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Les réseaux de solidarité des personnes âgées en milieu rural gaspésien

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Academic year: 2021

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Les réseaux de solidarité des personnes âgées en

milieu rural gaspésien

Mémoire

Lisa-Marie Harvey

Maîtrise en service social

Maître en service social (M. Serv. Soc.)

Québec, Canada

© Lisa-Marie Harvey, 2017

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Les réseaux de solidarité des personnes âgées en

milieu rural gaspésien

Mémoire

Lisa-Marie Harvey

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Caractérisée entre autres par une faible densité de population répartie sur un vaste territoire, la région de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine est la plus touchée de la province par le vieillissement (ISQ, 2016 :136). L’idée que les milieux ruraux soient dotés d’un tissu social plus serré que les milieux urbains est répandue, tant dans l’imaginaire social que dans le domaine de la recherche. La famille est d’ailleurs souvent considérée comme la sphère la plus proche des personnes vieillissantes. Est-ce vraiment le cas, dans un monde où les membres des familles sont souvent dispersés géographiquement, et où le sentiment d’obligation face aux parents vieillissants s’est largement estompé? Peu d’études sociales se sont intéressées au fait de vieillir en milieu rural et aux enjeux quotidiens que cela pose aux aîné(e)s. Grâce aux témoignages de 12 personnes âgées du secteur de la Baie-des-Chaleurs, ce mémoire de type exploratoire a pour but d’accroître les connaissances sur le sujet sous l’angle des solidarités sociales et, surtout, à partir du regard des personnes concernées : les aîné(e)s. L’étude vise à mieux comprendre comment ces personnes répondent à leurs besoins : à qui font-elles appel lorsqu’elles doivent faire les courses ou aller à l’hôpital, par exemple ? Qui est interpellé lorsqu’elles ont envie de socialiser et de se confier ? En plus de s’intéresser aux personnes sollicitées par les aîné(e)s pour répondre à certains besoins, la recherche examine la contribution des personnes âgées à la dynamique de solidarité : qui aident-elles et dans quel contexte? Dans quelles organisations locales sont-elles engagées? Autrement, quelles formes prennent leur implication ?

Les résultats de la recherche montrent que les membres de la famille et en particulier ceux des générations plus jeunes – enfants, petits-enfants, neveux et nièces – sont relativement peu impliqués dans la réponse aux besoins des aîné(e)s. C’est la solidarité horizontale – entre personnes sensiblement de la même génération – qui est la plus sollicitée, d’une part, et qui est la plus investie par les répondantes et les répondants.

Mots clés : personnes âgées, réseaux de solidarité, autonomie, hétéronomie, milieu rural, Gaspésie, Baie-des-Chaleurs.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... ix

Liste des abréviations ... xi

Remerciements ... xiii Introduction ... 1 1. La problématique ... 3 1.1 L’objet d’étude ... 3 La pertinence sociale ... 4 1.1.1 La pertinence scientifique ... 4 1.1.2 L’état actuel de la situation ... 4

1.1.3 1.2 L’état des connaissances scientifiques ... 6

La démarche documentaire ... 6

1.2.1 La recension des écrits ... 7

1.2.2 1.3 Les limites des études actuelles ... 17

1.4 Le cadre conceptuel ... 18

La théorie du lien social ... 18

1.4.1 Les grands acteurs de la production de bien-être ... 21

1.4.2 La solidarité « horizontale » ... 22

1.4.3 La notion d’autonomie ... 24

1.4.4 La notion de « capital social » ... 24

1.4.5 1.5 Les questions précises de recherche ... 25

1.6 L’opérationnalisation des principaux concepts ... 25

2. La méthodologie ... 27

2.1 La visée de la recherche ... 27

2.2 Le type de recherche ... 27

2.3 La population à l’étude et l’échantillonnage ... 28

2.4 Les considérations éthiques ... 30

Le recrutement ... 31 2.4.1 Le consentement ... 31 2.4.2 La confidentialité ... 32 2.4.3 2.5 La collecte des données... 32

La conduite d’entretiens de recherche avec les personnes âgées ... 32 2.5.1

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Les pré-entretiens ... 33

2.5.2 Les entretiens ... 34

2.5.3 2.6 L’analyse des données ... 36

3. La perception de la solidarité dans le monde rural ... 39

3.1 Les changements historiques ... 39

L’industrialisation et le pouvoir d’achat ... 39

3.1.1 « Les morceaux de viande pour les voisins » ... 41

3.1.2 Les familles nombreuses et l’éducation des enfants ... 43

3.1.3 La proximité des membres de la famille élargie ... 44

3.1.4 Le nouveau visage de l’entraide ... 44

3.1.5 3.2 Les différences entre le milieu rural et le milieu urbain ... 46

La pauvreté et le manque de ressources ... 46

3.2.1 Le tissu social serré ... 47

3.2.2 Le manque de services publics : le cas des soins médicaux ... 48

3.2.3 La difficulté d’intégration sociale en milieu rural ... 49

3.2.4 3.3 Ne pas déranger : une préoccupation largement partagée ... 50

4. Les pratiques de solidarité dans la famille (lien de filiation) ... 55

4.1 La famille intergénérationnelle ... 55

Ce que l’on reçoit ... 55

4.1.1 Ce que l’on donne ... 62

4.1.2 4.2 La famille intragénérationnelle ... 65

Ce que l’on reçoit ... 65

4.2.1 Ce que l’on donne ... 67

4.2.2 5. Les pratiques de solidarité amicale et communautaire (lien de participation élective) ... 71

5.1 Ce que l’on reçoit du réseau amical ... 71

La corvée de bois de chauffage... 71

5.1.1 Le transport ... 72

5.1.2 Les échanges et le soutien affectifs ... 74

5.1.3 Les services dans la sphère domestique ... 75

5.1.4 Le soutien financier ... 76

5.1.5 5.2 Ce que l’on donne au réseau amical ... 76

Le transport ... 77

5.2.1 Les échanges et le soutien affectif ... 77

5.2.2 Le don alimentaire ... 78

5.2.3 5.3 Ce que l’on reçoit des associations locales ... 78

La popote roulante ... 78 5.3.1

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Les loisirs ... 79

5.3.2 Les savoirs... 80

5.3.3 5.4 Ce que l’on donne à la communauté locale ... 80

La solidarité initiée individuellement... 80

5.4.1 La solidarité pratiquée dans un organisme ou une association ... 81

5.4.2 6. La discussion ... 85

6.1 L’articulation des sphères de solidarité entourant les personnes âgées ... 85

Le lien filial ... 85 6.1.1 La solidarité horizontale ... 87 6.1.2 La question de l’autonomie ... 88 6.1.3 La peur de déranger ... 89 6.1.4 6.2 Les changements historiques ... 90

La solidarité et la situation financière ... 91

6.2.1 L’exit et la contrainte ... 91

6.2.2 Les corvées collectives ... 92

6.2.3 6.3 Les particularités de la solidarité et du vieillissement en milieu rural ... 92

L’influence de la ruralité sur les types de services échangés ... 93

6.3.1 Le milieu rural : un havre de solidarité ? ... 94

6.3.2 Le discours sur le vieillissement avilissant ... 95

6.3.3 Conclusion ... 97

Références bibliographiques ... 103

ANNEXE 1.Schémas des réseaux de solidarité ... 107

ANNEXE 2.Formulaire de consentement ... 113

ANNEXE 3.Guide d’entretien ... 116

ANNEXE 4.Extrait du document de codage initial ... 117

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1.1 L’opérationnalisation des concepts ... 25 Tableau 2.1 : La répartition des répondantes et répondants selon le genre, l’âge, le type de résidence et le statut marital ... 29 Tableau 3.1 La « peur de déranger » chez les répondantes ... 51 Tableau 3.2 Le besoin des personnes de rémunérer les services reçus ... 52

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

CAB : Centre d’action bénévole

CHSLD : Centre hospitalier de soins de longue durée

MAMROT : Ministère des affaires municipales, des régions et de l’occupation du territoire

MRC : Municipalité régionale de comté ISQ : Institut de la statistique du Québec OBNL : Organisme à but non lucratif OMS : Organisation mondiale de la santé

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REMERCIEMENTS

Tout d’abord, mille mercis aux 12 participantes et participants à cette recherche, qui m’ont accueillie avec cœur et générosité. En plus de contribuer au développement des savoirs, vous m’avez fait grandir personnellement, à votre façon. Je n’oublierai jamais ce geste.

