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Un événement particulier mérite l’attention du lecteur concernant les résistances politiques formelles au Yunnan. Nous allons analyser la visite au Yunnan de Bo Xilai, en plein cœur du scandale qui devait le condamner et anéantir ses efforts pour s’imposer à la tête du comité central du PCC.

Le 8 février 2012, Bo Xilai, alors maire de Chongqing se rend à Kunming où il inspecte le 14eme corps d’armée stationné au Yunnan, comptant 50 000 hommes, anciennement dirigé par son père318.

315 Ce nom est utilisé alternativement avec Yunnan. South China Morning Post, 30 décembre 2016, “Chinese

governor mocked for getting name of his own province wrong.”

https://www.scmp.com/news/china/society/article/2058160/chinese-governor-mocked-getting-name-his-own- province-wrong consulté le 10 juin 2019.

316 Yun Sun, 2017, China and Myanmar’s Peace Process, United States Institute of peace, Special Report. 317 Yun Sun, 2017, China and Myanmar’s Peace Process, United States Institute of peace, Special Report. P7

318Ho Pin et Huang Wenguang, Coup d’état à Pekin traduction de Georges Liébert, ed Slatkine&Cie. 2017 p121.

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Bo Xilai est à ce moment-là en plein milieu de l’affaire autour de son chef de la police Wang Lijun et des accusations pour meurtre de sa femme. Mais surtout, en 2012 la lutte entre Bo Xilai et Xi Jinping pour le poste de secrétaire-général du PCC était dans sa phase finale. Bo Xilai avant l’éclatement du scandale, était considéré comme un favori pour ce poste. Xi Jinping a déployé énormément d’efforts et de fermeté à l’encontre de Bo Xilai, le jugeant comme un adversaire. Selon Ho et Huang, la visite au corps d’armée peut s’interpréter comme une démonstration de force, de la part de Bo Xilai. En plus de la garnison319, Bo Xilai demande à se rendre en barque sur le lac Dian. La référence à une citation de Mao Zedong « assis fermement dans le bateau de pêche, alors que le vent et les vagues se lèvent.320 » a gravé cet épisode comme celui de « nourrir les oiseaux » 喂鸟321. Par cette mise en scène au Yunnan, le candidat au poste suprême souhaitait

apparaître, décontracté, et en retrait du scandale le concernant.

Le choix du Yunnan pour cette opération traduit deux éléments. Premièrement, la persistance au Yunnan de réseaux d’allégeance distincts des réseaux dominants à Pékin, avec le soutien du corps du 14 ème régiment à Bo Xilai. Ensuite, la persistance des représentations du Yunnan comme d’une marge, d’un lieu de retrait, éloigné du centre. On voit bien ici l’aspect subversif que peut symboliser la province du Yunnan sur un plan de politique intérieur. Pour Bo Xilai elle semble avoir été une sorte de refuge en même temps qu’un lieu potentiel de démarrage d’une campagne de ralliement hostile au pouvoir central. Ce voyage au Yunnan, en plein dans la fixation des tensions qui allaient faire naitre « l’affaire Bo Xilai », a failli être annulé au dernier moment, Bo souhaitant au plus vite rejoindre Pékin pour resserrer ses alliances avec les autres membres du comité central, voir rencontrer le président Hu Jintao. Toutefois Ho et Huang révèlent que le chef de cabinet de Hu Jintao recommanda à Bo de maintenir son voyage au Yunnan, et que là-bas serait envoyé un émissaire permettant d’informer Bo Xilai des pensées de Hu Jintao. Ho et Huang commentent « La lointaine province du Yunnan était le lieu idéal pour ce genre de discussions secrètes. »322. La situation géographique éloignée, enclavée du Yunnan par rapport à la capitale,

319 Rappelons ici notre illustration préalable de l’influence toujours conséquente de l’armée sur la politique au

Yunnan.

320 Ho Pin et Huang Wenguang, Coup d’Etat à Pékin. p120.

321 Epoch Times, 12 février 2012, « 薄熙来被曝“考察”云南另有缘由 »

http://www.epochtimes.com/gb/12/2/12/n3509877.htm consulté le 20 mai 2019.

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son statut de marge loin du cœur, permettent d’y tenir les négociations internes du parti communiste, qui ne doivent pas paraître au grand jour. La politique se rapproche du théâtre comme genre littéraire, puisqu’elle suppose une scène et des coulisses. Le Yunnan semble avoir bel et bien était le lieu de ces coulisses ou des arcanes d’une partie de l’affaire Bo Xilai.

La visite de Xi Jinping au Yunnan 3 ans plus tard, en 2015, a mis en scène une visite par le président de la même garnison de la 14ème armée marquée par Bo Xilai323. Cet épisode clef dans le duel pour le poste de nouveau secrétaire général du PCC, illustre la place du Yunnan sur la scène politique nationale chinoise. Le Yunnan est resté un lieu trouble de la politique chinoise, ou les orientations de Pékin ne sont suivies qu’à contre-temps. Ainsi alors que le Yunnan

s’affirme comme une province dominée par des sympathisants à la Nouvelle Bande des Quatres, celle-ci est décapitée avec la chute de Bo Xilai, et Xi Jinping aujourd’hui a mis en examen le gouverneur Qin Guangrong d’alors. Xi Jinping a d’ailleurs fait produire par des soutiens une série télévisée (永远在路上 Always on the road) mettant en scène la famille de Bo Xilai recevant des pots de vins au Yunnan. Le Yunnan reste donc une terre trouble, « corrompue » aux yeux de Pékin, à contre-temps des décisions qui y sont prises. Cette place est toujours celle d’une marge.

B/ Une province toujours marginale ?

En introduction de cette étude nous illustrions le statut de marge du Yunnan au sein de la république populaire de Chine. Après 2016 et le développement d’une politique de transparence au Yunnan, nous allons ici proposer un bilan de ce statut de marginalité sur les plans économique et culturel. Le Yunnan est-il encore une marge ? Nous soulignions en introduction la place qu’une marge peut prendre au sein de la société chinoise, comme un observatoire de cette dernière. Il s’agira donc de discuter premièrement de la persistance de la marginalité économique du Yunnan

323 New Tang Dynasty Television, 21 juillet 2015, « 薄熙来云南“喂鸟”被涮 曝 14 军秘密请示过中央 »

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à travers le prisme du développement, puis ensuite d’étudier l’évolution du Yunnan comme observatoire des mutations chinoises à partir des messages et critiques aujourd’hui inspirées par cette province.