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Partie III. L’exigence de la protection de l’enfant contre l’exploitation à

1. Le droit international des droits humains comme cadre théorique de

2.1. Le concept de vulnérabilité particulière de l’enfant

2.1.2. Une société « humaine » comme préalable au concept de

Se diriger vers le concept de vulnérabilité particulière de l'enfant pour consolider la condamnation juridique de l’exploitation de l’enfant à des fins de prostitution repose sur la prémisse que la société se préoccupe de la vulnérabilité d'autrui.

2.1.2.1. Une certaine approche de l’autre

Cette non-indifférence à l’égard de l’autre peut se fonder sur des assises religieuses qui prônent la compassion, le devoir d’assistance, l’amour de son prochain. Des considérations philosophiques aussi qui appellent à une solidarité, une humanité. Si bien que le concept de vulnérabilité anime la réflexion sur l’empathie, le souci de la fragilité humaine. Martha Craven Nussbaum plaide pour une « appréciation sensible des situations humaines particulières »478. Carol Gilligan défend une éthique de

responsabilité « fondée sur une notion d’équité qui reconnaît des différences dans les

477 Antoun Fahmy Abdou, « Le consentement de la victime » (1971) 1 LGDJ 40.

478Martha C Nussbaum, L'art d'être juste : l'imagination littéraire et la vie publique, Paris, Climats, 2015, à la p. 69.

besoins de chacun, et cette compréhension conduit à la compassion et à la sollicitude (care) »479. Joan Tronto défend l’idée que « nous ne parviendrons pas à intégrer le care comme un aspect plus central de la vie humaine si nous conservons les frontières

morales actuelles »480. Cette réflexion sur l’éthique du care fraie la voie à un

questionnement sur la relation de soins : « faut-il prendre soin de l’humain comme vulnérable et non plus seulement donner des soins à l’humain car vulnérable ? »481.

On ne peut s’affranchir de la prise en considération de la vulnérabilité humaine pour la raison qu’« on ne peut laisser de côté la dimension originaire de la vulnérabilité chez tout être humain »482.

2.1.2.2. Des sentiments dans le droit

Le concept de vulnérabilité s’est donc déjà imposé dans la sphère juridique mais doit s’affirmer davantage dans le contexte de protection de l’enfant contre l’exploitation à des fins de prostitution. En revendiquant cette volonté de considérer la vulnérabilité humaine dans le cadre de l’exploitation de l’enfant à des fins de prostitution, on insuffle des sentiments dans le droit. Il est vrai que « les juristes s’intéressent peu aux sentiments et il faut aller plus loin. Ils s’en méfient »483. On peut en effet n’être pas

convaincu par l’idée selon laquelle le droit doive suivre les sentiments. À ce titre, notons que « vulnérabilité et fragilité pourraient relever pour l’essentiel d’un discours juridique plutôt que d’une catégorie en raison d’une difficulté méthodologique propre

479Carol Gilligan, Une voix différente : pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008, à la p.262. 480 Joan Tronto, Un monde vulnérable pour une politique du care, Paris, La découverte, 2009, à la p.230.

481 Jousset et al. (2017) supra note 459 à la p.8.

482Agnès Bressolette, « La vulnérabilité humaine éclairée par la fin de vie, apports psychanalytiques » dans David Jousset, Jean-Michel Boles et Jean Jouquan (dir.), Penser l’humain vulnérable. De la philosophie au soin, Presses universitaires de Rennes, 2017, pp. 255-264.

483Delphine Lanzara, « Propos introductifs » dans Laurie Bolleri-Schenique et Delphine Lanzara, Le droit et les sentiments, Paris, L’Harmattan, 2015.

au droit : la nécessité d’une qualification juridique »484. Passion et droit entretiennent

des liaisons tumultueuses : « la passion est à la fois le drame et la grandeur du droit »485. Cependant, le droit sans les sentiments reste limité :

Cette posture épistémologique traditionnelle est aujourd’hui bousculée par un désir d’individuation, d’une reconnaissance de l’être dans sa singularité, se manifestant par une demande de prise en compte de ses sentiments par le droit. La satisfaction de celle-ci emporterait une nouvelle vocation pour le droit : concourir à l’épanouissement de la personne. Ce mouvement véhicule une appréhension de la personne humaine définie non plus seulement comme un être doué de raison mais également capable d’émotions. En d’autres termes, il s’agit de restituer au sujet de droit une profondeur dont le droit l’aurait privé486.