Je souhaite aussi remercier mon directeur de recherche, Yvan Comeau. Merci pour vos bons conseils, votre disponibilité, votre ouverture et le calme que vous dégagez. Je ressortais toujours de votre bureau avec beaucoup plus de confiance qu’à mon arrivée, et tellement plus calme!

À mes parents, Solange et Paulin, merci pour tout. Les valeurs que vous m’avez transmises ont eu un grand rôle à jouer dans l’élaboration de ce projet.

Sébastien, merci d’être mon phare dans les tempêtes – et il y en a eu plusieurs, dans les dernières années. Ton soutien inconditionnel me touche beaucoup. Je t’aime !

Je remercie également ma meilleure amie Rachel qui, avec ses compétences, sa patience et sa générosité, m’a grandement aidée avec la mise en page. J’ai hâte de t’aider à mon tour, à ma façon!

Enfin, je dédie ce mémoire à mes grands-parents, Cécile, Marcel et Florence, dont les décès précipités pendant la réalisation de cette recherche m’ont beaucoup affectée. Tout comme les personnes rencontrées, ils demeuraient en milieu rural et avaient peu de petits-enfants à proximité. Je réalise qu’avec les centaines de kilomètres qui nous séparaient, je n’ai pas été aussi présente pour vous que je l’aurais souhaité. J’ai pensé à vous à chaque étape de ce long parcours. À bien des égards, vous faites donc partie de ce travail, et de moi aussi…

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Une fois engagée sur son fil, la funambule doit maintenir son équilibre dans l'instant qui passe et aller jusqu’au bout. Pour chaque être humain, ce bout de la vie est ancré dans l'inconnu du futur et interdépendant de l'ensemble des fils qui tissent la toile, plus ou moins efficace, de la solidarité sociale de sa collectivité.

- Patrick Fougeyrollas (2010) L’une des choses que l’on peut retenir de cette métaphore de Fougeyrollas, c’est que chaque être humain est dépendant de sa communauté pour son existence. C’est d’autant plus vrai lorsqu’un individu présente une ou des incapacités d’ordre physique, psychologique ou social. Dans un contexte de vieillissement de la population, l’attention portée à la toile du lien social revêt une importance capitale : « En somme, le fait de vieillir amène des limitations [qui] deviennent des handicaps lorsque l’environnement n’en tient pas compte (Fougeyrollas et Roy, 1996 dans Comeau et coll., 2015 : 25). Afin de s’assurer que les personnes vieillissantes disposent de toutes les ressources nécessaires à leur épanouissement, et ce malgré les difficultés qui se présentent souvent dans un âge avancé, il faut s’intéresser de près à la solidarité sociale des communautés.

Les milieux ruraux sont sans doute les plus concernés par le vieillissement de la population. En Gaspésie, le portrait du phénomène est révélateur. Selon le Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT), cinq municipalités régionales de comté (MRC) de cette région administrative figurent sur la liste des dix MRC en voie d’avoir les populations les plus âgées du Québec en 2026. Celle de Bonaventure, dans laquelle s’est déroulé le terrain de recherche de la présente étude, figure d’ailleurs au septième rang de ce classement (Harvey, 2014 :18).

La ruralité gaspésienne est caractérisée par une grande dispersion démographique sur son territoire. De ce fait, les ressources d’aide formelles (établissements de santé et services sociaux, organismes communautaires et autres associations), de même que certains services de proximité (épiceries, pharmacies, etc.) sont, en plus d’être moins nombreux qu’en milieu à forte densité de population, plus difficiles d’accès. Effectivement, en raison de leur éparpillement sur le territoire et de leur concentration dans certains villages plus populeux, il est souvent nécessaire de parcourir de grandes distances pour les atteindre. Pour les personnes âgées n’ayant pas accès à une automobile, cela peut rapidement devenir – au sens de Fougeyrollas – un handicap. L’isolement de ces personnes, causé par différents facteurs, ou encore la difficulté à accomplir certaines tâches du quotidien, peut également devenir des facteurs handicapants pour celles-ci. À moins, bien sûr, que les différentes sphères de solidarité entourant les personnes âgées entrent en scène.

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Ce projet de recherche, ayant pour thème « les réseaux de solidarité des personnes âgées en milieu rural gaspésien », a pour but de comprendre comment fonctionne la solidarité chez les aîné(e)s dans un contexte de ruralité, et de savoir si elle répond adéquatement aux besoins qu’elles expriment. Aussi, la solidarité a été envisagée sous l’angle du « cycle du don », c’est-à-dire comme quelque chose qui circule entre les différentes parties. Les personnes âgées ne sont pas ici considérées comme de simples destinataires de l’entraide locale, mais bien comme actrices à part entière dans la dynamique du don. Une grande partie du mémoire a donc aussi pour mission d’explorer la contribution des répondantes et des répondants à leurs réseaux de solidarité. En somme, la question principale examinée est : comment s'articulent les solidarités sociales visant le soutien des personnes vieillissantes en milieu rural, plus spécifiquement en région rurale (Gaspésie), et comment participent les aîné(e)s à cette dynamique de solidarité?

Il s’agit d’une étude exclusivement qualitative. Aussi, comme il s’agit d’un sujet peu étudié, du moins en milieu rural, la recherche se veut exploratoire. Les entrevues menées misent sur la compréhension du point de vue des personnes âgées en milieu rural sur leurs liens de solidarité avec ouverture et empathie. En ce sens, le travail s’inscrit dans une démarche inductive. Ainsi, les données recueillies sur le terrain prennent ancrage dans le sens que donnent les individus rencontrés au phénomène étudié, selon leur propre vécu et leurs expériences. Les entrevues réalisées, malgré qu’elles soient de type semi-directif, laissaient une place prédominante au récit spontané, aux émotions et à l’opinion personnelle des aîné(e)s. En faisant de leurs points de vue dans toute leur diversité la pierre angulaire de ce travail, nous voulons combler une lacune de plusieurs études dans le domaine (Corin et coll., 1984 ; Grenier, 2011 ; Mallon, 2011).

Le mémoire détaillera cet aperçu de la recherche dans sept sections. D’abord, pour mettre en contexte l’objet d’étude et faire état des connaissances actuelles sur celui-ci, la section 1 est dédiée à la problématique, la recension des écrits et la présentation des principaux concepts théoriques. Ensuite, la méthodologie de recherche est présentée dans la section 2. Les sections 3, 4 et 5 sont quant à elles dédiées aux résultats obtenus : la perception de la solidarité dans le monde rural et de ses changements historiques, les pratiques de solidarité dans le lien de filiation et les pratiques de solidarité dans le lien de participation élective. La section 6 est consacrée à la discussion. Enfin, la conclusion revient sur les principaux éléments et fournit des recommandations concernant les recherches futures dans le domaine ainsi que les recommandations liées au service social.

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Afin de bien mettre en contexte ce travail, la section 1.1 présentera l’objet d’étude, notamment sa pertinence sur les plans social et scientifique. La section 1.2, plus dense, fera état de la démarche documentaire et de la recension des écrits portant principalement sur le vieillissement et la ruralité, tant dans leurs aspects « tangibles » que dans leur construction sociale, et sur la solidarité sociale à l’ère de la modernité. Les limites des études actuelles seront ensuite présentées (1.3). La section 1.4 est consacrée au cadre conceptuel, soit la théorie du lien social, les grands acteurs de la production de bien-être, la solidarité horizontale, et les notions d’autonomie et de capital social. Enfin, les sections 1.5 et 1.6 seront dédiées respectivement aux questions précises de recherche et à l’opérationnalisation des principaux concepts.

