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Perceptions et attitudes face aux aliments : étude d’association et impact sur l'estimation du contenu calorique

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Perceptions et attitudes face aux aliments :

Étude d’association et impact sur l’estimation du

contenu calorique

Mémoire

Anne-Sophie Bourlaud

Maîtrise en nutrition

Maître ès Sciences (M.Sc.)

Québec, Canada

© Anne-Sophie Bourlaud, 2013

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Résumé

Les mangeurs sont inondés d‘informations sur les calories, l‘aspect « santé » des aliments et leur impact sur le poids. Cet environnement influence-t-il leurs connaissances/perceptions? Dans la présente étude (n=234), les calories des aliments « santé » étaient sous-estimées (-24.8%); les calories des aliments « non-santé » étaient surestimées (+27.4%). Les mangeurs restreints sous-estimaient moins les calories des aliments santé que les non-restreints. Les femmes étaient plus précises que les hommes dans leurs estimations des aliments santé. L‘IMC et l‘âge n‘influençaient pas les estimations caloriques. Un score « engraissant » plus élevé des aliments non-santé était positivement corrélé avec la restriction/restriction rigide (RS, TFEQ) et inversement pour la restriction flexible, négativement corrélée avec le score « appréciation » des aliments non-santé. L‘aspect santé/non-santé des aliments et les différences individuelles influencent les estimations en calories e t les perceptions alimentaires. D‘autres études sont nécessaires pour évaluer leur impact sur le comportement alimentaire.

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Avant-propos

Les données de l‘article présent dans ce mémoire proviennent du projet de recherche COLLATION, mené à l‘INAF de 2009 à 2011.

Lorsque j‘ai commencé ma maîtrise, en automne 2009, il a rapidement été décidé, après discussion avec ma directrice de maîtrise Véronique Provencher, que mon sujet de maîtrise porterait sur l‘évaluation de la précision des estimations en calories ainsi que l‘évaluation des perceptions alimentaires. Après avoir exploré plusieurs options de bases de données pour ce projet, il a finalement été convenu que j‘utiliserais les données du projet COLLATION qui allait bientôt débuter. J‘ai donc participé activement à plusieurs phases du projet de recherche COLLATION : recrutement des participants, screening téléphonique, gestion des rendez-vous, cuisson des biscuits, rencontre et administration des questionnaires, etc.

Un peu avant la fin du recrutement, je me suis concentrée sur les données provenant du Food Healthfulness Questionnaire pour effectuer des tests statistiques et commencer à écrire mon article. Voilà pourquoi mon échantillon porte sur 234 des 358 participants du projet COLLATION. L‘article présent dans ce mémoire, dont je suis l‘auteure principale, n‘a à ce jour ni été publié ni été soumis pour publication. Les autres auteurs de l‘article sont : Véronique Provencher, professeure au département des sciences des aliments et de nutrition de la Faculté des Sciences de l'Agriculture et de l'Alimentation (FSAA) de l'Université Laval et investigatrice principale du projet COLLATION et Sonia Pomerleau, nutritionniste et professionnelle de recherche chargée de la coordination et supervision du projet en plus d‘effectuer le recrutement et les rencontres avec les participants.

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Remerciements

Ce qui est important, ce n'est pas de finir une œuvre, mais d'entrevoir qu'elle permette un jour de commencer quelque chose. - Joan Miró, peintre et sculpteur catalan

Difficile de croire qu‘au moment où j‘écris ces lignes, ma maîtrise touche à sa fin. Et je suis la première à en être surprise. Ces quatre années de ma vie, de vingt -et-un à vingt-cinq ans furent bien plus que quatre années d‘études. Cette période a marqué mon passage dans l‘âge adulte. Grâce à ma maîtrise, j‘ai apprivoisé et dédramatisé l‘échec. J‘ai appris la persévérance, la patience face aux difficultés : le lâcher-prise. J‘ai apprivoisé ma manière de fonctionner. J‘ai appris à me connaître. J‘ai également découvert ce que je voulais faire de ma vie, ce qui me nourrissait et m‘animait vraiment. Mille fois je me suis découragée : mille et une fois j‘ai écouté la petite voix qui me disait que je pouvais y arriver. La mille et unième fois fut finalement la bonne et j‘en suis très heureuse car je ne regrette pas une seconde cette « épreuve » qui a fait de moi une adulte, je l‘espère, de plus en plus responsable… et heureuse!

Quatre ans de maîtrise : ça fait pas mal de monde à remercier!

Tout d‘abord, je remercie ma directrice Véronique Provencher. Véronique, un é norme merci pour ta patience, tes encouragements et ta grande disponibilité (même parfois pendant tes congés). Même si ces quatre années ont été un peu rock‘n roll pour moi, et malgré mes silences parfois longs, merci de m‘avoir accueilli à chaque fois que j‘en ai eu besoin. Un grand merci également à Simone Lemieux pour avoir pris la relève. Merci de ta présence, de ta disponibilité et de ton énergie qui m‘a contaminée et m‘a redonné un boost de confiance pour terminer à temps.

Merci aussi à toute l‘équipe de l‘INAF : ma « mini-boss » Sonia Pomerleau, Vicky Leblanc, Amélie Charest et d‘autres que j‘oublie. Ça commence à faire un petit moment mais je garde en tête beaucoup de bons moments passés à l‘INAF.

Je voudrais remercier de tout cœur « la famiglia », et surtout mon grand-père Sebastiano et ma grand-mère, Jeannine, que j‘aime profondément et qui

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malheureusement sont loin de moi. Merci pour tout l‘amour que vous me transmettez. Je pense à vous tous les jours. Je remercie aussi ma mère, Yolanda, pour son soutien et son affection inconditionnels. Maman : quelle femme pleine d‘amour, de fougue et de courage tu es. Je sais que tu t‘es inquiétée et j‘espère que tu seras fière de moi. Je remercie mon père, Alain qui m‘a toujours soutenu et comprise, même de loin. Papa, j‘espère aussi que tu es fier de ta fille (même s‘il te faudra bien prendre l‘avion un jour pour venir me visiter)! Je remercie ma sœur Virginie, parce que c‘est précieux d‘avoir une sœur comme ça, fonceuse et sensible. Ma sœur : je t‘aime fort. Je remercie aussi ma grand-mère Marie-Thérèse que j‘embrasse fort. Et une pensée toute spéciale pour mon grand-père André, à qui ne j‘ai pas eu le temps de dire au-revoir.

Ensuite, je tiens à remercier du plus profond de mon être ma chère amie Lisa Nolet (et l‘ordre des remerciements n‘a rien à voir avec la qualité du soutien et le temps d‘écoute, sinon Lisa, je t‘aurais placée en premier)! Si tout le monde avait une Lisa dans sa vie : la planète se porterait bien mieux. Merci pour les heures passées à sui vre cette saga au téléphone ou en personne, dans les moments difficiles comme dans les moments plus légers. J‘intègre peu à peu ton précieux conseil : « Un jour à la fois », qui fut, ma foi, très salvateur. Tu m‘as été, et tu m‘es très précieuse mon amie : je ne sais pas comment te dire merci. Je remercie également mon amie Anne -Marie Michaud, pour son écoute et tous les sessions de travail (ou de jasette) effectuées depuis quatre ans. On a finalement réussi Anne -Marie! Un grand merci aussi à ma chère amie Karine Gravel avec qui j‘ai pu partager curiosité scientifique, bonne humeur et autres confidences. Merci aussi à Marjolaine Mercier, mon amie de (bientôt) longue date avec qui j‘ai pu partager tant mes doutes existentiels que ma curiosité envers la nutrition et les comportements alimentaires. Merci pour ton écoute, ta bonne humeur et les fous rires en personne ou au téléphone!

Je remercie évidemment mon amoureux, Damien. Merci de l‘amour, de la douceur et de la joie que tu me donnes à chaque jour. Tu m‘as aidé à retrouver du courage et de la persévérance. Tu m‘as aussi donné l‘envie pressante de tourner la page pour me consacrer à de nouveaux projets avec toi. Merci la vie de t‘avoir gracieusement posé sur mon chemin. Je t‘aime!

Je remercie aussi mes amis proches qui m‘ont aidé à leur façon, de près ou de loin tout au long de ces quatre années. Merci, pour leur écoute, leur soutien, et les bons

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moments passés pendant ces quatre années : les quatre fantastiques Itzel A. Sosa Sanchez, Martin Gustavo Virginillo et leurs petits anges Camilo et Ximena, Jérôme Nicolas, Marie Hanquez, Anne -Marie Hudon, Julie Ann, Émilie Lacroix, Joannie Savard, Kazunori Kondo, etc. et j‘en oublie bien sûr. J‘ai été absente ces derniers mois mais je vais maintenant avoir l‘occasion de fêter ça avec vous! Un remerciement tout spécial au papa de Julie Ann. M. Ann : merci infiniment pour vos bons mots qui ont su me redonner du courage à un moment où j‘en avais grand besoin. Et un immense merci spécial à mon ami Patrick Bissonnette. Sans tes bons conseils, je ne serais pas là où j‘en suis, au sens littéral du terme. C‘est une caisse entière de champagne que je te dois!

