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M ODULATION PAR LA PERSONNALITÉ DE LA RÉACTIVITÉ ÉMOTIONNELLE

CHAPITRE 6. CONCLUSION DES CHAPITRES 4 ET 5

6.2 M ODULATION PAR LA PERSONNALITÉ DE LA RÉACTIVITÉ ÉMOTIONNELLE

Qu’il s’agisse des résultats concernant l’aspect autonome (RED) ou cognitif (PE) de la réactivité émotionnelle, les dimensions associées au BIS et au BAS se sont révélées moduler à la fois les réponses aux stimulations plaisantes et déplaisantes. Les résultats supportent donc la joint subsystem hypothesis, plutôt que la separate system hypothesis originellement proposée par Gray (1970). Celle-ci supposait que le BIS modulait la réactivité aux stimulations déplaisantes, et le BAS la réactivité aux stimulations plaisantes. Au contraire, Corr (2002) a proposé que les deux dimensions modulaient la réactivité à la fois aux stimuli appétitifs et aversifs, et ainsi influaient ensemble (et de façon opposée) sur la balance comportementale d’approche/évitement. Nos résultats supportent donc plutôt la conception de deux systèmes motivationnels en étroite interaction, bien que distincts anatomiquement. Il faut souligner que ces interactions entre la sensibilité des systèmes appétitifs et défensifs est fonction de la demande de la situation : théoriquement, les deux systèmes interagissent uniquement lorsque des signaux mélangés de récompense et punition apparaissent dans l’environnement (soit la plupart des situations, réelles comme expérimentales) ; l’alternance dans la présentation de stimulations appétitives et aversives au cours des protocoles expérimentaux constituerait ainsi un environnement hétérogène qui induit une interaction entre les deux systèmes motivationnels, mais des situations expérimentales purement appétitives ou aversives amèneraient théoriquement d’autres résultats, soit une influence uniquement du système pertinent.

Les dimensions d’intérêt dans le modèle de Cloninger étaient principalement la recherche de nouveauté et l’évitement du danger, dans la mesure où elles avaient été construites de façon à refléter la sensibilité du système appétitif (BAS) et du système défensif (BIS) respectivement (Cloninger, 1987). Les résultats rapportés montrent que ces deux dimensions sont effectivement les seules à moduler les divers indices mesurés de la réactivité émotionnelle, même si en de nombreuses occasions, ces modulations n’apparaissent pas. Cette absence de résultats a été interprétée notamment en regard des caractéristiques du matériel présenté, mais il doit aussi être notifié que les dimensions mesurées peuvent en soi constituer un facteur explicatif pour les résultats nuls.

La recherche de nouveauté, on l’a vu, a été définie comme la sensibilité du système appétitif, les sujets présentant un score élevé étant supposés montrer des réponses intenses aux indices de récompenses (Cloninger, 1987). De façon congruente avec le fait que, historiquement, les autres mesures de la sensibilité du système appétitif se sont beaucoup référées à l’impulsivité, la recherche de nouveauté reflète en grande partie des caractéristiques telles que le manque de délibération, d’ordre, ou de réserve, qui se rapportent largement à l’impulsivité. De même, la recherche de nouveauté a été rapprochée par des études de corrélation d’échelles destinées proprement à mesurer l’impulsivité (Franken & Muris, 2006 ; Pickering, 2004). Récemment, cependant, il a été avancé que la dimension impulsivité ne serait pas le meilleur prédicteur de la sensibilité du système appétitif, mais constituerait un facteur distinct de la personnalité (Depue & Collins, 1999 ; Franken & Murris, 2006 ; Smillie & Jackson, 2006 ; Smillie et al., 2006). De nombreuses échelles ont été proposées comme mesure du BAS (CW-BAS, SR, …), et l’extraversion semble actuellement la plus satisfaisante (Depue & Collins, 1999 ; Pickering, 2004), bien que rien dans sa construction théorique ne se réfère à la sensibilité émotionnelle différentielle (Mattews & Gilliland, 1999). Ainsi, il est possible que la recherche de nouveauté utilisée ici ne soit pas une mesure optimale du BAS, et la plus à même de mettre en évidence des modulations fines des réponses émotionnelles. Malgré cette réserve, la recherche de nouveauté module ici les amplitudes des réponses électrodermales aux images (expérience RED1), ce qui suggère soit que la recherche de nouveauté est une mesure mêlée de l’impulsivité et de la sensibilité à la récompense, soit comme le suggèrent Smillie et

