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L’errance dans l’oeuvre poétique de Paul Verlaine

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(1)

D

Constantina Thalia Mitchell

These

presentee

a

la Faculte

des etudes superieures et de la recherche de l'Universite McGill

pour !'obtention du grade de Ph. D.

Departement de Langue et de

(2)

D

L'Errance dans l'oeuvre poetigue de Paul Verlaine

Constantina Thalia Mitchell Ph. D.

Departement de langue et de litterature frangaises

La legende d'un Verlaine eternel vagabond fut creee en partie par la boheme litteraire du XIXe siecle et

amplifiee par le poete lui-meme. Cependant des ambiguites sous-jacentes viennent brouiller cette image trap claire. S'il se sent irresistiblement entralne vers la liberte

de la grande route, le "Pauvre Lelian" ne !ache jamais son reve du refuge securisant. Il ne cesse d'osciller entre ces deux univers. C'est la manifestation poetique de ea "vagabondage" que nous nous proposons d'interroger.

Apres avoir etabli !'importance de l'errance au XIXe siecle,

a

la fois comme realite sociale et comme ideal artistique, nous procederons

a

un examen plus approfondi de ce theme dans l'oeuvre verlainienne. Les forces

antithetiques representees par la Route et le Foyer gouvernent deux concepts thematiques: le mouvement et le repos. C'est

a

la lumiere de cette donnee que nous examinerons la place de l'etre

a

la fois stable et desequilibre dans un espace non mains equivoque.

(3)

L Errance dans l'oeuvre poetigue de Paul Verlaine

Constantina Thalia Mitchell Ph.D.

Department of French Language and Literature

The legend of Verlaine as eternal vagabond was partly created by the Parisian Bohemia of the 19th century only to be magnified by the poet himself.

This seemingly clear-cut image is, however, not without underlying ambiguities. Although irresistibly drawn by

the freedom of the open road, nPauvre Lelian" never abandons his dream of domestic security. He vacillates endlessly between these two universes. It is the poetic manifestation of this "vagabondage" which we propose to examine.

After establishing the importance of wandering in the 19th century, both as a social reality and as an artistic ideal, we will undertake a more extensive investigation of the theme in Verlaine's work. The opposing forces represented by the Road and the Hearth govern two thematic concepts: movement and rest. It is in this light that we will consider the fundamental nature of the individual, at once stable and unbalanced, in a world which is no less paradoxical.

(4)

0

Introduction . . . 1

Chapitre premier: Images de l'errance au

xrxe

siecle . . . 25

SymptOmes de malaise .... ~ ..•...•... 26

La mythification du poete itinerant ...••.•... 43 Representations collectives de l'errant .•••.•.•.•.• 60 Chapitre deux: Le corps de l'errance •.•••..•..•.... 119 La reciprocite du corps et du decor •••••••••••...• l20 L'attitude verticale: dissolution du corps •.••••.. l43 Le corps au repos: evasion et mort .•••••...•...•.. l52 La signification de l'oeil •..•...••.•.••.•.•... l70

La main laborieuse . . . 186

Chapitre trois: Les espaces de l'errance ....•.•••.. l94 Precisions sur l'espace ••••.•••...•••..•.•.•.•...• l95 L'espace ouvert

La construction de l'espace par le regard

en mouvement . . . 204

L'appel du lointain •••••..•..•...•...•.•••••• 218 L'errance dans le temps: espace et duree .••..•.. 233 L' espace clos

Le jardin paradisiaque et la nostalgie de

la tendresse maternelle ••.•.•..•••••..••.•..••.• 249 La patrie des morts .•....••.••.•••••••.•.•.•.•.• 277

La prison . . . 284

La parte . . . 290

La ville . . . 299

Chapitre quatre: Les chemins de l'ordre et

du chaos . . . 323

Le refus du desordre: la route comme force

organisatrice . . . 324

Le chemin de fer: le chaos du voyage mecanise ..••. 353

Conclusion . . . 389 Bibliographie . . . 401

(5)

0

Note sur les editions utilisees:

Les citations de la poesie et de la prose de Verlaine renvoient, sauf avis contraire, aux editions de la Pleiade. Pour les poemes tires du recueil Sagesse, nous utilisons l'abreviation "S". Les textes en prose sont suivis de !'indication "Prose" et de la page.

(6)

Introduction

(7)

0

tour en image, c est-~-dire

en espace oh les contraires se fondant. Et 11homme, exile d~s sa naissance, se reconcilie avec lui-mtme lorsqu'il se fait image, lorsqu'il deviant autre. La poesie est metamorphose.

Octavio Paz1 Parmi les po~tes de la fin du XIX9 si~cle, il en est peu qui aient inspire plus d1ouvrages que Verlaine. Cette profusion de gloses s'explique en partie par la notoriete

dont jouissait dej~ le po~te de son vivant. Or, on s1aperqoit

tr~s vite que c•est justement cette renommee precoce, oh

scandala et legende ont decidement leur part, qui a plus d1une fois entrave 11evaluation equitable de son oeuvre. La premisse

que la poesie verlainienne, longtemps eclipsee par la vie de son createur, reste ~ redecouvrir, nous la voyons confirmee par la plethora de biographies romancees du Pauvre Lelian

qui remplissent les rayons de nos biblioth~ques. A cOte des histoires anecdotiques des contemporains de Verlaine, on se retrouve devant un certain nombre d1ouvrages qui ont pour

but unique de retracer 11existence souvent equivoque de l'homme sans vraiment interroger 11oeuvre.

Disons tout de suite que nous n•avons aucunement

l Cite par P. Caminade, Image et metalhore, un

-;>robl~me

de poetigue contemporaine (Paris: Bordas,

970),

p.

b5.

·

(8)

l'intention de rejeter en bloc toutes les etudes de chrono-logie verlainienne; il y en a d1excellentes, qui contribuent

... , 2 . u . d

evidemment a. l'appreciation de 11oeuvre. 11Fcure COJ.nCJ. er,

d'une mani~re ou d'une autre, 11homme avec ses textes", n•est-ce pas, comme le sugg~re Atle Kittang,3 une premi~re condition de la critique? Toutefois, il y a inter~t ~ ne pas confondre la gen~se psychique de l'oeuvre, qui rel~ve de la psychologie, et 11oeuvre faite, ~ laquelle le vecu de

l~uwur demeure exterieur. Roman Ingarden a bien montre

que les etats psychiques d1un auteur, ses experiences et ses vicissitudes, m~me s'ils ont parfois des rapports

indiscutables avec la creation d1une oeuvre, devraient ~tre differencies de l'oeuvre achevee.4 Or, malgre une quantite d1analyses fort savantes qui ont apporte chacune des

decouvertes precieuses pour l'interpretation de l 1art verlainien,5 nous constatons que la critique contemporaine se contente

souvent de perpetuer une esp~ce d1exeg~se ~ etiquettes.

Par 1~ nous entendons certaine obstination ~ classer 11oeuvre verlainienne dans des categories fixes. Vague et aigu,

2 Nous pensons surtout

~

celles qui, tout en tenant compte de l 1aspect historique, n'ignorent pas les questions

d'esthetique: par exemple, le Verlaine d'Antoine Adam et le Verlaine par lui-mtme de J.-H. Bornecque, pour n•en citer que deux.

3 A. Kittang, Discours et ·eu. Essai d'anal se des textes d'Arthur Rimbaud Grenoble: Presses universitaires de Grenoble, 1975), p. 14.

4 Roman Ingarden, Das literarische Kunstwerk (Tlibingen: Max. Niermeyer Verlag, 1965), chapitre II, no.

?.