1.1 L’objet d’étude

L’objet de l’étude est les solidarités sociales visant l’accompagnement des personnes aînées en milieu rural. Compte tenu de la faible densité de population dispersée sur l’immense territoire que représentent les milieux ruraux, les services publics et communautaires y sont proportionnellement moins représentés. Certains facteurs peuvent expliquer cette réalité, entre autres le seuil minimum de population dans un secteur requis pour l’implantation et le financement à long terme de tel ou tel service (Dugas, 1981 : 201). La distance géographique est aussi un facteur non négligeable : les popotes roulantes et les soins à domicile ne sont pas accessibles à toutes les fractions de la population âgée en région, par exemple. Plusieurs d’entre elles demeurent à plusieurs kilomètres des institutions et des organismes communautaires, parfois très loin dans les rangs de campagne, ce qui complique grandement le recours à ces services. Pour celui ou celle qui n’est pas issu d’un milieu rural, il peut être difficile de concevoir que des gens, âgés ou pas, décident consciemment de demeurer en région. Il est possible que, derrière cette apparente carence en services, tout un système de solidarités s’opère en milieu rural, compensant totalement ou en partie pour les besoins de la population. Ce projet de recherche s’intéresse justement à cette dynamique. Il s’agit, d’une part, de prendre connaissance des différents réseaux de solidarité dans lesquels s’insèrent les personnes âgées du milieu étudié : la famille (proche et/ou élargie), les relations amicales, le voisinage, les clubs et associations, l’entraide communautaire et les services provenant d’institutions comme le Centre intégré en santé et services sociaux (CISSS). Il sera donc question de l’entraide reçue par les répondantes et les répondants de la part des sphères de solidarité qui les entourent, mais aussi des façons qu’ont les personnes interrogées de contribuer à la dynamique d’entraide.

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La pertinence sociale 1.1.1

D’abord, sur le plan social, les résultats de cette recherche pourraient aider à identifier et comprendre les lacunes dans l’offre de services aux personnes vieillissantes des milieux ruraux et de voir si les réseaux de solidarité locaux sont en mesure de les combler. De plus, cet objet d’étude est pertinent socialement si l’on considère que l'absence de réseaux de soutien peut mener à une altération de la qualité de vie et, ultimement, à une institutionnalisation précoce (Hoover et Rotermann, 2012 : 8). Puisque certaines études montrent que les réseaux de support des personnes aînées (en milieu rural ou dans les petites villes) sont peu stables (Ryser et Halseth, 2011), il est crucial de s’interroger sur la constitution et la stabilité des réseaux de support.

La pertinence scientifique 1.1.2

Sur le plan scientifique, cette recherche permettra l'avancement des connaissances sur le vieillissement en milieu rural au Québec. En effet, il y a actuellement peu d'études québécoises s'intéressant à ce sujet, notamment sous l'angle des solidarités sociales. De plus, les recherches portant sur le vieillissement en région sont rarement abordées sous l’angle du point de vue des gens concernés (Mallon, 2011 ; Corin et coll., 1984). En effet, comme le souligne Josée Grenier (2011), les recherches parlent plus des personnes aînées que celles-ci ne parlent d’elles-mêmes. L'originalité du projet réside donc également dans le point de départ de mon investigation, soit les personnes aînées, plutôt que l'offre de service destinée à cette population.

L’état actuel de la situation 1.1.3

Selon le bilan de 2016 produit par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine dépasse les autres régions du Québec en termes de déclin démographique. Avec un âge médian le plus élevé en 2015 (51,3 ans contre 42,1 pour l’ensemble du Québec), elle compte aussi la plus forte proportion de personnes âgées de 65 ans et plus (24,0%) et le plus faible taux de jeunes de moins de 20 ans (16,6%) de la province (ISQ, 2016 : 136). Plus précisément, les deux MRC de la Baie-des-Chaleurs - Avignon et de Bonaventure - comptaient en 2015 un total de 3 486 personnes âgées de 75 ans et plus, soit 10,5 % de la population pour ces secteurs. La MRC de Bonaventure, où s’est déroulée cette étude, affichait une proportion de 11,7 % pour cette tranche d’âge, soit la plus haute de la région de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (ISQ, 2017). Au Québec, toutes régions confondues, on prévoyait que 7,7% de la population serait âgée de 75 ans et plus au 1er juillet 2016 (ISQ, 2016 : 25).

Dans un autre ordre d’idées, une étude réalisée en 1975 par l’ancien Conseil régional de la santé et des services sociaux du Bas-Saint-Laurent (CRSSS-01) auprès des personnes

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âgées de l’est du Québec1

, 97 % des gens questionnés ont affirmé être « en contact » avec de la parenté. Dans 90,2 % des cas, les contacts avec la famille (de même que le voisinage et les relations amicales) procuraient de la satisfaction. Seulement 9,3 % des gens affirmaient ne pas avoir de réseau amical et 16,7 % disaient ne pas visiter leur voisinage. Aussi, il semble que l’obtention des services essentiels ne posait généralement pas de problème. Par exemple, seulement 3,7 % des personnes mentionnaient que l’achat des denrées alimentaires était problématique. Enfin, 88 % des répondants ont dit être assez autonomes en ce qui concerne l’exécution des tâches ménagères et des autres travaux domestiques (Dugas, 1981 : 141). Les deux décennies écoulées depuis la publication de l’étude n’altèrent pas sa pertinence, du moins à plusieurs égards. Elle montre notamment que la situation des personnes âgées en ce qui concerne l’autonomie n’est pas si problématique qu’on le laisse croire, lorsqu’on pose la question aux gens concernés. D’autre part, avec du recul, elle permet d’avoir une référence sur leur niveau d’insertion dans les réseaux de solidarité, plus de quarante ans plus tôt, ce qui permet de mettre en perspective les résultats de la présente étude, même si ce mémoire ne comporte pas de données quantitatives.

Un autre élément pertinent des réseaux de soutien concerne l’utilisation des services d’aide à domicile chez les personnes aînées. Un état de situation portant sur la population de 65 ans et plus pour l’ensemble du Canada a été fait en 2009. Selon cette étude menée par Statistique Canada, 25 % des personnes âgées de 65 ans et plus ont déclaré avoir eu recours aux soins à domicile au Canada, comparativement à 22 % au Québec (Hoover et Rotermann, 2009 : 6). Or, il est possible que plusieurs personnes, en répondant au sondage, n’aient pas considéré l’aide reçue par le conjoint ou la conjointe ou par d’autres membres de la famille, car ce type d’aide est souvent considéré comme « allant de soi » (Hoover et Rotermann, 2009 : 3). De cette proportion (25 %), plus de la moitié des répondants et répondantes ont affirmé que ces soins provenaient de membres de la famille, ou de membres de leur réseau amical et de voisinage (sources informelles). Par ailleurs, 18 % des gens ont dit avoir reçu, lors de l’année précédente, des soins provenant uniquement de personnes salariées (marché) ou de bénévoles. Enfin, 29 % des gens ont mentionné avoir reçu des soins de sources mixtes, « ce qui met en évidence la complémentarité des réseaux de soins formels et informels » (Hoover et Rotermann, 2012 : 6). Aussi, il semble que la source de soins varie selon le type de soins prodigués, mais que les sources informelles sont les plus utilisées en général. Néanmoins, « les soins médicaux constituaient l’exception : leur prestation était assurée en proportions égales par les sources formelles et informelles de

1 L’étude a été menée en 1975 auprès de 232 personnes âgées en moyenne de 72 ans. Ils provenaient de différents

comtés de l’Est du Québec, notamment le comté de Bonaventure (aujourd’hui la Baie-des-Chaleurs composée de la MRC de Bonaventure et de la MRC d’Avignon). L’échantillonnage fut stratifié selon la taille des localités ciblées .

