

danse, toutes disciplines confondues, ont été soutenues (pour 72 de 2012 à 2017). Nous sommes deux doctorantes à nous inscrire en thèse à l’université Paris 8 Saint-Denis en 1999 et personne n’y démarre de thèse avant 2004. À la rentrée 2018, 19 doctorants sont inscrits en thèse (auxquels il faut ajouter cinq co-directions ou co-tutelles).

12 Les éditions Chiron et leur collection « La recherche en danse », puis « Art nomade » qui est dirigée par

Michel Bernard, publieront, à partir de 1985, entre autres les travaux de Jean-Claude Serre (1986), Michel Bernard (réed. Chiron 1986, puis un second ouvrage en 1988), France Schott-Billmann (1987, puis un second ouvrage en 1989), Marie-Françoise Christout (1988), Alkis Raftis (1989), Paul Bourcier (1989), Jacqueline Robinson (1990), Michèle Febvre (1995), Isabelle Launay (1996). Des ouvrages sur la danse sont aussi édités dans leur collection « Le monde de la danse », « Hier pour demain » et « La danse à l’école », ou hors collection.

13 Les éditions belges Contredanse développent la revue Nouvelles de danse de 1990 à 2002 et la

publication d’ouvrages exclusivement à partir de 2003 (la publication en 1999 de Laurence Louppe,

Poétique de la danse contemporaine annonçait cette réorientation de l’activité), ainsi que de traductions

majeures (de Laban, Bonnie Bainbridge Cohen, Anna Halprin, Mathias Alexander, Mabel E. Todd, etc.).

14À un rythme modéré, puisqu’il faut attendre 2001 pour voir paraître la seconde publication (Michel

Bernard, De la création chorégraphique succède à la publication de la thèse d’Isabelle Ginot en 1999

Dominique Bagouet, un labyrinthe dansé).

15 Hébergée par revue.org. La revue Repères. Cahiers de danse, Briqueterie/Centre de développement

(13)

de l’institution universitaire) de colloques internationaux entre 1999 et 200616d’avoir ouvert d’autres horizons de recherche. Dans ce contexte, s’appuyer sur d’autres disciplines s’avérait nécessaire et presque vital. C’était non seulement la garantie d’un dialogue intellectuel à l’extérieur de mon milieu de formation – en particulier pour ma part avec la critique d’art, la critique cinématographique et littéraire et les Visual Studies – mais aussi le moyen d’éprouver la solidité des méthodologies de travail dans la recherche en danse tout autant que l’écho qu’elle pourrait trouver dans d’autres champs. Aussi, ma participation à des colloques universitaires dès 2000, où j’étais bien souvent la seule représentante de ma discipline, relevait autant d’une forme de militantisme pour ma discipline (dans quelle mesure les apports méthodologiques et conceptuels de la recherche en danse peuvent-il être appliqués à d’autres sphères pratiques et théoriques ?) que d’une nécessité intellectuelle à confronter mes propres hypothèses à l’extérieur de mon domaine de formation.

Il me semble à ce titre que cette démarche a moins consisté à me « plier du mieux possible aux normes des savoirs légitimes17», pour reprendre les termes d’Isabelle Ginot, qu’à rencontrer d’autres espaces de travail certes parfois décevants – par l’ignorance de certain·e·s chercheur·euse·s vis-à-vis du champ chorégraphique même ramenant le débat à un endroit peu fécond –, mais bien souvent extrêmement enrichissants, parce qu’ils permettaient tout autant de conforter des spécificités que d’entrevoir des pistes ou des liens nouveaux. Ainsi, les échanges avec des chercheur·euse·s en scénographie, en histoire de l’art, en littérature, en esthétique ou en musique auront ponctué ma formation de chercheuse. Il faut dire aussi que ces voyages interdisciplinaires ont bien souvent été suscités par les artistes mêmes : lecteurs de philosophie, de biologie, d’histoire, d’anthropologie, de littérature ou d’écrits d’artistes, ils entraînent la recherche en danse sur des voies aussi variées que surprenantes qui permettent de saisir davantage le cadre culturel et parfois le moteur de leur projet artistique. Ce goût pour l’interdisciplinarité s’est déployé dans d’autres directions aujourd’hui, appelées par mes objets de recherche actuels : c’est en effet du côté des travaux extrêmement stimulants et inventifs relatifs à l’urbanisme (en particulier les travaux du Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain à Grenoble), à la sociologie des espaces, ou relatifs au paysage (géographie, anthropologie, philosophie et histoire du paysage) que je me tourne pour penser la chorégraphie située – comme d’ailleurs les autres chercheuses en danse anglo-saxonnes attentives à ces objets. Il faut dire qu’en retour la danse est quelquefois présente dans ces

16 « Oskar Schlemmer, l’homme et la figure d’art » (1999) ; « Le solo : une figure singulière de la

modernité » (2001) ; « Pratiques, figures et mythes de la communauté en danse depuis le XXe siècle » (2002) ; « Identités culturelles, identités artistiques, de Bombay à Tokyo » (2006).

