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La volonté de limiter les pouvoirs du Conseil d’Etat, facteur institutionnel de réapparition du Tribunal des conflits en

Conclusion du chapitre

Paragraphe 2. La volonté de limiter les pouvoirs du Conseil d’Etat, facteur institutionnel de réapparition du Tribunal des conflits en

Le Tribunal des conflits ne réapparaitra qu’à la faveur de l’avènement de la 399.

IIIème République. La situation sous le Second Empire montre que son existence n’est matériellement pas nécessaire. Les conflits sont traités par le Conseil d’Etat d’une façon satisfaisante. La jurisprudence est libérale et l’autorité judiciaire ne s’en plaint pas. Le traitement du conflit n’est pas un sujet de discorde, il ne nécessite pas de réforme institutionnelle. Le conflit sera donc, encore une fois, extrait du Conseil d’Etat pour des motifs strictement exogènes. Pour comprendre ces motifs il faut comprendre la position du Conseil d’Etat à la fin du Second Empire. Cette position est celle d’un organe affaibli. Parce qu’il était un organe trop influent dans les premières années du régime (Sous paragraphe 1), il a été mis en cause par l’avènement des idées républicaines (Sous paragraphe 2).

Sous-paragraphe 1. La place initiale du Conseil d’Etat dans le régime impérial

Le Conseil d’Etat a une place de premier ordre dans le régime impérial. Ses 400.

compétences sont larges et son influence inégalée. Les personnalités le plus marquantes du régime, comme Baroche ou Rouher sont choisis pour le diriger. Rouher était un personnage si important de l’Empire qu’il fut parfois appelé Vice-Empereur.

En altière législative, le Conseil a des attributions essentielles puisqu’il est chargé 401.

d’élaborer tous les projets de loi. Ses membres sont également présents lors des séances de l’Assemblée, ceux sont eux qui présentent le texte et défendent la position du gouvernement. Tous les amendements parlementaires aux projets de loi doivent lui être adressés. Selon Vivien, le Conseil « possédait une importance qu’(il) n’avait même pas sous l’Empire280 ».

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Le Conseil d’Etat est par ailleurs associé à l’action gouvernementale. Il rédige les 402.

règlements administratifs. Pour Vivien encore « le ressort principal du gouvernement est le Conseil d’Etat281 ». Le Conseil délibère sur toutes les questions administratives et développe sa légitimité auprès de toutes les administrations locales. Il usera bien sûr de cette légitimité et la renforcera avec la connaissance du contentieux administratif. Rouher expliquait que « le Conseil d’Etat voit tout, examine tout ; il prépare (les travaux du Corps Législatif), il prépare ceux du gouvernement282 ».

Victor Hugo critiquera vivement la prééminence du Conseil d’Etat sur le pouvoir 403.

législatif. Il dira ainsi dans Napoléon le Petit qu’il y avait « un maitre de la maison, le Conseil d’Etat, et un domestique, le Corps législatif283 » et que « aux termes de la « Constitution », qui est-ce qui nomme le maitre de la maison? M. Bonaparte. Qui est-ce qui nomme le domestique? La nation. C’est bien284 ».

Le Comte de Montalembert, membre du Corps Législatif, invitait l’Assemblée, le 404.

22 juin 1852, à se figurer le sort d’un amendement pour illustrer la puissance du Conseil d’Etat : « Figurez-vous le sort d’un pauvre amendement qui arrive au sein du Conseil d’Etat, tout seul, sans avocat, sans parrain, comme une espèce de délinquant muet ; à peine arrivé, il est mis sur la sellette, personne ne le défend ; il est jugé, condamné et exécuté sans désemparer. (…) Je rêvais donc pour le Corps Législatif une existence modeste et utile (…). Sommes-nous cela? Non. Nous sommes une espèce de conseil général ; mais un conseil général à la merci du conseil de préfecture (…)285 ».