5 Voir les etudes de C. Cuenot, J. Borel, J.-H. Bornecque, E. Zimmermann et A. Adam.

(9)

impressionniste, saturnien: ces termes se retrouvent partout, et ilsevoquent des traits qui appartiennent certainement ~

l'univers imaginaire de Verlaine. Il semble tout de m~me

surprenant qu'on dispose de si peu d'analyses interpretatives, pour tout ce qui concerne la thematique verlainienne. 6 En

fait, on discerne une certaine reticence, chez les critiques verlainiens, ~ 1 'egard du mot "th~me". Jacques Borel, par example, nie la presence d1un th~me 11reconnaissable,

pre-existant ( ••• ) au po~me lui-mtme", dans "les po~mes les plus authentiques" tels que "Nevermore", 11Apr~s trois ans", et

ttMon rtve familier11

.7

Sur ce point, Eleonore Zimmermann prend une position plus souple. Dans Magies de Verlaine, cartes, elle attribue un r~le accessoire aux th~mes, par rapport au sens, aigu chez Verlaine, de la langue comma expression d1une "sensibilite visuelle11 • 8 Mais elle ne nie pas la presence

. de th~mes, qu1elle qualifie de 11fondamentaux" et que 11on retrouve ~ travers toute l 1oeuvre verlainienne.9 L'obsti-nation ~ nier l'importance d1un th~me, ou de th~mes, chez Verlaine, provient sans doute en partie de l'image-cliche

du po~te, peintre d1objets et d'ttres flous, perdant toute

identite pour se fondre dans une atmosph~re de sensations vagues.

6

Nous signalons Le

The~e

de l'angoisse chez Verlaine d'A. K. Diederichs-Maurer, GenSse de l 1oeuvre poetigue de J.-P. Weber, les remarques sur les thSmes de la croix, de la route, et du nouvel Adam dans l'edition critique de Sagesse de 1. Morice, e~ la br~ve analyse que fait P.

Creignou des th~mes de la route et de 11errance dans La Bonne Chanson, Romances sans oaroles et Sagesse.

7 J. Borel, Verlaine. Oeuvres poetigues

comol~tes

(Paris:

Biblioth~que de la Pleiade, 1962), p.

54.

8 E.

Zimmermann, Magies de Verlaine (Paris: Corti, 1967),

P• 325.

(10)

0

D

Une explication plus generale, pour la pauvrete relative des etudes thematiques du corpus verlainien, tiendrait A la divergence des opinions qui r~gnent actuellement, quant

~ la definition m~me du concept de th~me. Si, par example, Jacques Borel entend le mot 11th~me" dans son sens le plus

traditionnel et limite de "sujet", ses remarques sur "Apr~s

trois ans", "Nevermore", et 11Mon rtve familiar" sont tout A fait valables. Si, par contra, on adopte le concept de 11thematique11 , tel que le conc;oit Jean-Pierre Richard, c1 est-A-d.ire 11un principe concret d 1 organisation, un schema ou

un objet fixes, autour duquel aurait tendance ~ se constituer et A se deployer un monde", 10 il parattra excessif de rejeter la presence de 11th~mes" dans un po~me tel que "Nevermore".

Precisons d~s maintenant que le mot "th~me" ne renvoie pas necessairement ~ un element tangible. Comma nous le verrons, le flou, par example, pourrait constituer l 1un des nombreux

th~mes ~ etudier dans la poesie verlainienne. Ce serait une

simplification peu justifiable que de ramener ~ une seule

dimension (celle d'une poesie "vague", refusant toute analyse) l 1ensemble des complexites textuelles que presente l'oeuvre.

Cette mise au point tr~s schematique soul~ve certaines questions, d'ordre methodologique, auxquelles il importe de repondre. Tentons, tout d1abord, d1eclairer notre mode d1approche, en precisant autant que possible les crit~res qui le guideront. Pour cela, examinons les facteurs

10

J.-P. Richard, L1Univers imaginaire de Mallarme (Paris: Ed. du Seuil,

196!),

P•

24.

(11)

D

constitutifs de l'oeuvre tels que nous les percevons. Il faudra tenir compte, en premier lieu, de certains pre-supposes de l'enqutte thematique, afin d1arriver ~ une definition viable du concept de th~me. Sous ce jour, l'ecriture est essentiellement un acte d1organisation individuelle, par lequel l'experience vecue, sensible,

se trouve modelee en un tout stable et articule. Autrement dit, l 1oeuvre constitue en elle-mtme un univers imaginaire. Pour Jean Rousset 11l 1art reside dans cette solidarite d1un univers mental et d1une construction sensible, d•une vision et d•une formen. 11 L'oeuvre impose, selon lui, 11l'av~nement d'un ordre en rupture avec l•etat existant, l'affirmation d 1 un r~gne qui obei t ~ ses lois et ~ sa logique propres.u12 Atle Kittang estime que c•est cet acte d1unification qui assure la "lisibilite" du texte. 13 Le desordre et l 1 hete-rogeneite de la nsurface textuelle11 ne seraient alors que des 11signes exterieurs d•un vaste mouvement de synth~sen.14

Dans ce monde determine, le th~me est avant tout une structure qui groupe certaines images dans un syst~me coherent. D'ailleurs la definition que donne Rousset du terme"structure11 semble rejoindre celle que donne du "th~me" J.-P. Richard:15 "J'appellerai 'structures' ces constantes

11

J. Rousset, Forme et signification (Paris: Corti, 1962),

P•

i .

12

Ibid., p. ii.

13 A. Kittang, op. cit., p. 15. 14

ll?.!s!· '

p. 23.

(12)

c

formelles, ces liaisons qui trahissent un univers mental et que chaque artiste reinvente selon ses besoins11

•16 Kittang a done raison de voir dans la description richardienne du

th~me

une definition essentiellement structurale. 17

s.

M. Vergnaud a dej~ signale l'intertt de l 1etude des structures

dans l'oeuvre de Verlaine; "La signification s1efface devant la coherence d1un monde qui s1organise dans une forme11

•18 En partant du mtme principe, Jean-Paul Weber montre

que chez Verlaine les representations du blanc, du fantOme, de la procession, gravitent toutes autour du th~me de la statue. 19 Nous avons vu que, decrivant la poesie

verlai-ni.enne, la critique emploie souvent des termes tels que 11vague", 1lflou11 , "transparent". Jacques Borel, par exemple, de fini t

11atmosph~re des Romances sans paroles comme etant celle

11d'un monde oh 11homme lui-mtme n'appara1t plus que comme un objet ~ peine different des maisons et des toits, des

feuilles et des fleurs qui l'entourf?nt11 2

°

Ce point de vue

n'est aucunement incompatible avec l 1etude thematique, car on y discerne bien la perception d'un monde de la disper-sion ou de 11evanescence, une "forme de l'informe11 dirait Rousset.21

16 J. Rousset, op. cit., p. xii. l7 A. Kittang, .;:;O.;:;P.:.• ..-c.;::;i-.t • , p • 49. 18

s.

M. Vergnaud, "De que1ques structures represen-tatives de l•esthetique ver1ainienne,11 Modern Humanities Research Association, 17 (1973), p. 149.

19 J.-P. Weber, Gen~se de 11oeuvre poetigue (Paris: Gal1imard, 1960), passim.

20

J. Bore1, op. cit., p. 184. 21

J. Rousset, op. cit., p. xi.

I

I

I

!

I

(13)

0

Comme l'a si bien montre Jean~Pierre Richard, les th~mes

s'arrangent souvent en couples antithetiques ou en syst~mes

22

plus complexes. Il faut done le preciser: errance est le terme global que nous appliquons ~ toute une modulation de motifs sensibles chez Verlaine, ceux par example de la dispersion et du rassemblement, de la pesanteur et de

l'all~gement, de la vision et de 11aveuglement. La notion

mtme de 11errance rec~le cette ambivalence profonde qui

resiste ~ toute tentative de delimitation analytique.

Si par example 11errance se combine parfois avec des forces unificatrices, elle peut aussi modular la dissolution. Cela nous oblige ~ examiner bri~vement la fonction essentielle de l 1acte poetique, afin de cerner de faqon plus precise le lien primordial entre errer et ecrire.

