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Un fonctionnement administratif : missions et formes de procéder

Conclusion du chapitre

Paragraphe 1. Un fonctionnement administratif : missions et formes de procéder

Le fonctionnement du Tribunal des conflits révèle son caractère d’organe 216.

administratif. Il est en effet chargé de missions qui n’ont aucunement trait à la répartition des compétences et qui révèlent la vision du nouvel organe qu’en avaient ses créateurs. Il s’agit en effet de missions qui lui sont confiées exclusivement à des fins administratives explicites (Sous Paragraphe 1). Par ailleurs, le Tribunal des conflits reprend les formes de procéder du Conseil d’Etat, révélant là encore son caractère d’organe administratif devant contrebalancer le rapprochement du Conseil d’Etat avec le pouvoir législatif103 et renforcer ainsi la position du pouvoir exécutif vis-à-vis de ce dernier (Sous paragraphe 2).

Sous paragraphe 1 Le caractère administratif du Tribunal des conflits révélé par ses missions

Le Tribunal des conflits s’est vu confié des missions n’ayant rien à voir avec la 217.

répartition des compétences et révélant l’intention des constituants de le voir assumer les missions que le Conseil d’Etat exerçait avant lui. Ainsi se voit-il attribué la compétence pour connaître des recours contre les arrêts de la Cour des comptes (1), mais aussi des recours formés par le ministre contre des décisions du Conseil d’Etat au contentieux (2). Il fut même envisagé de lui confier les recours pour excès de pouvoir et incompétence formés contre les décisions du Tribunal administratif supérieur (3).

1.Le recours contre les décisions de la Cour des Comptes : un recours significatif

La compétence du Tribunal des conflits relative aux recours dirigés contre les 218.

arrêts de la Cour des Comptes est toujours présentée comme anecdotique. Elle est pourtant tout à fait révélatrice de sa nature administrative et donc tout à fait logique par rapport à la place et au rôle que les constituants entendent donner au Tribunal des conflits. Ce rôle est

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Le Conseil d’État. Son histoire à travers les documents d’époque. 1799-1974, préc., p. 418 : Boulatignier rappelle à l’Assemblée que « le Conseil d’Etat, tel que la constitution l’a fait, effraye beaucoup de personnes qui craignent un antagonisme entre ce Conseil et le pouvoir exécutif proprement dit ».

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la réaction directe à la crainte d’un Conseil d’Etat trop proche de l’Assemblée et, partant, menaçant pour le pouvoir exécutif. Ainsi Rouher exprime-t-il très bien ces craintes qui animent les constituants lorsqu’il explique que « lorsque les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif seront tendus, forcés, irritants, contiendront en eux-mêmes une de ces causes de révolution ou de cataclysme, le Conseil d’Etat remontera à sa source, il se dévouera à l’Assemblée, et alors il pèsera dans tous ses rapports avec lui104 ». Il précise ensuite, de façon très significative, les manifestations de cette crainte. Ces rapports sur lesquels il pèsera sont, selon Rouher, « la formation du tribunal administratif, (…) la formation de la Cour des Comptes et (…) le mode de fonctionnement de tous les agents qu’il contrôlée et qu’il surveille105 ».

La référence à la Cour des Comptes est révélatrice de l’état d’esprit qui règnent 219.

alors chez certains. La question centrale du nouveau régime est celle des rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le Conseil d’Etat est au centre de ces rapports mais d’autres institutions les mettent également en jeu. C’est le cas de la Cour des Comptes. Sa soumission au pouvoir législatif apparait comme une atteinte au pouvoir exécutif.

2) Les recours contre les décisions de la Section du contentieux du Conseil d’Etat

A propos des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, Rouher 220.

explique également qu’il craint que l’Assemblée renvoie disciplinairement les ministres devant le Conseil d’Etat et que ce dernier, dépendant structurellement d’elle, prenne systématiquement position en sa faveur, créant ainsi un mécanisme constitutionnel détourné d’affaiblissement du pouvoir exécutif au profit du pouvoir législatif. Le Tribunal des conflits est donc intégré dans un système complexe de rapports entre les pouvoirs publics qui dépasse de loin sa mission de répartition des compétences juridictionnelles. Il est choisi pour être un protecteur du pouvoir exécutif face à l’Assemblée. Cette

104

Le Conseil d’État. Son histoire à travers les documents d’époque. 1799-1974, préc., p. 409 105

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préoccupation spécifique de Rouher eux des échos favorables puisque le droit de l’Assemblée de citer les ministres lui fut retiré.

Odilon Barrot fait ensuite une comparaison tout à fait éclairante. Il explique que 221.

