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Partie II. Analyse du cadre canadien de lutte contre l’exploitation sexuelle

5. La stratégie de lutte contre l’exploitation sexuelle de l’enfant dans le

5.2. Le droit pénal canadien en matière d’exploitation de l’enfant à

La prostitution adulte n’est pas illégale en soi au Canada. En effet, aucune disposition générale dans le Code criminel n’interdit la prostitution adulte. Cependant, certaines des pratiques lui étant associées sont interdites593. Ainsi, les articles 210 à 213 du

592 Mona Paré, « L’accès des enfants à la justice et leur droit de participation devant les tribunaux : quelques réflexions » (2014) 44:1 Revue générale de droit 81.

593 L’affaire Bedford c. Canada initiée en 2007 interrogeait les droits des personnes prostituées (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72 (CanLII)). Les lois alors existantes faisaient obstacle aux personnes prostituées de travailler dans un environnement sûr dans la mesure où ils ne pouvaient se prostituer à l’intérieur d’un établissement, ce qui les forçaient à se retrancher dans des lieux isolés; ils ne pouvaient également par mesure de protection embaucher des gardes du corps, des chauffeurs ou des gérants. Le 20 décembre 2013, la Cour suprême du Canada, dans une décision

Code criminel créent les infractions de racolage, proxénétisme, exploitation d’une maison de débauche. La sollicitation d’une personne mineure à l’exploitation à des fins de prostitution est, elle, condamnée en toutes circonstances.

La personne reconnue coupable de proxénétisme à l’égard d’une personne mineure encourt de lourdes sanctions. Dans la définition retenue du proxénétisme594, il ressort

l’élément de persuasion, c’est-à-dire l’incitation d’une personne qui ne se prostitue pas à entrer dans la prostitution. La défense fondée sur l’ignorance de la minorité est

unanime, a invalidé trois lois sur la prostitution qui interdisaient auparavant aux travailleuses et travailleurs du sexe : de tenir une maison de débauche; de communiquer à des fins de prostitution; et de vivre des produits de la prostitution; ces lois ont été qualifiées inconstitutionnelles du fait qu’elles portent atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte des droits et libertés. Les juges ont accordé un an au gouvernement pour modifier ses dispositions législatives, et en juin 2014, le gouvernement canadien a proposé le projet de loi C-36 dans lequel la publicité de la prostitution est reconnue comme une infraction, pénalisant certains contextes de sollicitation de rue, comme celle s’exerçant près des lieux fréquentés par des mineurs. Le 6 novembre 2014, la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LC 2014, c 25), inspirée du modèle mis en œuvre en Suède en 1999, a reçu la sanction royale au Canada, elle est entrée en vigueur le 6 décembre 2014. Pour aller plus loin cf. Marie-Pierre Robert et Stéphane Bernatchez, « Les théories de la criminalisation à l’épreuve de la prostitution » (2017) 47 :1 Revue générale de droit 47.

594 Le proxénétisme est prévu à l’article 212 (1) C.Cr. : « Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, selon le cas :

• a) induit, tente d’induire ou sollicite une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne, soit au Canada, soit à l’étranger;

• b) attire ou entraîne une personne qui n’est pas prostituée vers une maison de débauche aux fins de rapports sexuels illicites ou de prostitution;

• c) sciemment cache une personne dans une maison de débauche;

• d) induit ou tente d’induire une personne à se prostituer, soit au Canada, soit à l’étranger; • e) induit ou tente d’induire une personne à abandonner son lieu ordinaire de résidence au Canada, lorsque ce lieu n’est pas une maison de débauche, avec l’intention de lui faire habiter une maison de débauche ou pour qu’elle fréquente une maison de débauche, au Canada ou à l’étranger; • f) à l’arrivée d’une personne au Canada, la dirige ou la fait diriger vers une maison de débauche, l’y amène ou l’y fait conduire;

• g) induit une personne à venir au Canada ou à quitter le Canada pour se livrer à la prostitution;