Lors d’un projet de loi relatif aux caisses de retraite pour la vieillesse, la 405.

domination du Conseil d’Etat apparait en négatif. Le Conseil est opposé aux amendements faits au projet de loi par la commission du Corps Législatif. La commission entend

281 Ibid., p. 483 282 Ibid., p. 484 283 Ibid., p. 494 284 Ibid., p. 494 285 Ibid., p. 495

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défendre ces amendements et son opposition au Conseil d’Etat, qui sera victorieux, apparait comme un véritable acte de bravoure. Corentin Guhyo explique dans son ouvrage d’histoire parlementaire que « la commission annonçait dès lors son intention (…) de proposer à la Chambre le rejet des articles qu’on ne lui permettait pas d’améliorer. La fermeté exceptionnelle de ces résolutions tenait à la courageuse indépendance du rapporteur, M. Jules Ouvrard…286 ». L’auteur explique encore que « la commission prit une attitude qui était une protestation aussi nette que légitime contre la situation subordonnée faite au Corps Législatif287 ». C’est dire à quel point le droit d’amendement, malgré les réformes qu’il a pu connaître, était une prérogative difficile à mettre en oeuvre pour le Corps Législatif. C’est dire la domination du Conseil d’Etat. Le rôle du Corps législatif s’affermit peu à peu, notamment en raison de liens créés par la pratique, en matière budgétaire, entre ce dernier et les ministres. Cependant, sa domination resta le principe et son amoindrissement, l’exception.

La place du Conseil d’Etat dans le régime dépendait aussi de ses liens avec les 406.

ministres et de la place de ces derniers dans le régime. Le constitution ne prévoyait pour eux qu’une place secondaire dans le régime. Cependant, la pratique se révéla différente, sous la volonté des hommes occupant ces postes.

Il y eut une vrai rivalité entre le Conseil d’Etat et les ministres. Les ministres 407.

restèrent convaincus de leur « omnipotence288 ». Ils entendent représenter le pouvoir exécutif et continuent à voir dans le Conseil d’Etat un conseil en matière législative et un juge de l’administration. Ils n’acceptent pas la place prépondérante qu’il prend dans le régime. Ils entrèrent ainsi dans une opposition frontale avec le Conseil d’Etat. Cette dernière n’étant d’ailleurs pas étrangère à l’attitude progressiste du Conseil d’Etat quant au contrôle de l’administration. Deux mécanismes illustrent cette opposition. Le premier fut le système permettant à chaque ministre d’obtenir par le biais de la transmission d’un

286 Ibid., p. 498 287 Ibid., p. 498 288 Ibid., p. 500

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mémoire à celui-ci, l’approbation de l’Empereur avant qu’une mesure soit soumise à l’examen du Conseil d’Etat. Ce dernier étant ainsi limité dans son contrôle par l’autorité de cette approbation. Par ailleurs, les ministres faisaient appel à des conseillers d’Etat en service ordinaire hors section pour peser sur les délibérations en assemblée générale. Il existait aussi des oppositions entre les conseillers d’Etat en missions extérieures et les préfets au service de leurs ministres.

Le Conseil d’Etat avait donc une place essentielle dans le régime. Son oeuvre en 408.

matière de contentieux administratif et de conflit est exemplaire. Qu’est-ce qui va donc finalement pousser les révolutionnaires à le priver du conflit et à ressusciter le Tribunal des conflits? La réponse est dans la montée en puissance du Corps législatif et donc du légicentrisme républicain auquel le Tribunal des conflits sera associé. On envisagera même la suppression du Conseil d’Etat. On voit donc réapparaître la même logique de privation du Conseil d’Etat de ses compétences. Il ne s’agit plus de le vider de ses compétences administratives pour en faire un organe politique mais il s’agit cette fois de le priver d’une de ses compétences pour s’assurer qu’il ne redeviendra pas un organe menaçant pour le Corps législatif et donc pour le légicentrisme.

Sous-paragraphe 2. La limitation des pouvoirs du Conseil d’Etat à la fin du régime et au début du nouveau régime

En 1869, un senatus-consulte289 donne au pouvoir législatif l’initiative des lois 409.

concurremment avec l’Empereur. C’est un affaiblissement significatif du rôle du Conseil d’Etat. Baroche s’en désole vivement et s’exclame « pauvre Conseil d’Etat!…Quelle belle position il avait prise de 1852 à 1862! (…) La chambre a tout pris au Conseil d’Etat290 ».

