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La volonté de l’homme

Dans le document Camille FLAMMARION DIEU DANS LA NATURE (Page 120-146)

Livre 3 - L’âme

III. La volonté de l’homme

Examen et réfutation de cette proposition : « La matière gouverne l'homme. » S'il est vrai que la volonté et l'individualité ne soient qu'illusion. S'il est vrai que la conscience le jugement dépendent de la nourriture.

Exemples historiques des énergiques volontés humaines et des grands caractères. Du courage, de la persévérance et de la vertu. Que les facultés intellectuelles et morales n'appartiennent pas à la chimie.

Divagations curieuses débitées sur les bords du Rhin. Influence des légumes sur les progrès spirituels de l'humanité. De la liberté morale. Des aspirations et des affections indépendantes de la matière. L'esprit et le corps.

« Un des principaux obstacles qui empêchent les Allemands en général de parler leur langue aussi facilement et aussi couramment que d'autres nations, disait Zelter à Goethe83, consiste en une gène de la langue qui résulte en grande partie de ce qu'ils consomment beaucoup de végétaux et d'ali-ments gras. Il est vrai que nous n'avons pas autre chose dans ce pays-ci, mais la modération et la prudence peuvent faire et corriger beaucoup de choses. »

C'est par cette remarque que Moleschott ouvre son grand chapitre intitulé la Matière gouverne l'Homme, sans s'apercevoir que la seconde phrase de ce paragraphe porte en elle la condamnation du système qu'il va étayer sur les rapports de l'alimentation à l'état physique et intellectuel de l'homme. Lorsque le vieux compagnon de Goethe lui observe que « la modération et la prudence peuvent faire et corriger beaucoup de choses. » Il prouve par cela même qu'à ses propres yeux l'homme n'est pas seulement un composé de matière, mais encore une force mentale capable de tirer de soi des résolutions contraires aux tendances de la matière. Nous allons suivre en effet l'argumentation des matérialistes, qui pèche ici comme partout par sa propre base, et qui ne se soutient que par une sorte d'équilibre instable, qu'une chiquenaude d'enfant suffit pour renverser.

L'adversaire de Liebig prétend démontrer que la matière gouverne l'homme, en établissant que l'alimentation agit sur l'organisme. Comme objet de physiologie, ces faits sont intéressants et instructifs, et nous sommes heureux que l'occasion de les résumer se présente ici, mais comme objet de philosophie, c'est tout ce qu'il y a au monde de plus incomplet. Jugeons-en plutôt.

Le cadre de ce chapitre offrira par sa propre nature un double aspect. Sur le verso, dessiné par la physiologie contemporaine, nous remarquerons l'action physique des aliments dans l'organisme humain. Sur le recto, nous observerons que cette action est loin de constituer l'homme tout entier, et que l'être humain réside en une puissance supérieure aux transformations de la bile et du chyle, laquelle puissance gouverne la matière, loin d'être son esclave.

On invoque d'abord la différence d'action du régime alimentaire,selon qu'il est végétal ou animal.

Les légumes, les herbes potagères renferment beaucoup d'eau, peu de graisse, et quarante fois moins d'albumine que la viande. En analysant les sels qui se trouvent dans ces substances opposées, on a trouvé que le régime de la viande fait prédominer les phosphates dans le sang, et qu'au contraire le régime végétal fait dominer les carbonates. De plus, les substances albuminoïdes des parties vertes des plantes ne sont pas de l'albumine ni de la fibrine, il faut donc qu'elles subissent cette première transformation ayant de faire partie du sang. De même les graisses végétales ne sont pas de véritables graisses, mais seulement des adipogènes, c'est-à-dire des éléments qui donnent naissance à la graisse il leur faut également subir une première transformation. On a raison de dire que la différence de l'action de la viande commence à se faire sentir, non pas pour la première fois dans le sang tout formé, mais déjà dans la sanguification, dans la digestion. Ces aliments se digèrent d'autant plus facilement que leurs parties constitutives se rapprochent davantage de celles du sang.