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soins, et en une proportion moindre par des sources mixtes » (Hoover et Rotermann, 2012 : 6). En fait, parmi les 25 % des gens ayant déclaré avoir recours à des soins à domicile pour l’année 2008, c’est le recours à l’aide aux travaux ménagers qui apparaissait en tête de lice (18 %). Venaient ensuite l’aide au transport (15 %) et, enfin, l’aide concernant la préparation des repas (10 %) (Hoover et Rotermann, 2012 : 6). Notons que la tendance était observable dans toutes les provinces. Par ailleurs, en 2009, « près de 180 000 personnes âgées (4 %) ont indiqué qu’au moins un de leurs besoins en matière de soins à domicile professionnels n’avait pas été satisfait » (Hoover et Rotermann, 2012 : 8). Qui plus est, « la proportion de personnes âgées ayant déclaré des besoins insatisfaits passe d’environ 3 % chez les 65 à 74 ans à environ 7 % chez les 85 ans et plus et est deux fois plus élevée chez les personnes vivant seules que chez les personnes vivant avec d’autres personnes » (Hoover et Rotermann, 2012 : 8). La principale raison évoquée (par 63 % des répondants) pour expliquer les besoins insatisfaits était l’incapacité de payer pour le service. Des lacunes dans le système de soins de santé (comprenant la non-disponibilité du service demandé) ont été mentionnées par 24 % des personnes. Les 13 % restants ont nommé une autre raison, sans offrir de précision. Ces statistiques sont à considérer puisque « les recherches montrent que les besoins d’aide non satisfaits entraînent des effets néfastes, y compris l’incapacité à se préparer à manger, les blessures, la dépression et la perte de moral, des taux d’hospitalisation élevés et un risque accru de chute, de placement en établissement et de mort prématurée » (Hoover et Rotermann, 2012 : 8).

1.2 L’état des connaissances scientifiques

Cette section présentera d’abord la démarche documentaire utilisée pour recenser les écrits scientifiques. La recension de ces derniers sera ensuite présentée.

La démarche documentaire 1.2.1

La première étape de la démarche documentaire fut l'identification des concepts associés au thème de recherche choisi : vieillissement (ageing), ruralité (rurality), solidarités sociales (social solidarities), qualité de vie (quality of life) et réseau social (social network). De ces concepts, différents mots-clés ont émergé : aînés et aînées (elders, elderly people), milieu rural éloigné (remote area, remote region), réseau de solidarité (solidarity network). Les banques de données consultées ainsi que la chaîne de mots-clés utilisée pour chacune d'entre elles sont les suivantes :

FRANCIS et ERIC : Elders OR elderly people AND rural OR remote areas AND social network OR solidarity

CAIRN : Aînés ET milieu rural ET réseau social Personnes âgées OU aînées ET milieu rural

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AGELINE : Remote areas OR rural life AND social network

Les moteurs de recherche Google Scholar et Érudit ont également été utilisés pour cette recherche. Les mots « elders », « social network » et « ruralité » furent particulièrement fructueux.

La recension des écrits 1.2.2

La recension des écrits se divise comme suit : d’abord, deux thèmes importants – le vieillissement et la ruralité - seront envisagés sous l’angle de la construction sociale. Ensuite, un aperçu des caractéristiques géographiques des milieux ruraux sera présenté, puis mis en relation avec le « vieillissement » en milieu rural éloigné des grands centres urbains. Enfin, la question de la solidarité et des liens sociaux sera examinée.

La construction sociale du vieillissement 1.2.2.1

D’abord, il faut admettre que le vieillissement est un processus physiologique qui affecte inévitablement tous les êtres vivants, dès que leur croissance se termine. Il y a donc là une réalité biologique tangible, soit la sénescence, résultant de la mort cellulaire (apoptose). Il s’agit donc de :

[…] l’ensemble des processus biologiques qui, au fur et à mesure de l’avancée en âge, rendent les individus plus sensibles aux facteurs susceptibles d’entraîner la mort [qui] peut survenir du fait d’un déclin des capacités d’adaptation de l’organisme pour maintenir ses fonctions internes face à des agressions extérieures telles que les maladies ou les accidents. (Henrard 1997 dans Comeau et coll., 2015 : 11)

Toutefois, pour entreprendre une recherche qualitative impliquant les personnes aînées, il est primordial d’observer et de questionner le phénomène du vieillissement à travers un prisme social, et non seulement biologique. Rapidement au fil des écrits recensés, il est clair que les représentations sociales (occidentales) du vieillissement réduisent souvent les personnes vieillissantes à ce fait physiologique qui semble, à en lire la description précédente, fort peu encourageant. Comme l’écrit Pierre Bourdieu, « outre, bien sûr, sa dimension physiologique – un donné -, la vieillesse est tout comme l’âge une réalité « […] biologique, socialement manipulée et manipulable » (Bourdieu, 1984 cité dans Pilon, 1990 : 142). De plus, elle ne peut être comprise indépendamment de la construction sociale des autres âges de la vie. Bernard Arcand souligne d’ailleurs que le « troisième âge » n’a de sens que lorsqu’il est mis en relation avec les autres « âges » de la vie : « le rôle et le traitement réservés à la vieillesse doivent nécessairement être cohérents avec ce qu’une société définit comme l’enfance et l’âge adulte » (Arcand, 1982 : 22).

D’abord, l’imaginaire social occidental entourant le vieillissement le dépeint comme un sombre phénomène : les « vieux » y sont malades, dépendants, seuls et vulnérables. Aussi,

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les discours portent davantage « sur le poids démographique, social et économique » que la vieillesse représente pour la société, tant économiquement que socialement (Murray et coll., 2001 cités par Grenier, 2011 : 37). Ces derniers sont en quelque sorte légitimés par la science de la gérontologie sociale (Minkler et Fadem, 2002 : 229) et largement véhiculés dans les médias actuels (Lagacé, Laplante et Davignon, 2011 : 87). Celle-ci expose avant tout les difficultés vécues par les personnes âgées, notamment les problèmes d’adaptation, d’intégration ou carrément de survie (Arcand, 1982 : 10). Enfin, bien qu’on ne puisse pas nier le contexte difficile dans lequel plusieurs sont insérées, il ne faut pas pour autant « généraliser cette vision misérabiliste à l’ensemble de la vieillesse ». Il est aussi pertinent de rappeler que ces généralisations hâtives sont influencées par des travaux provenant bien souvent « de chercheurs et d’intervenants dont le champ d’étude est précisément la misère » (Arcand, 1982 : 15), notamment le service social. D’ailleurs, un sondage d’opinion mené par Hendriks et Hendriks en 1977 montre d’intéressants résultats : « alors que tous semblent en accord pour décrire les peines et les misères des personnes âgées », il semble que les personnes retraitées ne se sentent pas spécialement en difficulté en ce qui concerne la santé et l’argent (Arcand, 1982 : 14).

Qui plus est, la conception occidentale du travail est également à considérer lorsqu’on analyse le phénomène du vieillissement sous l’angle du constructivisme. L’organisation sociale précapitaliste était fondée sur le travail agricole, l’économie de subsistance et de forts liens familiaux intergénérationnels. Selon Santerre, ce type d’organisation offrait davantage de valorisation aux personnes aînées, car ces dernières possédaient une terre et le savoir empirique lié à celle-ci (Pilon, 1990 : 143). Or, de grandes transformations économiques et sociales s’opèrent à partir de la seconde moitié du 19e siècle au Québec, faisant éclater les modes de vie dits « traditionnels ». L’expansion industrielle, la marginalisation de l’agriculture et de l’artisanat en tant qu’activités économiques et modes de vie, le passage d’une gestion de main d’œuvre de type paternaliste vers une gestion de « ressources humaines », ainsi que l’urbanisation massive viennent affecter les structures économique et sociale, et donc la conception de la « vieillesse » (Pilon, 1990 : 143). En effet, les règles du travail industriel ont conduit à la dévalorisation de la main-d’œuvre plus âgée. Dans ce nouveau contexte, le fait de vieillir est désormais perçu « comme un obstacle aux impératifs économiques des entreprises […] » (Pilon, 1990 : 143). Jugée maintenant comme peu rentable, car moins productive, les gens sont alors poussés vers la retraite. Ils deviennent ainsi plus dépendants du système institutionnel (étatique) sur le plan économique, ce dernier ayant pris en partie le relais du soutien familial et communautaire préexistant, puisque cette forme de solidarité fut jugée de moins en moins efficace pour subvenir aux besoins des personnes âgées (Pilon, 1990 : 144). Ceci étant, comme le souligne l’anthropologue Bernard Arcand, « notre société dit assez clairement que l’individu sera dans la vie ce qu’il fera dans la vie et que son statut

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social dépendra de son salaire » (Arcand, 1982 : 22). Or, cette conception du travail (et donc de la vieillesse) est loin d’être universelle. En effet, il semble que les sociétés qui n’accordent pas autant d’importance à l’économie et à la productivité ont un rapport bien différent avec cette étape de la vie. Par exemple, chez les Cuiva du sud-est de la Colombie, nul n’est réduit à la force de travail. La productivité et le travail font certes partie de la vie, mais n’occupent pas une place prédominante dans les valeurs locales (Arcand, 1982 : 23). Aussi, selon Arcand, le fait que les Cuiva n’aient pas à consacrer la majeure partie de leur vie au travail explique pourquoi, une fois « âgés », ils n’ont pas à adopter des habitudes de vie nouvelles « qui auraient été interdites pendant les quelque 65 ans voués le plus exclusivement possible à la productivité, puis refoulées vers un futur troisième âge » (Arcand, 1982 : 25). Il est aussi intéressant de constater que plusieurs autres sociétés n’ont aucun mot, dans leur langage, pour désigner ce que l’on appelle « vieillesse » ou « personnes âgées ». D’autres ont un mot pour désigner les « aînés », mais l’utilisent pour faire référence aux savoirs de ces derniers, et à leur sagesse plutôt qu’en référence à leur condition physiologique ou cognitive.