Reformulant les idees de Sartre, Jacques Plessen de fini t la poe tici te comme 11cette distorsion ( ••• ), par rapport au discours ordinaire, dans le couple signifiant-signifie". 23 Distorsion par foisonnement car, comme

11affirme Michaud, 11dans tout chef·d'oeuvre, il y a, au moins en son principe, ce desir de recreation du monde, integralement et sur tous les plans ~ la fois. Sur tous les plans: de 1~ une signification multiple". 24 Dans

22

J.-P. Richard, op. cit., p. 26. 23

J. Plessen, Promenade et

p~es~e. L'e2rerien~e

de la marche et du mouvement dans l•oeuvre de Rimbaud (La Haye: Mouton

&

Cie,

1967),

p.

11.

24

G. Michaud, L'Oeuvre et ses techniques (Paris: Nizet,

1957),

p. 24.

(14)

D

son etude de la marche dans 11oeuvre de Rimbaud, Plessen s'appuie sur la notion du po~me comme microcosme pour commenter le rapport entre ecriture et errance:

Dire est errer parmi les chases, et les mats que le po~te prof~re se meuvent dans le mtme espace que celles-ci. Espacn du monde et espace du po~me tendent A coJ.ncider pour rendre possible la "commune presence" du mat et de la chose.25

Le vecu importe done mains que son interiorisation et sa

recreation subsequente. N•est-ce pas le message que Verlaine nous livre dans "Images d1un sou"?

Toute histoire qui se mouille De delicieuses larmes,

~t-ee A travers des chocs d1armes, AussitOt chez moi s•embrouille, Se mtle A d'autres encore,

Finalement s•evapore En capricieuses nues,

Laissant A travers des filtres Subtils talismans et philtres Au fin fond de mes cornues Au feu de 11amour rougies. Accourez.A mes magies!

Pour le po~te, la marche est souvent m~re de l'acte createur, et constitue le lien entre le moi et le monde. Rien de plus

significatif pour elucider ce mariage du corps et de l'~me que ces mats de Valery:

La marche m•entretient souvent dans une vive production d1idees, avec laquelle elle manifeste parfois une sorte de reciprocite: l'allure excitant les pensees, lea pensees modifiant 1' allut>e; 1' une fige le marcheur, l•autre presse son pas.26

25 J.

Plessen, op. cit., p. 294.

26 P V 1 ' a ery, arJ.e e V . ' t , V , CJ. e par . t' J. Bonenfant,

L'Ima ination du mouvement dans 11oeuvre de Pe u (Montreal: Centre educatif et cultural,

19 9 ,

p.

50.

(15)

Hugo a exprime une idee semblable dans Le Rhin:

Il y a quelques annees, un ecrivain, celui qui trace ces lignes, voyageait sans autre but que de voir des arbres et le ciel, deux chases qu'on ne voit pas ~ Paris.

{

...

)

Tout en allant ainsi devant lui presque au hasard, il arriva sur les bords du Rhin. La rencontre de ce grand fleuve produisit en

lui ce qu'aucun incident de son voyage ne lui avait inspire jusqu'~ ce moment, une volonte de voir et d'observer dans un but determine; fixa la marche errante de ses idees, imprima une signification presque precise ~ son excur-sion d•abord capricieuse, donna un centre ~ ses etudes, en un mo~

7

1e fit passer de la r~verie ~ la pense e.

La correspondance de Verlaine nous livre plusieurs evocations de la joie que lui procure la promenade. Cet extrait d'une lettre ecrite ~ Lepelletier pendant le sejour de Verlaine

~ Lecuse, rev~le, par exemple, toute la resonance affective du verbe "s'egarer11:

Le village en lui-m~me n'est pas d'un pittoresque excessivement transcendant ( ••• ). Quant ~la campagne, elle n•a rien de remarquable sauf

quelques marais ( ••• ). Je vais parfois un livre en main m'asseoir devant ces melancoliques

peintures flamandes ( ••• ). La nature n'est pas

si po~te que ~a ( ••• ). Mais cela n•emp~che pas

ces bois d•~tre fort agreables, ni moi, de m1y egarer fort souvent, sans autre but que de

m'y e~arer, absolument comme un heres de George

Sand. CS

Dans une lettre ~ Delahaye, nous retrouvons le m~me besoin de se deplac er:

Ma grande distraction, en dehors de mes l~o.hs, des promenades dans les campagnes avoisinantes,

( ••• ). 29

27

V. Hugo, Le Rhin (Paris: Hetzel-Quentin), t. 1, p. 1. 28

c.

~ t' e par G. Zayed, La Formation litteraire de Verlaine

(Paris: Nizet, 1970), p. 100. 29

(16)

0

Comme la creation, l 1errance peut se reduire A un dynamisme onirique. Selon 11expression de Bachelard,

11souvent, c•est au coeur de l'~tre que l1~tre est errance11

.30

L'errance, de m~me que le sommeil, peut declencher une liberation. 11Vagabonder11 , n•etait-ce pas la premi~re

signification de "r~ver"? En un certain sens, il est vrai que "d~s que nous sommes immobiles nous sommes ailleurs".3l L'homme ambulant est essentiellement un ~tre du dehors, qui cesse d1exister d~s qu1il franchit un seuil. Or, si la route dispara1t derri~re la porte fermee, son essence per-siste, distillee par 11interiorisation onirique de 11espace. ne la m~me mani~re, le deplacement du marcheur libere des contraintes d'une orientation determinee suit les meandres r~ves par 11homme au repos. L1errant par excellence, ne serait-ce pas alors le somnambule, chez qui action et r~ve, si souvent en opposition, se trouvent enfin reconcilies? C'est effectivement comme un dormeur errant qu'Andre Lemoyne decrit Verlaine dans ce passage lyrique:

Ce remarquable sensitif, absolument personnel, pour echapper aux fanges de la rue, m'appara1t comme un somnambule qui chemine sur les toits et joue en virtuoe~ d1une fl~te de cristal dans un rayon de lune.~

30 G. Bachelard, La Poetigue de 11espace (Paris: Presses universitaires de France, 1958), p. 194.

31

~.,

p. 169.

(17)

0

Veritable pivot dans la thematique de l'errance, le couple rtve-realite repose sur une tension vitale

que commente Jean-Pierre Richard dans son introduction

~ L'Univers imaginaire de Mal1arme. Cette polarite domine le reseau Dehors-Mouvement/Dedans-Rtverie, present dans tout projet artistique:

Il n1y a point d'oeuvre qui puisse tourner absolument le dos au monde. Mtme pour le

nier, elle a besoin de lui. La fuite s'appuie sur ce qu'elle veut fuir; le rien n'existe en nous que par l 1abolition de quelque chose.33 Veil~ ce qui m~ne Jean Rousset ~ dire que 11oeuvre n•est pas seulement "agent d1organisation11 mais aussi "principe

d'explorationn.34 D'une mani~re analogue, 11errance ne peut exister que par rapport au lieu stable. La dispersion emane toujours du solide. Nous voyons done que, malgre sa qualite apparemment fuyante, l'errance participe souvent ~ cet

acte souverain d•organisation qu1est 11art. Elle constitue

par 1~ une mati~re thematique extr~mement riche.