Les sentiments n’entravent pas le projet que nous proposons. La vulnérabilité particulière de l'enfant possède la potentialité de devenir le socle de la protection de l’enfant contre l’exploitation à des fins de prostitution.

2.2. L’intégration du concept de vulnérabilité particulière de l’enfant dans la condamnation juridique de l’exploitation sexuelle de l’enfant dans le voyage et le tourisme

L’état de vulnérabilité doit être apparent ou connu de l’auteur, c’est l’élément subjectif. En effet, l’auteur doit avoir la volonté consciente de commettre l’élément matériel de l’infraction.

484Yann Favier, « Vulnérabilité et fragilité : réflexions juridiques autour du consentement » dans David Jousset, Jean-Michel Boles et Jean Jouquan (dir.), Penser l’humain vulnérable. De la philosophie au soin, Presses universitaires de Rennes, 2017, pp. 223-237.

485 Frédéric Rouvière, « Propos conclusifs » dans Laurie Bolleri-Schenique et Delphine Lanzara, Le droit et les sentiments, Paris, L’Harmattan, 2015.

486 Vincente Fortier, « Introduction » dans Vincente Fortier et Sébastien Lebel-Grenier (dir.), Les sentiments et le droit : Rencontres juridiques Montpellier-Sherbrooke, Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke, 2011.

Un impératif est de déterminer si la sanction devrait prendre en compte, la qualité de la victime de l’acte répréhensible. On peut se demander si la sanction doit s’appliquer lorsque l’auteur n’avait pas conscience de l’âge de la personne et donc aucune intention spécifique de tirer profit de sa vulnérabilité de cette personne. En effet, si des quartiers, des endroits peuvent être dédiés ou réputés concentrer exclusivement une exploitation d’enfant à des fins de prostitution, un même site touristique peut être le lieu commun d’une prostitution adulte et d’une exploitation d’enfants à des fins de prostitution, de sorte que l’auteur de de l’acte répréhensible pourra prétendre ignorer la minorité, ou que l’enfant a feint par son attitude être majeur. Cette défense est irrecevable.

Les ancrages qui permettraient la pleine reconnaissance de ce concept dans la problématique attachée à l’exploitation de l’enfant à des fins de prostitution sont déjà présents au sein des droits de l'enfant. Le statut pénal particulier de l'enfant en est une illustration : l’enfant ne saurait être reconnu responsable comme l’adulte, il bénéficie d’un régime juridique protecteur. La CDE interdit le recours à la peine capitale ou à l'emprisonnement à perpétuité́ sans possibilité́ de libération conditionnelle dans le cas d'infractions commises par des mineurs (art. 37 et 40).

En droit commun, la liberté de l’individu, lui, permet de poser un acte volontaire qui engagera sa responsabilité, mais alors que la responsabilité pénale et civile est un attribut du sujet de droit, l’enfant lui peut ne pas répondre de ses actes487.

L'imputabilité et la capacité de discernement sont imbriquées. L'imputabilité est d'ailleurs définie, d'après le lexique juridique Dalloz, comme le « fondement moral de la responsabilité pénale, reposant sur le discernement et le libre arbitre ». Dans le cadre particulier de l’ESEVT, l'aptitude de l'enfant à un discernement est pertinente : comprend-il toutes les conséquences de ses actes ? De même, le fait que les victimes

487 Il ressort de la littérature relative aux enfants soldats que ceux-ci disposent d’un statut de victimes plutôt que celui d'auteurs de crimes graves de droit international.

de violations de droits humains soient des enfants, est constitutif de circonstances aggravantes488. Les circonstances aggravantes expriment des valeurs défendues, et

dont la transgression est condamnée par la communauté internationale.

On peut également ajouter que les concepts d'abus de pouvoir, d'abus de faiblesse sont déjà consacrés en droit ; derrière ces dispositions juridiques, c’est bien la protection des personnes vulnérables qui est poursuivie. Le juge international recourt également au concept de vulnérabilité489.