Je remercie ensuite mon équipe de travail au CRIUCPQ. Un gros merci à vous, Ginette Turbide, Anne Leblanc, Murielle Caye r, Dr Dagenais, et tout le reste de l‘équipe. Ginette, un énorme merci à toi : merci d‘avoir cru en moi, même dans les moments durs et de m‘avoir épaulée. Est-ce que je t‘ai dit que j‘étais contente de travailler avec vous?!

Enfin, merci, dans le désordre, à tous ceux qui m‘ont tour à tour intimement touchée, émue, motivée, fait rire, détendue ou inspirée : Alexandre Astier, Thom Yorke avec ou sans Radiohead, Frédéric Chopin, Laurent Ruquier, Madjo, Albert Einstein, Peter Peter, Louis-Jean Cormier, Sarah Vaughan, Albin de la Simone, Alt-J, Ashtanga Yoga Québec, Black Keys, Coluche, Jake Bugg, Xavier Dolan, Benjamin Biolay, Bernard Adamus, Egon Schiele, Charlie Chaplin, Elaine Aron, Anne Dorval et Marc Labrèche, Boris Vian, The National Geographic, Catherine Major, Fiona Apple, Jean-Thomas Jobin, Ella Fitzgerald, Rodney Yee, Frank Einstein, Half Moon Run, André Sauvé, Jean Leloup, Jean Leloup II, Joni Mitchell, le Nektar, Jamie Oliver, Lisa Leblanc, Nicole Bordeleau, Arnaud Tsamère, Patrick Watson, Claude Debussy, Noah Gundersen, Pierre Desproges, Sergei Rachmaninov, Raphaël Enthoven, Daniel Tammet, Jean-Paul Sartre, l‘Arquemuse, Pierre Lapointe, Banksy et bien sûr : Amy Winehouse.

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Table des matières

Résumé ... iii

Avant-propos ... v

Remerciements... vii

Table des matières ...xi

Liste des figures ...xiii

Liste des tableaux... xv

Liste des abréviations ... xvii

Chapitre 1 : Introduction... 1

Chapitre 2 : Problématique ... 5

1.0 Rapport au poids et à la santé auprès des individus et de la société... 5

1.1 Problématiques reliées au poids ... 5

1.2 Importance de la santé ...18

1.3 Évolution de l‘environnement alimentaire et son influence sur le rapport au poids et à la santé...23

1.4 Manger : un acte complexe ...27

2.0 Perceptions alimentaires...28

2.1 Estimation du contenu en calories...28

2.2 Perceptions santé, impact sur le poids et appréciation. ...33

2.3 Biais dans l‘estimation des calories et influence des perceptions alimentaires 39 2.4 Différences individuelles et comportements alimentaires spécifiques ..41

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Chapitre 3 : Perceptions et attitudes face aux aliments « santé » et « non-santé » : Étude

d‘association et impact sur l‘estimation en calories ...53

3.1 Résumé ...54

3.2 Abstract ...55

Key words ...55

3.3 Introduction ...56

3.4 Methods...58

3.4.1 Participants and study design ...58

3.4.2 Measurements ...59

3.4.2.1 Questionnaires ...59

3.4.2.2 Weight, height and BMI ...61

3.5 Statistical Analysis ...61 3.6 Results ...61 3.7 Discussion ...64 3.8 Conclusion...68 3.9 References ...69 Conclusion générale...81

Références des chapitres 1, 2 et 4 ...87

Annexe A : Food Healthfulness Questionnaire ... 105

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Liste des figures

Chapitre 3

Figure 1 : Caloric estimations for both healthy and unhealthy foods (n=234) ...75 Figure 2 : Relative accuracy of caloric estimations of healthy and unhealthy foods in restrained (n=107) and unrestrained eaters (n=127) as determined by the Restraint Scale ...76 Figure 3 : Absolute accuracy of caloric estimations of healthy and unhealthy foods in men (n=101) and women (n=133) ...77 Figure 4 : Perceptions of "healthiness", "impact on weight" and "liking" of unhealthy foods among men (n=101) and women (n=133) ...78 Figure 5 : Perceptions of "healthiness", "impact on weight" and "liking" of healthy foods according to age ...79 Figure 6 : Perceptions of "healthiness", "impact on weight" and "liking" of unhealthy foods according to age ...80

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Liste des tableaux

Chapitre 2

Tableau 1: Lignes directrices canadiennes pour la classification du poids chez les adultes, 2003. Classification du risque pour la santé en fonction de l'indice de masse corporelle (IMC). S'applique aux adultes de 18 ans et plus. ... 6 Tableau 2 : Descriptions et contenu en calories des aliments "santé" et "non-santé" (Carels et al., 2006)...33

Chapitre3

Table 1: Descriptive characteristics of men and women participating in the study (age, weight, height, BMI, RS score and TFEQ subscales) ...72 Table 2 : Estimates of caloric contents of foods ...73 Table 3 : Correlations between eating behaviours and scores of healthiness, impact on weight gain and appreciation ...74

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Liste des abréviations

BMI : Body Mass Index

DEBQ : Dutch Eating Behaviour Questionnaire FHQ: Food Healthfulness Questionnaire

IMC : Indice de Masse Corporelle

OMS : Organisation Mondiale de la Santé RS : Restraint Scale

TCA : Troubles du Comportement Alimentaire TFEQ : Three-Factor Eating Questionnaire VAS : Visual Analog Scales

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Chapitre 1 : Introduction

Le corps : seul compagnon présent de notre naissance jusqu‘à notre mort. Tantôt ennemi, tantôt complice: c‘est grâce à lui que nous pouvons observer les arbres, écouter le bruit de l‘eau, caresser le poil soyeux d‘un chat, humer les vapeurs réconfortantes qui s‘échappent de la casserole de grand-maman, goûter la chair gorgée de soleil d‘une tomate juteuse. C‘est aussi grâce à lui que nous pouvons chanter notre joie, pleurer nos blessures et faire l‘amour. Bien que l‘on puisse survivre aveugle, sourd, sans odorat; si on ne mange pas, on meurt. Le mangeur a, depuis toujours, un rapport privilégié avec son corps ainsi qu‘avec les aliments.

Il était une fois l‘histoire du mangeur, pour qui une activité naturelle et simple, est devenue plutôt compliquée. L‘acte de manger est un besoin, une nécessité : manger est indispensable à la survie. Pendant des milliers d‘années, bon nombre de civilisations, même les plus prospères, ont travaillé dur pour se procurer assez de nourriture pour survivre. Au cours des deux derniers millions d‘années, le corps humain s‘était adapté au rythme de vie des chasseurs cueilleurs qui vivaient dans un environnement offrant des aliments à faible densité énergétique et qui devaient faire face à des périodes de privations voire même de famine. Récemment, l‘alimentation des civilisations occidentales a connu une grande mutation.

Depuis quelques décennies, l‘environnement du mangeur a subi de gros bouleversements, surtout dans les sociétés occidentales. Ces récents bouleversements se sont faits à différents niveaux. Tout d‘abord, d‘un environnement alimentaire monotone et limité, le mangeur a eu accès à une nourriture présente partout, disponible en tout temps, nourriture pré -préparée, congelée, exotique, raffinée ou malbouffe. Ensuite, le rapport du mangeur à son propre corps est devenu encore plus complexe. L‘apparition de la télévision et de l‘Internet, le développement de la publicité et des magazines ont permis de véhiculer, de rendre omniprésente et de valoriser l‘image d‘un corps idéal, beau, mince et jeune. Enfin, l‘augmentation de l‘espérance de vie, les avancées de la médecine et l‘instauration d‘un système de santé publique qui favorise de plus en plus la prévention des maladies ont fait naître chez le mangeur de

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nouvelles préoccupations relatives à sa santé (Lupton, 2003; Sanni Yaya & Massé, 2009).