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disciplines, comme objet d’étude18, mais aussi parfois comme méthode19, ce qui engage à des dialogues réciproques.

On note en réalité plus largement un développement exponentiel des analyses sur la danse issues d’autres champs – analyses qui ne se cantonnent plus à parler de La Danse comme entité générique (pour ne pas dire éthérée), mais qui s’attèlent à des études ciblées et historiquement situées. On peut citer la percée remarquée, ces dix dernières années, de la danse flamenca ou moderne dans les travaux de Georges Didi-Huberman ou Jacques Rancière20, qui annonce sans doute l’accroissement des égards dont l’art chorégraphique fait ou fera l’objet. Ce mouvement est bien sûr à corréler avec la visibilité croissante de l’art chorégraphique sur la scène occidentale depuis les années 1980, puis avec la transdisciplinarité dont il se revendique de manière accrue depuis les années 2000 et dont les études théâtrales, cinématographiques ou en art visuel se font aussi l’écho. Si l’on peut regretter que les travaux des chercheur·euse·s en danse restent encore parfois ignorés, on assiste aussi dans les études récentes en philosophie, en histoire culturelle, en anthropologie ou en littérature à une prise en considération des acquis de la discipline. Il faut saluer à cet égard le travail mené par l’association des chercheurs en danse qui œuvre depuis fin 2007 à la reconnaissance des recherches en danse dans tous les champs du savoir et a su donner visibilité à ces recherches, en particulier grâce à la revue en ligne Recherches en danse depuis 2014, mais aussi grâce à des manifestations qui s’adressent autant au milieu universitaire qu’aux publics de la danse et à ses acteur·rice·s21. L’aCD vise également le développement d’une dimension internationale. On peut en effet déplorer une forme d’invisibilité au niveau international des recherches conduites en France, comparativement à la situation d’autres pays européens qui ont pu développer une politique éditoriale en langue anglaise. La traduction en anglais de textes importants des chercheur·euse·s de mon laboratoire paraîtra en octobre 2019, à l’occasion des trente ans du

18 Cf. par exemple le numéro Comme une danse des Carnets du paysage, n° 13-14, Arles : Actes Sud, 2007

avec, entre autres, des textes de Jean-Luc Brisson, Jean-Marc Besse, Gilles A. Tiberghien, Hervé Brunon ou Catherine Grout.

19C’est le cas par exemple de la thèse d’Aurore Bonnet au CRESSON qui accorde une place atypique à la

danse au cœur de son « corpus théorique » : la danse, comme détour méthodologique à la fois pratique et théorique, lui permet la constitution d’une expérience du mouvement favorable à une éducation kinesthésique et sensible garante de la qualité des analyses urbaines à venir. Autrement dit, c’est un savoir sensible qu’elle vient chercher dans la danse, savoir sensible qui se double d’un savoir nommer. Aurore Bonnet, « Qualification des espaces publics urbains par les rythmes de marche. Approche à travers la danse contemporaine », thèse spécialité urbanisme, mention architecture, dir. Jean-Paul Thibaud, Grenoble, 2013.

20 Respectivement autour de Loïe Fuller in Georges Didi-Huberman, Mouvements de l’air. Étienne-Jules

Marey, photographe des fluides, Paris : Gallimard/Réunion des musées nationaux, 2004 ou autour d’Israël

Galvan in Georges Didi-Huberman, Le Danseur des solitudes, Paris : éditions de Minuit, 2006. Et autour de Loïe Fuller (mais aussi Duncan, Laban, Nijinski…) in Jacques Rancière, Aisthesis. Scènes du régime

esthétique de l’art, Paris : Galilée, 2011 ou in Jacques Rancière, Les Temps modernes. Art, Temps, Politique,

Paris : La Fabrique, 2018.

21 On trouve sur le site de l’aCD http://www.chercheurs-en-danse.com l’historique de l’association,

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département Danse (Paris 8 Danse in Translation, II.722). Elle vise modestement à pallier cet état de fait.

Pour finir ce rapide état des lieux, il faut signaler que ce contexte de développement de la recherche en danse ces vingt dernières années est d’un soutien très concret dans mon parcours : je tire avantage autant de la garantie scientifique apportée par le premier élan des années 1980-90 que de la curiosité suscitée par la naissance d’une discipline encore méconnue auprès des chercheur·euse·s d’autres domaines. J’ai bénéficié ainsi d’une allocation de recherche pour ma thèse – la première délivrée en danse à l’université Paris 8 Saint-Denis. Puis, alors que je suis sans doute la première à y prétendre dans ma discipline, je deviens successivement boursière de la commission franco-américaine Fulbright en 2007 (ce qui me permet d’être chercheuse invitée au département de Performance Studies de la Tisch School of the Arts de New York University pendant cinq mois), et membre junior (2016-2021) de l’Institut universitaire de France pour une recherche intitulée « Chorégraphie et paysage ».

