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Partie II. Analyse du cadre canadien de lutte contre l’exploitation sexuelle

3. La traite des êtres humains au Canada

Les données sur la traite des êtres humains au Canada sont collectées dans le cadre d’incidents rapportés à la police, de condamnations et de la délivrance de permis de

résident temporaires pour les présumées victimes de traite569. Le Centre national de

coordination contre la traite des personnes établit des statistiques. Cependant il n’est pas exigé des organismes d’application de la loi au Canada de lui rapporter les accusations et les condamnations de traite des personnes570. Le Comité sénatorial

permanent des droits de la personne recevait pour mandat de la part du Sénat, en juin 2009, d’étudier la question de l’exploitation sexuelle des enfants au Canada, d’en comprendre l’ampleur et la prévalence à travers le pays et dans les communautés particulièrement touchées. Selon ses termes : « l’exploitation sexuelle des enfants est une réalité profondément enracinée dans trop de foyers, de familles et de collectivités canadiennes. Elle n’est pas en marge de notre société, elle en est au cœur »571. Le

Comité rapportait que nul groupe n’est autant touché par le problème de l’exploitation sexuelle que celui des enfants et des jeunes autochtones, lesquels représentent plus de 90 % des victimes dans certaines villes572.

La Gendarmerie royale du Canada indique que les condamnations pour traite concernent principalement des victimes citoyennes canadiennes ou résidentes permanentes du Canada exploitées à des fins sexuelles573. Au regard des enquêtes

menées sur la traite des personnes, la traite à des fins d’exploitation sexuelle est plus courante au Canada que la traite à des fins d’exploitation par le travail, en particulier dans les grands centres urbains574. Le Rapport sur la traite des personnes du

Département d’État américain indique que l’exploitation par le travail inclut des travailleurs originaires d’Europe de l’est, d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique entrés légalement au Canada. Ces personnes se sont par la suite retrouvées soumises à

569 Sécurité publique Canada, « Comment mettre fin à la traite des personnes : Document de travail des consultations nationales », Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018.

570 Ibid.

571 Comité sénatorial permanent des droits de la personne, « Exploitation sexuelle des enfants au Canada : une action nationale s’impose », Ottawa, Novembre 2011.

572 Ibid.

573 GRC, « La traite de personnes au Canada », Ottawa, Mars 2010.

574 Ministère de la justice, « Guide sur la traite des personnes à l’usage des praticiens de la justice pénale », Ottawa, février 2015.

un travail forcé dans des secteurs variés tels que l’agriculture, la construction, la transformation alimentaire, le secteur hospitalier, etc575. Ce même Rapport assure que

le Programme canadien de travailleurs étrangers est une voie de passage pour la traite. Les personnes faisant l’objet de traite à des fins d’exploitation sexuelle seraient préparées, manipulées et forcées à entrer dans le commerce du sexe, dans des lieux tels que des clubs de danse exotique, des salons de massage ou des services d’escortes576.

D’après les chiffres diffusés en 2020 par Juristat577, 97 % des victimes d’affaires de

traite de personnes déclarées par la police étaient des femmes et des filles, 28 % d’entre elles avaient moins de 18 ans, 81 % des auteurs présumés étaient des hommes ; la plupart des affaires de traite de personnes ont été observées dans des centres urbains ; souvent les affaires de traite de personne comportent des infractions liées à des services sexuels, 68 % des infractions de traite de personnes déclarées par la police depuis 2009 ont été́ commises en Ontario.

Le Canada a ratifié en mai 2002 le Protocole additionnel à la Convention des Nations

Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants578. Le Plan

d'action national de lutte contre la traite des personnes (PANL-TP) a été renouvelé en septembre 2019, nommé Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes 2019-2024. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a nommé une

575 U.S. Department of State (2018) supra note 516.

576 Sécurité publique Canada, « Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes : Rapport annuel sur le progrès 2015-2016 » (2016) SGDDI n°2034606 aux pp.6-7.

577 Cotter Adam, « La traite des personnes au Canada, 2018 », Bulletin Juristat— En bref, Statistique Canada, 23 juin 2020.

578 Le Canada n’a jamais signé la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, A/RES/317 (IV), 2 décembre 1949, [Entrée en vigueur le 2e juillet 1951], car celle-ci condamnait toute forme de prostitution, y compris la prostitution volontaire alors que le droit canadien n’interdisait pas la prostitution proprement dite, mais seulement les activités qui lui sont associées.

personne responsable du dossier de la traite des personnes au sein du gouvernement. Le projet PROTECT était lancé début 2016, créant un partenariat entre les banques canadiennes, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et la police afin d’identifier des transactions financières soupçonnées d’être liées au blanchiment d’argent associé à la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle579. Le Groupe de travail fédéral sur la traite des personnes

(GTTP) dirigé par le ministère de la Sécurité publique constitue la charpente de la lutte contre la traite des êtres humains au Canada580. Depuis l’achèvement de

l’évaluation du Plan d’action national, le gouvernement du Canada a financé le financement d’une ligne d’urgence nationale en matière de traite des personnes581.