Si pendant des millénaires il a fallu « manger pour vivre », désormais, il faut vivre pour manger et si possible en restant mince et en santé, et ce, dans un environnement où la nourriture est omniprésente. Pour preuve : les préoccupations à l‘égard du poids corporel ont augmenté dans les dernières années, tout comme les préoccupati ons relatives à la santé (Green et al., 1997; Hesse-Biber, Leavy, Quinn, & Zoino, 2006). L‘environnement d‘abondance, parfois nommé « environnement obésogène » s‘est vite associé un comportement de surconsommation. Les mécanismes de régulation (gastro-intestinaux, sensoriels et cognitifs), responsables du maintien du poids chez l‘être humain, ayant été lentement acquis au cours de l‘évolution pour assurer la survie de l‘espèce n‘ont pas eu le temps de changer ni de s‘adapter à cet environnement abondant. Si le surpoids et l‘obésité ont toujours existé, jamais dans l‘histoire de l‘humanité ce phénomène n‘a connu autant d‘ampleur (B. M. King, 2012). Ce qui n‘a pas pu être fait par la nature en quelques millions d‘années a donc été remplacé par des solutions humaines. Ainsi, pour ceux qui désirent contrôler leur poids, plusieurs méthodes existent : le décompte des calories, les régimes ou encore l‘exercice physique, etc. Or, ces méthodes ne fonctionnent pas toujours comme souhaité. Par exemple la plupart des régimes amaigrissants se soldent par un échec sur le long terme. Au bout de cinq ans, les personnes reprennent presque toujours tout le poids perdu, et parfois même plus (Green, Larkin, & Sullivan, 2009).

Dès les années 80, une équipe de chercheurs commença à s‘interroger sur le comportement de certains mangeurs qui, après avoir consommé une collation supposément « riche en calories » consommaient par la suite davantage de nourriture que les autres mangeurs : les mangeurs restreints (Polivy, Herman, Younger, & Erskine, 1979). Plusieurs équipes de chercheurs commencèrent donc à s‘intéresser aux perceptions qu‘a le mangeur de sa propre alimentation. Les perceptions peuvent être définies comme « les significations, les compréhensions, les points de vue, les attitudes et croyances des professionnels de la santé et de la population, concernant l‘acte de manger, et l‘acte de manger santé et des aliments sains », puisque c‘est un des nombreux déterminants du comportement alimentaire (Paquette, 2005). Quelques « biais de perception » ont été relevés. D‘abord, on remarque que les aliments avaient

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tendance à être catégorisés de façon binaire, en aliments « santé » et en aliments « non-santé ». Cette catégorisation serait influencée par la perception du contenu en gras et la « réputation » de certains aliments (Carels, Harper, & Konrad, 2006; Carels, Konrad, & Harper, 2007; Oakes & Slotterback, 2001a). Estimer les calories de façon précise ne semble pas si facile que ça pour tous les mangeurs : Carels et collaborateurs (Carels et al., 2006) montrent que les mangeurs ont tendance à confondre santé et poids, en sous-estimant le contenu en calories des aliments considérés comme « santé » alors qu‘ils surestimaient celui des aliments considérés comme « non-santé ». Les perceptions pourraient donc jouer un rôle important dans le rapport à l‘alimentation et par ricochet, sur les comportements alimentaires, la gestion du poids, de la santé et le rapport qu‘entretient le mangeur avec son propre corps.

Dans le premier chapitre de ce mémoire, nous traiterons du rapport au poids et à la santé d‘un point de vue individuel mais aussi sociétal. Pour ce faire, nous parlerons des problématiques reliées au poids : surpoids, obésité, mais aussi préoccupations à l‘égard du poids. Pour mieux expliquer ce paradoxe, nous parcourrons les représentations sociales du corps et du poids corporel, en reliant le corps à la notion d‘identité et de contrôle, en passant par l‘aspect moral et les préjugés reliés au surpoids et à l‘obésité. Puis, un bref rappel de la notion de « santé » sera effectué : qu‘est-ce que la « santé », comment est-elle définie, pourquoi s‘est-elle érigée en valeur primordiale dans la dernière décennie et pourquoi est-elle souvent confondue voire imbriquée avec le poids corporel. La dernière partie de ce premier chapitre traitera de l‘évolution de l‘environnement alimentaire et son influence sur le rapport au poids et à la santé. Nous décrirons sommairement ce qu‘est cet environnement « abondant », au niveau de la nourriture mais aussi au niveau de l‘information nutritionnelle omniprésente. Nous évoquerons enfin le sentiment de confusion qui en résulte. Le deuxième chapitre traitera de l‘état actuel des connaissances sur les perceptions du mangeur envers les aliments. Pourquoi et comment mesurer la précision des estimations en calories? Les outils utilisés pour ce faire seront détaillés. Que sont les perceptions, à quoi servent-elles? Nous nous attarderons sur trois perceptions spécifiques : la perception « santé », « impact sur le poids » et « appréciation ». Ces perceptions influencent-elles l‘estimation des calories? Si oui, dans quelle mesure? Le

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sexe, l‘âge, l‘IMC, et certains comportements alimentaires spécifiques peuvent -ils influencer la précision de ces estimations et/ou les perceptions alimentaires? Le troisième chapitre sera consacré à l‘article qui traite de ces précédentes questions. Enfin, dans la conclusion générale nous discuterons des résultats de notre article, et, à la lumière des deux premiers chapitres, nous tenterons de poursuivre la réflexion et évoquerons certaines perspectives futures pour la recherche.

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Chapitre 2 : Problématique

1.0 Rapport au poids et à la santé auprès des individus et de la

société

1.1 Problématiques reliées au poids

1.1.1 Définition du surpoids et de l’obésité et prévalence au Québec et au Canada

Le surpoids et l‘obésité ont toujours existé. Cependant, à travers les âges et les différentes civilisations, il n‘existait ni définition ni méthodes précises pour les mesurer. Au cours des dernières décennies, la tendance s‘est inversée : la prévalence du surpoids et de l‘obésité a augmenté et tient désormais une place importante sur la scène publique (Van Tellingen, 2009). Ce n‘est qu‘en 1997 que l‘obésité fut reconnue comme « maladie ». La définition la plus communément admise décrit le surpoids et l‘obésité comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui peut nuire à la santé (WHO, 2000).

Comment les mesurer? L‘indice de masse corporelle (IMC) est une mesure simple du poids par rapport à la taille couramment utilisée pour estimer le surpoids et l‘obésité chez l‘adulte. Il correspond au poids divisé par le carré de la taille, exprimé en kg/m2. L‘OMS définit le poids insuffisant, le poids normal, le surpoids et les différentes classes d‘obésité comme indiqué au Tableau 1.

Mais le surpoids et l‘obésité ne se limitent pas à des chiffres. Une corpulence générale ou spécifique qui dépasse les critères esthétiques en vigueur, à une époque et dans une société donnée pourra être perçue comme de l‘obésité par la personne. Au-delà des chiffres, il existe une obésité subjective, qui renvoie à un malaise vécu, à l‘insatisfaction face à son propre corps, à la gêne et à la honte que l‘on porte comme un fardeau (Schaefer, Mongeau, Collectif action alternative en obésité, 2000) . Ces problématiques seront abordées par la suite.

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Tableau 1: Lignes directrices canadiennes pour la classification du poids chez les adultes, 2003. Classification du risque pour la santé en fonction de l'indice de masse corporelle (IMC). S'applique aux adultes de 18 ans et plus.

IMC (kg/m2)

Conséquences

Poids insuffisant  18,5 Risque accru de développer des problèmes de santé Poids normal 18,5-24,9 Moindre risque de développer des problèmes de santé Excès de poids 25,0-29,9 Risque accru de développer des problèmes de santé

Obésité

Classe I 30,0-34,9 Risque élevé de développer des problèmes de santé Classe II 35,0-39,9 Risque très élevé de développer des problèmes de santé Classe III  40,0 Risque extrêmement élevé de développer des problèmes de santé

Peut-on vraiment parler d‘épidémie d‘obésité? L‘OMS recense quelques chiffres mondiaux alarmants. À l‘échelle mondiale, le nombre de cas d‘obésité a doublé depuis 1980. Le surpoids concerne désormais 1,4 milliard de personnes de plus de 20 ans. Sur ces 1,4 milliard de personnes, plus de 200 millions d‘hommes et près 300 millions de femmes seraient obèses (estimations de 2008). Le surpoids concerne près de 43 millions d‘enfants de moins de cinq ans (WHO, 2000).

Qui est concerné? La prévalence de l'excès de poids et de l'obésité est légèrement plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Elle augmente aussi avec l'âge, et diminue à mesure que le niveau d'éducation s'élève. Au Canada, les derniers chiffres de 2009 indiquaient que 24,2% des Canadiens étaient obèses (données mesurées) et près du quart des enfants âgés entre 5 et 17 ans étaient en surpoids (International Association for the Study of Obesity, 2012). La proportion d'adultes canadiens présentant un excès de poids ou de l'obésité est plus faible au Québec et en Colombie -Britannique que dans les autres provinces canadiennes, bien que l‘écart semble se réduire ces dernières années. Au Québec, la proportion de personnes obèses était de 22% en 2004 alors que la moyenne de toutes les provinces canadiennes est de 24.3%.