83 Briefwechsel zwischen Goethe und Zelter, I, 93.

Il résulte de là que la viande convient à la sanguification mieux que le pain et surtout mieux que les légumes. La longueur des intestins est en rapport avec ce procédé de digestion selon les substances et en donne une image. Chez les chauves-souris, qui se nourrissent de sang même, la longueur du canal intestinal n'est que le triple de celle du corps. Chez l'homme, dont le régime est à la fois carnivore et herbivore (comme on le voit également par son système dentaire, composé de canines et d'incisives), la longueur du canal intestinal est de six fois la hauteur de son corps. Chez le mouton, dont l'alimentation est exclusivement végétale, l'intestin est vingt-huit fois plus long que son corps. La même diversité corrélative se trouve dans la structure de l'estomac. Les animaux carnassiers n'ont qu'un petit estomac. Celui de l'homme a la forme d'un réservoir couché en travers dans la cavité abdominale, et pourvu d'un cul-de-sac plus grand que chez les précédents. Les ruminants qui gardent des provisions de fourrages ont un estomac à quatre compartiments.

L'homme est construit omnivore. Pour le dire en passant, les prescriptions anciennes et pythagoriciennes et les propositions modernes de J.J. Rousseau en faveur du régime exclusivement végétal, et d'Helvétius en faveur du régime animal, doivent être rejetées comme en désaccord avec la nature.

Si les plantes sont moins nutritives que les animaux, le pain occupe une position intermédiaire.

Dans le gluten qui le compose on distingue deux corps albummoïdes : de l'albumine végétale inso-luble et de la colle végétale. Ces substances diffèrent de la fibrine de la chair et doivent, pendant la digestion, se dissoudre dans les sucs. Il y a moins de graisse dans le pain que dans la viande, mais il y a des adipogènes, de l'amidon et du sucre, qui doivent se changer en graisse après avoir perdu une partie de leur oxygène. Il résulte de ces diverses comparaisons que le sang, et avec lui les muscles, les nerfs, les chairs, tous les tissus, se renouvellent plus rapidement avec de la viande qu'avec du pain et qu'avec des légumes.

On en conclut que, puisque le sang donne naissance aux tissus, aux sécrétions et aux excrétions du corps, et puisqu'il se modèle sur la nourriture prise par l'homme, la différence première que l'on remarque entre le régime végétal et le régime animal doit étendre son influence sur tous les phéno-mènes de la vie.

Si l'on s'arrêtait à cette conclusion, nous n'aurions rien à objecter. Nous disons avec nos anta-gonistes qu'on apaise l'appétit d'un homme sain avec de la viande et jamais avec de la salade. Nous consentons à admettre que si les races d'Indiens chasseurs offrent une force de muscles légendaire, tandis que les insulaires de l'océan Pacifique n'ont à leur service que des muscles débiles, c'est (en partie) parce que les premiers dévorent force chair animale, tandis que les seconds ne vivent que d'herbages et de fruits. Nous concédons également que la mollesse et le manque de caractère des Hindous tiennent un peu au régime d'herbes dont ils vivent, que le philosophe Haller ait eu à se plaindre d'une certaine inertie lorsqu'il s'était limité pendant quelques jours au régime végétal, que, par un effet contraire, une division de l'armée à laquelle appartenait Villermé pendant la guerre d'Espagne ait été atteinte de... diarrhée (pardon de l'image, mais je cite), d'amaigrissement et de faiblesse, parce qu'elle avait été forcée, pendant huit jours, de ne vivre que de viande. Nous ac-cordons encore que les Indiens de l'Orégon ne mangent guère pendant une grande partie de l'année que des racines, dont vingt espèces des plus savoureuses sont indigènes ce qui nous cause un sensible plaisir et que les habitants se transportent d'une contrée à l'autre pour brouter les dites racines, qui ne mûrissent que successivement. Nous croyons volontiers que la croyance à la métempsycose existe encore au Malabar, qu'il y ait des hôpitaux pour des bêtes et qu'on y nourrisse dans les temples des rats qu'il est défendu de tuer. Nous savons encore que les Islandais, les Kamtschadales, les Lapons, les Samoyèdes ne peuvent vivre que de poissons pendant une partie de l'année, tandis que les chasseurs des prairies de l'Amérique ne se nourrissent que de chair de bison.