Enseigner et diriger des recherches (1999-2018)

Je commence à enseigner au département Danse de l’université Paris 8 Saint-Denis à partir de 1999 et presque sans interruption23jusqu’à ma nomination en février 2008 au poste de maîtresse de conférences en danse contemporaine et analyse d’œuvre. J’enseigne plus ponctuellement pour des artistes en formation : à l’École nationale supérieure de formation d’artistes chorégraphiques dirigée par la chorégraphe Emmanuelle Huynh au Centre national de danse contemporaine à Angers (2009, 2010, 2012), où je suis également membre du collège pédagogique (2006-2009) ; à la formation professionnelle « Prototype », dirigée par le chorégraphe Hervé Robbe à la fondation Royaumont (2013) ; enfin au master Études chorégraphiques ex.er.ce CCN de Montpellier – université Montpellier 3 (2009, 2012, 2016). À

partir de 2009, je dirige en moyenne dix étudiant·e·s de master 1 et master 2 par an, sur des sujets très divers : en priorité sur la spatialité, les rapports de la danse au cinéma ou aux arts plastiques, l’analyse d’œuvres contemporaines, la postmodern dance américaine. Je participe à une dizaine de jurys de master par an, en danse, mais aussi parfois en théâtre à l’université Paris 8. Je suis membre de six comités de suivi de thèse dans différentes universités, pour des

22 Cette numérotation renvoie à la liste de mes publications. On trouve à la fin du volume 1 la liste de

l’ensemble des publications ainsi numérotées ; certaines d’entre elles sont par ailleurs présentes dans le volume 2.

L’édition en ligne Paris 8 Danse in Translation que je coordonne, prévue pour octobre 2019, s’ouvrira avec douze textes inédits en anglais (dont trois de Michel Bernard) et la réédition de vingt textes en anglais. Elle comprend également la réédition d’une vingtaine de textes dans d’autres langues (allemand, espagnol, grec, italien, portugais, roumain). De nouveaux textes alimenteront cette rubrique dans les années à venir.

23 En qualité d’allocataire monitrice (1999-2002), d’A.T.E.T. à mi-temps (2002-03 puis 2004-05), de

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doctorant·e·s en danse, musique, études anglophones ou géographie. J’ai participé à des jurys de thèse portant sur la danse dans diverses disciplines : en théâtre, en histoire de l’art, en urbanisme ou en études chorégraphiques24. Enfin, je codirige deux thèses25 en danse.

Mon champ d’enseignement concerne la danse spectaculaire occidentale moderne et contemporaine, principalement à partir de 1945 (avec quelques incursions vers la première moitié du XXe siècle). Je dispense des enseignements au niveau de la licence 3 et, à partir de

2004, aux niveaux master 1 et master 2. Mes enseignements s’inscrivent dans la continuité de la dynamique pédagogique qui m’a formée, en particulier des théories de la perception du spectacle chorégraphique de Michel Bernard, des cours et publications d’Isabelle Ginot sur l’analyse d’œuvre26et plus généralement des séminaires de recherche collectifs autour d’une œuvre27. Réintroduire les œuvres dans l’histoire de la danse, comme penser le statut même des œuvres en tant qu’entité complexe, est, dans les années 2000, une revendication répétée des études en danse telles qu’elles sont conduites à l’université Paris 8. L’enseignement de l’analyse d’œuvre qui fait appel autant à l’histoire, à l’analyse du mouvement, qu’à la tradition de la critique d’art, se déploie autour d’un pan pratique expérimental qu’on a pu appeler « atelier d’écriture » ou « atelier du regard » : ce pan met en jeu un exercice de la perception et de l’écriture, en interrogeant l’acte de décrire comme premier pas décisif d’une approche critique ou en considérant la description comme première étape inventive et interprétative où s’articulent le sensible et l’intelligible, tout en interrogeant les cheminements de la perception. C’est dans ce sillage que s’inscrivent mes enseignements.

Ceux-ci s’articulent majoritairement avec mes propres champs de recherche, qu’ils aient été le point de départ d’une nouvelle recherche ou au contraire le lieu de son déploiement (ou bien les deux, comme c’est le cas par exemple pour l’enseignement sur la spatialité en danse que j’inaugure en 2004, ouvrant un nouvel axe au sein du département Danse). C’est pourquoi je réserve à plus tard la présentation de leur contenu, au fil des cinq axes qui constituent cette synthèse. J’insisterai ici uniquement sur trois points.

24 Thèse en études chorégraphiques : Volmir Cordeiro, dir. Isabelle Ginot, nov. 2018, université Paris 8

Saint-Denis. En théâtre et cinéma : Nicola Rebeschini, codir. Philippe Dubois et Josette Féral, nov. 2017, université Paris 3. En histoire de l’art : Iliana Fylla, dir. Thierry Dufrêne, déc. 2013, université Paris 10. En aménagement de l’espace et urbanisme : Aurore Bonnet, dir. Jean-Paul Thibaud, Laboratoire CRESSON, mars 2013, CNRS.