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C‘est l‘obésité morbide qui a progressé le plus rapidement, en triplant au cours des vingt-cinq dernières années. Au Canada, elle atteint presque les 3% en 2004 (Statistique Canada, 2006).

1.1.2 Préoccupation à l’égard du poids corporel

L‘importance accordée au corps et à la gestion du poids corporel est une particularité des sociétés occidentales modernes. Cette préoccupation peut se traduire par un désir de perdre du poids, par une insatisfaction corporelle.

Le désir de maigrir est très répandu en Amérique du Nord. De plus en plus d‘argent est dépensé dans les produits et services destinés à la perte de poids (Weiss, Galuska, Khan, & Serdula, 2006). Selon une enquête canadienne effectuée entre 1986 et 1992, quel que soit l‘IMC, les femmes avaient plus tendance que les hommes à vouloir peser moins ou à tenter de perdre du poids ; près de deux tiers des femmes et un peu moins de la moitié des hommes désiraient perdre du poids. Chez les personnes de poids normal avec un IMC compris entre 20 et 24 kg/m², 32% des femmes et 10% des hommes tentaient de perdre du poids (Green et al., 1997). De plus, dans l‘enquête canadienne de 1990, 37 % des Canadiennes de poids normal tentaient de perdre du poids au moment de l‘enquête (Stephens, Graham, & Canada. Santé et bien-être social Canada, 1993). Au Québec, l‘enquête sociale et de santé de 1998 révèle que chez les 20 à 64 ans, 46,3% de la population totale désirait perdre du poids. Des différences hommes-femmes sont à noter puisque chez les personnes de poids normal, 9,5% des hommes et 47,2% des femmes désiraient perdre du poids. Ce désir augmente avec l‘IMC : 65,4% des hommes et 88,7% des femmes présentant un embonpoint déclaraient vouloir perdre du poids. Chez les femmes de poids insuffisant, 8,9% désiraient en perdre davantage et seulement 15,4% désiraient en prendre (Daveluy, 2001). Des chiffres plus récents seraient nécessaires pour documenter l‘ampleur de l‘augmentation de la préoccupation à l‘égard du poids corporel chez les Québécois. Toujours selon la même enquête, parmi les motifs évoqués pour justifier un désir de perdre du poids : 82,9% des hommes et 67,1% des femmes ont déclaré vouloir en perdre pour des raisons de santé et 78,7% des hommes et 89,4% des femmes ont

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déclaré que c'était pour améliorer leur apparence. Il est important de garder à l‘esprit que les réponses données peuvent être influencées par un biais de désirabilité sociale selon lequel il est plus socialement accepté de dire que l‘on prend soin de sa santé plutôt que de son apparence, mais cet aspect sera traité un peu plus loin (Pomeranz, 2008; Stunkard & Messick, 1985). Spinoza disait d‘ailleurs à propos de phénomènes comme celui-ci : « Nous ne désirons aucune chose parce que nous la trouvons bonne, mais au contraire, nous jugeons qu‘une chose est bonne parce que nous la désirons ». Rappelons que se préoccuper de son poids n‘est pas nécessairement problématique. En effet, le comportement alimentaire ne peut pas se scinder simplement en deux catégories: comportement « normal » et comportement « anormal », mais peut se placer sur un continuum, un éventail de comportements alimentaires différents (Tylka & Subich, 1999). Dans le pire des cas, ces préoccupations peuvent devenir très inquiétantes. À titre d‘exemple, en 1993, 13,9% des adolescentes québécoises âgées de 11 à 20 ans présentaient des attitudes et comportements alimentaires associés aux troubles du comportement alimentaire (TCA) comme l‘anorexie ou la boulimie (Bolduc, 1993). Sur le continuum du comportement alimentaire, entre les personnes souffrant de TCA et les personnes qui ne sont pas ou peu préoccupées par leur poids, il existe une zone « grise » de personnes préoccupées par leur poids de façon excessive dont les symptômes ne répondent pas entièrement aux critères des TCA. Les personnes excessivement préoccupées par leur poids représenteraient environ 20% de la population (Rand, 1991).

L‘obésité, le surpoids, tout comme les TCA sont généralement considérés comme des problèmes distincts. Or, tous seraient reliés à une e xpérience négative du corps. Cette expérience négative est parfois considérée comme l‘antécédent commun d‘à la fois l‘obésité et les désordres alimentaires (Riva, 2011). Si une expérience trop négative du corps peut parfois mener à vouloir contrôler le poids, préoccuper l‘esprit et maltraiter le corps, on peut alors se demander quel genre d‘écran historique, social et symbolique nous permet d‘appréhender notre corps et de le « vivre ».

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1.1.3 Représentations sociales du corps et du poids corporel

1.1.3.1

Corps, identité

1.1.3.1.1 Corps. Enveloppe? Machine? Soi? Objet? Ou projet?

Impossible d‘échapper à notre corps : chacun d‘entre nous entretient une relation particulière avec son corps. Cette relation est en partie innée, mais aussi et surtout acquise, sociale et politique. D‘ailleurs, la perception qu‘a le mangeur de son propre corps, influence son identité et son rapport à lui-même (Polivy & Herman, 2007; Synnott, 1993). La relation au corps a beaucoup évolué au fil du temps.

Depuis longtemps, le corps fascine. Selon les époques, on lui a prêté différentes fonctions, en voici quelques exemples. Dans l‘Antiquité, chez les Grecs, on le considérait comme une enveloppe. Platon le nommait : « tombe de l‘esprit ». Chez les catholiques, il était perçu comme un intermédiaire spirituel. Saint Paul va même jusqu‘à l‘appeler « temple du St-Esprit ». Au seizième siècle, Descartes parle du corps comme d‘un objet mécanique, d‘un corps machine. Plus récemment: le corps fut considéré comme véritable vecteur de l‘identité. Jean-Paul Sartre parle du corps comme représentant du «Soi » (Sartre, 1943; Synnott, 1993). Le corps a souvent été considéré comme antagoniste à l‘esprit. David Lebreton, anthropologue et sociologue français va même plus loin, opposant l‘homme dans son entièreté à son propre corps: « Le dualisme contemporain n‘oppose pas le corps à l‘esprit ou à l‘âme, mais l‘homme à son corps. ».

L‘évolution du rapport au corps est un peu à l‘image de l‘évolution du rapport entre l‘homme et la nature. Le corps, tout comme la nature est deve nu un des terrains de l‘intervention humaine. Depuis des millénaires, son apparence a été modifiée par exemple, par des cosmétiques, des vêtements, des bijoux, des tatouages, des piercings. Plus récemment, la naissance de la chirurgie plastique, et la multiplication des régimes amaigrissants, etc. permettent non seulement de magnifier le corps mais de le modifier de façon directe. Le corps n‘est plus seulement un objet soumis au contrôle humain, mais devient un ―projet‖ central dans la construction de l‘identité de l‘individu (Barker & Barker, 2002; Giddens, 1991). Welch et al. (2009) vont plus loin en comparant le corps à une carte de visite personnelle, une vitrine de nous-mêmes. L‘environnement (par exemple les pairs, la télévision, la publicité) encouragent et valorisent la

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construction de l‘identité autour du corps en imposant des modèles de corps parfaits. L‘individu devient en quelque sorte responsable de cette vitrine qu‘il donne à voir aux autres (Budgeon, 2003).

1.1.3.1.2 Le corps des femmes

On ne naît pas femme, on le devient.

- Simone de Beauvoir, philosophe écrivain française

Le devoir d’une femme est de se faire toujours la plus belle possible.

- Jules Renard, écrivain français

Une femme se regarde en moyenne 38 fois par jour dans le miroir (Hildebrandt, et al., 2012). Les préoccupations reliées au corps et à l‘apparence affectent fortement les femmes, et toujours de façon plus importante que les hommes (Fikkan & Rothblum, 2012; Katzman, 1999). Pourquoi?

Au cours de l‘histoire, le corps de la femme fut considéré comme objet de désir, de convoitise, de domination ou de peur. Naturellement associé à la féminité, il fut étroitement lié à la fertilité et à la fonction de reproduction, et par ricochet, à la séduction. Ce phénomène au départ très biologique et naturel s‘est au fil du temps chargé de symboles et de significations qui permettent de mieux comprendre pourquoi les femmes d‘aujourd‘hui ont un rapport tout particulier avec leur corps (Synnott, 1993; Vigarello, Corbin, & Courtine, 2005).