• h) aux fins de lucre, exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne de façon à démontrer qu’il l’aide, l’encourage ou la force à s’adonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier ou d’une manière générale;

• i) applique ou administre, ou fait prendre, à une personne, toute drogue, liqueur enivrante, matière ou chose, avec l’intention de la stupéfier ou de la subjuguer de manière à permettre à quelqu’un d’avoir avec elle des rapports sexuels illicites;

irrecevable. En effet, aux termes de l’article 212(2) C.Cr., « quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d’une autre personne âgée de moins de dix-huit ans est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de deux ans ». L’article 212 (2.1) énonce qu’

est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement minimal de cinq ans et maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d’une autre personne âgée de moins de dix-huit ans si, à la fois : a) aux fins de profit, il l’aide, l’encourage ou la force à s’adonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier ou d’une manière générale, ou lui conseille de le faire; b) il use de violence envers elle, l’intimide ou la contraint, ou tente ou menace de le faire.

En juillet 2015, le Code criminel a imposé de nouvelles peines minimales obligatoires pour les infractions sexuelles contre un enfant suite à la Loi sur le

renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants595. Le projet de loi C-36, Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, a créé

deux infractions liées à la prostitution juvénile :

- une infraction criminalisant l’achat de services sexuels ou la communication à cette fin en quelque endroit que ce soit d’une personne âgée de moins de dix-huit ans. Elle prévoit une peine d’emprisonnement minimale de six mois est prévue dans le cas d’une première infraction, et d’un an, en cas de récidive, emprisonnement maximal de dix ans (art. 286.1(2) C.cr.).

- une infraction visant à interdire l’obtention d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qui provient ou a été obtenu de la perpétration de l’infraction relative à l’achat de services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans. C’est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de deux ans (art. 286.2(2) C. cr)

5.3. Les actions menées contre l’exploitation sexuelle de l’enfant dans le voyage et le tourisme

Le Canada a participé aux trois éditions du Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle de l’enfant à des fins commerciales. La première campagne canadienne de lutte contre l'exploitation sexuelle de l’enfant dans le voyage et le tourisme était lancée en 2010 dans le cadre de la Journée internationale des droits de l'enfant et regroupait des acteurs du secteur privé (Air Canada et Aéroports de Montréal), des organisations gouvernementales (l'Agence des services frontaliers du Canada, le Service de police de la Ville de Montréal et la Sûreté du Québec) et des organisations non gouvernementales (le Bureau international des droits des enfants, Plan Canada et One Child, avec le soutien d'UNICEF Canada). En 2018, la Fondation Air Canada et Beyond Borders, représentant d’ECPAT au Canada, renouvellent leur partenariat afin d’intensifier la sensibilisation du public à l’ESEVT596.

Le Registre national des délinquants sexuels répertorie l’ensemble des personnes reconnues coupables d’une infraction sexuelle et qui font l’objet d’une ordonnance du tribunal les obligeant à se présenter chaque année aux autorités policières. Ce registre a été établi en vertu de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les

délinquants sexuels597. Cette base de données est gérée par la GRC, seuls les services

de police canadiens accrédités y ayant accès. Depuis le 1er

décembre 2016, les personnes inscrites ont l’obligation de déclarer tout voyage à l'étranger.

Soulignons enfin que depuis 1997, le Canada s’est doté d’une loi à portée extraterritoriale qui permet de poursuivre tout citoyen canadien qui commet certains

596 Cf. http://www.beyondborders.org

crimes sexuels perpétrés contre des enfants à l’étranger598. Le Projet de loi C-27 a été

présenté à la Chambre des communes le 18 avril 1996. Le 14 avril 1997, la Loi

modifiant le Code criminel (prostitution chez les enfants, tourisme sexuel impliquant des enfants, harcèlement criminel et mutilations d’organes génitaux féminins) a été

adoptée. Elle est entrée en vigueur le 26 mai 1997.