25 Yurika Kuremiya, « L'utilisation de la parole dans le spectacle chorégraphique depuis les années 2000 »,

en codirection avec Shintaro Fujii et Sho Suzuki, université de Waseda, Tokyo (Japon), depuis 2017. Laurent Pichaud, « Faire de l’in situ dans l’œuvre d’une autre artiste – Deborah Hay », en codirection avec Isabelle Launay, université Paris 8 Saint-Denis, depuis 2018.

26 Depuis sa monographie Dominique Bagouet, un labyrinthe dansé, Pantin : Centre national de la danse,

1999, jusqu’à son dossier d’habilitation à diriger des thèses « La critique en danse contemporaine : théories et pratiques, pertinence et délires », op. cit., en passant par de nombreux articles et conférences consacrés à cette question.

27 Michel Bernard, Isabelle Ginot, Hubert Godard, Isabelle Launay, Armando Menicacci, Christine Roquet,

(dir.), autour de Giselle en 1998, du Sacre du printemps – Nijinski, Béjart, Graham – en 2000. Isabelle Ginot, Isabelle Launay, Julie Perrin, Christine Roquet (dir.), autour des Accumulations de Trisha Brown en 2003.

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Premièrement, le cadre pédagogique dans lequel j’exerce mon métier. À l’échelle de l’université Paris 8 Saint-Denis et de l’UFR Arts, esthétique et philosophie, le maintien d’une

souplesse assez grande quant aux formats d’enseignement (pas de distinction entre cours magistral et TD, possibilité d’imaginer le rythme propre à un cours à l’intérieur d’un semestre en combinant cours hebdomadaires et intensifs, enfin un volume horaire conséquent de 40 heures par enseignement) favorise, me semble-t-il, l’inventivité pédagogique (ce qu’on a pu appeler le caractère expérimental hérité de Vincennes), l’approfondissement d’une matière et l’accompagnement des étudiant·e·s. En particulier, cette souplesse autorise à imaginer des collaborations entre enseignant·e·s-chercheur·euse·s (j’ai ainsi co-enseigné avec Isabelle Launay en 2004-05 puis 2008-10) ou des invitations de théoricien·ne·s, professionnel·le·s ou artistes. La collaboration avec des chorégraphes au fil des ans a d’ailleurs été décisive quant à une forme d’articulation entre pratique et théorie, d’une part, et à une réflexion sur mes méthodes pédagogiques, d’autre part. J’y reviendrai dans le second point. À l’échelle de mon département, le partage d’un fond théorique commun, l’accord régulièrement discuté quant au projet pédagogique que nous menons collectivement sans restreindre la possibilité de développer des axes spécifiques propres à chacun·e, enfin le relais mis en place dans les responsabilités tournantes de diplômes assurent la cohérence d’une formation. Si des voix s’élèvent contre les recrutements endogènes, il faut aussi reconnaître qu’une connaissance concrète des méthodes pédagogiques de ses collègues favorise les passerelles entre enseignements et une cohérence d’ensemble qui n’a d’ailleurs cessé d’être dynamisée par des recrutements exogènes ou des professeur·e·s invité·e·s et chargé·e·s de cours venu·e·s d’horizons très divers. Aujourd’hui ce département rassemble quatre maîtresses de conférences, deux professeures, et un artiste associé à mi-temps pour environ cent-vingt étudiant·e·s de la licence 3 au master 2.

Le deuxième point concerne les méthodes pédagogiques. Sans formation pédagogique (comme nombre d’enseignant·e·s à l’université), j’invente mon métier d’enseignante en faisant et n’ai cessé de m’interroger quant aux manières de procéder, aux formats possibles, à mes propres impasses ou maladresses aussi. On puise certes dans des modèles qui nous ont convaincus (sans avoir pour autant rien délivré sur la préparation à faire cours). Et pour ma part le détour par la Tisch School of the Arts de la New York University en 2007 a constitué aussi une alternative à la culture pédagogique française que j’avais traversée. En particulier, la responsabilité devant laquelle sont mis les étudiant·e·s pour conduire les débats critiques à l’intérieur des cours repose sur une forme d’enseignement bien éloignée du modèle du cours magistral ou même du cours avec exposés. Les contextes sont évidemment différents et non tout à fait transposables. Néanmoins, j’allais trouver d’une part dans le co-enseignement avec des collègues en architecture (notamment Philippe Guérin, entre 2004 et 2007 dans un partenariat entre l’ENSA de Paris-Malaquais et le département Danse, puis plus ponctuellement

à l’ENSA de Paris-Val de Seine) et d’autre part dans la collaboration avec des chorégraphes des