Considerons maintenant la double perspective embrassee par le mot "th~me11: d1abord, son aspect historique qui

comprend ~la fois 11etendue panoramique de toutes les epoques et, sur une echelle plus limitee, celle d•une periode specifique. Telle est, d•une mani~re tr~s generale, notre conception de l'archetype universal, sur lequel vient se greffer la seconde dimension du th~me -celle de la creation individuelle, qu1on peut appeler

33 J.-P. Richard, op. cit., p. 20. 34 J. Rousset, op. cit., p. x.

(18)

0

aussi le cogito poetique. Le raisonnement suivant de Bachelard, que Pierre Caminade,

~

tort, dit imprecis,35

rev~le d'une fat;on limpide le dynamisme qui relie ces

deux phenom~nes: 11L1image poetique n•est pas soumise ~

une poussee. Elle n'est pas l'echo d'un passe. c•est

plut~t l'inverse: par l'eclat d•une image, le passe

lointain resonne d'echos ( ••• )."36

La diffusion de l'archetype universel par l'ecriture individuelle a provoque des th~ses divergcntes quant ~

l'autonomie de l'acte poetique. Il est un point, toutefois, sur lequel la critique s1accorde generalement: ce serait meconna1tre la complexite genetique de 11oeuvre que de considerer la mati~re d1un th~me, et ses articulations, comme emanant exclusivement d1une psyche individuelle.37 Cette dualite indeniable de toute oeuvre, ordonnee ~ la

fois par un dynamisme intrins~que et un fonds mythico-traditionnel extrins~que, permet, comme l'a souligne J.-P. Richard{Bd1aborder la mati~re thematique soit par

35 P. Caminade, op. cit., p. 68. 36 G. Bachelard, op. cit., PP• 1-2.

37 Bachelard insiste sur la souverainete de l'image poetique qui manifeste "la creativite de l'~tre parlant", tout en affirmant son existence historique, voire pre-historique. (La Po~tigue de l'espace, pp. 8 et 47). Tel est essentiellement le point de vue de J.-P. Richard qui, dans l'introduction ~ L'Univers imaginaire de Mallarme, dresse le bilan de la critique thematique. Selon lui, l'imagination traditionnelle prepare 11epanouissement de la rtverie personnelle, l 1originalite de l'impulsion

creatrice residant moins dans le choix des images que dans leur combinaison. (p. 29). La distinction que fait J.-P. Weber entre "th~mes personnels11 et 11th~mes transpersonnels"

tend ~ se reduire ~ la mtme dialectique. (Voir Gen~se de 11oeuyre poetigue, p. 14).

38

(19)

le biais diachronique de son histoire, soit par le biais synchronique de sa structure.

Cela nous am~ne ~ un probl~me methodologique fondamental. Quel sera le champ de cette etude? Il nous para1t essentiel de saisir, dans une premi~re etape, l 1importance de l 1errance comme th~me general et de voir par la suite sa place dans la litterature du xrxe si~cle. Car, nous venons de le voir, tout schema organisateur d1un univers personnel est lie ~ un 11topos11 , simultanement universel et historique, qui contribue ~ sa reconnaissance comme th~me. Or, une telle etude ne risquerait-elle pas de compromettre notre entre-pris~ par la superficialite que son ampleur imposerait? J.-P. Richard hesite sur la possibilite m~me de faire l•etude diachronique d1un th~me chez un auteur39puisqu1il est souvent difficile de comparer les stapes differentes de l 1evolution d1un syst~me.4° Effectivement, une etude exhaustive des deux voies de developpement du th~me nous a semble difficilement realisable. Pour ne pas encombrer de remarques trop generales notre etude de l'oeuvre

verlainienne, et puisque c•est surtout la reprise du th~me par Verlaine qui nous interesse, nous avons tents de

resoudre le probl~me en reunissant dans le premier chapitre

39

~., p.

33.

40 C1est par ailleurs le champ synchronique du

th~me

qui interesse Richard dans son etude de Mallarme, et egalement Weber pour qui 11 analyse thematique vi se premi~rement ~

elaborer un syst~me de symbolisations representant une "hantise unique". (Gen~se de l'oeuvre poetigue,

p.

28).

(20)

de notre th~se les considerations traitant de l•errance comme horizon thematique. Nous y ferons un examen sommaire de la prise de conscience de ce fonds par le monde artistique du xrxe si~cle, en essayant de preciser, ~ 11aide de quelques textes caracteristiques, ses origines socio-culturelles.

Nous y aborderons dej~ le probl~me qui nous touche directement,

~ savoir le cas Verlaine. Nous evoquerons, d1une mani~re

tr~s generale, et qui n1exclura pas une reevaluation ulterieure,

certains elements biographiques qui ont contribue ~ donner son ampleur au th~me de l'errance chez Verlaine, et qui,

en m~me temps, ont suscite la legende d'un Verlaine eternel

vagabond; mythe que le po~te a lui-m~me nourri vers la fin de sa vie, tout en reclamant paradoxalement 11abri des hOpitaux. Evidemment, nous ne pretendons pas attribuer ~ 11experience vecue une importance superieure aux formes poetiques. Ce serait, comme dit Maurice Piron, apprendre

"quelque chose sur l 1auteur, presque r.,.) rien sur l•oeuvre11.4l Si, au cours de nos analyses, nous faisons allusion ~ des

donnees biographiques, c1est dans le but unique de mettre en evidence certaines preoccupations ou hantises qui dans la poesie de Verlaine se cristallisent en structures.

Precisons done qu'une etude psychocritique n'entre pas dans le cadre de cette th~se. Toutefois 11examen de l'errance comme element quasi obsessionnel dans la vie m~me de Verlaine nous aidera ~ formuler des considerations generales sur ce

4l M. Piron, "Sur Ver1aine et l 1explication litteraire,n Annales de 11Universite de Paris, t. 21 (juil.-sept. 1951),

(21)

thAme qui ~onne son oeuvre poetique. Nous ne sommes pas

enti~rement d•accord avec Percy Mansell Jones quand il dit:

11We could not call Verlaine an autobiographical poet11.42

Atle Kittang affirme que 11tout discours se caracterisant modalement, le concept de th~me s1av~re aussi profondement

solidaire du concept du Moi11 , et que "toute thematique

pre-suppose une modalite inscrite, une relation

~

une subjectivite." 43 Or, il note que chez Rimbaud, au lieu d1un Moi unique, on

assiste ~ 11une serie de masques du Moi" s'elaborant autour

de th~mes fondamentaux - le Moi se deplace continuellement

vers un Autre.44 La presence d1un Moi exclusif n•est pas moins problematique chez Verlaine. A la difference du Moi

rimbaldien, ~ la fois 11 je"' et nautrer.', le Moi verlainien recherche constamment un sujet ~ l'exterieur de lui-m~me pour se de finir.

c'

est ainsi que 1 'identite du "je" errant

se confond parfois avec celle d'un "il11 dans la forme d'un errant mod~le: Adam, mendiant, orphelin, troubadour. Ces masques que porte le "je" verlainien ne sont gu~re que

l'indice de son besoin d1un Autre. Claude Cuenot consid~re la qu~te de l'Autre comme le plus grand merite de Verlaine, et voit dans la representation de la dynamique du couple une extraordinaire richesse.45

42 P. Mansell Jones, The Assault on French Literature (Manchester: Manchester University Press, 1963), p. 146.

43 A. K;ttang, ... op. cl. ., p. ·t 51 44 Ibid

45 C. Cuenot, "Un type de creation litteraire: Paul Verlaine, n

Studi francesi (janv. 1968), p. 239, et Le Style de Paul Verlaine (Parl.s: Centre de documentation universi~al.re, 1962), p.

29.