al. (2006), que, même si ces deux facteurs sont distincts, « ils partagent une base biologique commune, mais sont médiés par des mécanismes cognitifs séparés ».

De même, l’évitement du danger ainsi que les autres dimensions de personnalité de type anxiété-état basées sur le BIS originellement décrit par Gray se voient remises en question en tant que prédicteur de la sensibilité du système défensif, du fait de la récente révision du modèle de Gray, selon laquelle le système défensif serait constitué à la fois du FFFS et du BIS, ce dernier étant en particulier responsable de la pondération des tendances d’approche et d’évitement (Gray &

McNaughton, 2000), ainsi que de la distinction grandissante entre peur et anxiété (Gray & McNaughton, 2000 ; Smillie et al., 2006). Ainsi, le BIS et les mesures de l’anxiété (y compris l’évitement du danger) ne reflèteraient que de façon incomplète la sensibilité du système défensif, et ici encore, il est possible que des modulations fines de la réponse émotionnelle auraient été plus facilement mises en évidence par des mesures plus pertinentes et/ou plus complètes de la sensibilité du BIS et du FFFS. La question de quelle dimension utiliser est cependant dans ce cas encore plus ardue que dans le cas du système appétitif, puisqu’il n’existe pas d’échelle propre à la mesure du FFFS (Smillie et al., 2006).

Il faut toutefois noter que d’autres mesures de la personnalité (SP, SR, extraversion, neuroticisme, CW-BIS et -BAS) ont été récoltées dans le cas de certaines expériences (RED images 2 et MMN2 –résultats non-rapportés ici dans un souci de cohérence et de concision), et que les résultats obtenus avec ces autres dimensions ne sont pas plus concluants que ceux obtenus avec la recherche de nouveauté et l’évitement du danger. Ainsi, bien que la remarque devait être faite au vu des récentes remises en questions des dimensions associées proprement à la sensibilité des systèmes appétitif et défensif, il semble que dans le cas présent, les dimensions de personnalité utilisées ne doivent pas nécessairement être mises seules en cause dans le rapport de résultats nuls ou peu robustes.

Aucune influence des autres dimensions tempéramentales du modèle (dépendance à la récompense et persistance) sur la réactivité émotionnelle n’a été mise en évidence dans les présents travaux. La dépendance à la récompense a été précédemment associée au BAS (en particulier, à la sous-dimension Reward Responsiveness de la C-W BIS/BAS scale) par des études de corrélation (Carver &

White, 1994; Caseras et al., 2003). D’autre part, deux études (Corr et al., 1995;

Caseras et al., 2003) ont montré que la dépendance à la récompense (RD) corrélait positivement avec à la fois l’extraversion et le neuroticisme (RD=E+N+), ce qui situe cette dimension à la place du BAS dans l’espace eysenckien de la personnalité (voir figure 2.1). On aurait donc pu s’attendre à ce que cette dimension favorise la réactivité aux stimulations plaisantes. Cependant, les travaux cités plus haut utilisaient le TPQ comme mesure des trois dimensions originelles du modèle de Cloninger (recherche de nouveauté, évitement du danger, dépendance à la récompense). La persistance était dans le TPQ une sous-dimension de l’échelle dépendance à la récompense, alors que la dépendance à la récompense mesurée par le TCI-R n’inclut plus la persistance (mais la mesure comme une dimension distincte) mais se réfère principalement à l’aspect social de la récompense (i.e., sentimentalité, sensibilité à l’approbation sociale) (Cloninger et al., 1993). Ainsi, on peut avancer que la sous-dimension persistance de l’échelle dépendance à la récompense du TPQ explique l’implication précédemment mise en évidence de la dépendance à la récompense dans l’échelle CW-BAS, et que les aspects sociaux de la récompense ne sont pas impliqués dans les comportements d’approche mais d’inhibition. En effet, la dépendance à la récompense semble être aussi un bon prédicteur (avec l’évitement du danger) de l’échelle CW-BIS (Carver & White, 1994;