L’adoption du projet de loi C-49 en novembre 2005 a donné lieu à l’ajout des articles 279.01 à 279.04 au Code criminel permettant d’incriminer des faits de traite de personnes.L’article 279.04 C.Cr. définit ainsi l’exploitation : « pour l’application des articles 279.01 à 279.03, une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir ― ou à offrir de fournir ― son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît ». L’article 279.02 C.Cr. prévoit que « quiconque bénéficie d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qu’il sait provenir de la perpétration de l’infraction visée aux paragraphes 279.01(1) ou 279.011(1) commet une infraction passible, sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation, d’un

579 Sécurité publique Canada (2018) supra note 569.

580 Les membres du Groupe de travail fédéral sur la traite des personnes sont Sécurité publique Canada, GRC, Agence des services frontaliers du Canada, Affaires mondiales Canada, Condition féminine Canada, Justice Canada, Services publics et Approvisionnement Canada, Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, Emploi et Développement social Canada, Service des poursuites pénales du Canada, Ministère de la Défense nationale, Statistique Canada, Services aux Autochtones Canada, IRCC. À noter que les gouvernements de l’Ontario, du Manitoba et de la Colombie-Britannique ont chacun leur propre stratégie visant à lutter contre la traite des personnes. 581 La Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes est gérée par le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes https://www.canadianhumantraffickinghotline.ca/fr/

emprisonnement maximal de dix ans ». L’article 279.011 s’attache à la traite de personnes âgées de moins de dix-huit ans et énonce que :

(1) Quiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne âgée de moins de dix-huit ans, ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une telle personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation commet une infraction passible, sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation :

(a) d’un emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de six ans, s’il enlève la personne, se livre à des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave sur elle ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction ;

(b) dans les autres cas, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de cinq ans.

(2) Ne constitue pas un consentement valable le consentement aux actes à l’origine de l’accusation.

Le Code criminel s’applique indifféremment à la traite nationale ou à la traite internationale, alors que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) n’est pertinente que lorsque des personnes sont introduites au Canada582.

Le Code criminel définit l’infraction générale d’exploitation sexuelle à l’article 153. Celui-ci établit qu’un crime est commis lorsqu’une « personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’un adolescent, à l’égard de laquelle l’adolescent est en situation de dépendance ou qui est dans une relation où elle exploite l’adolescent » touche, ou incite quelqu’un d’autre à toucher, une partie du corps de l’adolescent « à des fins d’ordre sexuel ». L’ESEVT est expressivement visé aux paragraphes 7(4.1) à 7(4.3). La pornographie juvénile est prévue à l’article 163.1. Le leurre par Internet afin, entre autres, de communiquer avec une jeune personne pour faciliter la perpétration à son égard d’une infraction d’ordre sexuel est également constitué en infraction (article 172.1).

582 L’article 118 (1) indique « commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes par fraude, tromperie, enlèvement ou menace ou usage de la force ou de toute autre forme de coercition ».

Au Québec par exemple, un groupe de concertation, la Table régionale de Québec sur l’exploitation sexuelle et la prostitution juvénile, élaborait en 2007 le Guide de prévention et d’intervention en prostitution juvénile583. La situation d’un enfant

exploité à des fins de prostitution pourra être signalée à la Direction de la protection de la jeunesse. L’enfant recevra alors des services par l’entremise de références au réseau de la santé et des services sociaux ou de programmes spécifiques d’intervention. Les organismes travaillant sur cette problématique sont nombreux. Les centres d’aides aux victimes d’actes criminels (CAVAC)584 notamment,

interagissent auprès d’enfants et d’adultes, ils sont présents partout au Québec et travaillent en réseaux avec des personnes du milieu judiciaire, de corps policiers, du réseau de la santé, des services sociaux et des organismes communautaires. Le Projet Intervention Prostitution Québec (PIPQ)585 assure l’accompagnement personnalisé des

personnes de tous âge, qui sont actives, l’ont déjà été ou sont à risque de se retrouver dans une dynamique prostitutionnelle ou d’exploitation sexuelle. Depuis mars 2017, le Québec s’est doté d’une équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme et la traite des personnes aux fins d’exploitation sexuelle (EILP). Son mandat est de lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite des personnes aux fins d’exploitation sexuelle au Québec sur une base interrégionale, interprovinciale ou internationale.

En vertu d'une motion adoptée le 14 juin 2019 par l'Assemblée nationale, une commission spéciale a été créée afin d'établir un portrait de l'exploitation sexuelle des mineurs au Québec. Des consultations particulières et des auditions publiques ont débuté à l’automne 2019 et de l’hiver 2020586. Au terme du mandat, la Commission

spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs entend formuler des observations, des conclusions et des recommandations.

583Table régionale sur la prostitution juvénile. « Guide de prévention et d’intervention en prostitution juvénile », Centre jeunesse de Québec, Québec, 2008.

584 www.cavac.qc.ca. 585 www.pipq.org.

586 Commission nationale sur l’exploitation sexuelle des mineurs, « Journal des débats », www.assnat.qc.