(22)

0

0

Si l'un des attributs de la marche est une transfor-mation de l•ttre ambulant et de sa vision du monde, la

reciprocite "je-tu" d1une promenade A deux, loin de diminuer cette experience, la renforce souvent par le dedoublement du regard. L1ttre "quadrup~de" qu•est le couple ambulant vit la nostalgie d1une unite perdue. L'emerveillement d1une

fuite ~ deux hors des confins du foyer se trouve implicitement dans la cel~bre formule de Verlaine, inspiree par ses

vagabondages avec Rimbaud: "Je voillage vertigineusement".46 A l'encontre du regard sartrien,qui meduse et reduit l 1Autre par la trajectoire frontale, le 11je-tu" du vagabondage offre la possibilite d1une communion bilaterale entre l'homme et l'espace. C1est 11l'homodromie11 de "deux rtveurs qui cherchent l'intimite de l'homme et l'intimite de la mati~re'qu'evoque Bachelard,47 et qu~ par ce partage fraterne~ prend les pro-portions d'un renouvellement quasi eucharistique:

et no us errions., nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route,( ••• ) 48

L'acception metaphorique que nous prttons au terme "errance11 nous permettra de voir comment cette qutte se reduit ~ un egarement. Ce mouvement fugitif qu1est 11errance,nous le considerons surtout comme la manifestation exterieure d'un etat psychique. La marche eternelle, le trebuchement, le tournoiement, la fuite, sont davantage que des formes de

46 Lettre A Lepelletier, citee par J.-H. Bornecque, Verlaine par lui-mtme (Paris: Ed. du Seuil, 1966), p. 76.

47 G. Bachelard, op. cit., p. 91.

4

8 A. Rimbaud, Oeuvres (Paris: Classiques Garnier, 1960), "Vagabonds", p. 278. Toutes les citations de l'oeuvre de

(23)

c

deplacement. Ce sont les signes d•une ~me nen peine et de passage11 • (SI ,16).

c•est surtout dans le mode impersonnel du monde per~u que nous sentons cette errance du corps et de l'~e. C'est une orientation proprement spatiale, par consequent, que prendra notre analyse de l 1oeuvre verlainienne. Nous commencerons par une etude du rapport entre le corps et

le decor. Ce que Gilbert Durand, s1inspirant de ·concepts bachelardiens, nomme la "gen~se reciproque du geste et de l 1environnement1149souligne la valeur intrins~que du corps

dans toute representation du deplacement. Dans la duree vecue, c1est le mouvement primaire qui fait charni~re entre !'imagination et les images vitales. Ainsi, la verticalite

du marcheur, agencee par la tension musculaire, renferme toutes les virtualites d1elan et de chute. Comme l'atteste Jacques Borel ~ propos de Verlaine: 11le corps du po~te demeure 1 e leu e ce couran con lnu 1 . d t t. d' . lmages e t d e sensa lons ••• t. ( ) 11 • 50

C'est par son corps que le marcheur entre en contact avec 11espace, phenom~ne qui repose sur une dialectique posturale:

celle de 11horizontale etdelaverticale·,du repos et du mouvement, qui fusionnent dans la lassitude. Toutes les positions

posturales ne sont que des elaborations de cette tension fondamentale entre le debout et le couche.

Nous aborderons ensuite les probl~mes de la fonction du regard en mouvement dans la recreation de l'espace,

49 G. Durand, Les Structures anthronolosigues de l'imaginaire (Paris: Bordas, 1969), p. 39.

(24)

0

0

1' appel des horizons et le lien entre espace et duree. Dans un troisi~me temps nous nous pencherons sur quelques aspects de l'abri verlainien: la nostalgie du jardin clos, la qu~te d1une patrie, les figures de la prison, de la ville,

de la porte. Finalement nous verrons de pr~s les images de la route droite (qui represente une force organisatrice) et du chemin de fer (indice du chaos).5l

A travers toutes ces composantes de l 1univers verlainien se dessine une ambivalence fonci~re. Attire par la grande

route, 11errant le sera aussi par le statisme du refuge. Charles Haurras observe chez Verlaine le besoin d'un 11poids ~

tra1ner". "La liberte, di t-il, lui est funeste. Rien ne lui est plus rude que d1avoir ~ se diriger".52 Pour Jacques Borel, il s•agit plutOt d1un effort persistant pour "se demettre de soi", le refuge prenant souve.nt la forme de

11Autre.53 Aimer pour Verlaine c1est, selon Borel,

"~tre

protege "• 54 Pierre Creignou pen se que "si 1' errance

5l Nous ne faisons pas une etude de la prosodie. Si l'on peut bien etudier les phenom~nes du rythme et de la versification dans leurs rapports avec la sensation du mouvement en general (voir, par exemple,

c.

Cuenot, ~

Style de Paul Verlaine, et "Technique et valeur expressive, chez Paul Verlaine, des vers autres que l 1alexandrin"), il nous a semble difficile d1en degager des idees bien

concluantes quant ~ 11errance proprement dite.

52

c.

Maurras, Ma1tres et temoins de ma vie d'esprit (Paris: Flammarion, 1954), p. 250.

53 J. Borel, op. cit., p. 223. 54

(25)

n•est pas primordiale, si elle s'impose seulement comme moyen privilegie de multiplier les objets offerts au regard, il faut noter ( ••• ) que l•attitude de Verlaine ~ son egard est fort complexe, et que se ressentir comme un errant ne le satisfait pas autant qu'on pourrait

croire. u55 A fin de montrer cette "complexi te 11 indiscutable,

Creignou cite ces vers de la cel~bre "Ariette oubliee IX": Combien,

e

voyageur, ce paysage bl~me,

Te mira bl~me toi-m~me,

(

...

)

Pourtant, ces vers ne rev~lent qu'un seul aspect de

l'errance: celui de la deception, de l 1eXil, de la disso-lution des forces vitales. Peut-on appliquer ces vues

d1une mani~re generale au corpus verlainien? Si, comme

le sugg~re P.-0. Walzer, Verlaine reste attache 11jusqu'~

la fin ~ sa femme, ~ Rimbaud, ~ Letinois, ~ Cazals," il est aussi toujours

pr~t ~

partir.56 Son oeuvre

refl~te

continuellement ce paradoxe.

Au cours de nos recherches nous avons ete frappee par la mtme dichotomie qualitative qu'ont remarquee plusieurs critiques dans l'oeuvre verlainienne. L'originalite

c~de souvent ~la banalite, le lyrisme ~ l'anecdote.

A cet egard, il para1t etrange qu10ctave Nadal,commentant

55 Pierre Creignou, "Variations du paysage chez Verlaine de La Bonne Chanson ~ Sagesse," Europe (sept.-oct.

1974),

p.

73.

56 P.·O. '.Valzer ed. ,Oeuvres

compl~tes

de Lav.treamont et Germain Nouveau (Paris: Bibliotht;que de la Pleiade,1970), P•

348.

(26)

la poesie de Verlaine, parle du "peu d1anecdotes et de sujets mythologiques, allegoriques, ou historiques

(sauf, il est vrai, ici et 1~, dans les Po~mes saturniens, dans La Bonne Chanson, et de nouveau ~ partir de Sagesse)," de 111' absence de morali te s, de speculations ideologiques, de connaissances.1157 Nadal a certainement raison si l'on consid~re dans l 1oeuvre du po~te, uniquement, ce qui est le plus "proprement verlainien11 pour nous aujourd1hui.

Mais, on ne peut pas nier la presence chez Verlaine de tousles elements que Nadal dit absents. D'ailleurs, lui-mt:me note la veine 11dogmatique" d'une bonne partie de l 1oeuvre. Nous avons tente de devoiler les reseaux

symboliques dans lesquels se deploie le th~me de l'errance, sans nous attarder trop ~ ce probl~me neanmoins interessant. D'un point de vue methodologique, cet apergu global nous a paru necessaire afin de montrer la preeminence de certaines images sans perdre le fil conducteur de notre

sujet. Toute forme, toute figure~qu1elles soient

caracteris-tiques d1une oeuvre ou non, font necessairement partie du monde imaginaire du po~te. Ajoutons toutefois que notre etude se concentre sur les huit recueils principaux:

Po~mes saturniens, Fttes galantes, La Bonne Chanson,

57 Octave Nadal, 111' impressionnisme verlainien, 11 Mercure de France (mai 1952), p. 60.

(27)

0

Romances sans oaroles, Sagesse, Jadis et nagu~re, Amour,

et Parall~lement. Si nous faisons de temps ~ autre

allusion ~ des pi~ces qui figurent ailleurs, ou aux

ecrits en prose, ce n'est que pour renforcer nos arguments concernant ces recueils.