Néanmoins, bien qu’il soit important de « déconstruire » le vieillissement, cette catégorie ne devient pas inutilisable pour autant. En effet, une fois le caractère relatif du vieillissement mis en lumière, l’usage de ce terme demeure inévitable dans la société occidentale actuelle – et donc dans le cadre de cette recherche qualitative. Les termes « personnes âgées », « personnes aînées » et « vieillissement » seront donc couramment utilisés, tout en gardant à l’esprit qu’ils sont construits socialement (en Occident, au 21e

siècle). Qui plus est, une attention particulière sera portée afin de ne pas tomber dans le piège de la « victimisation » systématique des personnes aînées en raison de leur âge.

Enfin, à l’opposé du portrait « désolant » de la vieillesse se trouve un discours sans doute tout aussi répandu, soit le « vieillissement actif » ou « active aging », tout aussi présent dans les médias (Rozanova, 2010 : 214). Selon cette autre représentation, les personnes âgées incarnent « un potentiel nouveau de développement pour nos sociétés » (Comeau et coll., 2015 : 14). Ce discours comprend différents volets, dont l’activité physique et la saine alimentation. Un autre de ses piliers, plus en lien avec cette étude, concerne la participation sociale des personnes âgées dans leur communauté. La notion d’ « active aging » naît de l’École de Chicago à la fin des années 1970, « au moment même où des économistes [formulaient] ce qui allait devenir la philosophie néolibérale » (Boucher, 2016 :13). Le vieillissement doit être pris en charge par les individus et les collectivités : « Chaque personne, chaque famille doivent prévoir et se préparer pour la vieillesse, et faire des efforts personnels pour adopter de bonnes pratiques favorables à la santé tout au long de la vie » (OMS, 2002 cité dans Boucher, 2016 : 15).

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Il va donc sans dire qu’un tel discours peu avoir comme effet indésirable de culpabiliser les personnes âgées qui ne sont pas « actives » dans leur communauté, par exemple pour des raisons de santé, et qui ne peuvent donc ni faire du bénévolat, ni pratiquer des activités physiques de façon régulière. En effet, « […] the successful aging discourse may stigmatize individuals who lack privilege in the context of a market economy in terms of their economic or health status as aging unsuccessfully, and instill in them a sense of personal failure for their own circumstances (Chapman, 2005; Katz, 2008; Laliberte Rudman, 2006a,b) » (Rozanova, 2010 : 221).Qui plus est, pour peu qu’on y porte attention, les images de l’engagement social véhiculées dans les médias montrent majoritairement de « jeunes retraités » ou, du moins, des gens de moins de 80 ans. Les personnes plus âgées (80 et plus) semblent mises à l’écart. Cette marginalisation concerne aussi les façons de contribuer à la société par le don de temps. Plusieurs formes d’engagement peu visibles, pratiquées notamment par les gens qui ne se sentent plus en moyens de faire du bénévolat, sont occultées. En effet, peu de place est accordée aux gestes de solidarité posés par les aîné(e)s dans leur cercle amical, dans leur famille ou dans leur voisinage, par exemple. Enfin, le discours de la santé publique sur le vieillissement actif « […] transformed the ‘right to health’ from the right for accessible, affordable health services to a ‘duty to stay well’ (Peterson and Lupton, 1996)» (Laliberte Rudman, 2006 : 197). Ce changement de paradigme, très néolibéral, influence les politiques sociales liées au vieillissement : « The displacement of the moral responsability and financial liability for later life to individuals also dilutes the perceived need for the state to respond to the problems of an ageing population (Dannefer, 2000)» (Laliberte Rudman, 2006 : 197). L’idée ultime derrière cette idéologie est que l’État n’ait à se préoccuper que des personnes âgées incapables de prendre soin d’elles-mêmes, réduisant largement ses dépenses liées au ‘grand âge’ (Laliberte Rudman, 2006 : 197). .

Le territoire construit et la « ruralité » 1.2.2.2

Dans une étude sur le vieillissement en milieu rural, il importe de s’attarder à la construction sociale de ce qu’on nomme « ruralité ». En effet, selon Keating, Swindle et Fletcher (2011), il est primordial que les études sur le vieillissement en milieu rural se penchent sur la construction de la « ruralité ». Cette considération permettrait de comprendre avec plus de justesse les interactions entre les personnes vieillissantes et leur milieu (Keating, Swindle et Fletcher, 2011 :334). Le territoire est plus qu’une délimitation géographique, il est aussi socialement construit, selon plusieurs auteurs. Ainsi, le géographe et sociologie Bernard Kayser disait que l’expression « espace rural » change selon les disciplines et aussi selon les pays (Dugas, 1981 :15). Il existe diverses représentations rattachées aux territoires qui sont

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autant de construits intellectuels communs permettant aux gens de comprendre le monde qui les entoure (Tiberj, 2010 : 91), et le monde rural n’y échappe pas.

Au Québec, plus du quart de la population et plus de 80 % du territoire sont classés comme « ruraux » (Jean et Dionne, 2007 : 9), et 1 249 des 1 554 municipalités étaient classées « rurales » en 2001 (Jean, 2009 : 89). Dans l’esprit de la modernité du milieu du 20e siècle, les milieux ruraux sont dévalorisés. Au cœur de cette idéologie du « progrès », ils constituent pour plusieurs un monde passéiste et trop accroché aux traditions (Jean et Dionne, 2007 : 16). Un véritable changement dans la représentation sociale de la ruralité s’opère néanmoins dans les années 1960 et 1970. Jadis considérées « arriérées », les régions deviennent le monde de l’authenticité, le monde des origines auquel « il faut revenir lorsqu’une forte perte de sens se produit » (Jean et Dionne, 2007 ; Jean, 2008). On redécouvre les vertus, les « vraies » valeurs morales liées au travail, à la stabilité, à l’obéissance et à la résignation. Aussi, « le système de valeurs, l’agencement de la vie et des institutions sociales dans les collectivités rurales, possèdent un pouvoir évocateur et un attrait émotif dans un mode urbanisé et industrialisé » (Jean, 2008 : 14). Il semble toutefois que cette image de la société villageoise en parfaite harmonie avec la nature environnante et jouissant d’un puissant sentiment communautaire est bien souvent idéalisée (Jean, 2008 : 14). Sur le plan scientifique, dans les années 1980 et 1990, les études sur le monde rural deviennent nombreuses avec des chercheurs tels que Clermont Dugas, Bernard Vachon et Bruno Jean (Jean, 2008 : 15).