Enfin nous accordons, sans scrupule et sans demander de preuves, qu'il suffise qu'un homme «

mange de la marmelade de pommes pour rendre alcaline son urine acide », que les Français évacuent moins d'urée que les Allemands dans le cours d'une journée, et que ceux-ci sont laissés de beaucoup en arrière par les Anglais ce qui prouve qu'il se consomme à Londres six fois plus de viande qu'à Paris et pour finir, nous ne voulons pas voir d'inconvénient à ce que les jolies promeneuses sentent plus fréquemment que les passants vulgaires l'avantage qu'il y aurait à augmenter les petits monuments publics de Paris, ou du moins à leur adjoindre une variété. Oui, messieurs, nous vous donnons, ou plutôt nous vous laissons prendre à pleines mains tout ce que vous demandez en physiologie. Mais en vérité qu'est-ce que tout cela prouve sur la personnalité de l'âme humaine ?

Franchement, quelle lumière ces expériences jettent-elles sur ce sujet ? Quel rapport y a-t-il ? Où voyez-vous que cette chimie démontre la non-existence de l'âme ? Que faites-vous donc de la méthode scientifique qui recommande de ne procéder que par inductions ou déductions ? Comment vous mésalliez-vous ainsi à la scolastique de nos aïeules ? Certes, nous ne savons lequel est le plus surprenant de l'audace de ces physiologistes ou de leur erreur. Ils nous conduisent au bord d'un abîme et nous disent : Sautez ! Croient-ils donc avoir jeté un pont avec quelque toiles d'araignées

? Vraiment, il faut qu'ils regardent l'esprit humain comme un aveugle-né, pour prétendre l'endormir sur de pareils procédés. Et, en effet, qui ne s'étonnera de savoir que, comme conclusion des faits plus ou moins incomplets qui précèdent, on nous présente pompeusement la déclaration suivante : - Il est certain, comme le prouvent les observations nombreuses et les expériences faites sur une grande échelle, que l'homme doit en partie le rang privilégié qu'il occupe par rapport aux bêtes, à la faculté qu'il a tantôt de ne se nourrir que de végétaux, tantôt de ne vivre que de viandes84. Et ces autres : la matière est la base de toute force spirituelle, de toute grandeur humaine et terrestre85. Le mot d'âme exprime, considéré anatomiquement, l'ensemble des fonctions du cerveau et de la moelle épinière, et, considéré physiologiquement, l'ensemble des fonctions de la sensibilité encépha-lique86. L'analyse ne trouve dans la conscience, dans cet auguste instinct et cette voix immortelle, qu'un mécanisme très simple, qu 'elle démonte comme un ressort87. De telles affirmations ne manquent pas de hardiesse. Mais après tout, lorsqu'on a lu dans le chapitre précédent les déclarations faites dans le but de démontrer que nous n'existons pas, on n'a plus à s'étonner de rien.

S'il est vrai que les épices favorisent la digestion, dit Moleschott, si le pain de recoupe, les fruits, et en particulier quelques figues, après lesquels on boit le matin à jeun de 1'eau froide, accélèrent les évacuations, si les raves, le radis, les poireaux, la vanille, excitent les plus violents appétits sensuels, si le vin, le thé et le café exercent leur empire sur l'état du cerveau, il est démontré que la matière gouverne l'homme...

Nous ne nous en étions jamais doutés. Savez-vous ce qu'il faut faire pour acquérir l'éloquence ? Ne pas manger de noix ni d'amandes, et comme la voix et la parole dépendent, paraît-il, des mouvements des muscles du larynx, il faut préférer au régime d'aliments gras un régime végétal.