Cela dit, il nous reste ~ situer notre sujet dans le champ des etudes verlainiennes. Bien qu'un examen detaille des diverses hypoth~ses deborde les limites de cette introduction, un bilan sommaire des enonces les plus representatifs, en guise d1etat present schematique des considerations sur le sujet du mouvement cl1ez Verlaine, nous permettra d1orienter notre approche. Nous aurons

l'occasion plus tard de commenter en detail ces conceptions, et d'en presenter d1autres. Pour l'instant, bornons-nous ~ voir la singularite du mouvement verlainien et les

probl~mes que pose son interpretation.

Sur cette question, la critique presents deux points de vue complerr.entaires. D'abord, on trouve un certain nombre de critiques, comme Robert Vivier, qui estiment que chez Verlaine la marche est inseparable de l'acuite

visuelle, et que ce couple sensoriel fonctionne comme

l'agent principal dans la creation de son univers poetique. La qualite expansive que Vivier attribue ~ la marche

(28)

0

l'imagination du po~te en contact avec une succession

illimitee d'images. Vivier voit dans la poesie verlainienne le produit "d'un homme qui s1est beaucoup promene", et qui

fut par consequent profondement marque par 11eclat des images qu'il "happait" en chemin,5~ jugement qui rappelle les souvenirs de Nme Andrews ~ Stickney; ~ l'en croire le

po~te passait la plus grande partie de ses heures libres

~ se promener, son carnet ~ la main.59 Ce tableau s'accorde parfaitement avec l'image que Verlaine se fait de lui-mtme

dans les Confessions, et aussi avec 11exaltation de la route, metaphore de la regeneration o~ Louis Morice voit une des principales composantes de l 1univers verlainien.6° Dans son etude du paysage chez Verlaine, Pierre Creignou cite la 11constante fascination des univers mouvants" comme lien primordial entre La Benne Chanson, Romances sans paroles et Sagesse. 61 Sur le mtme plan, Marcel Raymond remarque dans l'impressionnisme verlainien une convergence du mouvement et de la vision: 11 L'art de

58 Robert Vivier, Et la Poesie fut langage (Bruxelles: Palais des academies, 1954), pp. 178-179.

59 V. P. Underwood, Verlaine et l'Angleterre (Paris: Nizet, 1956), p. 217.

60

Louis Morice, Verlaine. Le Drame religieux (Paris Beauchesne, 1946), et l'edition critique de Sagesse (Paris Nizet, 1948), passim.

61

(29)

0

0

l'arabesque, l'inattendu de la ligne serpentine s'allie au flou, au fondu, ~ l'atmosph~re 'picturale', (11allemand dit malerisch).1162 Toutefois, plusieurs critiques se

penchent plutOt sur le mouvement de fuite et de decomposition, egalement discernable dans la perception verlainienne,

et qui aboutit ~ des structures schizomorphes. Dans un chapitre consacre ~ "L'Escarpolette" de Verlaine et au 11Bateau ivre11 de Rimbaud, Alfred Glauser ecrit: 11Plut0t que de voir et de saisir les chases, il [Verlain~ les fui t. En chantant ses payse.ges, il les annihile. n63 Ce point de vue rejoint la position de Claude Cuenot qui,

dans Le Style de Paul Verlaine, minimise l'allure dynamique

du po~me verlainien au profit des "vertiges, enervements

et

p~oisons."

64 C1est en gras 11opinion partagee par Hubert Juin, pour qui "la dynamique du po~me verlainien est 1 I absence, la Separation. u65 Enfin, Eleonore

Zimmermann rejette categoriquement toute impulsion dynamique chez Verlaine, qui 11n1est pas un po~te du mouvement, qu'il

62 M. Raymond, Verite et poesie (Neuchtitel: Ed. de la

Baconni~re, 1964), P•

18o.

63 A. Glauser, Le

Po~me-Symbole

de

Sc~ve ~

Valery (Paris: Nizet, 1967), p. 171.

64

c.

Cuenot, Le Style de Paul Verlaine (Paris: Centre de documentation universitaire,l962), p. 9.

65

H. Juin, 11Verlaine le multiple," Europe (sept.-oct. 1974), P• 34.

(30)

0

soit interieur ou exterieur. Mtme ses paysages sont presque toujours statiques, 1166

Toutes ces analyses tendent ~ interpreter le mouvement dans son sens le plus general, sans entrer dans une etude detaillee de ce champ organisateur d'images qui constitue

un th~me, Notre intention n'est pas de contester la

valeur de ces divers points de vue, Au contraire nous estimons que des ouvrages tels que ceux de Vivier et de Zimmermann explorent des horizons importants et, par 1~, constituent des outils indispensables ~ notre pro jet,

Disons finalement que nous avons evite ~ dessein de faire suivre ces remarques par une "conclusion", au sens traditionnel du mat. Comme nous l'avons souligne au debut de cet examen, il s1agissait uniquement de nous

donner quelques orientations generales, quelques idees directrices, dont les analyses qui suivent constitueront un approfondissement, En fixant notre attention sur

11errance, qui presente ~la fois un aspect specifique du dynamisme et une mani~re particuli~re de voir les chases, nous esperons sander 11un des multiples probl~mes, concernant l 1oeuvre verlainienne, qui restent ~ peine explores.

66

(31)
(32)

D

Symptomes de malaise

Chacun sai t que les errants, Sinbad, Ulysse, ou Jason, ne bornent pas leur ambition

a

chercher un passage, un pays neuf, de l'or, la fee Morgane; ils sont en chasse plus noble:

a

la quete de soi, ou, ce qui revient au meme,

a

celle de l'absolu.

Etiemble1

La figure du vagabond se definit

a

toute epoque contre les conventions normalisantes d'une societe

a

qui l'etre "sans feu ni lieu", sans identite fixe, done irreductible aux principes de la collectivite, inspire toujours une certaine mefiance. Fernand Ouellette contemple cette verite

a

la lumiere des valeurs de notre epoque:

Ce n'est pas sans raison que la societe qui se securise de plus en plus par un encadrement et des structures mathematises, et les pouvoirs qui tentent de paralyser !'esprit par !'argent, le mensonge ou la force,

professent le mepris le plus incisif pour la fulgurance, l'errance et les mouvements de l'ame.Z

L'idee que la societe medievale aurait exalte !'errant est d'ailleurs, pour l'essentiel,un mythe romantique qui s'est forme chez les revoltes du XIXe siecle. Jongleurs et

mendiants valides (ceux qui refusaient par paresse de travailler), vagabonds et errants furent classes, surtout au Haut Moyen Age, dans la meme categorie que prostituees et

1 Etiemble, Le Mythe de Rimbaud, t. 2 (Paris: Gallimard, 1952), p. 423.

2 F. Ouellette, nLettre

a

Andre Belleau sur la poesie et l'errance," Liberte, 79-80, 1972, p. 8.

(33)

souteneurs. Au XIIIe siecle Berthold von Regensburg les appela la "familia diaboli". 3 Or, si le type de 1' errant a existe de tout temps, c'est surtout avec l'embourgeoise-ment du dix-neuvieme siecle que !'existence itinerante en vint

a

para1tre un s.rmbole de la vocation artistique. La succession du "boheme" Verlaine au poete "bourgeois"

Leconte de Lisle, au rang de 11prince des poetes", serait selon J. Gedeon,une des consequences de cette "revision des valeurs".4 C'est egalement dans ce contexte socio-historique qu'il faut chercher les origines du bouleverse-ment ideologique par lequel le poete-mage de la periode romantique se transmue en "poete maudi t". 5

Afin de comprendre entierement la signification du

terme "errance" tel qu'il s'applique

a

l'oeuvre de Verlaine, il faudra remonter aux sources de ce phenomena qu'on

appelle le "mal du siecle", et dont Verlaine et sa generation sont les heritiers. Des la periode preromantique se fait sentir une rupture entre l'ordre existant et les aspirations des artistes, qui aboutit, surtout dans la seconde moitie

3 J.

Le Goff, Pour un autre Moven Age (Paris: Gallimard, 1977), p. 98.