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dynamiques de travail collectives avec les étudiant·e·s: du cours magistral, que je ne néglige pas, à des formes d’atelier qui engagent autrement l’acte d’écrire, d’expérimenter, de lire un texte ou de regarder une danse. Mon travail sur la question des lieux et de la chorégraphie située a pu me conduire plus récemment, sinon à envisager un enseignement exclusivement itinérant à la façon dont Francesco Careri28 le mène au département d’architecture de l’université de Rome III, du moins à penser davantage les effets des situations et des lieux dans mon enseignement et à favoriser des mises en circulations dans et hors de la salle de cours. Ce n’est évidemment pas chose nouvelle depuis les pédagogies alternatives du début du XXe siècle, mais c’est

néanmoins une façon de mettre à l’épreuve aussi les habitudes académiques et de résister peut-être à l’environnement matériel particulièrement délabré dans lequel nous travaillons. D’autres chercheur·euse·s en danse29 développent en vérité depuis longtemps des formes pédagogiques alliant théorie et pratique : histoire et déchiffrage ou exécution d’une notation, enquête dans les documents historiques et pratiques dansées, expériences pratiques visant l’analyse du mouvement suivies de lectures d’une œuvre, etc. Depuis 2004, mon séminaire sur la spatialité en danse s’est organisé conjointement à un atelier conduit par un·e chorégraphe sur un site de Seine-Saint-Denis. Ces ateliers en extérieur ou dans des architectures diverses (bourse du travail de Niemeyer à Bobigny, foyer de la Petite Espagne à la Plaine voyageur, Cité-Jardin de Stains, établissement psychiatrique de Ville-Évrard, etc.) ont non seulement conduit à repenser chaque année le contenu théorique du séminaire, mais également à observer des situations pédagogiques proposées par les artistes et à expérimenter la place que je pouvais chaque fois y jouer.

Le public étudiant que nous accueillons, et c’est là le troisième point, favorise ces dynamiques pédagogiques. L’hétérogénéité des groupes a tendance en effet à déplacer ce qui pourrait être une habitude ou convention académique. Aux jeunes étudiant·e·s issu·e·s d’une licence 2 suivie en France en sciences humaines et sociales ou en arts (en particulier littérature, philosophie ou théâtre), s’ajoutent des danseur·euse·s en formation supérieure (CNSM de Paris

ou Pôle supérieur d’enseignement artistique de Paris Boulogne-Billancourt), des étudiant·e·s qui peuvent se prévaloir d’un parcours académique ou professionnel conséquent (enseignant·e·s de l’éducation nationale, docteur·e·s dans une autre discipline – anthropologie, littérature, histoire… –, enseignant·e·s en danse ou pratiques somatiques, interprètes, chorégraphes, etc.), et enfin nombre d’ étudiant·e·s ou professionnel·le·s étrangers qui ne trouvent pas d’équivalent dans leur pays en matière d’enseignement théorique de la danse (en particulier venu·e·s d’Amérique du sud – surtout Argentine, Brésil, Chili –, d’Asie – Chine, Japon, Corée –, d’Afrique noire, d’Europe de l’est, plus rarement du Canada ou des États-Unis). C’est dire les écarts d’âges,

28 Architecte, membre du collectif Stalker, il a développé un enseignement qui se déroule exclusivement

en extérieur, et dans lequel la marche prend une large part. Cf. Francesco Careri, Walkscapes : La marche

comme pratique esthétique, Paris : éditions Jacqueline Chambon, 2013 (trad. par Jérôme Orsoni de : Walkscapes : El andar como práctica estética. Barcelona : Gustavo Gili, 2002).

29 Je pense en particulier aux enseignements de Laetitia Doat, Marina Nordera, Romain Panassié, Christine

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de cultures et d’expériences aussi bien universitaires que professionnelles, et par conséquent le rôle que chacun·e peut jouer dans les échanges. Cela favorise en particulier l’entrelacs entre théorie, histoire et récits d’expériences pratiques. Cela exige bien souvent de lever des présupposés culturels et en particulier cela complexifie l’enseignement de l’analyse d’œuvre, mettant en lumière les codes ou mécanismes culturels à partir desquels un geste non seulement peut être interprété, mais aussi, en amont, peut devenir saillant ou discernable pour le regardeur.

Adresser la recherche

Face à ce public hétérogène, la disparité plus générale des destinataires de la recherche apparaît clairement : étudiant·e·s amateurs et spectateurs de danse, pédagogues, artistes (chercheur·euse·s ou pas, confirmé·e·s ou en formation), acteur·rice·s de la culture en France ou à l’étranger… auxquels il faut ajouter mes pairs en études chorégraphiques mais aussi, dans une moindre mesure, dans d’autres disciplines, avec qui je dialogue à travers mes textes, sinon directement. Mais il est probable que mes travaux ne franchissent le cercle de la communauté qui côtoie le milieu universitaire qu’à l’occasion de déplacements plus ponctuels, qu’ils soient suscités par des institutions culturelles, par des artistes ou par des cadres éditoriaux de vulgarisation.