Voulez-vous une preuve convaincante que la pensée et la matière sont essentiellement corrélatives

? Regardez au fond de votre tasse à café. Le café, comme le bateau à vapeur et le télégraphe électrique, met en circulation une série de pensées, donne naissance à un courant d'idées, de fantaisies, d'entreprises qui nous emporte tous avec lui. Il est manifeste que le besoin né d'une affinité élective de l'humanité pour le café et le thé, est devenu d'autant plus évident et plus général, que les exigences intellectuelles imposées par la civilisation se sont plus accrues. Voici encore un

84 Circulation de la vie, II, 69.

85 Force et Matière, ch. V.

86 Dictionnaire des Sciences médicales.

87 M. Taine, Philosophes français.

autre fait d'une importance capitale. Les Kamtschadales et les Tongouses s'enivrent avec leur aguaric rouge, et il paraît que les domestiques qui veulent éprouver les mêmes effets ne dédaignent pas de boire l'urine de leurs maîtres. Donc la matière gouverne l'homme, conclut spirituellement M. Moleschott.

Dans un tel système, il est clair, comme nous l'avons déjà entrevu, que la liberté de la volonté humaine est complétement anéantie. Moleschott le déclare. Non seulement l'air que nous respirons à tout moment de notre vie modifie l'air dans les poumons, change le sang veineux en sang artériel, non seulement il métamorphose les muscles en créatine et en créatinine, le muscle du coeur en hypoxanthine, le tissu de la rate en hypoxanthine et en acide urique, l'humeur vitrée de l'oeil en urée, il change aussi à tout moment la composition du cerveau et des nerfs. L'air même que nous respirons change tous les jours, il n'est pas le même dans les forêts que dans les villes, il n'est pas le même au-dessus de l'eau que sur les montagnes, il n'est pas le même au haut d'une tour que dans la rue. Nourriture, naissance, éducation, relations, tout autour de nous roule dans un mouvement qui se communique constamment. Toutes ces propositions sont vraies. Elles prouvent que l'homme est au sein d'un monde à l'influence duquel il est soumis : elles prouvent peut-être encore que le libre arbitre n'est pas aussi absolu que certains psychologues enthousiastes l'ont avancé : elles ne prouvent pas que la volonté humaine n'existe pas.

Tous les matérialistes ne poussent pas l'excentricité jusqu'à affirmer que l'homme n'a pas con-science de son existence et qu'il n'a pas davantage la liberté de ses déterminations et de ses actes.

Büchner est moins exagéré. Nous disons avec lui que l'homme est l'oeuvre de la nature, que sa personne, ses actions, sa pensée et même sa volonté, sont soumises aux lois qui régissent l'univers.

Les actions et la conduite des individus dépendent sans contredit de leur éducation, du caractère, des moeurs et du jugement du peuple ou de la nation dont il est membre, et cette nation est à un certain degré le produit des rapports extérieurs dans lesquels elle vit, et dans lesquels elle s'est développée. On peut par exemple remarquer avec Desor que le type américain s'est développé depuis les premiers colons anglais, il y a deux siècles et demi. Ce résultat peut être attribué principalement à l'influence du climat. Le type américain se distingue par le peu d'embonpoint, par le cou allongé, par le tempérament actif et toujours fiévreux. Le peu de développement du système glandulaire, qui donne aux femmes américaines cette expression tendre et éthérée, l'épaisseur, la longueur et la sécheresse des cheveux, peuvent provenir de la sécheresse de l'air. On croit avoir remarqué que l'agitation des Américains augmente beaucoup avec le vent du nord-est. Il résulte de ces faits que le développement grandiose et rapide de l'Amérique serait un peu le résultat de rapports physiques. De même qu'en Amérique, les Anglais ont aussi donné naissance à un nouveau type en Australie, notamment dans la Nouvelle-Galle méridionale. Les hommes y sont très grands, maigres et musculeux, les femmes d'une grande beauté, mais très passagère. Les nouveaux colons leur donnent le sobriquet de Cornstalks (brins de paille). Le caractère de l'Anglais porte l'empreinte du ciel sombre et nébuleux, de l'air pesant, des limites étroites de son pays natal. L'Italien, au contraire, nous rappelle dans toute son individualité le ciel éternellement beau et le soleil ardent de son climat. (Cependant les Romains ont bien changé depuis deux mille ans.) Les idées et les contes fantastiques des Orientaux sont en rapport intime avec la luxuriance de la végétation qui les entoure. La zone glaciale ne produit que de faibles arbustes, des arbres rabougris et une race d'hommes petits, peu ou point accessibles à la civilisation. Les habitants de la zone torride sont de même peu propres à une culture supérieure. Il n'y a que dans les pays où le climat, le sol et les rapports extérieurs de la superficie terrestre offrent une certaine mesure et un terme moyen, que l'homme puisse acquérir le degré de culture intellectuelle qui lui donne une si grande prépondérance sur les êtres qui l'entourent.