Ces études de la ruralité - et de sa construction – font plusieurs avancées. Jean et Dionne (2007) identifient trois grands discours sur la ruralité qui cohabitent et qui participent à la construction sociale de cet objet : « le discours social (qui se structure dans les médias et qui alimente une opinion publique), le discours scientifique (qui essaie de se donner des critères objectifs, mais qui reste passablement vulnérable aux diktats des concepts à la mode et aux idéologies du moment) et le discours politique » (Jean et Dionne, 2007 : 13). De ces discours découlent trois grandes représentations sociales : la ruralité agricole, forestière et récréotouristique (Jean, 2009 : 97). D’abord, la ruralité agricole est caractérisée par un discours « agri-ruraliste » mettant l’accent sur la dimension sociale : la qualité de vie, la vitalité des communautés et le rendement des stratégies de développement local (Jean, 2009 :97). La ruralité forestière, pour sa part, est un discours axé sur la ruralité comme « réservoir de ressources primaires à exploiter pour créer de la richesse et des emplois, avec l’effet structurant des grandes entreprises dans le développement économique » (Jean, 2009 : 97). Il s’agit d’un discours utilitariste axé sur l’économie. Enfin, la vision récréotouristique de la ruralité met l’accent sur la dimension paysagère des milieux ruraux. Il

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s’agit d’un « discours hédoniste valorisant la dimension culturelle de la ruralité » (Jean, 2009 : 97).

Les caractéristiques géographiques des milieux ruraux 1.2.2.3

Pour une étude intéressée au vieillissement en milieu rural, outre les constructions sociales de la réalité, des aspects géographiques bien « réels » sont à considérer. Comme l’écrit le géographe Clermont Dugas, « la ruralité, c’est le pays de la distance et de la dispersion » (Jean, 2009 : 100). En effet, la faible densité de population dispersée sur de vastes étendues de territoire est un aspect typique des régions. En Gaspésie, par exemple, les villages sont installés en grande partie le long des côtes, laissant presque vacant tout l’espace central de la péninsule. Selon Jean (2009), « l’organisation spatiale du Québec rural porte donc la marque d’un modèle de peuplement et d’organisation de l’espace rural qui crée intelligemment une impression de densité, et combat ainsi l’isolement dans un territoire de très faible densité » (Jean, 2009 :91). Le fait d’organiser la propriété des terres en bandes étroites le long d’un fleuve ou d’une route – notamment les rangs de campagne - fait en sorte que les propriétés sont plus près les unes des autres. Cette proximité est utile en cas de besoin et « permet l’exercice d’une solidarité entre voisins, diverses formules d’entraide et le développement d’un certain communautarisme, tout en préservant un individualisme qui est aussi un trait majeur des sociétés paysannes » (Jean, 2009 : 91). Les gens apprécient à la fois le fait d’avoir une relation de proximité sur le plan de l’entraide entre les gens de la communauté, mais veulent aussi jouir de la tranquillité, du fait de ne pas avoir des voisins « trop proches » de leur maison.

Par ailleurs, compte tenu de la faible densité de population et de la dispersion des services sur un vaste territoire, les citoyens et citoyennes des villages ruraux sont appelés à faire preuve d’une grande mobilité. En effet, « contrairement à l’image d’Épinal d’une ruralité fortement sédentaire, vivant dans des ‘villages immobiles’ selon la belle expression de Gérard Bouchard », les ruraux Québécois sont très mobiles (Jean, 2009 : 91). Plusieurs enquêtes rurales montrent ainsi qu’ils se déplacent facilement sur de longues distances pour accéder à leur lieu de travail et aux différents services qui ne se trouvent pas dans leur village respectif. Il est d’ailleurs intéressant de constater que « pour les ruraux, la notion d’accessibilité à un service donné (le médecin par exemple) est fonction de cette mobilité » (Jean, 2009 : 91). Un service (comme l’accès aux soins médicaux) est généralement jugé accessible s’il est situé à moins d’une heure de route. Selon une étude du CRSSS-01 (voir page 4 et 5), le rapport des personnes âgées vis-à-vis la distance qui les sépare des services est très relatif. Lorsqu’elles sont questionnées sur leur désir d’habiter plus près de l’hôpital, les personnes aînées vivant à moins de 8 km de l’établissement de santé étaient proportionnellement plus nombreuses à vouloir s’en rapprocher que celles qui vivaient à une

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distance de 16 à 32 km de ce dernier. Il est donc fort possible qu’une proximité avec le service exacerbe un besoin ou une dépendance pour celui-ci. En fait, « les individus s’habituent à la distance comme à toute autre chose, et cela s’applique particulièrement aux personnes âgées qui, bien qu’éloignées d’un service actuellement, s’en trouvaient encore plus loin en distance-temps dans le passé » (Dugas, 1981 : 197). Qui plus est, même si pour l’observateur externe il semble évident que l’énorme distance qui les sépare des services est un facteur négatif, il s’agit souvent davantage d’une question de perception qui doit être relativisée : « La dispersion n’apparaît pas comme un fardeau chez ceux qui la vivent, mais comme une composante de la vie quotidienne. L’habitude de se déplacer pour aller au travail, pour obtenir des services et pour se divertir est tellement forte que l’on n’y prête plus attention » (Dugas, 1981 : 202).

Le vieillissement en milieu rural 1.2.2.4

Les grandes distances pour accéder aux services représentent toutefois une source de préoccupation lorsqu’il est question du vieillissement de la population rurale. En effet, « l’impossibilité de se déplacer par soi-même peut rendre difficile le fait de vieillir à domicile » (Turcotte, 2012 : 15).

Selon une enquête de Statistique Canada (2009), une minorité de personnes âgées se déplace autrement que par voiture privée (en tant que conducteur ou passager). Il semble que les autres modes de transports (marche, transport en commun, transport adapté et taxi) soient très peu utilisés par les aînés (Turcotte, 2012 : 13). Cette enquête montre aussi que pour la tranche d’âge de 75 à 84 ans, 86 % des hommes et 57 % des femmes sont détenteurs d’un permis de conduire valide. En ce qui concerne les personnes âgées de 85 ans et plus, les pourcentages baissent à 67 % chez les hommes et à 26 % chez les femmes (Turcotte, 2012 : 8). Les femmes âgées vivent ainsi une plus grande dépendance que les hommes vis-à-vis du transport. Quoi qu’il en soit, le milieu rural pose un autre défi, cette fois-ci pour les organismes communautaires et le réseau public de la santé et des services sociaux. En effet, « de façon générale, il est plus facile d’offrir des soins et des services de santé à domicile en milieu urbain qu’en milieu rural, entre autres parce que les distances à parcourir sont moins grandes pour les professionnels et les fournisseurs de soins » (Turcotte, 2012 : 6).

Compte tenu de ces contraintes, on peut se demander de quelle manière les gens âgés parviennent à obtenir les services requis. C’est possiblement là, entre autres, que les solidarités sociales interviennent. Selon certaines études, malgré certains désavantages des milieux ruraux (moindre revenu, accès difficile aux services de santé et sociaux, et santé parfois précaire) les personnes vieillissantes y jouiraient d’un meilleur réseau de soutien que

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leurs homologues urbains : « rural older adults have the advantage of being more highly integrated into social networks that provide informal social support when compared to their urban counterparts […] » (Evans, 2009 : 425). Il y en aurait d’ailleurs proportionnellement moins qui présentent des symptômes dépressifs, comparativement aux personnes âgées des villes. L’apparition de ces symptômes serait, selon l’auteur, intimement liée à l’influence de l’environnement: « In urban communities, there are more impersonal ways of relating to others, contact is more transitory, and there is greater anonymity […]. Because there are also so many people in urban areas, the sense of personal and private space is limited (Kivett, 1988) » (Evans, 2009: 432). La fréquence des interactions sociales serait donc, selon cette étude, plus grande chez les personnes âgées en milieu rural. Les entrevues ont en effet démontré que celles-ci sentaient avoir du soutien de plusieurs personnes auxquelles elles faisaient confiance, ce qui n’était pas le cas pour celles en milieu urbain (Evans, 2009 : 433).

