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CHAPITRE 5. TRAITEMENT COGNITIF DE L’INFORMATION ÉMOTIONNELLE

5.2 E XPÉRIENCE P300

Le but de cette expérience est d’investiguer l’influence de la personnalité sur les étapes successives (perceptives comme attentionnelles) du traitement cognitif de stimulations émotionnelles, en enregistrant les potentiels évoqués induits à la suite de la présentation d’images à contenu émotionnel.

4 Mardaga S. & Hansenne M. (2009). Personality modulation of P300 wave recorded within an emotional oddball protocol. Clinical Neurophysiology/ Neurophysiologie Clinique, 39, 41-48.

5.2.1 Méthode

Sujets. 46 sujets sains âgés de 18 à 27 ans (moyenne=21.44, SD=2.49) ont participé à l’expérience (23 hommes et 23 femmes). Tous les sujets étaient naïfs vis-à-vis des buts de l’expérience ainsi que des images faisant partie du protocole expérimental. Leur vision était normale ou corrigée. L’utilisation de substance psychotrope était interdite pendant la semaine précédant l’expérience. Le protocole expérimental a été approuvé par le comité d’éthique de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université de Liège et les sujets ont signé un formulaire de consentement éclairé avant le début de l’expérience.

Les sujets ont rempli la version française du TCI-R (Cloninger 1999 ; Hansenne et al., 2005 ; Pélissolo et al., 2005) traduite par Pélissolo, Notides, Musa, Téhérani & Lépine. L’éveil était évalué par une échelle visuelle analogique de 10 cm avec aux extrémités « Somnolent » et « Eveillé ». Enfin, les sujets ont rempli une version française de l’échelle d’humeur Positive Affect and Negative Affect Schedule (PANAS, Watson et al., 1988, Gaudreau, 2000 pour la version française) : dix adjectifs positifs et dix négatifs sont présentés, pour lesquels le sujet doit juger dans quelle mesure ils correspondent à son humeur actuelle (« en ce moment, je me sens … ») sur une échelle de type Likert en 5 points (de 1=très peu ou pas du tout à 5=énormément).

Matériel émotionnel. L’onde P300 a été enregistrée lors d’un protocole oddball visuel. Des damiers rouges et blancs constituaient la stimulation standard, et des images à contenu émotionnel les stimulations déviantes (cibles). Les stimulations visuelles étaient des images à contenu émotionnel, choisies dans l’International Affective Picture System (IAPS, Lang et al., 1999). 75 images furent sélectionnées : 25 images neutres (des objets domestiques), 25 images positives (images érotiques, scènes heureuses), et 25 images négatives (situations effrayantes). Chaque image était présentée sur un écran d’ordinateur (17’’, 60Hz) situé à une distance d’un mètre des sujets. Chaque image a été jugée par les sujets sur des échelles de type Likert en neuf points de plaisir (1=image très déplaisante, 9=image très plaisante) et d’éveil émotionnel (1=pas de réaction émotionnelle, 9=réaction émotionnelle intense).

Procédure. À leur arrivée, les sujets complétaient les tests de personnalité et les électrodes étaient attachées. La session d’enregistrement durait environ 11 minutes. Les sujets avaient pour consigne d’appuyer sur une touche le plus rapidement possible dès qu’une image différente du damier apparaissait. Après l’enregistrement, les mêmes images étaient présentées aux sujets, qui devaient juger ces images sur les échelles de plaisir et d’éveil.

Enregistrement et analyse des données électrophysiologiques. Les PE ont été enregistrés alors que les sujets étaient confortablement installés dans une pièce calme. L’onde P300 était enregistrée à l’aide d’un protocole oddball visuel actif, avec 80% de stimulations standards (damiers rouges et blancs) et 20% de stimuli déviants (images émotionnelles), présentés dans un ordre pseudo-aléatoire, de sorte que chaque stimulus rare était précédé par au moins deux damiers. Un total de 375 images furent présentées, pendant une seconde chacune, avec un intervalle inter-stimulus de 850 ± 50ms.

