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Partie III. L’exigence de la protection de l’enfant contre l’exploitation à

1. Le droit international des droits humains comme cadre théorique de

2.1. Le concept de vulnérabilité particulière de l’enfant

2.1.1. La vulnérabilité

2.1.1.3. Vulnérabilité et autonomie

Le concept de vulnérabilité est souvent mis en perspective avec le concept d’autonomie. L’autonomie est ainsi définie : « pouvoir de se déterminer soi-même; faculté de se donner sa propre loi »461. L’autonomie qui peut s’entendre de la capacité

d’une réflexion critique est « plus qu’une capacité rationnelle, mais représente aussi une situation sociale et affective spécifique (et) permet de comprendre les rapports complexes qu’entretiennent l’individu et la société »462. Paul Ricoeur décrit un

paradoxe entre ces deux notions mises en référence : « c’est le même homme qui est l’un et l’autre sous des points de vue différents. Bien plus, non contents de s’opposer, les deux termes se composent entre eux : l’autonomie est celle d’un être fragile, vulnérable. Et la vulnérabilité ne serait qu’une pathologie, si elle n’était pas la fragilité d’un être appelé à devenir autonome, parce qu’il l’est dès toujours d’une certaine façon »463.

Il nous paraît pertinent de confronter la notion d’autonomie à la question de la vulnérabilité de l’enfant face à l’exploitation à des fins de prostitution. Le concept d’autonomie personnelle suggère que l'individu serait en mesure de décider ce qui est

460 Nathalie Maillard, La vulnérabilité. Une nouvelle catégorie morale ? Labor et Fides, 2011, aux pp.226-227.

461 Cornu (2016) supra note 415.

462 Laurence Ricard, « L’autonomie relationnelle : un nouveau fondement pour les théories de la justice » (2013) 40:1 Philosophiques 139.

bon pour lui, créant un conflit au sein du droit pénal464. L’invocation de l’autonomie

personnelle aurait un effet de neutralisation, capable de justifier un manquement aux droits humains. Par ailleurs, cette notion renferme l’idée que « par son seul consentement un individu peut créer ses propres règles »465. La notion d’autonomie

personnelle a été développée par la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour a déduit le principe d’autonomie personnelle du droit au respect de la vie privée de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme466. Dans l’Affaire Laskey et autres c. Royaume-Uni de 1997467, s’agissant d’actes sadomasochistes, la

Cour avait d’abord retenu que ceux-ci ne pouvaient être tolérés au nom de la protection de la santé et de la morale : « le choix du niveau de dommage que la loi doit tolérer lorsque la victime est consentante revient en premier lieu à l’État concerné car l’enjeu est lié, d’une part, à des considérations de santé publique et à l’effet dissuasif du droit pénal en général et, d’autre part, au libre arbitre de l’individu »468 et « (la Cour) ne croit pas nécessaire de rechercher si l’ingérence dans

l’exercice par les requérants du droit au respect de leur vie privée pouvait également se justifier par la protection de la morale. Ce constat ne doit cependant pas s’interpréter comme mettant en cause le droit de l’État de chercher à détourner de l’accomplissement de tels actes au nom de la morale »469. Dans l’Affaire Pretty c. 464 « La protection pénale objective de la dignité viendrait s'opposer à la protection pénale subjective dès lors que l'autonomie personnelle pourrait être invoquée, aussi, afin de tenir en échec l'action répressive » cf. Nathalie Rayé, L'appréhension de la dignité humaine par le droit pénal, Thèse de doctorat en droit pénal, Université de Nice, 2008, [non publié].

465 Mustapha Mekki, « Considérations sociologiques sur les liens entre droit et morale : la fusion des corps et la confusion des esprits » dans Dominique Bureau, France Drummond et Dominique Fenouillet (dir.), Droit et morale : aspects contemporains, Dalloz, 2011, pp.27 à 84.

466 « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir d’ingérence d’une autorité publique dans ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

467 CEDH, 19 février 1997, Laskey, Jaggard et Brown c/ Royaume-Uni, req. n° 21627/93, 21826/93 et 21974/93, Rec., 1997-I.

468 Ibid §44. 469 Ibid §51.

Royaume-Uni du 29 avril 2002470, la Cour déclarait « la faculté pour chacun de mener

sa vie comme il l'entend peut également inclure la possibilité de s'adonner à des activités perçues comme étant d'une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne »471 et dans Haas c. Suisse convenait

que : « le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d’agir en conséquence, est l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention »472. Enfin dans l’Affaire K.A. et A.D. c. Belgique du 17 février 2005473, qui marquait un revirement de la Cour

concernant les actes sadomasochistes, la Cour s’exprimait en ces termes : « le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle »474 et « le droit pénal ne peut, en

principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui relèvent du libre arbitre des individus »475.

Il s’agit alors de poser clairement la question suivante : un individu peut-il renoncer à un droit inaliénable ? En l’occurrence, le droit au respect de son intégrité corporelle qui constitue un droit humain. On peut opposer la dignité humaine aux « dégradations symboliques ou réelles »476 auxquelles un individu aurait lui-même

consenti. Une personne pourrait être limitée dans ses droits et libertés sur le fondement de la protection objective de la dignité humaine. Abdou avance également un argument : « tout délit étant une désobéissance à la loi implique une violation de l’ordre public. On pourrait donc dire que l’intérêt général exige une sanction contre le

470 CEDH, G.C. 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, Req. n° 2346/02. 471 Ibid §62.

472 CEDH, 20 janv. 2011, n° 31322/07, Haas c./Suisse.

473 CEDH, 17 février 2005, K.A. et A.D. c/ Belgique, req. n° 42758/98 et 45558/99. 474 Ibid §83.

475 Ibid §84.

476 Thierry Pech, « La dignité humaine. Du droit à l’éthique de la relation » (2001) 3:2 Éthique de la magistrature.

coupable quand bien même la partie lésée a pardonné ou s’est abstenue de poursuivre »477. Cette façon de considérer, qu’au nom de la dignité humaine, une

liberté puisse être tempérée quand bien même cette liberté ne fait pas de tort à autrui, est selon nous discutable. Cela revient à ne plus considérer le libre-arbitre de l’individu, à anéantir sa liberté individuelle, part de sa dignité humaine. Nous pensons que c’est un non-sens.

2.1.2. Une société « humaine » comme préalable au concept de vulnérabilité