« quand il ne s’agit que d’un débat entre la compétence judiciaire et la compétence administrative, sur une question quelque fois d’un intérêt purement privé…eh bien quelles sont les garanties que vous donnez dans ce cas-là? Elles sont graves. Vous avez constitué une commission des conflits, dans laquelle sont représentés également et la plus haute juridiction appartenant à l’ordre judiciaire et le Conseil d’Etat, le tout présidé par le ministre de la justice, qui peut faire pencher la balance selon l’appréciation du droit. C’est là une belle institution, qui est aussi une garantie pour ces grandes questions de la distribution des pouvoirs et des compétences. Mais quand la question (…) s’engage entre le contentieux administratif et l’administration pure, il s’agit de savoir si, pour un tel acte (…) le gouvernement conservera sa liberté même qui est la condition de la responsabilité106 ».

Le ministre de la justice de l’époque compare les conflits et le contentieux 222.

administratif et déplore que l’administration active ne soit pas mise sous la protection de la décision ministérielle comme l’est la matière des conflits d’attribution. Il insiste même en expliquant qu’il lui paraît plus pressant de protéger l’administration active que les conflits107. Or, le contentieux administratif étant soumis au Conseil d’Etat, donc à un organe proche de l’Assemblée, dans le nouveau régime, c’est encore un déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif qui menace. La solution de la justice déléguée constitue en effet selon lui « la subordination la plus complète des droits du pouvoir exécutif et de l’administration pure au contentieux administratif108 ».

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Le Conseil d’État. Son histoire à travers les documents d’époque. 1799-1974, préc., p. 421 107

Ibid., p. 420-421, Odilon Barrot, ministre de la justice, à l’Assemblée le 26 janvier 1849 : « (…) Toute l’administration, (…) peut se trouver compromise par un jugement du contentieux ; (…) il peut dépendre d’un tribunal administratif, en qualifiant de contentieux ce qui serait purement administratif, de mettre la main sur l’administration, sans qu’il y ait aucun recours possible ».

108

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Face à ces craintes, plusieurs solutions ont été envisagées. Il a d’abord été crée un 223.

Commissaire Général de la République remplissant devant le Conseil d’Etat les fonctions de ministère public et nommé par le Gouvernement. A ce commissaire a été confié une compétence particulière consistant à lui permettre de déférer devant l’Assemblée Générale du Conseil d’Etat les décisions de la section du contentieux qui serait constitutives d’un excès de pouvoir ou d’une violation de la loi ou lorsque certaines affaires seraient traitées par la section du contentieux tandis qu’elles n’appartiennent pas au contentieux administratif mais à l’action administrative pure. Le Commissaire général peut faire partie de l’Assemblée Nationale. Il est donc pensé comme à même de faire le lien entre le pouvoir exécutif qui le nomme, le pouvoir législatif dont il fait partie et le Conseil d’état auprès duquel il intervient. Comme l’explique Vivien « il sera comme l’anneau destiné à les rapprocher et à les unir109 ». Cette institution révèle parfaitement les inquiétudes et les hésitations des constituants de l’époque quant à l’équilibre des pouvoirs, notamment en ce qui concerne le Conseil d’Etat. L’institution était certainement trop compliquée pour être mise en place et l’idée de ce Commissaire fut abandonnée. Elle n’en reste pas moins tout à fait révélatrice des préoccupations de cette période de construction institutionnelle.

Cependant, si elle n’a pas été retenue, l’institution a entraîné un débat qui 224.

concerne le Tribunal des conflits au premier chef. Il a en effet été envisagé et longuement débattu à l’Assemblée de la possibilité de confier au Gouvernement lui-même la possibilité de déférer les décisions de la Section du Contentieux à l’Assemblée Générale du Conseil d’Etat. Cette solution fut également écartée, l’Assemblée générale ne semblant pas offrir suffisamment de garanties au pouvoir exécutif. Il fut donc envisagé de remettre directement au Conseil des Ministres les conflits entre le pouvoir exécutif et la section du contentieux. C’est dire à quel point cette dernière était considérée comme potentiellement hostile au premier. L’Assemblée décida finalement de remettre ce type de difficultés au Tribunal des conflits110.

109

Ibid., p. 422 110

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3) Les recours contre les décisions du Tribunal administratif supérieur

L’article 92 du projet de Constitution111 prévoyait, avant que l’idée soit 225.

abandonnée, que le Tribunal des conflits soit compétent pour connaître des recours formés contre les décisions du Tribunal administratif supérieur sur le fondement de l’excès de pouvoir, de l’incompétence ou de la violation de la loi. La simple évocation de cette possibilité montre là encore de façon très claire la conception que les constituants avaient du Tribunal des conflits. Il constituait un organe certes chargé des conflits de compétence mais au-delà de cette fonction, il était construit comme un corps d’administrateurs favorable au pouvoir exécutif.