Baroche regrette que la montée en puissance du Corps Législatif se soit faite à 410.

l’initiative même du régime impérial et parfois même de conseillers d’Etat et sans que ces derniers aient conscience de la rivalité structurelle entre les deux institutions. « Combien

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Sénatus-consulte du 8 septembre 1869 qui modifie divers articles de la Constitution, les articles 3 et 5 du sénatus-consulte du 22 décembre 1852 et l'article 1er du sénatus-consulte du 31 décembre 1861.

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de fois n’ai-je pas prédit, ajoute-t-il en effet, à ceux qui, dans son sein (au sein du Conseil), cherchaient à agrandir imprudemment le Corps Législatif, qu’ils travaillaient contre eux- mêmes et que tout ce que gagnait une assemblée, l’autre le perdait291 ». Ce tournant libéral pris à partir de 1869 voire même quelques années plus tôt permet au Corps législatif de devenir plus forts et entraîne en effet l’affaiblissement du Conseil d’Etat.

Ce faisant, il annonce le légicentrisme qui, s’il n’aboutira pas à la disparition du 411.

Conseil d’Etat au moment de l’avènement de la IIIème République, le privera de sa compétence relative aux conflits d’attribution malgré le bon accomplissement de sa mission dans ce domaine. C’est encore une raison purement politique qui conduira à la création du Tribunal des conflits. Cette fois-ci, il sera beaucoup plus déchiré entre le caractère de haute administration de sa mission, qui correspondait parfaitement à son traitement par le Conseil d’Etat, et la volonté d’en faire un organe imbibé des idées républicaines. Pour autant, il reprend une mission parfaitement effectuée par le Conseil d’Etat impérial.

Il sera donc évidemment tenté d’en reproduire et d’en continuer le travail. Ce 412.

d’autant plus qu’il sera constitué de conseillers d’Etat eux mêmes choisis pour leur fidélité à l’Empire. Le Tribunal des conflits de 1848 était administratif par volonté, le Tribunal des conflits de 1872 le sera par sa continuité avec le Conseil d’Etat impérial. Cette continuité, cette influence, ajoutée à la présidence du Ministre de la justice, même pondérée par les membres départiteurs prévaudront naturellement dans le nouveau Tribunal des conflits.

« Deux des réformes essentielles contenues dans la loi du 24 mai 1872 - la 413.

substitution de la justice déléguée à la justice retenue et la création du Tribunal des conflits - ne trouvaient guère d’opposants dans une assemblée dont la droite et la gauche répudiaient également tout régime autoritaire292 ».

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Ibid., p. 494 292

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Le Tribunal des conflits est perçu comme une institution républicaine permettant 414.

de réduire l’influence du Conseil d’Etat, organe représentant l’autoritarisme. Les débats de la loi de 1872 portent sur la question de la nomination des conseillers d’Etat d’une part et d’autre part sur le fait de savoir s’il ne faut pas repousser la réorganisation du CE au moment où la France aurait une constitution. La question est intéressante puisqu’elle montre l’importance du Conseil d’Etat. Au lieu de décaler sa réorganisation, il subira, en 1879, un renouvellement presque complet de son personnel. Donc cette période de domination du Conseil d’Etat a des conséquences sur le conflit puisqu’elle va ancrer dans l’esprit des républicains que le Conseil d’Etat est un facteur de domination du pouvoir exécutif.

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Conclusion du chapitre

Le Tribunal des conflits de 1872 est pensé comme un organe lié au retour de la 415.

République et réinstallé sans grands débats. Un organe permettant de donner des garanties à l’autorité judiciaire, évitant l’abus de « compétence de la compétence » que donne à percevoir le fait que l’administration se charge elle même du conflit d’attribution.

C’est donc un facteur de réduction du pouvoir de l’exécutif ce qui est tout à fait 416.

dans l’esprit des constituants de 1872. Il intervient dans un contexte d’apaisement matériel des conflits d’attribution qui a été permis par la domination du pouvoir exécutif sous le régime impérial. Les motifs et le contexte de la création du Tribunal des conflits en 1872 laissent donc penser que ce dernier pourrait être un organe moins administratif, moins structurellement lié au système institutionnel administratif que son prédécesseur.

Cependant, structurel et inévitbale, son caractère administratif va se révéler dans 417.

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Chapitre 2. Les caractéristiques du Tribunal des conflits de 1872 : un