L’EEG était enregistré au moyen d’électrodes Ag/AgCl attachées aux sites Fz, F3, F4, Cz, C3, C4, Pz, P3, P4, Oz, O1 et O2 tels que déterminés par le système 10-20, en utilisant les lobes d’oreille comme références, et le front comme terre. L’impédance était inférieure à 5 kΩ. Un EOG était enregistré sous l’œil gauche. Le gain d’amplification était réglé à 20, et la bande passante à 0.05-35Hz.

L’EEG était enregistré pendant 900 ms, avec une ligne de base de 150 ms avant la présentation du son. Les enregistrements pour lesquels l’EEG ou l’EOG dépassaient 30 écarts-types de la distribution des amplitudes étaient automatiquement rejetés. Les ondes P100, N100, P200, N200 et P300 furent définies comme les pics les plus positifs ou négatifs compris entre 70-160, 90-200, 150-250, 220-320, et 300-600ms, respectivement. L’enregistrement EEG, la présentation des stimuli et l’analyse des tracés étaient gérés par un système ANT.

Analyses statistiques. Des corrélations de Spearman (correction de Bonferroni) ont été menées entre les scores d’éveil et d’humeur d’une part et les paramètres de l’onde P300 d’autre part, afin de contrôler leur éventuelle influence sur les résultats principaux.

Les données électrophysiologiques ont été analysées au moyen d’ANOVAs à mesures répétées (3 Catégories d’images X 12 Électrodes), pour les amplitudes et les latences des ondes précédemment citées.

Pour analyser les relations entre personnalité et réponses émotionnelles, deux groupes ont été créés pour chaque dimension de la personnalité mesurée par le TCI-R : un groupe présentant un score élevé et un groupe présentant un score bas à la dimension (sujets situés sous et au-delà de la médiane de la distribution des scores). Les données ont ensuite été soumises à des ANOVAS triples (3 Catégories d’images X 12 Électrodes X 2 Groupes de personnalité), avec la catégorie d’images et l’électrode comme facteurs en mesures répétées, sur les amplitudes et les latences des ondes précédemment citées. Autant d’ANOVAs ont été menées que de dimensions sont mesurées par le TCI-R (sept). Pour toutes les analyses de variance, la correction de Greenhouse-Geisser pour manque de sphéricité a été appliquée à tous les effets incluant une mesure répétée comme facteur. Des tests t de Student ont été utilisés pour les comparaisons pairées.

5.2.2 Résultats

Le plaisir moyen pour les images neutres, plaisantes et déplaisantes était de 4.9, 6.2 et 2.6 respectivement, et l’éveil moyen de 4.7, 5.2 et 5.9. Aucune corrélation entre les scores aux échelles d’éveil et d’humeur et les paramètres des composantes enregistrées n’atteint le seuil de significativité.

L’ANOVA simple menée sur les temps de réaction n’a montré aucun effet significatif de la catégorie d’images (F(2, 90)=2.28, p=0.11). Les ANOVAs doubles n’ont montré ni effet principal ni interaction impliquant la personnalité sur les temps de réaction.

Les grandes moyennes des tracés enregistrés sont présentées dans la figure 5.3. Les résultats des ANOVAs doubles menées sur les amplitudes et latences des ondes P100, N100, P200, N200 et P300 sont présentés dans la table 5.1. Avec les amplitudes, les analyses montrent que les images déplaisantes évoquent des P100 plus petites que les images neutres aux sites postérieurs (O2, Oz, P2), que les images plaisantes évoquent des P200 plus amples que les images

neutres et déplaisantes aux sites frontaux et centraux, mais plus petites en occipital, que les images plaisantes évoquent des N200 plus petites que les images neutres et déplaisantes, aux sites frontaux et centraux, et que les images plaisantes évoquent des P300 plus amples que les images neutres et déplaisantes aux sites frontaux et centraux. Avec les latences, les analyses montrent que la P100 est plus courte après la présentation d’images plaisantes et déplaisantes que pour les images neutres, et que la N200 est plus courte après la présentation d’images plaisantes par rapport aux images neutres et déplaisantes.

Figure 5.3. Grandes moyennes des ondes enregistrées suite à la présentation des images standards (damiers) ou des images cibles

neutres, plaisantes et déplaisantes.