Ce dont il est question dans cette dernière partie, ce sont les modes de visibilité et l’éthique d’une activité d’enseignement et de recherche, dont l’exercice implique une circulation entre les milieux académique et professionnel. Cette circulation est garante du positionnement de la recherche vis-à-vis des acteur·rice·s de la danse : elle prend la forme d’une fréquentation du terrain (terrain ethnographique auprès des danseurs), de dialogues avec des artistes (ou avec leurs textes), d’enseignements pour des artistes, d’interventions publiques... Elle permet de mesurer la pertinence des questions posées par la recherche, c’est-à-dire de situer ces questions en vis-à-vis des débats et réflexions portés par le milieu chorégraphique lui-même : de saisir en quoi elles font écho ou pas à ses préoccupations ou ses représentations (celles concernant par exemple l’histoire de la danse, les enjeux d’un projet artistique, les modalités du travail, etc.). Cela peut conduire à choisir de réorienter la recherche à partir des urgences d’un milieu professionnel ou d’accepter au contraire l’écart qui peut se creuser entre des intérêts divergents ou entre des natures de discours qui peinent parfois à dialoguer. Il me semble qu’il s’agit moins aujourd’hui d’établir « en quoi [un département Danse peut] être utile à la danse elle-même30», pour reprendre l’une des questions fondatrices du département Danse de Paris 8. La connaissance et la valorisation de l’art chorégraphique que constitue la recherche

30 Isabelle Ginot, « La critique en danse contemporaine : théories et pratiques, pertinence et délires », op.

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en danse, comme la venue de nombreux artistes dans les formations danse justifient à elles seules cette « utilité ». Il s’agit peut-être davantage de saisir aujourd’hui les connivences, les écarts, les frictions entre des lieux du discours et entre des représentations de la danse qui ne coïncident pas toujours, loin s’en faut.

Cela appelle au moins deux remarques. Premièrement, il serait erroné de considérer le milieu chorégraphique comme un tout cohérent. Il y a là une forme de raccourci dans la formulation : ce milieu est évidemment complexe, traversé d’enjeux divergents et de conceptions du métier multiples. Les artistes, si je m’en tiens à eux, y jouent par exemple des rôles différenciés relativement aux statuts qu’ils occupent ou au projet esthétique et politique qu’ils se sont donnés. Aussi conviendra-t-il de se demander à quelle(s) communauté(s) d’artistes ou de professionnel·le·s la recherche s’adresse. Je tenterai d’y répondre ci-dessous. Au préalable, il convient de souligner qu’il me semble possible de distinguer néanmoins ce milieu chorégraphique, à l’endroit de ce que l’on pourrait nommer la politique discursive qui le caractérise. Elle répond à un autre ordre que celle qui encadre le discours académique. « Dans toute société, rappelle Michel Foucault, la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures31. » Si l’on peut observer des porosités entre milieux chorégraphique et universitaire à travers, par exemple, la circulation d’un vocabulaire, d’expressions ou de références communes, les procédures du discours ne sont pas les mêmes dans les milieux académique et chorégraphique, qui répondent chacun à des cadres spécifiques, à des « rituels de parole », etc. Surtout, ce qui les distinguent profondément, c’est sans doute un rapport aux effets du discours : alors que l’analyse académique est jaugée à l’aune de sa qualité scientifique, les discours issus du milieu chorégraphique sont aux prises avec des enjeux de pouvoir et de reconnaissance qui déterminent la survie économique ou artistique d’un individu. Autrement dit, la parole dans le milieu chorégraphique peut sembler singulièrement bridée, parce que d’elle dépend aussi la poursuite d’une activité. Si les effets des évaluations du milieu académique comportent leur part de violence symbolique et peuvent contrarier le développement de certains projets, l’enseignant·e titulaire n’est pas empêché·e de poursuivre son activité et une grande liberté de pensée caractérise l’activité d’enseignement ou de recherche. Dès lors, l’espace de parole et de débat ouvert au sein d’une formation danse à l’université offre un abri très précieux pour les professionnel·le·s de la danse. L’hétérogénéité des publics étudiants signalée plus haut semble garantir une reconfiguration des politiques discursives et des effets de pouvoir définis par un milieu professionnel.

Deuxièmement, le rapport de l’universitaire avec le milieu chorégraphique qui participe de son sujet d’étude réclame un positionnement du chercheur·euse·s vis-à-vis de ce dernier. C’est un aspect déontologique bien connu du travail sociologique ou ethnographique. Si le « dialogue avec le milieu professionnel, plus original peut-être que le dialogue avec les pairs,

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était à l’origine du département [danse de l’université Paris 8]32 », qu’en est-il dans mon propre parcours ? Les différentes situations de recherche dans lesquelles j’ai pu me trouver appellent un commentaire. Je mêlerai là différents aspects qui relèvent des modes de visibilité et de l’éthique de l’activité, des conditions de production du discours ou encore des modes d’adresse que j’ai pu souhaiter construire. Ces quatre aspects sont en effet étroitement liés.