Dans les 30 dernières années, les milieux ruraux canadiens et les petites municipalités ont vécu plusieurs changements économiques, sociaux et démographiques. Parallèlement à la mise en place de services professionnels de soutien, on a assisté à l'exode de plusieurs familles, lesquelles constituent, selon Ryser et Halseth (2011), le principal réseau pour les personnes âgées. Ces auteurs soulignent qu’un réseau familial restreint peut avoir un impact considérable sur leur santé et leur qualité de vie globale, pouvant même les mener à une institutionnalisation précoce (Ryser et Halseth, 2011 : 197). Qui plus est, dans une étude portant sur les réseaux informels de soutien auprès de femmes âgées de la Colombie-Britannique, des répondantes ont manifesté leur malaise quant au fait de demander de l'assistance à leur réseau familial (ou autre réseau de soutien), expliquant que leurs membres sont « déjà bien occupés ». C’est pourquoi elles affirmaient demander de l'aide seulement lorsque c’était réellement nécessaire. En effet, « due to a strong self-help ethic in rural and small-town places, some rural women are still reluctant to reach out for support when needed » (Ryser et Halseth, 2011: 196). Par ailleurs, selon une étude de Clément et Roy (1992) menée dans un village situé au sud de la péninsule gaspésienne (MRC du Rocher-Percé), les personnes âgées vivant en couple ne feraient appel qu’à deux ou trois personnes pour demander des services et « il est très rare que ces stratégies dépassent les frontières du camp familial » (Clément et Roy, 1992 : 58). Le conjoint ou la conjointe serait donc, pour elles, une source très importante d’aide au quotidien. Ces auteurs montrent que le soutien social des personnes âgées de Pabok, village côtier, est plutôt circonscrit et précaire. Ils affirment également que la communauté n’est actuellement (en 1992) pas en mesure de contrer ce déséquilibre de façon collective; ce sont les personnes qui « prennent en charge » individuellement les besoins des personnes âgées. Alors, les auteurs suggèrent que :

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[…] pour contrebalancer ce cloisonnement des responsabilités, il sera nécessaire de briser l’isolement des aidants et aidantes et de mettre en place des mesures qui permettront de stimuler le potentiel de prise en charge des communautés, sans pour autant reporter sur elle la responsabilité absolue des aînés. D’autres actions devront aussi être prises. L’une des plus importantes est sans aucun doute le développement de services de soutien et de répit pour les aidants (gardiennage, lits de répit, service d’entretien domestique, popotes roulantes, etc.) (Clément et Roy, 1992 : 61-62).

Il est important de mentionner que depuis 1992, soit plus de 21 ans déjà, plusieurs innovations ont été réalisées au Québec dans le domaine du soutien aux aidants et aidantes, des popotes roulantes et des services de soutien à domicile. Il serait toutefois intéressant de voir la répartition de telles ressources en région éloignée et d’évaluer de quels moyens elles disposent pour desservir la population âgée.

En termes de capacité et d’autonomie des personnes âgées, il est possible de classer les publications sur le vieillissement en milieu rural selon deux grandes orientations. La première tend à voir les individus vieillissants comme étant à risque en raison de leur faible réseau social ou du manque de ressources dans leur communauté pour répondre à leurs besoins. La plupart des recherches qui en font partie sont teintées du discours sur les risques de la vieillesse, tel que décrit précédemment. Ces études s’attardent aux lacunes des ressources en santé et de services sociaux et aux problèmes de santé aggravés par la faible organisation du milieu rural. La seconde orientation englobe des travaux qui mettent l’accent sur la qualité de vie, l’indépendance et les connexions sociales entre les citoyens. Elle s’inspire du discours sur le « vieillissement actif ». En ce sens, « the ‘aging well’ lens reflects an interest in the contributions of older adults to their families and communities, and their on-going engagement in creating their relationships to others and to their rural settings » (Keating, Swindle et Fletcher, 2011: 333-334). Cette importance accordée à la contribution des personnes vieillissantes, à leurs ressources et aux stratégies qu’elles déploient fait contrepoids au précédent discours, plus victimisant, qui a pourtant été dominant dans les recherches pendant de nombreuses années (Keating, Swindle et Fletcher, 2011 : 333-334). À cet effet, investir davantage dans les recherches sur la qualité et la diversité des interactions entre les gens âgés des milieux ruraux et les personnes qui les entourent, dans une perspective du vieillissement « sain », serait bénéfique pour une analyse critique « of the contemporary importance of distance from kin in the receipt and provision of support » (Keating, Swindle et Fletcher, 2011 : 334). Voilà pourquoi, dans ce mémoire, l’attention est portée au potentiel des personnes âgées, tant dans leur capacité d’orchestrer les services nécessaires qu’à leur aptitude à répondre elles-mêmes à certains de leurs besoins, et à leur engagement dans la dynamique de solidarité locale. Il s’agit de voir ces gens comme des acteurs sociaux conscients et compétents dans leur propre vie et dans leur communauté, par

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une multitude de gestes, si petits puissent-ils paraître parfois, et de considérer les différentes voies possibles vers un vieillissement sain et actif.

La solidarité et la Modernité 1.2.2.5

Dans les écrits, un autre volet de la solidarité se rapporte à la modernité, et, du coup, à la mise en place de l’État-providence.

Selon Émile Durkheim, avec l’avènement de la modernité, il y aurait eu un passage d’une solidarité mécanique vers une solidarité organique, autrement dit de la communauté vers la société. Ferdinand Tönnies parle pour sa part de la migration d’une organisation sociale de type communautaire vers une autre de type sociétaire. Caractéristique des sociétés traditionnelles, la solidarité mécanique, puise sa source « à travers la conscience collective, l’autorité morale, la religion et la famille [consolidant] l’harmonie et la cohésion sociale » (Pavageau, Gilbert et Pedrazzini 1997 : 45). Elle est fondée sur l’homogénéité sociale, l’abandon de l’individu pour le bien de la communauté. Pour ce qui est de la solidarité organique, elle s’appuie sur l’État-providence et le marché pour assurer entre les individus « la différenciation et la complémentarité » (Pavageau, Gilbert et Pedrazzini 1997 : 46). La modernité occidentale valorise la libération des individus face aux traditions contraignantes, qu’elles soient imposées par la religion ou induites par l’organisation sociale par manque de démocratie ou de respect des droits civiques. Cette conception de l’individualisme s’accommode du libéralisme économique et de la société de consommation, et l’individu « moderne » serait, sur le plan économique, bien plus libre que dans des économies dirigées (Pavageau, Gilbert et Pedrazzini 1997 : 6). Inévitablement, l’entrée dans l’« ère moderne » a eu un effet saisissant sur les relations d’entraide entre les individus. Ainsi, la mise en place de l’État-providence a eu des effets sur les liens sociaux et sur la solidarité, en ouvrant la porte à un système de protection sociale généralisée. En effet, « [au] fur et à mesure que l’individu voit son existence encadrée par des mécanismes universels de protection, il peut aussi plus facilement se libérer des contraintes et des exigences liées aux formes de protection plus traditionnelles, comme la famille, le voisinage, les corporations, c’est-à-dire tout ce qui constitue le socle des protections rapprochées » (Paugam, 2008 : 32-33). Entre autres choses, il n’a plus l’obligation de prendre soin de ses aïeuls, car le système étatique peut maintenant s’en charger. S’il décide de le faire, c’est parce qu’il en a fait le choix et parce qu’il en a envie. Par ailleurs, « le développement de l’État-providence a été souvent vu comme un substitut heureux au don, substitut qui diminue l’injustice et redonne la dignité, par opposition aux systèmes antérieurs de redistribution fondés sur la charité » (Godbout, 1995 : 75). Dans cette optique, on croyait même que les formes traditionnelles d’entraide dans une communauté étaient appelées à disparaître, la solidarité étant relayée à

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l’État (Godbout, 1995 : 84-85). Évidemment, cette disparition ne s’est pas produite, même s’il est clair que l’individu moderne est moins exclusivement dépendant des gens qui l’entourent (Paugam, 2008 : 33). Pour certains penseurs de la modernité, le marché doit répondre aux besoins non répondus par l’État, toujours dans l’optique de « libérer » l’individu (Godbout, 1995 : 42). Or, tous ces mécanismes devant apporter cette prétendue liberté comporte de nombreux inconvénients. Les sociétés modernes auraient échoué dans leur projet d’intégration sociale, laissant plusieurs individus à leur sort :

Amitaï Etzioni (1990, p.29 et 31) rappelait la thèse célèbre d’Erich Fromm à l’effet que la liberté acquise par la modernité a un coût. Il serait sans doute plus exact de dire qu’elle a des limites, celles de la destruction des liens sociaux qu’elle entraîne, qui conduit l’individu à l’isolement et à une diminution de sa liberté. Au bout du chemin de la libération marchande et étatique, on ne trouve pas un individu libre, mais un individu seul, fragile, dépendant, vulnérable, pris en charge par des appareils extérieurs à lui et sur lesquels il n’a aucune prise, proie facile et préférée des idéologies totalitaires, dans lesquelles le besoin de pouvoir, mais aussi le don et l’altruisme connaissent leurs pires perversions. Pourquoi? Parce que la liberté se nourrit des liens sociaux (Godbout, 1995 : 270).