Variable dépendante Effet F (ddl) p P100 Amplitude Catégorie d’images 0.15 (2, 90) 0.85

Electrode 88.62 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 3.75 (22, 990) 0.001

Latence Catégorie d’images 3.20 (2, 90) 0.047

Electrode 8.64 (11, 495) 0.001

Catégorie d’images X électrode 1.65 (22, 990) 0.08 N100 Amplitude Catégorie d’images 0.32 (2, 90) 0.69

Electrode 32.22 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 1.66 (22, 990) 0.12

Latence Catégorie d’images 1.00 (2, 90) 0.37

Electrode 14.87 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 2.16 (22, 990) 0.022 P200 Amplitude Catégorie d’images 0.51 (2, 90) 0.59

Electrode 25.71 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 26.36 (22, 990) <0.0001

Latence Catégorie d’images 0.14 (2, 90) 0.86

Electrode 12.17 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 0.89 (22, 990) 0.54 N200 Amplitude Catégorie d’images 4.89 (2, 90) 0.01

Electrode 60.12 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 26.58 (22, 990) <0.0001

Latence Catégorie d’images 7.12 (2, 90) 0.002

Electrode 12.26 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 0.82 (22, 990) 0.60 P300 Amplitude Catégorie d’images 6.24 (2, 90) 0.003

Electrode 54.04 (11, 495) <0.0001

Catégorie d’images X électrode 16.72 (22, 990) <0.0001

Latence Catégorie d’images 0.10 (2, 90) 0.88

Electrode 6.77 (11, 495) 0.001

Catégorie d’images X électrode 1.11 (22, 990) 0.35 Table 5.1. Valeurs de F et leur probabilité de dépassement associées aux ANOVAS menées sur les amplitudes et latences des ondes P100,

N100, P200, N200 et P300.

En ce qui concerne les ondes P100, N100 et P200, aucun effet de la personnalité n’est apparu significatif, avec les latences ni les amplitudes.

Une interaction significative évitement du danger x catégorie d’images a été mise en évidence sur l’amplitude de la N200 (F(2,80)=4.60, p=0.014). Les comparaisons pairées montrent que les images plaisantes évoquent des N200 moins amples que les images neutres ou déplaisantes chez les sujets caractérisés par un score bas en évitement du danger (t(40)=3.89, p<0.001 et t(40)=3.73, p<0.001), mais pas chez ceux présentant un score élevé à cette dimension (t(40)=0.18, p=0.86 et t(40)=0.35, p=0.73) (voir figure 5.4).

-3.5 -3.0 -2.5 -2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0

HA- HA+

Amplitude N200 (µV)

Neutres Positives Négatives

Figure 5.4. Amplitude de la N200 provoquée par les images neutres, plaisantes et déplaisantes, chez les sujets caractérisés par des scores

bas et élevés en évitement du danger.

Une interaction marginale évitement du danger x catégorie d’images a été mise en évidence sur l’amplitude de la P300 (F(2,80)=3.14, p=0.053). Les comparaisons pairées montrent que les images plaisantes évoquent des P300 plus amples que les images neutres ou déplaisantes chez les sujets caractérisés par un score bas en évitement du danger (t(40)=4.37, p<0.001 et t(40)=2.59, p=0.01), mais

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pas chez les sujets présentant un score élevé à cette dimension (t(40)=0.20, p=0.85 et t(40)=1.14, p=0.31) (voir figure 5.5).

0.0 2.0 4.0 6.0 8.0 10.0 12.0 14.0 16.0 18.0 20.0

HA- HA+

Amplitude P300 (µV)

Neutres Positives Négatives

Figure 5.5. Amplitude de la P300 provoquée par les images neutres, plaisantes et déplaisantes, chez les sujets caractérisés par des scores

bas et élevés en évitement du danger.

Une interaction significative évitement du danger x catégorie d’images x électrode sur les latences des P300 a été mise en évidence (F(22,880)=1.98, p=0.04), reflétant une P300 plus lente au niveau pariétal (P3) pour les images plaisantes que pour les images neutres chez les sujets présentant un score élevé en évitement du danger (t(40)=2.67, p=0.01) mais pas chez ceux présentant un score bas à cette dimension (t(40)=0.69, p=0.69). Aucun autre effet de la personnalité n’a été observé.

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