Il est encore très significatif de constater qu’il y eut des hésitations sur la 226.

composition du Tribunal des conflits dues au fait qu’on ne savait pas encore quel serait exactement le sort du contentieux administratif, puisque la question se posait de savoir si un Tribunal administratif supérieur serait créé. Face à ces observations, Crémieux répondit qu’il était suffisant de savoir qu’il y aurait un Conseil d’Etat. Il déclara que le Tribunal des conflits serait composé pour moitié de membres de la Cour de cassation et pour moitié de membres du Conseil d’Etat. C’est très intéressant parce que ça montre, comme le dit Auger, « que l’on constituait bien plus un corps d’administrateurs qu’un corps de juges »112 et que « c’était proclamer l’indépendance du Tribunal des conflits vis-à-vis de la justice administrative113 ».

Le Tribunal des conflits révèle encore cette nature administrative par ses 227.

modalités de fonctionnement. Il n’est en rien anecdotique qu’il reprenne les formes de procéder du Conseil d’Etat.

Sous-Paragraphe 2. Le caractère administratif du Tribunal des conflits révélé par ses modalités de fonctionnement

111

Bernard Auger, Le Tribunal des conflits sous la deuxième République, Paris, L. Larose et L. Tenin, 1911, p. 38.

112

Bernard Auger, Le Tribunal des conflits sous la deuxième République, préc., p. 18 113

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Le tribunal des conflits va fonctionner selon les règles du contentieux 228.

administratif. En cela, il ne fait que prolonger le travail de la commission du contentieux du Conseil d’Etat. Cette reprise des règles du contentieux administratif est logique à deux titres.

D’une part, le Tribunal des conflits est pensé comme un organe visant à apporter 229.

des garanties dans le traitement du conflit. Or, bien qu’il constitue une avancée majeure, tant par sa création à proprement parler que par les potentialités qu’elle contient, ces garanties ont commencé à se développer avant lui. Elles se sont développées au sein du Conseil d’Etat. Le conflit, comme cela a été montré dans le chapitre précédent s’est vu, progressivement et pour différents motifs, encadré petit à petit par une jurisprudence naissante. Il est donc parfaitement logique que le Tribunal des conflits reprenne ce mouvement et les formes qui l’ont porté. En d’autres termes, la reprise des formes du contentieux administratif ne signifie pas mécaniquement une dépendance vis-à-vis de l’administration. Elle peut aussi s’inscrire dans un mouvement libéral au sein de l’administration.

D’autre part et surtout, l’office du nouveau tribunal va être largement dominée 230.

par une procédure de saisine : le conflit positif.

En effet, les cas de conflit positif représentent la très grande majorité des saisines 231.

du nouveau tribunal. Le conflit négatif n’est alors qu’un incident de procédure relativement rare et très peu réglementé. Le conflit est bien cette procédure qui porte une opposition entre deux pouvoirs publics. Le conflit négatif est une opposition bien moins significative puisqu’il ne s’agit pas de limiter un pouvoir ou une autorité qui voudrait empiéter sur les compétences d’une autre mais seulement d’imposer à l’une d’elles de traiter une affaire qu’elle ne pensait initialement pas de sa compétence.

Le premier tribunal des conflits, durant toute son activité entre 1849 et 1851 232.

tranchera 114 conflits positifs et seulement 4 conflits négatifs.

La prédominance du conflit positif revint finalement à construire le Tribunal des 233.

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décision rendue par le tribunal sur le conflit positif n’est en effet rien d’autre qu’un contrôle de légalité de l’arrêté préfectoral d’élévation du conflit.

La jurisprudence du premier tribunal des conflits comporte d’ailleurs une 234.

quinzaine de décisions relatives à la procédure d’élévation du conflit positif DEVELOPPER !!!!. Ces décisions encadrent la légalité externe de l’arrêté d’élévation du conflit. Elles concernent principalement le déclinatoire de compétences ou les délais d’élévation.

D’ailleurs, aucune procédure spécifique ne se dégage quant au traitement du 235.

conflit négatif. Le Tribunal des conflits est bien, en ce qui concerne sa façon de fonctionner un tribunal administratif.

Il l’est d’autre part au vu de sa mission première : assurer l’indépendance de 236.

l’administration. Ainsi, les points communs entre le tribunal des conflits et le juge administratif sont-ils nombreux. Comme lui il émane de l’administration, il fonctionne selon les mêmes règles et il poursuit un objectif commun de protection de l’administration. En réalité, au moment de la création du Tribunal des conflits, on comprend qu’il 237.

est construit comme une sorte d’ersatz du Conseil d’Etat ancien. Non pas qu’on lui confie les mêmes missions mais on tente en quelque sort de reconstruire hors du Conseil d’Etat nouveau, rattaché à l’Assemblée, la partie du Conseil d’Etat qui traitait du conflit.

La composition du Tribunal des conflits va également refléter cette nature 238.

administrative.