Pour illustrer ce rapport particulier au corps, remontons aux mythes de la Création, fondateurs de nos civilisations, qui définissent les hommes et les femmes comme des sexes opposés et inégaux. Chez les judéo-chrétiens, Ève est responsable de la « chute » de l‘humanité pour avoir incité Adam à céder à la tentation de la gourmandise. Chez les gréco-romains, Pandora, la déesse créée pour « ruiner » le genre humain, libère d‘une malle toutes les souffrances, blessures et démons sur Terre. Dans les deux cas la femme pousse l‘humanité à sa perte. Certains écrits de personnages historiques, hommes d‘église ou philosophes comme Aristote, Benda, Thomas d'Aquin, Bossuet et

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Michelet dépeignent la femme comme un « homme déficient », un « être inférieur », voire même le « complément de l‘homme » du fait de la différence morphologique entre les sexes. Paradoxalement, sa beauté et le pouvoir de fascination qu‘elle exerce sur les hommes la rend dangereuse. Le corps de la femme, objet de désir, s‘est souvent conformé aux normes de séduction d‘une époque donnée (Beauvoir, 1949; Budgeon, 2003; Katzman, 1999).

Aujourd‘hui, le corps idéal de la femme s‘éloigne de ses courbes pulpeuses, symboles de fertilité, qui sont remplacées par des proportions mathématiquement calculées. Une équipe de chercheurs s‘est intéressée à analyser quelques peintures et sculptures de Vénus. De Tiziano à Rubens, les IMC de ces Vénus oscillaient entre 27 et 30 : ce qui serait actuellement considéré comme du surpoids ou de l‘obésité (Bonafini & Pozzilli, 2011). « Embonpoint modéré, chair solide, ferme et blanche, visage gracieux, charnu, fesses rondes et cuisses enflées » font d‘ailleurs partie des critères de beauté d‘une femme selon Rubens (Vigarello et al., 2005). Les années 70 marquèrent un grand changement dans le modèle du corps idéal : celui de la disparition progressive des courbes. Selon certaines théories, ceci concorderait avec l‘arrivée de la pilule contraceptive ainsi que l‘autorisation de l‘interruption volontaire de grossesse et l‘émergence des mouvements féministes. N‘étant plus contraintes à être mères, les femmes expérimentaient un tout nouveau contrôle de leur corps. Les nouveaux modèles de beauté devinrent plus androgynes, moins féminins, moins voluptueux. De plus, avec le développement de l‘industrie de la pornographie et l‘hyper sexualisation des corps, un autre standard féminin émergea, présentant une femme mince à la poitrine généreuse et aux fesses bombées (Beauvoir, 1949; Sarwer, Grossbart, & Didie, 2003; Van Vonderen & Kinnally, 2012). Byrd-bredbenner, Murray, and Schlussel (2005) se sont penchés sur l‘évolution des standards féminins actuels aux États-Unis en comparant les formats corporels des Miss Americas, des mannequins, des

Playmates, modèles en couverture du magazine Playboy, des années 20 aux années 90

(des années 50 aux années 90 pour les Playmates). Pendant que l‘IMC des jeunes américaines augmentait de 21 à 24,3 kg/m², les icônes de beauté gagnaient des centimètres tout en perdant quelques kilos. Leurs IMC diminuèrent significativement durant cette période: de 21 à 19,2 kg/m² pour les Miss Americas, de 19,0 à 17,8 kg/m² pour les mannequins et de 19,4 à 18,6 kg/m² pour les Playmates. Les auteurs soulignent que 26 % des Miss Americas, 39% des Playmates et 66% des mannequins

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ont actuellement un IMC inférieur à 18,5 kg/m², ce qui correspond à un poids corporel insuffisant selon les lignes directrices canadiennes et américaines (Santé Canada, 2003; WHO, 2000). Une étude plus récente indique que l‘IMC moyen des Miss

Americas des années 2000 aurait encore diminué, jusqu‘à atteindre 16,9 kg/m² (J. B.

Martin, 2010). De plus, alors que le tour de taille et de hanches des jeunes américaines augmentaient, le tour de taille des icônes de beauté tendait à diminuer et leur tour de poitrine, tendait, lui, à augmenter. Ces changements de standards de beauté sont véhiculés par les médias. L‘étude menée aux Îles Fidji est très symbolique. Avant l‘arrivée de la télévision aux alentours de 1995, les Fidjiens étaient connus pour encourager et valoriser un fort appétit et toute forme de régime alimentaire était traditionnellement déconseillée. L‘arrivée de la télévision et des séries télévisées américaines dans les foyers, porteuse de modèles de beauté occidentaux sveltes, fit augmenter de façon significative les indicateurs de TCA chez les adolescentes (Becker et al., 2002). Nous verrons un peu plus loin dans ce chapitre, l‘impact qu‘a eu l‘évolution des standards féminins sur les femmes.

1.1.3.1.3 Le corps des hommes

En moyenne, un homme se regarde 18 fois par jour dans le miroir, soit presque la moitié moins qu‘une femme (Hildebrandt et al., 2012). D‘autres sources tendent à montrer que dans les dernières décennies, l‘insatisfaction corporelle et ses conséquences physiques et psychologiques, sont présentes tant chez les hommes que chez les femmes et parfois aussi dommageables mais s‘expriment différemment (Goins, Markey, & Gillen, 2012; Tager, Good, & Morrison, 2006). Pourquoi?

Nous avons évoqué, au paragraphe précédent, que le corps des femmes avait souvent été comparé au corps des hommes, et considéré, entre autres à cause des différences morphologiques, comme le complément de celui de l‘homme. À l‘époque des chasseurs-cueilleurs, le corps masculin servait surtout d‘instrument. Un homme fort et vigoureux était donc plus susceptible de rapporter de la nourriture et de défendre sa famille et ses pairs. Par la suite, la beauté masculine s‘est souvent définie en termes de force et de vigueur, elle a, elle aussi, évolué avec les dynamiques sociales et les ruptures culturelles (Vigarello et al., 2005). À titre d‘exemple, les Grecs accordaient beaucoup

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d‘importance au corps et à l‘exercice physique et valorisaient les corps musclés et découpés des athlètes. À l‘inverse, au Moyen-Âge, en Europe, avoir une peau bronzée et des muscles découpés était caractéristique d‘un travail manuel extérieur et traduisait des activités paysannes et donc un statut social inférieur, alors que l‘embonpoint et la pâleur de la peau était signe de richesse (Synnott, 1993; Vigarello et al., 2005).

L‘identité masculine s‘est construite différemment de l‘identité féminine. Outre le corps, cette identité a longtemps reposé sur le statut social (Synnott, 1993; Vigarello et al., 2005). Depuis quelques années, les hommes sont exposés à des modèles « d‘homme idéal » inatteignables, au corps pas nécessairement plus svelte mais beaucoup plus musclé. Même si en général, les hommes semblent moins insatisfaits de leur poids corporel que les femmes, le culte du corps se fait de plus en plus présent. Parfois, cela pose des problèmes d‘image corporelle, ce qu‘on nomme le « Complexe d‘Adonis », en référence à la mythologie grecque qui décrit Adonis comme moitié homme et moitié dieu. Adonis était considéré comme le summum de la beauté masculine (Pope, Olivardia, & Phillips, 2001; Wasylkiw et al., 2010). Certains auteurs émettent l‘hypothèse que ce récent changement de standard corporel masculin serait lié, en Amérique du Nord à l‘évolution du statut de la femme dans la société. Si les femmes peuvent maintenant rivaliser avec les hommes pour le pouvoir et les ressources, elles ne peuvent jamais être en mesure de les égaler au niveau de la masse musculaire.

Des images de parties anatomiques fragmentées (par exemple fesses, pectoraux, abdominaux) où l‘homme est souvent nu se sont multipliées dans les médias au cours des quarante dernières années (Thompson, 2000). Si les médias mettent autant l‘accent sur cette masse musculaire, c‘est précisément car elle est un moyen de les distinguer des femmes, et représente le symbole de la virilité, de la force, de la domination et en quelque sorte un des derniers remparts de la virilité (Handelsman, 2001; Mussap, 2008; Pope et al., 2001).

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1.1.3.2

Contrôle, quête de perfection et poids corporel

I don’t care if it hurts, I wanna have control/ I want a perfect body, want a perfect soul.