4 J. Gedeon, La Fortune intellectuelle de Verlaine (Szeged: Institut fra~ais de Szeged,

1933),

p.

139.

5 Rappelons que Verlaine utilisa 1' expres.sion "poetes maudits" comme titre

a

ses portraits de Corbiere, Rimbaud, Mallarme et Marceline Desbordes-Valmore, parus en 1884.

(34)

du XIXe siecle,

a

un rejet vehement de la societe et

a

cert~ connivence,tant dans l'art que dans la vie, avec

les declasses.

L'insatisfaction du heros preromantique s'exprime

a

travers un desir de fuir sa condition devenue insupportable. La formule "emportez-moi" devient au XIXe siecle un cliche. Selon Charles Dedeyan, le heros preromantique est

mU

par "une agitation pathetique

a

travers 1' espace" qui trahit

a

la fois son desenchantement avec la "douceur de vivre" d'avant la Revolution et une attitude de revolte face au conformisme socio-intellectuel. 6 A cet egard, pensons aux deplacements effrenes d'un Saint-Preux:

Dans de violents transports qui m'agitent je ne saurais demeurer en place. Je cours, je monte avec ardeur, je m'elance sur les roches, je

parcours

a

gra.nds pas les environs et trouve partout dans les objets la meme horreur qui regne au

dedans de moi.

Rousseau, lui-meme grand promeneur et errant, fraye le

chemin

a

toute une generation d' insatisfaits, qui s' egarent dans la nature autant que dans la reverie pour consoler

leur detresse. Raymond Clauzel relie ce dynamisme

frenetique du romantisme aux errances de !'esprit: "Chez les romantiques, choses et gens sont en mouvement, mouve-ment de vertige souvent, puisqu'il va du reel au reve et qu'il prolonge lessens et les sentiments par !'imagination, essentiellement migratrice et aventureuse. Magie des

lointains, envol vers le ciel, descentes aux abtmes; le 6 Ch. Dedeyan, Le nouveau Mal du siecle de Baudelaire

a

nos iours (Paris: Societe d'€dition d'enseignement superieur,

(35)

present toujours sous !'imposition du passe ou sous !'attraction de l'avenir ( ••• )" 7 C'est lors de ses promenades que le

Rene de Chateaubriand decouvre en lui ce desir de fuir le monde des hommes:

Le jour,je m'egarais sur de grandes bruyeres terminees par des forets. Qu'il fallait peu de choses

a

ma reverie! ( ••• ) souvent j'ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tete. Je me figurais les bords

ignores, les climats lointains ou ils se rendent; j'aurais voulu etre sur leurs ailes. Un secret instinct

me tourmentait: je sentais que je n'etais moi-meme qu' un voyageur, ( ••• ) •

Lamartine exprime dans "L' isolement" le meme sentiment d'une lme errante, en quete d'un ailleurs vague:

Quand la feuille d,es bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'eleve et l'arrache aux vallons. Et moi, je suis semblable a la feuille fletrie: ~

Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!

Qui manquerait de voir la similitude de ces vers avec la "Chanson d'a.utomne" de Verlaine?

Et je m'en vais Au vent mauvais Qui m'emporte D~a, dela, Pareil a la Feuille morte.

L'association de l'errance

a

la plainte douloureuse, si typique des romantiques, est aussi marquee chez Verlaine. De tous ses predecesseurs Marceline Desbordes-Valmore est probablement la plus proche de !'accent elegiaque qui

domine tant d'errances revees de Verlaine. Quand Bachelard 7 R. Clauzel, "Sagesse" et Paul Verlaine {Paris: Edgar Malfere, 1929), p.

69.

(36)

C)

D

evoque la "reverie de l'homme qui marche, une reverie du chemin", il cite comme exemple ce vers de Desbordes-Valmore:

Emmenez-moi, chemins! 8

Nous savons !'admiration que Verlaine portait A cet ecrivain intimiste, qu'il range parmi ses 'Poetes maudits'. Stylis-tiquement, la simplicite et l'originalite rythmique des vers de la "compagne de Sappho" (Prose, 678) ont pousse Verlaine A se liberer du Parnasse et A creer une poesie plus personnelle. Ce style intime se prete parfaitement A dire la communion avec la nature, l'echange entre l'homme et le cosmos: souvent, alors, le motif de la deambulation se retrouve associe

a

l'elegie. A travers les citations qu'il en fait on voit que Verlaine s'est attache, chez Desbordes-Valmore, aux themes de l'exil, de la melancolie

imprecise, de l'egarement et de la dissolution, qui sont les composantes fondamentales de son propre univers. Ces vers d"'Une lettre de femme" sont fort proches de la sensi-bilite verlainienne:

Je sens que je m'en vais, pour voir et pour entendre Errer tes pas~/( ••• )/

Tu t'en vas: tout s'en va! tout se met en vqyage,

(

...

)

De meme pour "Les sanglots":

(.

..

)

Ciel! ou m'en irai-je Sans pieds pour courir? Ciel! ou frapperai-je Sans cle pour ouvrir? 8

(37)

ou bien cette "Elegie":

Si ta marche attristee S'egare au fond d'un bois Dans la feuille agitee Reconnais-tu ma voix? ( ••• ) Qu'une rose s'effeuille En roulant sur tes pas, Si ta pitie la cueille, Dis! ne me plains-tu pas?

A ces raves d'evasion des promeneurs melancoliques, il faut ajouter le sentiment d'inadaptation

a

la suite des deceptions de la Revolution. Pierre Barberis rappelle que le romantisme fut d'abord "un phenomena aristocratique, etroitement lie aux catastrophes revolutionnaires et

a

leurs consequences sentimentales". 9 11 s'agit d'un romantisme "d'inutiles et de vaincus".lO "La vie echappe

a

Rene parce qu'elle echappe

a

sa classe, errante, impuissante, dispersee, depossedee (. •• )". 11 La Revolution fait de Rene et de toute la classe aristocratique des proscrits. 12 Les motivations

historiques du "mal du siecle" de Balzac sont, selon Barberis, differentes. C'est "le debut d'une prise de conscience( ••• ) de l''ilotisme'( ••• ) auquel le capitalisme, quelles que soient les formes politiques, condamne l'Homme". 13 Il n'est plus

question d'une classe bannie et egaree mais de toute l'humanite,sans passe, menacee par un systeme base sur la

fragmentation~

4

or,

ces

9 P. Barberis, Balzac et le mal du siecle (Paris: Gallimard, 1970), p.

61.

lO P. Barberis, A la Recherche d'une ecriture: Chateau-briand (Tours: Mame,

1974),

p.

4o.

11 ~., p. 35.

12 P. Barberis, Balzac et le mal du siecle, p. 56. 13 ~., p. 35.

(38)

deux etapes ont de commun le fait que, en dehors de toute question precisement historique, le malaise socio-politique et le malaise metaphysique se nourrissent mutuellement.

Barberis fait bien remarquer que le changement radical au debut du XIXe siecle est un changement de "rythme". La societe prerevolutionnaire, loin d'~tre parfaite, etait du moins stable. Avec la Revolut:im on assiste

a

la

croissance du sens de l'absurde: "D'une part, s'etaient ouvertes d'extraordinaires possibilites d'emploi de soi.

D'autre part, les barrieres, un moment levees, s'etaient refennees."15 Les traumatismes et les deceptions historiques

sont tels,dans la France du X!Xe sieqle, que !'action semble un recours futile. Les plaintes qui s'elevent alors expriment un cauchemar de passivite, ou s'associent errance et rejet hors de la vie. La metaphore de la feuille morte traduit parfaitement cette inertie. Le poete semble renoncer

a

tout role actif

a

l'egard de son destin. La jeunesse se voit privee d'une raison d'~tre. Selon Mussy, "on les voit errer dans les places publiques et remplir

les the~tres, comme s'ils n'avaient qu'a se reposer des

travaux d'une longue vie. Les ruines les environnent, et ils passent devant elles sans eprouver seulement la

curiosite ordinaire

a

un voyageur. ul 6 Irmiquement, Paul Fort evoque les obseques de Verlaine d'une maniere qui rappelle vaguement les remarques de Mussy:

lS Ibid., pp. 43-44.