Pour Durkheim, la division sociale du travail et la liberté des individus ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour alimenter la solidarité au sein des sociétés : « Il y a donc une vie sociale qui est à chercher hors de la division sociale du travail. D’où la préoccupation de Durkheim de faire émerger des ‘corps intermédiaires’ entre l’individu et la société, c’est-à-dire les associations, qui puissent favoriser une solidarité plus intense entre les individus » (Pavageau, Gilbert et Pedrazzini 1997 : 47). Ces « corps intermédiaires » sont incarnés par ce que l’on appelle plus communément au Québec le « tiers-secteur ».

1.3 Les limites des études actuelles

Les études citées, bien qu’elles soient informatives sur divers plans pour la réalisation de la présente étude, comportent toutefois certaines limites. Tout d’abord, concernant les écrits qui datent de plus de 20 ans (Arcand, 2008 (1982) ; Pilon, 1990 ; Clément et Roy, 1992), et parce que le contexte social a changé durant les deux dernières décennies, on peut souhaiter vérifier la pérennité de certains résultats.

Par ailleurs, peu de recherches se penchent sur le contexte gaspésien, mis à part celles de Clément et Roy (1992) et de Delisle (1999). Encore une fois, force est de constater que ces études datent d’il y a plus de 15 ans.

Enfin, parmi les études portant sur le vieillissement en milieu rural, rares sont celles qui prennent comme point d’ancrage le point de vue de personnes âgées. Nous voulons emprunter cette voie avec un cadre conceptuel différent des perspectives théoriques utilisées

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jusqu’ici, par exemple la perspective marxiste de Pilon (1990) et l’anthropologie par Arcand (2008/1982).

1.4 Le cadre conceptuel

Ce projet de recherche prend ancrage dans différents éléments théoriques et conceptuels : la théorie du lien social telle que décrite par Serge Paugam (2008), la thèse de Frédéric Lesemann (2002) sur les quatre différentes sources de solidarité menant au bien-être d’une personne, et la théorie sur le don de Jacques T. Godbout (1995, 2000). D’autres concepts, tels que le « vieillissement », la « solidarité » (notamment la solidarité dite horizontale), et l’ « autonomie » sont également retenus.

La théorie du lien social 1.4.1

Selon Paugam (2008), chaque personne se définit dans son rapport aux autres et ses échanges. Il existe une sorte de « contrat social rationnel » entre les individus, liant chacun d’eux au reste de la société (Paugam, 2008 : 36). Le lien social est créé par la toile de ces interactions et le don entre les individus fait croître les échanges et renforce cette toile. Le don est une activité sociale au sens de la notion décrite par Max Weber (1971) qui voit les échanges comme porteurs de sens objectif pour les personnes qui les perpétuent. Pour lui, l’activité sociale s’inscrit dans les comportements humains (au sens très large du terme), pourvu qu’ils soient posés à l’endroit d’autrui et que les individus leur accordent une signification objective. Ainsi, l’activité sociale, loin d’être un acte isolé, « est porteuse de relation avec autrui. Elle est donc à la base du lien social qui se manifeste de plusieurs façons : dans les relations interpersonnelles, de groupe et d’association, du collectif politique et de l’humanité en général » (Pavageau, Gilbert et Pedrazzini, 1997 : 48).

L’activité sociale est omniprésente dans le cycle du don. Plus précisément, le « don » consiste à donner du temps (ou du matériel) à quelqu’un d’autre. Malgré cette apparente simplicité, il fonctionne selon un cycle plutôt complexe lui est propre : donner, recevoir et rendre. Cette trajectoire est génératrice de lien social, car elle « engage minimalement deux personnes dans une relation de coopération et de mutualité » (Godbout, 1995 dans Comeau et coll., 2015 : 104). Il est possible de « donner » de façon formelle, par l’engagement social auprès d’une organisation (notamment en y étant bénévole) ou d’une cause et en dehors de la famille, et de façon informelle (Wilson et Musick 1997 dans Comeau 2015 p.99). Ici, le don est fait de façon spontanée et sans intermédiaire, comme dans le cas de l’entraide (ou aide directe) entre les membres de la famille ou du réseau amical, le voisinage, etc. (Vézina et Crompton 2012 dans Comeau et coll., 2015 p.100). La complexité du don tient également dans le fait que pour que le don crée et entretienne le lien social, la roue doit constamment être en mouvement : chaque protagoniste dans le théâtre du don a l’impression que c’est lui

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qui est en « dette » envers l’autre, l’incitant à toujours redonner en posant un geste, le don de temps par exemple. Contrairement au rapport marchand où l’entente prend une forme contractuelle, la fin du cycle de l’échange est fixé et le lien social, supprimé à terme :

[…] l’espace multidimensionnel dont le don a besoin pour déployer ses retours multiples, l’espace de la valeur de lien dont la chose est véhicule et symbole, valeur de lien qui, littéralement, ‘n’a pas de prix’ parce qu’elle se situe en dehors de l’espace marchand. Cela ne signifie pas qu’on ne réussira jamais à l’acheter en y ‘mettant le paquet’, comme on dit. Mais que, si on réussit, la personne a sacrifié la valeur de lien (Godbout, 1995 : 283-284)

Dans le rapport marchand, le retour monétaire symbolise que l’un ou l’autre des individus souhaite « être quitte » avec le second, donnant en retour la simple valeur monétaire contre un geste donné. Et puisque l’argent « ne possède d’autres qualités que sa quantité » (Simmel, 1988 cité dans Godbout, 1995 : 14), le fait de s’acquitter de la dette aplanit aussi le lien social entre les deux parties.

Selon Paugam, le lien social peut être schématisé en quatre dimensions : le lien de filiation, le lien de participation élective, le lien de participation organique et le lien de citoyenneté (Paugam, 2008 : 63). Seuls les deux premiers seront abordés ici pour leur pertinence en lien avec la nature du projet de recherche.

Le lien de filiation 1.4.1.1

Le lien de filiation renvoie à la dimension biologique ou adoptive entre les individus. Associé à la famille, il constitue le « fondement absolu » du lien social, selon l’auteur. Aussi, « la filiation est souvent associée à la notion d’attachement, au sens de la relation qui unit deux ou plusieurs individus à travers la valorisation de l’importance qu’ils ont l’un pour l’autre ou les uns pour les autres » (Paugam, 2008 : 65-66). Les représentations de la famille ont subi de grandes transformations au fil des époques. En effet, jadis, les individus d’un même clan étaient liés pour assurer leur survie : l’attachement à ce groupe n’était pas remis en question. Comme il fut mentionné plus haut, l’arrivée d’un système de protection sociale universel a modifié les rapports entre les individus, les rendant plus dépendants envers l’État qu’envers les membres constituant l’unité familiale. De cette manière, « la famille est devenue progressivement le lieu de la recherche du bonheur privé, mais n’est plus à proprement parler un groupe auquel on ne peut échapper » (Paugam, 2008 : 67, Godbout, 1995 : 39-40). Ainsi, les rapports intergénérationnels sont aujourd’hui moins motivés par le devoir et la « piété filiale » que par les affinités personnelles ou le plaisir de passer du temps avec un membre de la famille (Bourdouxhe, 2013 : 5, Godbout, 2000 : 27).

Compte tenu du caractère « permanent » du lien familial et de l’intensité de l’attachement qui unit les individus de ce groupe, la famille continue pour plusieurs d’être au cœur d’un

Figure

Tableau 1.1 L’opérationnalisation des concepts
Tableau  2.1 :  La  répartition  des  répondantes  et  répondants  selon  le  genre,  l’âge,  le  type  de  résidence et le statut marital
Tableau 3.1 La « peur de déranger » chez les répondantes  Prénoms  fictifs  Personnes à ne pas  déranger  Extrait(s) d’entrevue  Ernestine  Sa sœur, sa  petite-fille
Tableau 3.2 Le besoin des personnes de rémunérer les services reçus

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