- Radiohead, album Pablo Honey (1992) Les standards de beauté ont évolué au cours des dernières décennies et hommes et femmes sont soumis en permanence à des images de corps « parfaits », à la télévision, dans les journaux, sur des affiches d‘arrêt d‘autobus, etc. Pour certains, cette perfection deviendra un « projet », plus ou moins important et à plus ou moins long terme (Giddens, 1991). Comment cette quête de perfection se traduit-elle chez les hommes et les femmes? Qui sont les personnes les plus susceptibles d‘être affecté es par ces nouvelles normes de beauté? Quelles stratégies de contrôle sont utilisées? Chez les femmes, le fait de vouloir contrôler son corps est ancré et accepté dans la société depuis très longtemps. L‘exposition à des corps parfaits engendre parfois une insatisfaction corporelle, elle-même directement reliée à la confiance en soi, et au sentiment d‘efficacité personnelle. Certains auteurs avancent même que cet inconfort produit par le désir d‘avoir un corps parfait est rarement remis en question, voire justifié et normalisé comme étant le fardeau qui incombe à chaque femme. D‘autant plus que les femmes auraient tendance à normaliser une relation pathologique avec leur corps (Budgeon, 2003; Katzman, 1999; Saguy, 2012). Chez les hommes, c‘est un peu différent. L‘impact des standards de beauté est moins documenté et plus récent. L‘exposition à des images de corps parfaits semble moins liée à l‘insatisfaction corporelle et à l‘estime de soi que pour les femmes (Wasylkiw et al., 2010).

Pourquoi certains tombent dans une quête du corps parfait et d‘autres non? La pression sociale relative à l‘apparence et à l‘image corporelle ne nous affecte pas tous de façon égale. Les personnes ayant internalisé les standards sociaux de séduction (internalization of societal standards of attractiveness) seront plus sensibles à la pression sociale, plus susceptibles à développer une image négative du corps, une insatisfaction corporelle et plus enclins à développer des troubles du comportement alimentaire (Cafri et al., 2005; Keery, Van den Berg, & Thompson, 2004; Shroff & Thompson, 2004). Vartanian and Hopkinson (2010) précisent que les personnes qui s‘identifient aux autres et les imitent et mettent leur propres besoins de côtés de

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manière à éviter les interactions négatives (conformity) sont plus à risque d‘internaliser les standards sociaux de séduction. Au contraire, il existe des facteurs « protecteurs » : développer une identité propre, développer des liens forts avec son réseau social ( social

connectedness) (Budgeon, 2003; Vartanian & Hopkinson, 2010). Chez les hommes,

l‘internalisation des standards de séduction dépendra aussi de la relation entretenue avec l‘image d‘une masculinité musculaire qui évoque le pouvoir, le contrôle, la force, la domination (Tager et al., 2006). Chez les femmes, l‘image de la femme idéale ne correspond pas tout à fait aux préférences réelles des hommes, qui préfèrent un peu plus de courbes (Fallon & Rozin, 1985).

Quelles sont les stratégies de contrôle du corps proposées pour atteindre ces images de corps idéal? Quelques chercheurs ont analysé les méthodes proposées dans les médias (journaux, publicité, émissions télévisées, affiches, etc.), ces mêmes médias qui véhiculent des images de corps parfaits. Les méthodes proposées étaient diverses et variées et traitaient : de la perte de poids (diètes, calories, exercices pour perdre du poids, etc.), de beauté (cheveux, maquillage, crèmes anti-âge, botox, bronzage, liposuccion, implants mammaires, pectoraux, etc.) et aussi de fitness (body-building, shakes protéinés, exercices pour sculpter le corps, etc.) (Moeran, 2008; Nemeroff et al., 1994). Les méthodes concernant la perte de poids se trouvent davantage dans les médias destinés aux femmes et celles concernant le fitness, dans ceux destinés aux hommes (Andersen & Didomenico, 1992).

1.1.3.3

Morale et préjugés

1.1.3.3.1 Préjugés et poids corporel

Dans la maigreur, je me précise, alors j’évite les friandises.

- Peter Peter, album Une Version Améliorée de la Tristesse (2012) L‘être humain a, semble-t-il, une façon inhérente, une préoccupation pour la séduction. En effet, à l‘intérieur d‘une même culture et entre les cultures, l‘être humain semble traiter ses semblables au physique avantageux avec un préjugé favorable, et ce, dès l‘enfance. Les enfants « beaux » bénéficient d‘un jugement plus positif de la communauté, à la fois de ses camarades mais aussi des adultes, et même

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de son entourage. Ce retour positif influence donc le développement de l‘individu be au, mais aussi ses interactions (Baugh & Parry, 1991; Langlois et al., 2000). Certains critères de beauté sont intemporels et d‘autres dépendent beaucoup des standards de beauté en vigueur dont nous avons parlé précédemment. Pas de chance, le tissu adipeux n‘a pas le vent en poupe ces dernières années et les personnes en surpoids ou obèses sont perçues comme peu attirantes (Sarwer et al., 2003). En effet, en l‘absence de famines et au sein d‘un environnement alimentaire plus qu‘abondant, le poids corporel n‘est, en revanche, plus garant de survie et est moins bien perçu, voire jugé (Furnham & Baguma, 1994).

L‘augmentation du taux d‘obésité dans les dernières années, ne semble pas avoir modéré la puissance de la discrimination envers les personnes obèses, au contraire (Crandall, 1994). Pomeranz (2008) compare la discrimination envers les personnes obèses à celle présente il y a quelques siècles envers les Afro-Américains. Dans une étude réalisée chez des jeunes de 7 à 12 ans, 30% des filles et 25% des garçons, âgés entre 7 et 12 ans avaient déjà eu des remarques concernant leur poids à l‘école. Cette tendance se maintenait aussi à la maison puisque 29% des filles et 16% des garçons avaient également eu des remarques concernant leur poids provenant d‘un membre de la famille (Eisenberg et al., 2006). Une autre étude menée sur les parents cette fois, révèle qu‘un parent sur dix aurait recours à l‘avortement s‘ils savaient que cet enfant possédait une tendance génétique à être en surpoids (Fraser, 1997). En amour, la discrimination se poursuit à l‘adolescence. Par exemple, si les adolescentes en surpoids peuvent être choisies comme partenaire « sexuelles », le surpoids est un frein à être choisie comme partenaire officielle, comme « blonde » (Cawley, Joyner, & Sobal, 2006). À l‘âge adulte, et même si leur excédent de poids n‘affecte aucunement leur performance, les personnes obèses ont moins tendance à être embauchées et ce, même à qualifications égales (Puhl & Heuer, 2010; Roe & Eickwort, 1976). Une fois embauchées, elles sont moins susceptibles de recevoir une promotion ou une augmentation de salaire (Puhl & Heuer, 2010; Rothblum et al., 1990). Elles ont également moins tendance à poursuivre leurs études (Canning & Mayer, 1967; Glass, Haas, & Reither, 2010), entre autres parce que leurs parents sont moins portés à payer pour leurs dépenses (Crandall, 1995). L‘obésité est également associée à un statut économique plus faible à l‘âge adulte (Sobal & Stunkard, 1989).

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La discrimination envers les personnes obèses est omniprésente dans notre société. Une personne stigmatisée est une personne : « dont l‘identité sociale ou l‘appartenance à une catégorie sociale, remet en question l‘intégrité de son humanité – la personne est dévaluée, dépréciée, défectueuse aux yeux des autres » (Pinel, 1999). Pourquoi? Car être « gros » est associé à une panoplie de caractéristiques négatives. Tout d‘abord, au niveau physique, les personnes en surpoids ou obèses sont perçues comme peu attirantes (Harris, Harris, & Bochner, 1982) et esthétiquement déplaisantes (Wooley, Wooley, & Dyrenforth, 1979; Wooley & Wooley, 1979). On leur prête également des caractéristiques personnelles négatives: les personnes obèses seraient moralement et émotionnellement déficientes, et seraient considérées comme plutôt antipathiques, auraient une sexualité aliénée et seraient forcément mal à l‘aise avec eux-mêmes (Goodman et al., 1963; Keys, 1955; Maddox, Back, & Liederman, 1968; Millman, 1980; Rodin, Silberstein, & Striegel-Moore, 1984).