Les débats devant le Comité permanent de la justice ont notamment porté sur les difficultés de collecte des éléments de preuves sur un sol étranger. L’exigence d’introduction de la poursuite par l’État sur le territoire duquel les faits ont été commis a été supprimée599. Seul le consentement du Procureur général est requis600. À

l’origine, le projet de loi ne concernait que l’achat de services sexuels d’un enfant à l’extérieur du Canada. L’amendement Prober601 a permis d’inclure les contacts sexuels

ainsi que l’incitation à des contacts sexuels. Dans le Préambule du Projet de loi C-27, il est indiqué que « le Parlement du Canada se préoccupe sérieusement de la prostitution des enfants au Canada ou à l'étranger ». La Déclaration de Stockholm enjoignait les États dans le cas du « tourisme sexuel » à « élaborer ou renforcer et

598 Par. 7(4.1) du Code criminel : « Malgré les autres dispositions de la présente loi ou toute autre loi, le citoyen canadien ou le résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui, à l’étranger, est l’auteur d’un fait — acte ou omission — qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction aux articles 151, 152, 153, 155 ou 159, aux paragraphes 160(2) ou (3), aux articles 163.1, 170, 171 ou 173 ou au paragraphe 212(4) est réputé l’avoir commis au Canada ».

Par. 7(4.3) « Les procédures relatives à un acte — ou une omission —, réputé avoir été commis au Canada aux termes du paragraphe (4.1) ne peuvent être engagées qu’avec le consentement du procureur général. »

599 Section abrogée : (4.2) Il ne peut être engagé de procédure relativement à un acte commis par action ou omission qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction aux articles 151, 152, 153, 155 ou 159, aux paragraphes 160(2) ou (3) ou aux articles 163.1, 170, 171 ou 173 que si une demande est présentée au ministre de la Justice du Canada par :

a) tout fonctionnaire consulaire ou agent diplomatique accrédité auprès du Canada par l’État sur le territoire duquel l’infraction a été commise ;

b) tout ministre de cet État communiquant avec lui par l’intermédiaire des agents diplomatiques de Sa Majesté dans cet État.

600 Par. 7(4.3) « Les procédures relatives à un acte — ou une omission —, réputé avoir été commis au Canada aux termes du paragraphe (4.1) ne peuvent être engagées qu’avec le consentement du procureur général. »

mettre en œuvre des lois qui pénalisent les actes commis par des ressortissants du pays d’origine à l’encontre d’enfants du pays de destination (« lois pénales extraterritoriales »), [à] promouvoir l’extradition et les autres dispositions garantissant qu’une personne exploitant un enfant dans un but sexuel dans un autre pays (pays de destination) soit poursuivie soit dans le pays d’origine soit dans le pays de destination.

Donald Bakker a été le premier Canadien en 2004 à être reconnu coupable en vertu de l’article 7 (4.1) du Code criminel pour sollicitation à l'étranger de services sexuels d'un enfant, ainsi que des contacts sexuels et la possession de pornographie enfantine. Lors des accusations contre un autre Canadien, Kenneth Robert Klassen, en 2007, le juge Cullen avait attesté de la constitutionnalité de l’article 7 (4.1) du Code criminel, en rappelant que Parlement a le pouvoir de promulguer une législation extraterritoriale. Il a écarté l'argument selon lequel les droits de l'accusé en vertu de la

Charte canadienne des droits et libertés seraient enfreints, affirmant que les droits de

l'accusé à un procès équitable étaient toujours garantis en vertu de l'alinéa 11d) de la

Charte canadienne des droits et libertés602.

Le ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté peut de son côté refuser de délivrer un passeport à une personne lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un refus est nécessaire pour empêcher la perpétration d’une infraction à caractère sexuel contre des enfants à l’extérieur du Canada603.

602 R. v. Klassen, 2008 BCSC 1762 (CanLII),

603 https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/passeports-canadiens/securite- passeports/refus-revocation.html

6. L’absence de coordination nationale dans la lutte contre l’exploitation sexuelle de