Un premier pan de mon travail a consisté à mettre en jeu mon activité de spectatrice de danse contemporaine (cf. chapitre 1). Il me semble que ce travail esthétique d’analyse d’œuvre s’adressait d’abord aux autres spectateurs (de même que les études littéraires m’avaient habituée au commentaire du texte selon le point de vue du lecteur). Il reposait sur les liens sensibles et intellectuels que je pouvais nouer avec une œuvre, pour en dégager les enjeux théoriques et conceptuels, à partir de ses manifestations diverses (sur scène ou vidéographiques). Il n’engageait pas un dialogue avec les artistes (alors même que certains auraient été accessibles et qu’une partie de mon travail a concerné des chorégraphes français contemporains). Cela révèle d’une part la place que j’ai pu accorder alors au discours de l’artiste : il n’était pas considéré comme garant d’une vérité sur l’œuvre (mes analyses pouvaient néanmoins éventuellement entrer en dialogue avec ses déclarations ou écrits). D’autre part, en s’adressant d’abord à d’autres spectateurs, ce travail n’attendait pas en retour de commentaires des artistes : les espaces de publication académique ne garantissaient d’ailleurs pas une diffusion de ce travail hors de cercles restreints. On pourrait voir là une forme de séparation entre les milieux (les spectateurs et chercheur·euse·s, d’une part, les artistes, de l’autre) ou percevoir une forme de mise à distance. Mes premiers écrits sur la critique en danse (1997) s’appuyait pourtant sur l’idée que « l'écriture autour de la danse fai[sait] désormais partie de son essor33 », ainsi que le défendait le chorégraphe Dominique Dupuy. Ou encore qu’il fallait considérer le fonctionnement du site de l’art dans son ensemble, en particulier que l’art se joue autant du côté des œuvres que des commentaires sur elles34. Il faut donc plutôt voir dans le fait de s’adresser en priorité aux spectateurs plusieurs raisons successives. La première explication est sans doute sociologique : je ne côtoie pas le milieu chorégraphique (avant le début des années 2000), je n’en ai aucune connaissance sinon à travers les spectacles et une pratique de danse contemporaine amateur et je ne peux donc pas prétendre répondre à ses besoins. Je connais en revanche la sorte de stupeur produite par les textes critiques ou programmes de salle qui entourent la présentation d’un spectacle et c’est donc dans le champ de la critique que je

32 Isabelle Ginot, « La critique en danse contemporaine : théories et pratiques, pertinence et délires », op.

cit., p. 3. Le département Danse était dirigé en 1989 autour de Michel Bernard par un comité composé

d’artistes (Georges Appaix, Stéphanie Aubin, Christian Bourigault, Susan Buirge, Odile Duboc, Hubert Godard, Jean-Marc Matos, Odile Rouquet, Jackie Taffanel) et chercheur·euse·s (Hubert Godard, Laurence Louppe).

33 Dominique Dupuy, « Des danses, quelles traces ? », Marsyas, revue de pédagogie musicale et

chorégraphique, Paris : I.P.M.C., septembre 1991, n° 19, p. 88.

34 Tel que le défend par exemple Anne Cauquelin : « L'œuvre ne vit que si elle est exposée dans un site et

ce site ne lui est ouvert que si elle y est introduite par du texte critique. » Autrement dit, le site de l’art est textuel. Anne Cauquelin, Petit Traité d'art contemporain, Paris : Seuil, 1996, p. 36.

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m’inscris d’abord. La seconde explication est liée à mon activité entre 1997 et 2010 environ, auprès des publics de la danse, que ce soit dans des cadres pédagogiques (de la maternelle aux universités en passant par la formation des enseignants) ou dans des cadres culturels (la sensibilisation à la danse développée par les théâtres ou les offices régionaux à la culture) : ateliers d’écriture en amont ou en aval d’un spectacle, débats publics après les représentations, ateliers du regard, etc., sont autant d’occasions d’affirmer l’art d’être spectateur et de tenter, aussi, de se défaire de l’espèce de fascination procurée par le discours des artistes – discours qui tend trop souvent à limiter ou étouffer une part de l’expérience esthétique possible. On pourrait dire rétrospectivement qu’il y avait là un manque d’audace à éviter de dialoguer plus frontalement avec les artistes auteur·e·s des pièces sur qui j’écris. Ou, si l’on s’inscrit dans une logique ethnologique, qu’il manquait là un espace où restituer aux intéressés les fruits de ma réflexion. Mais j’ai d’abord considéré que les intéressés étaient davantage les spectateurs que les auteur·e·s de l’œuvre, autrement dit que l’œuvre leur appartenait autant qu’aux artistes. La troisième et dernière explication – encore valable aujourd’hui – relève d’une attitude circonspecte dans la relation qui peut exister entre universitaires et acteur·rice·s de la danse. Il y a par exemple une forme de lucidité à ne pas attendre de retours des artistes sur nos travaux – que ceux-ci les concernent directement ou, de surcroît, lorsqu’ils soulèvent plus largement des questions théoriques, esthétiques ou historiques. Si cela pose la question du lien que les recherches en danse entretiennent avec l’actualité chorégraphique et ses capacités (ou pas) à réagir à cette actualité, cela interroge réciproquement sur l’intérêt (ou pas) que les artistes pourraient porter à leurs pairs, à leur histoire ou aux questions théoriques que l’art chorégraphique suscite. Le discours académique continue de faire l’objet de réticences auprès de certains artistes ou acteur·rice·s du milieu chorégraphique. Il est d’ailleurs assez rare qu’on demande aux chercheur·euse·s en danse d’intervenir pour les réseaux de professionnel·le·s. Il serait à ce titre naïf de penser que j’écris pour les artistes, ou pour les programmateurs, journalistes, etc., alors que la majorité d’entre eux préfèrent ignorer la littérature critique en danse, sans négliger d’ailleurs d’autres champs critiques (philosophie, histoire, biologie… voir

supra). Le frein ne relève donc pas seulement de l’écart entre les politiques discursives ou les

procédures du discours relevées plus haut. Il convient pourtant de prendre aussi en considération que l’écriture n’est pas toujours le meilleur moyen d’un partage avec les artistes et professionnel·le·s, bien qu’elle permette aussi une circulation des recherches dans des réseaux chorégraphiques insoupçonnés.