1.1.3.3.2 Poids de la morale

Certains auteurs soulignent que la force et la nature de ces préjugés, qui représentent une forme de « racisme symbolique » et se traduisent par des attitudes « anti -gras » (anti-fat attitudes), proviennent d‘une certaine vision du monde (Carels et al., 2011; Carels et al., 2009; Crandall, 1994). Si une personne entretient la croyance que l‘obésité dépend largement de la force du contrôle que la personne obèse exerce sur elle-même et son propre corps, elle aura plus tendance à avoir des attitudes plus négatives envers les personnes obèses qu‘une autre personne qui pense que l‘obésité n‘est pas le résultat direct du contrôle. Plus précisément, on retrouve dans les études la notion de « contrôle », mais aussi de « blâme », de « faute » (Crandall, 1994). Deux autres croyances idéologiques peuvent expliquer ce « racisme ». La première est la croyance selon laquelle les individus « méritent ce qui leur arrive dans la vie », associée à la croyance d‘un monde « juste ». La seconde stipule que « le travail assidu et la détermination mène nécessairement au succès », croyance du mérite par la force du travail, assimilée à l‘éthique protestante. Les personnes entretenant ces croyances percevaient l‘obésité de façon plus négative. Si l‘on croit profondément que nous méritons ce qui nous arrive, et qu‘avec le travail, on parvient au succès, on comprend

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alors que selon cette idéologie, les personnes obèses « méritent » leur sort, ou bien qu‘ils ne travaillent assez fort pour s‘extraire de leur condition. Ce qui résulte en un rejet social des personnes obèses (Carels et al., 2011). On observe le même genre de phénomènes avec les croyances plus républicaines que démocrates qui peuvent mener à un racisme plus fort (Pomeranz, 2008). Les personnes obèses sont responsables du fait d‘être « gros », tout comme les pauvres sont responsables de leur position sociale, de leur revenu et de leurs biens matériels. L‘auteur souligne par ailleurs que ces croyances sont propres à l‘Amérique du Nord, et constate que ces croyances sont moins répandues dans d‘autres cultures et pays comme le Brésil, le Chili, le Mexique, etc. (Crandall, 1994). Ces croyances persistent, en dépit de preuves scientifiques qui suggèrent qu‘une grande partie des variations du poids corporel est biologiquement déterminée et, dans une perspective plus holistique, que l‘obésité résulte aussi d‘un génome humain qui n‘a, en quelques décennies, pas encore eu le temps de s‘adapter au changement drastique et rapide de l‘environnement alimentaire (King, 2012; Xia & Grant, 2013).

On assiste alors à une association morale entre la minceur, signe d‘un « caractère ferme et déterminé », tandis que le surpoids incarne la gloutonnerie, la paresse et la stupidité (Ebneter, Latner, & O‘Brien, 2011; Katzman, 1999; Latner, Stunkard, & Wilson, 2005; Saguy & Gruys, 2010)

1.2

Importance de la santé

1.2.1 Définition et institutionnalisation de la santé

Diderot décrivait la santé comme le « silence des organes » (Sanni Yaya & Massé, 2009). Puis, elle fut dépeinte comme une absence de maladie (1970). Dès 1946, l‘OMS la définit en tenant compte d‘autres dimensions : c‘est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d‘infirmité. Cette définition est d‘ailleurs toujours en vigueur depuis (Larson, 1996). Pour comprendre la place importante qu‘occupe la santé dans nos sociétés, au Canada et dans d‘autres pays industrialisés, il faut retourner, selon Foucault, à la fin du XVIIe

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siècle. Pour la première fois, la santé quitte la sphère privée et devient une affaire d‘État. L‘État commence à s‘intéresser à la santé de sa population. Ces changements surviennent dans un contexte de transformation sociale, du fait de l‘expansion du phénomène d‘industrialisation. Le Canada dans son ensemble et le Québec en particulier sont devenus des sociétés industrielles. À ce contexte d‘industrialisation s‘ajoutent les progrès techniques de la médecine, qui se spécialise toujours plus. Selon Foucault, ce contexte d‘industrialisation était primordial : il était essentiel pour l‘État que sa population soit en santé pour garantir une main en d‘œuvre, en santé et par conséquent plus productive et travaillante. C‘est à cette époque que l‘État commença à être attentif à tout ce qui pouvait affecter la capacité de travail des individus, tels que les handicaps, les accidents, les maladies, en prenant parallèlement des mesures pour optimiser cette capacité de travail et garantir sa main d‘œuvre en gardant, par exemple un œil sur le contrôle des naissances à l‘aide de politiques natalistes. Apparaissent alors dans les sociétés occidentales des caisses de secours, des régimes d‘assurance maladie, des politiques d‘urbanisme, et autres interventions qui visent à assurer la santé et le bien-être physique de la population en général (Foucault, 1997). Au Québec, les notables, qui étaient au début du siècle à peu près les seuls à énoncer la polit ique sanitaire, voient leur vision d‘un système de santé contestée par le mouvement ouvrier, quelques personnages influents de gauche et un parti politique social -démocrate, le Parti Social Démocratique du Canada (PSDC) (Desrosiers, 2002). C‘est après la seconde guerre mondiale que s‘accentue la nécessité d‘établir un système de santé capable d‘offrir des soins à l‘ensemble de la population. La promulgation en 1961 de la Loi de l‘assurance hospitalisation posa le premier jalon d‘une série de réformes qui allaient aboutir une dizaine d‘années plus tard à l‘étatisation à peu près complète du régime d‘assurance maladie (Rousseau, 2004). Les définitions que nous avons de la santé, de la maladie et donc des préoccupations re latives à elles ne datent que de quelques décennies (Moynihan, 2011).

1.2.2 Préoccupations relatives à la santé et représentations sociales de la santé.

Dans ce contexte de gestion de la santé des populations par les institutions, la médecine se tailla rapidement une place de choix et élargit son champ d‘intervention au-delà du malade et de la maladie. Au début du 20e siècle, les maladies infectieuses

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dominaient complètement la scène et constituaient la première cause de décès au Québec. Mais, dès les années trente, les maladies cardiovasculaires ai nsi que les cancers augmentèrent au point de faire partie des principales causes de mortalité et ce, dès les années quarante (Desrosiers, 2002). Ce virage épidémiologique concorde d‘ailleurs avec l‘évolution des définitions du concept de « santé » évoqués précédemment puisqu‘on ne vise plus seulement l‘absence de maladie mais un bien-être global. On cherche désormais à prévenir le risque de maladie (Larson, 1996). Dans ce contexte de gestion de la santé des populations par les institutions, la médecine se taille rapidement une place de choix, dépasse son champ d‘intervention au-delà du malade et de la maladie et laisse une grande place à la prévention en matière de santé. C‘est en tant qu‘autorité sociale que la médecine hisse la santé au cœur des décisions de sociétés, relatives, par exemple à l‘urbanisme, la sexualité, ou l‘alimentation. Ce phénomène est appelé médicalisation : « Ce n‘est plus l‘individu mais la vie qui est le vrai sujet de la médecine (…) la médicalisation, c‘est précisément la généralisation du risque médical dans les domaines non médicaux (…) » (Foucault, 1997). Sanni Yaya and Massé (2009) décrivent cette médicalisation comme productrice de normes aux niveaux individuels et collectifs, au service d‘un idéal de la santé imposé et vont même jusqu‘à dépeindre nos sociétés modernes comme « d‘immenses machines à guérir ». Quelle image avons-nous de la santé? Le nombre de décès causés par l‘obésité, les maladies cardiovasculaires et les cancers augmenta de façon si importante dans la deuxième moitié du XXe siècle que rapidement, on montra du doigt les facteurs de risque de ces maladies. Outre les mises en garde contre les méfaits du tabac (WHO, 2004) ou le dépistage de l‘hypertension (Campbell, 2007), l‘obésité et le surpoids furent vite montrés du doigt comme facteurs de risque significatifs de mortalité et de diverses co-morbidités au même titre que les maladies cardiovasculaires ou le diabète (Keys, 1955). L‘Enquête québécoise sur la santé de la population indique qu‘environ 10% des Québécois ne se considèrent pas en bonne santé, 78% en bonne voire très bonne santé et 21% la qualifient d‘excellente. Les femmes ainsi que les personnes de plus de 65 ans ont tendance à avoir une perception plus négative de leur santé. Le fait d‘être célibataire, d‘avoir un faible revenu, ou de ne pas avoir d‘emploi, d‘avoir un faible niveau de scolarité teinte négativement la perception de qualité de la santé (Berthelot et al., 2010). Les représentations sociales de la santé sont complexes et impliquent

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d‘autres paramètres que l‘état de santé global. Quelle image vient à l‘esprit lorsqu‘on parle de santé? Souvent, l‘image véhiculée sera surtout celle d‘une femme mince, musclée, jeune, blanche, riche et dynamique. En effet, les individus blancs, surtout les femmes, ont tendance à être plus minces que les personnes plus pauvres et de couleur (Gollust, Eboh, & Barry, 2012; Sobal & Stunkard, 1989). Pourquoi? Parce qu‘avoir un corps mince, musclé et en santé coûte plus cher dans les sociétés où les fruits et légumes frais sont plus chers que la malbouffe et où l‘activité physique implique avoir du temps pour les loisirs (Saguy & Riley, 2005).

1.2.3 Liens implicites entre santé et poids

Il existe un lien implicite fort entre santé et minceur. Les preuves scientifiques louant les bénéfices de la perte de poids ou de la réduction de l‘apport énergétique sur la santé fleurissant, l‘image véhiculée d‘une personne en santé s‘amalgama progressivement avec les standards de beauté en vigueur (Pinel, 1999; Polivy & Herman, 2006). Aussi, le désir d‘être en santé est souvent mentionné pour justifier le désir de minceur. À titre d‘exemple, une étude menée en 2004 montre que presque deux tiers des programmes de perte de poids observés invoquaient des raisons de santé comme motif premier (Reas, Masheb, & Grilo, 2004).

