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CHAPITRE 6. CONCLUSION DES CHAPITRES 4 ET 5

6.4 C ONCLUSIONS GÉNÉRALES ET PISTES

Les émotions jouent un rôle dans un nombre considérable de situations et phénomènes, et divers aspects de la vie psychique sont modulés par elles. Alors qu’elles étaient autrefois considérées uniquement comme un élément perturbateur, gênant les aspects rationnels du fonctionnement psychologique (i.e., la cognition), les émotions sont aujourd’hui reconnues comme un élément adaptatif à part entière.

Elles permettent à l’individu d’interagir de façon adaptée avec son environnement, en orientant son attention vers les stimuli pertinents (i.e., associés à un danger ou une récompense potentielle), en facilitant ses relations sociales, en préparant son corps à affronter les situations signifiantes, en lui fournissant des indices somatiques qui aideront à guider et à optimiser ses comportements (Cosmides & Tooby, 2000 ; Damasio, 1994 ; Smith & Lazarus, 1990). L’importance des émotions devient par ailleurs évidente lorsqu’on observe les difficultés (notamment sociales) rencontrées par des sujets souffrant d’affections neurologiques ou psychiatriques qui altèrent la

réactivité émotionnelle, telles que la schizophrénie (Aguirre, Sergi, & Levy, 2008), l’alexithymie (Lumley, 2004), certains troubles de la personnalité (Herpertz et al., 2001a et b) ou des lésions cérébrales touchant les structures impliquées dans les réponses émotionnelles (Berntson, Bechara, Damasio, Tranel, & Cacioppo, 2007 ; Damasio, 1994).

De façon très générale, les émotions influencent, on l’a vu, la qualité de vie, au travers de la satisfaction que le sujet retire subjectivement de sa vie, du bonheur et du bien-être qu’il juge être les siens (Brebner, 1998 ; Francis, 1999 ; Steward et al., 2005 ; Svrakic et al., 1992). L’influence des émotions sur la santé constitue un domaine de recherche entier. Plusieurs voies très différentes peuvent en effet relier la sensibilité émotionnelle (et la personnalité) aux produits physiologiques. Ainsi, les relations entre le stress aigu (étroitement lié à la réactivité émotionnelle) et chronique (et sa gestion) et l’immunité, ainsi que leur mécanismes d’interactions, sont de mieux en mieux connues depuis deux décennies, et suggèrent un rôle majeur du stress dans un grand nombre de problèmes de santé : infections virales, progression de tumeurs, maladies auto-immunes (Kemeny & Schedlowski, 2007).

Le rôle d’émotions spécifiques a quant à lui été étudié sur les comportements influençant la santé. Ainsi, par exemple, l’anxiété et la sensibilité-trait aux émotions négatives ont été associées à une attention plus grande portée aux symptômes et à des comportements plus fréquents de consultations précoces concernant des maladies telles que l’asthme et le cancer (Hay, McCaul, & Magnan, 2006 ; Mora, Halm, Leventhal, & Ceric, 2007). A contrario, l’humeur dépressive est associée à un allongement du délai avant consultation pour problèmes cardiaques aigus, ainsi qu’à une moindre compliance aux programmes de santé préventifs pour les problèmes cardiaques chroniques (Bunde & Martin, 2006 ; Ziegelstein, Fauerbach, Stevens, Romanelli, Richter, & Bush, 2000). Finalement, certaines dimensions de la personnalité, probablement du fait de la relation à une réactivité émotionnelle particulière (recherche de sensations), corrèlent avec l’apparition de comportements qui pourraient être qualifiés de risqués, tels que le déclenchement statistiquement précoce de troubles de la consommation de substances psychotropes chez les sujets chercheurs de sensations (Basiaux et al., 2001 ; Cloninger, 1987 ; Le Bon et al., 2001 ; Masse & Tremblay, 1997). Au final, les émotions influencent la santé du sujet via des effets physiologiques directs, mais aussi par le développement de

comportements plus ou moins sains (recherche de soins, compliance au traitement) ou risqués.

Enfin, les phénomènes émotionnels ont été largement impliqués dans de nombreuses affections psychiatriques ainsi que dans leur traitement (Ehrenreich, Fairholme, Buzzella, Ellard, & Barlow, 2007). Ainsi, outre les troubles de l’humeur qui seront abordés plus bas, des symptômes émotionnels se trouvent cités dans le tableau clinique des troubles anxieux, de la schizophrénie, et des troubles de la personnalité (Krings & Bachorowski, 1999). De plus, la sensibilité émotionnelle différentielle pourrait influencer l’apparition de certains troubles anxieux. Selon l’hypothèse dite associative, les apprentissages sont en effet un de leur facteur étiologique (or les apprentissages élémentaires sont modulés par la personnalité, vraisemblablement du fait de la sensibilité émotionnelle différentielle ; Corr et al., 1995 et 1997 ; Zinbarg & Mohlman, 1998 ; Zinbarg & Revelle, 1989). Par exemple, dans le cas d’une phobie simple, l’objet phobique initialement neutre acquiert une valeur émotionnelle aversive après avoir été associé à une punition ; dans le cas d’un trouble panique, les stimuli intéroceptifs associés au début de la première attaque de panique peuvent favoriser l’apparition d’une nouvelle attaque de panique. Ces alarmes apprises consistent en le fait que certains éléments internes ou externes contingents à la première alarme, vraie (i.e., adaptée, lorsque le danger est réel), ou fausse (quand il n’existe pas de danger justifiant l’alarme) lui sont associés, et deviennent capables de provoquer une alarme (Bouton, Mineka &

Barlow, 2001 ; Mineka & Öhman, 2002). Il a aussi été suggéré, dans la mesure où les tempéraments sont des dimensions stables dans la vie, les différences associées à la réactivité émotionnelle apparaissant vraisemblablement de façon précoce, que les différences interindividuelles dans la réactivité émotionnelle avaient une influence développementale sur l’apparition d’affections psychiatriques telles que la dépression, les troubles anxieux (Clark, Watson & Mineka, 1994), ou les troubles de la personnalité ; par exemple, il a été suggéré que l’hyporéactivité à des stimulations déplaisantes classiquement observée dans la personnalité antisociale perturbait le développement affectif, notamment en rendant l’accès difficile aux concepts de contrôle et d’empathie, deux facteurs étiologiques pertinents dans ce trouble de personnalité (Fowles, 2000).

Ainsi, les émotions, et de ce fait les différences interindividuelles de réactivité émotionnelle, interviennent dans des aspects nombreux et variés de la vie, incluant entre autres les comportements motivés, le traitement cognitif préférentiel, les apprentissages, la santé, et le bien-être ; les résultats présentés ici ouvrent donc de nombreuses possibilités d’application dans des domaines divers. Les résultats décrits et discutés jusqu’ici concernent uniquement les sujets sains, et se rapportent également à des situations basiques de simple présentation. Ces résultats ont permis des discussions théoriques mais ont peu donné la mesure de leur intérêt quant à leurs implications dans la vie psychologique, bien que des considérations générales viennent d’être abordées. Pour ces raisons, et afin de donner un aperçu (furtif) de l’intérêt et du champ d’application des données présentées, les deux chapitres suivants s’intéresseront aux réponses émotionnelles (autonomes) différentielles dans des cadres plus variés : en situation de prise de décision d’une part, et chez des sujets déprimés d’autre part. Il s’agira donc de faire valoir les résultats présentés plus haut dans le cadre de leur possible implication dans des situations courantes de la vie, ainsi que leur intérêt dans la compréhension de troubles psychopathologiques.

Chapitre 7. I MPLICATION DE LA RÉACTIVITÉ