À l’inverse, un autre pan de mon travail d’écriture se déploie à l’invitation d’artistes chorégraphiques : successivement Odile Duboc (25. Odile Duboc, Françoise Michel : 25 ans de

création, I.1, Projet de la matière – Odile Duboc. Mémoire(s) d’une œuvre chorégraphique, I.2),

Julie Nioche (« Échanges et variations sur H2ONaCl », VII.1), Christophe Haleb (« L’envol queer de La Zouze. À propos de Domestic Flight de Christophe Haleb », V.20), Emmanuelle Huynh (Histoire(s) et lectures : Trisha Brown/Emmanuelle Huynh, II.3, « Une filiation déliée », III.2),

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Mathias Poisson (« Composer la ville », III.10, « (Ré)apprendre à marcher », V.32, « L’expérience d’une réalité. À propos de trois promenades sensorielles », V.33), Laurent Pichaud (« Faire avec l’espace ou faire jouer le “tournant spatial” en art », V.36), Barbara Manzetti (« Se tenir compagnie. Entretien avec Barbara Manzetti et Pascaline Denimal », VII.2), Cécile Proust (« Troubles dans les gestes. Entretien avec Cécile Proust », VII.4), Françoise Michel (« Pour Mémoire. Odile Duboc : archives, mémoire et création », VI.1), Catherine Contour (« La délicatesse d’une situation », III.8), Rémy Héritier (« Relier les traces, faire palpiter le lieu », III.13). Ici les cadres du travail ont été très divers, mais ce qui réunit ces projets est le désir d’un·e artiste d’échanger avec moi et de me donner accès à ses archives ou bien à un processus de création, parfois les deux. La visée explicite de l’invitation est de donner visibilité à son travail par la voix d’une universitaire. Ce dernier point permet de nuancer ce qui précède concernant l’intérêt modéré des artistes pour l’écriture des chercheur·euse·s en danse, tout en soulignant comment alors la recherche s’inscrit plus étroitement dans le jeu du milieu chorégraphique – le jeu de pouvoir des pratiques discursives. Il ne faut pas négliger le fait général que la relation entre universitaire et artiste peut être complexe : intéressée de la part de l’artiste qui espère tirer avantage d’un écrit sur son travail ; de dépendance pour les chercheur·euse·s dont le travail repose sur ce à quoi ils pourraient avoir accès. Les conditions de production de la recherche relèvent donc ici du cadre de la commande, toujours rémunérée (par la compagnie de danse, la structure culturelle qui accueille ponctuellement son projet ou bien la structure éditoriale qui publie le texte). Les conditions de visibilité du texte (son lieu de publication) sont également assurées par l’artiste : la publication se loge en général hors des réseaux habituels de l’édition scientifique, bien que certains des ouvrages concernés par ces commandes aient rassemblé différents écrits de chercheur·euse·s. Ces commandes supposaient de ma part de souhaiter m’engager aux côtés de ces artistes, parfois sur plusieurs années (Odile Duboc, Emmanuelle Huynh, Françoise Michel), c’est-à-dire de m’assurer ou de faire le pari que je pourrai trouver dans leur travail de quoi nourrir la réflexion mais aussi les valeurs que j’entends pouvoir défendre (affinités esthétiques, éthiques de travail, etc.). Cela supposait aussi de m’assurer de la liberté intellectuelle dans laquelle mon travail serait maintenu. (J’ai pu décliner certaines invitations, lorsque les motivations des artistes à mon égard étaient restées trop vagues ou lorsque le projet artistique lui-même semblait trop éloigné de mes préoccupations.) Ces situations de recherche ont en vérité été déterminantes dans mon parcours : elles m’ont permis d’accéder à d’autres aspects du travail chorégraphique – les processus de création, le travail collectif, les pratiques qui sous-tendent un univers chorégraphique – et de développer d’autres méthodologies de travail – le travail de terrain, l’enquête par entretiens, et le travail d’archives. La réponse à la question « à qui s’adresse ma recherche ? » s’est aussi déplacée à cette occasion. Il devenait évident que mes textes seraient aussi lus par l’artiste et éventuellement les membres d’une équipe, et plus largement, étant donné les cadres de publication, par un public de non-chercheur·se·s. Comme l’écrit Isabelle Ginot, la « diversité des destinataires et des

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