(39)

D

••• la descente du boulevard Saint-Michel vers la Seine, chaussee blanche et trottoirs envahis,

toute la litteraire fran;aise, ou du moins parisienne, ne formant plus qu'un seul bloc errant ( ••• )17

Pour les amis de Verlaine, la deception politique se cristal-lise dans l'echec de la Commune, qui engendre la m~me

atmosphere d'epuisement, le m~e engourdissement devant l'insucces de l'action:

Je suis l'Empire a la fin de la decadence,

(

...

)

L'~e seulette a mal au coeur d'un ennui dense.

On pourrait dire, - mais ce serait sans doute ceder

a

!'illusion retrospective, -que ces vers de "Langueur", publies par Verlaine en 1883, sont un echo lointain des lassitudes de la generation romantique. De fait, Georges Zayed attire notre attention la-dessus, Verlaine est encore considere par nombre de critiques, aussi bien que par ses contemporains, comme un "romantique attarde". 18 C'est Leon Bloy qui le traite de "romantique congele sur le

Parnasse du passage Choiseul. nl9 Cette veine "romantique"

se manifeste dans le theme, sous-jacent a l'oeuvre verlainienne, de 1' evasion, dans 1 e motif des "flux et reflux" : mouvement sans objectif- errance "fade", dirait peut-~tre Jean-Pierre Richard.

17

J. Rousselot, De Juoi vivait Verlaine? (Paris: Ed. des Peux-Rives, 1950 , p.

82.

18 G. Zayed, La Formation litteraire de Verlaine, p. 71. 19 Dans Le Chat noir, 1884,cite par Zayed, op. cit., p. 71.

(40)

c

Charles Dedeyan definit en ces termes l'influence qu'a eue, sur les formes artistiques, ce courant de deception: "le point de depart du mal du sH~cle est

toujours le desenchantement, et celui-ci engendre l'ennui et !'inquietude, le degout des hommes et la solitude de l'inadapte et de l'incompris ( ••• )"20 Le "Molse" de

Vigny exprimait la plainte de l'elu solitaire, de celui qui "du peuple errant a guide les passages", de "l'homme de genie" qui "fatigue de sa grandeur demande le neant". 21 Le poete maudi t du "Prologue" aux Poemes saturniens

s'eloigne de la foule profane:

Le monde, que troublait leur parole profonde, Les exile. A leur tour ils exilent le monde! C'est l'image de la marche que les deux poetes emploient pour decrire l'exil du mage. Le Moise de Vigny se lamente:

"

J'ai marche devant tous, triste et seul dans ma gloire,

(.

..

)

Quant aux poetes orgueilleux du "Prologue" aux Poemes sa tu miens:

( ••• ) l'isolement sied

a

leur marche lente.

Il est fort possible que Verlaine, ecrivant son "Prologue", ait songe aux "Bohemiens en voyage" de Baudelaire. Celui-ci

represente le monde des artistes comme une "tribu prophetique 2

°

Ch. Dedeyan, op. cit., p. 19.

(41)

aux prunelles ardentes", qui se met en route '*promenant sur le ciel des yeux appesantis/ Par le morne regret des chimeres absentes." Le poete se sent

a

jamais isole du monde. Baudelaire eprouve un "sentiment de destinee etemellement solitaire". 22 Les mots "seul", "seulette", "solitude", sont parmi les plus frequents chez Verlaine. C'est souvent le poete ~i prononce son propre exil. En ce sens,la generation "fin de siecle" continue la critique romantique de la societe. C'est surtout

a

partir de

la Monarchie de Juillet que l'utilitarisme est devenu un modele pour la societe bourgeoise. L'homo oeconomicus,

condamne depuis le Moyen Age comme usurier, prend la place traditionnelle du pr~tre et du seigneur au sommet de la hierarchie des fonctions. 23

Bronislawa Monkiewicz voit Verlaine "irregulier de nature et vagabond d'esprit", et ajoute qu'il n'a pas pu "tirer parti de 1' actuali te". 24 Cet "inadapte" appara1 t, comme toute une generation avant lui, comme la victime et le temoin d'un desequilibre, entre les aspirations de l'art

22 "Mon coeur mis

a

nu", Pleiade, p. 1202.

23 Pour une description de la transformation sociale en France au XIxe siecle, voir Cesar Grana, Bohemian versus Bourgeois (New York: Basic Books, 1964).

24

B. Monkiewicz Verlaine critique litteraire (Paris: Albert Messein, 1928~, p.

46.

(42)

...

et la realite decevante. Verlaine, des son "Prologue" aux Poemes saturniens, dit ce divorce de l'action avec

le r~ve:

-Aujourd'hui, !'Action et le R~ve ont brise Le pacte primitif par les siecles use,

Et plusieurs ont trouve funeste ce divorce De l'Harmonie immense et bleue et de la Force. Baudelaire avai t exprime la m~me idee dans son "Reniement de Saint Pierre":

-Certes, je sortirai, quant A moi, satisfait

D'un monde ou l'action n'est pas la soeur du r~ve.

'

Gautier

a

son tour voulait "unir heureusement le r~ve

a

l'action". 25 Chez Verlaine, ce vacillement entre r~ve et realite est un element important du theme de l'errance. Dans le "Nevermore" de "Caprices", le "Bonheur, cet aile voyageur" (souvenir de "L'Albatros" de Baudelaire?) qui a marche A ct>te du poete est aneanti par la "FATALITE". Voici la conclusion de cette 11pranenade" detruite:

Le ver est dans le fruit, le reveil dans le r~ve,

(

...

)

La separation irremediable du r~ve et de 1 'action s'applique non seulement

a

la condition de 1'~ viator, universe!, intemporel, mais aussi

a

une realite specifique: un contexte socio-politique situe et date. Dans les deux

cas, il faut tenir canpte d'une certaine ambigutte quant

au theme de l'errance. Si elle para1t une forme de protestation ZS Poesies comaletes, 2, p. 61, cite par A. Adam dans

(43)

contre la realite ecrasante, elle implique aussi l'incapacite d'agir, l'impossibilite de protester activement, efficacement.

Octave Nadal touche juste quand il declare que "c'est dans la permanence et la force du sentiment qui, de tres bonne heure, avait uni chez Verlaine poesie et revolte qu'il faut situer le conflit vecu entre reve et action, si l'on veut saisir les vicissitudes, les dechirements, les repercussions de toute nature, qu'il entra1na pour sa

vie et pour son art."26 Le portrait des heros de la

Commune, par lequel debute 11Les vaincus", para1t centre sur

les memes images d'exil et d'egarement qui regissent la course incertaine des poetes maudits de "Grotesques", qui "vont haillonneux. et hagards", victimes de cette rupture entre ce qui est et ce qui devrait etre:

Et nous que la deroute a fait survivre, helas!

Les pieds meurtris, les yeux troubles, la tete lourde, Saignants, veules, fangeux, deshonores et las

Nous allons, etouffant mal une plainte sourde,

(

...

)

Le premier vers de ce poeme annonce que "la Vie est

triomphante et l'Ideal est mort". N'est-il pas revelateur que les deux premieres parties des "Vaincus" aient porte, lors de leur publication en 1867, le titre "Les Poetes"? Revelateur, aussi,le fait que la version definitive du poeme, qui date de 1872, comporte un appel

a

la revolte,

26 Preface, Oeuvres completes de Paul Verlaine (Paris: Club du meilleur livre, 1959), cite par

J.

Bore!, ed., Verlaine. Oeuvres poetigues com~letes (Paris: Gallimard, Bibliotheque de la Pleiade, 196 ), p. 1157.

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