1.2.4 Morale et « santéisme »

Fitter happier/ Not drinking too much, regular exercise at the gym - three days a week- /Eating well – no more microwaves and saturated fats - /Less chance of illness /Calm, fitter, healthier and more productive/A pig in a cage on antibiotics

- Radiohead, album OK Computer (1997) Même si la pensée que le surpoids et l‘obésité font partie de la diversité corporelle et découlent d‘une évolution normale et inévitable de l‘être humain existe, cette pensée et ses détracteurs sont loin de faire l‘unanimité. Le courant de pensée le plus r épandu dans ce domaine, considère la prise de poids comme un comportement à risque, au même titre que le fait de fumer, au lieu de le concevoir de façon plus complexe comme le résultat de l‘adoption de certains comportements. Penser la prise de poids comme un comportement implique que le poids corporel est du ressort du contrôle personnel :

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l‘individu a la responsabilité morale et médicale de gérer son propre poids corporel (Saguy & Riley, 2005). Une recension des articles traitant des TCA et de l‘obésité parus dans deux grands journaux américains entre 1995 et 2005 indique que les articles qui traitent de l‘obésité, contrairement aux articles qui traitent des TCA ne parlent jamais de l‘aspect médical de l‘obésité seul mais évoquent toujours des traitements comportementaux. Ceci met l‘accent sur l‘idée selon laquelle l‘obésité et le surpoids ne sont pas considérés, au même titre que les TCA, comme des maladies, mais comme un manque de volonté, un comportement inadéquat (Saguy & Gruys, 2010).

Nous avons vu, précédemment, que les personnes obèses étaient victimes de discrimination et de jugements moraux. Les gouvernements des pays industrialisés les organismes de santé publique, etc. dans un souci de prévention des maladies ont joué un rôle dans cette stigmatisation en mettant l‘accent sur l‘éducation comme réponse à cette crise de santé (Sanni Yaya & Massé, 2009). L‘éducation en santé, relative aux saines habitudes alimentaires, à l‘exercice physique, etc. invite la population à agir par elle-même, à prendre soin de sa santé de manière autonome. Là où le bât blesse, c‘est que pour agir par soi-même il faut disposer des ressources nécessaires pour réussir l'action envisagée. Sinon la prescription d'autonomie n'est rien d'autre qu'une injonction qui confine à l'impuissance. Le fait d'enjoindre un individu à devenir plus autonome, sans s'assurer qu'il dispose des ressources pour y parvenir est une forme sophistiquée « d'aliénation », c‘est-à-dire que l‘individu est en quelque sorte tenu pour responsable de son sort tout en étant dépossédé de son pouvoir d‘autonomie (Le Bossé et al., 2010). Or, même si les ressources pour y parvenir ne sont pas disponibles de façon égale pour tous : les disparités économiques et sociales sont rarement montrées du doigt (Pomeranz, 2008) et l‘importance de l‘impact de l‘environnement alimentaire sur ces comportements, souvent sous-estimée.

(41)

1.3

Évolution de l‘environnement alimentaire et son influence sur le rapport

au poids et à la santé

1.3.1 Abondance de nourriture

Les chiffres de la F.A.O. révèlent qu‘entre 2006 et 2008, 13% de la population mondiale, souffrait de sous-alimentation, et ce chiffre monte jusqu‘à un tiers de la population dans les pays en voie de développement. Selon ce même rapport, moins de 5% de la population canadienne souffrait de sous-alimentation. Même si la nourriture n‘est pas accessible à tous et que l‘insécurité alimentaire demeure un grave problème, l‘environnement alimentaire est abondant. Aux États-Unis par exemple, le nombre de calories disponibles par jour et par habitant a augmenté de 25% en passant de 3100 kcal dans les années 50 à 3900 en 2006 (USDA, 2012). Ce qui est bien au-dessus des besoins énergétiques moyens d‘une personne normalement active.

Le mangeur a progressivement modelé ses pratiques à son nouveau mode de vie. L‘acte alimentaire s‘est progressivement transformé : d‘une série complexe d‘activités sociales ritualisées faisant appel à la famille, au savoir culinaire et à la communauté, il est devenu progressivement un acte de plus en plus solitaire et de moins en moins planifié (Flannery, 2007). L‘industrie agroalimentaire n‘a désormais plus comme mission d‘assurer la survie des populations comme c‘était le cas au début du siècle, en garantissant l‘accès aux produits alimentaires de base (Schaefer et al., 2000). Cette industrie, si elle ne sert plus la survie, doit assurer son profit dans un contexte d‘économie de marché : forte compétition, concentration et mondialisation. Elle s‘inscrit maintenant dans la même logique que toutes les autres industries (Brownell & Horgen, 2004). Face à une population vieillissante et de plus en plus sédentaire, les besoins énergétiques à combler sont moindres et l‘offre alimentaire de plus en plus grande et diversifiée (Schaefer et al., 2000). L‘industrie alimentaire s‘est donc adaptée au marché, et s‘adapte aux mangeurs qui sont pressés et/ou ne savent pas cuisiner, et/ou ne s‘y intéressent tout simplement pas (French, Story, & Jeffery, 2001). Les Québécois consacrent 13% de leur budget en nourriture dans les supermarchés, mais aussi de plus en plus dans les restaurants (23% du budget), ainsi que dans les magasins spécialisés (Statistique Canada, 2002). Le budget total consacré à la nourriture a augmenté de près de 30% au Québec depuis 2002, surtout chez les

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familles aisées (Statistique Canada, 2007). De plus, l‘état de santé du mangeur peut influencer son alimentation : plus du quart de tous les ménages comportent une personne qui doit respecter un régime spécial en raison d‘un diabète ou d‘une allergie par exemple (Agriculture et agroalimentaire Canada, 2011).

Si les mangeurs plus favorisés sont de plus en plus friands de produits biologiques, enrichis, de produits de marque, et recherchent la variété en achetant des produits alimentaires importés et des produits frais hors saison (Agriculture et agroalimentaire Canada, 2011; Santé Canada., 2006), ce n‘est pas le lot de tous. La nourriture qui atterrit parfois dans nos estomacs est présente partout et n‘est pas toujours de grande qualité. Épiceries, dépanneurs, pharmacies, kiosques de rue: difficile d‘y échapper (French et al., 2001). La consommation d‘aliments à densité énergétique élevée (sucrés, gras, pauvres en fibres, etc.), d‘aliments transformés ou d‘aliments consommés en dehors de la maison ont augmenté, tout comme la consommation de boissons gazeuses et la taille des portions (Dietz, Benken, & Hunter, 2009). Confronté à une grosse portion, le mangeur se satisfait « d‘en avoir pour son argent », même si en bout de ligne, cette grosse portion l‘encourage à manger davantage, et ce, de façon inconsciente (Herman, 2005; Schaefer et al., 2000). L‘augmentation des portions ne concerne pas que les fast-foods et restaurants. Par exemple, une étude comparant l‘évolution des portions et du conte nu en calories de 18 recettes d‘un magazine de cuisine, de 1936 à 2006, rapporte que depuis 70 ans, le contenu en calories par portion a augmenté en moyenne de 32.5 %, à cause de l‘ajout et/ou de l‘utilisation d‘ingrédients plus riches en calories et de l‘augmentation de la taille des portions dans les recettes (Brian Wansink, 2009).

1.3.2 Abondance de messages nutritionnels

Le mangeur, face à une multitude de possibilités de choix alimentaires doit faire un choix. Son environnement lui donne des conseils: ses yeux et ses oreilles sont bombardés de conseils de toutes sortes. Famille, amis, télévision, journaux, publicités, étiquettes nutritionnelles: le mangeur ne peut échapper aux messages nutritionnels divers qui jalonnent son quotidien : messages portant tant sur les caractéristiques nutritionnelles que sur le comportement alimentaire.

Figure

Tableau 1: Lignes directrices canadiennes pour la classification du poids chez les  adultes, 2003
Tableau 2 : Descriptions et contenu en calories des aliments "santé" et "non- "non-santé" (Carels et al., 2006)
Table 1: Descriptive characteristics of men and women participating in the study  (age, weight, height, BMI, RS score and TFEQ subscales)
Table 2 : Estimates of caloric contents of foods Food  Energetic  value  Actual   (kcal)  Estimated  P value  Over/under estimation  Healthy foods    Salad  100  200  140.0   96.8  87.2  59.2   0.0001  0.0001  + 40.0 - 56.4   Apples    Black beans  200
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