Caseras et al., 2003 ; Mardaga & Hansenne, 2007). Ceci peut être dû au fait que les sujets présentant un score élevé à cette dimension pourraient être aussi sensibles aux indices de punition que de récompense dans un contexte social, puisqu’ils sont décrits comme dépendants de l’approbation mais aussi sensibles aux rejets et critiques (Cloninger et al., 1993). De plus, certains items de l’échelle CW-BIS (e.g.,

« les critiques et réprimandes me blessent beaucoup ») se réfèrent précisément à l’aspect social de la punition.

Des études suggèrent que la persistance, quant à elle, pourrait être (avec la recherche de nouveauté) un bon prédicteur de l’échelle CW-BAS (Mardaga &

Hansenne, 2007). Cette implication de la persistance dans l’échelle CW-BAS est vraisemblablement due à la proximité théorique entre la persistance et la sous-dimension Drive de la CW-BAS, dans la mesure où les deux échelles se définissent comme une tendance à poursuivre assidûment les buts désirés (Carver & White, 1994; Cloninger et al., 1993). Ainsi, contrairement à la supposition fondant la

construction de l’échelle CW-BIS/BAS (i.e., inclusion de la sous-échelle Drive), nos résultats ne confirment pas que l’aspect « poursuite des buts désirés » soit un prédicteur de la réactivité aux stimulations plaisantes, puisque la persistance n’a pas été impliquée ici dans les modulations des mesures enregistrées des réponses émotionnelles. Il est par contre possible que la sensibilité à des seuils plus bas de récompenses incite à poursuivre ses buts sans se décourager. Il a aussi été suggéré que la persistance constitue une mesure de la contrainte, soit une échelle (inversée) proche de psychoticisme (Paris, 2005), ce qui contribuerait à expliquer qu’elle ait été mise en évidence comme une échelle proche mais distincte du BAS.

En ce qui concerne les dimensions acquises de la personnalité (caractères), les résultats montrent qu’elles ne modulent aucun des aspects de la réponse émotionnelle, suggérant que les différences émotionnelles interindividuelles sont innées plutôt que liées aux apprentissages et à l’environnement (Cloninger et al., 1993). Bien que l’influence des caractères sur les comportements soit fonction de la base tempéramentale (de sorte qu’ils modulent l’expression des tempéraments), ils sont théoriquement indépendants de l’aspect inné de la personnalité (Cloninger et al.,1993). L’absence de relation observée dans les présents travaux entre les caractères et la réactivité émotionnelle supporte la distinction de Cloninger entre les aspects innés (i.e., tempéraments) et acquis (i.e., caractères) de la personnalité, puisque seuls les tempéraments modulent la réactivité émotionnelle somatique comme l’allocation attentionnelle aux stimuli émotionnels. Pour autant, les différences émotionnelles ne doivent pas être considérées comme déterminées. Il est ainsi possible que les dimensions acquises de la personnalité (autodétermination, coopération et transcendance notamment) modulent des aspects plus complexes tels que la gestion des émotions, puisque l’humeur notamment est corrélée aux caractères (Cloninger, Svrakic, & Przybeck, 2006). Il serait certainement intéressant d’investiguer les interactions entre dimensions innées et acquises de la personnalité dans des processus et produits émotionnels complexes tels que la régulation des émotions, l’humeur, le jugement des évènements de vie, ou l’intelligence émotionnelle par exemple.

6.3 Aspects de la réponse émotionnelle modulés par la