Toutes ces observations ne prouvent pas que la matière gouverne l'homme, et que la volonté ne soit

qu'une illusion, comme notre individualité. Nous devons même faire remarquer à l'auteur de Force et Matière, que ce sont plutôt les individus qui font les nations, que les nations qui créent les individus. Comme l'écrivait Stuart Mill, le mérite d'un État se trouve, à la longue, n'être que le mérite des individus qui le composent. Ce ne sont ni les institutions, ni les lois, ni les gouvernements qui constituent la grandeur des nations ; mais la valeur et la conduite des citoyens.

C'est donc de l'individualité des hommes que dépendent le progrès des peuples, et non pas des conditions générales de ces peuples. En vain dira-t-on que cette individualité n'est rien autre chose que le résultat nécessaire des dispositions corporelles : l'éducation, l'instruction, l'exemple, la position, la fortune, le sexe, la nationalité, le climat, le sol, l'époque, etc…, il y a dans l'être humain une force bien supérieure à toutes celles-là, une force que ces négateurs ne veulent point voir, et cherchent à dérober sous le brouillard de leurs paroles. De même que la plante, disent-ils, dépend du sol où elle a pris racine, nonseulement par rapport à son existence, mais encore par rapport à sa grandeur, sa forme et sa beauté, de même que l'animal est petit ou grand, apprivoisé ou sauvage, beau ou laid, selon ses rapports extérieurs, de même l'homme dans son être physique et intellectuel n'est pas moins le produit des mêmes rapports extérieurs, des mêmes accidents, des mêmes dispositions, et n'est pas par conséquent l'être spirituel, indépendant et libre, que les moralistes dépeignent... Ces messieurs se défendent extraordinairement d'être spirituels, et nous sommes vraiment trop aimables d'insister. Mais, sans faire une application particulière en leur faveur, nous avons droit de soutenir la spiritualité de l'homme, et d'effacer, par l'exemple lumineux des grandes volontés, cette théorie crépusculaire qui fait des résolutions humaines une fonction du baromètre.

Il faut fermer volontairement les yeux sur les faits les plus beaux et les plus respectables de l'histoire de l'humanité, il faut préférer de tristes abstractions à de glorieuses vérités, il faut sacrifier les plus vénérables monuments de la pensée humaine à la chimère d'une idée fixe, pour oser nier la puissance de la volonté, la valeur de son énergie, l'indépendance de sa résolution, les miracles mêmes de sa persistance, et mettre à sa place une ombre vague et diffuse qui dépend de la position d'un soleil de théâtre. Et en vérité, nous ne voyons pas l'avantage que l'on puisse retirer de cette substitution. C'est méconnaître la grandeur de l'homme, que de persister à affirmer qu'il ne possède aucune force individuelle et que toutes ses actions ne sont que la résultante nécessaire et fatale de ses inclinations physiques, de ses tendances organiques, de ses penchants matériels. C'est abaisser sa dignité au-dessous du niveau de la moyenne intelligence, et c'est se mettre en contradiction avec les exemples les plus éclatants et les plus admirables, qui constellent le front de l'humanité, et le couronnent d'une gloire impérissable. Ouvrons à chaque phase les annales de l'esprit humain, consultons surtout les pages de notre siècle, si grand déjà par les inventions fécondes et par les puissances qu'il a revélées, et nous resterons convaincus que le génie n'est pas seulement une résultante des conditions matérielles, et surtout une maladie nerveuse, mais qu'il s'affirme au contraire comme une force supérieure à ces conditions, qui bien souvent les a dominées, gou-vernées ou vaincues. Loin de consentir à regarder l'homme comme un être inerte, dont les oeuvres ne seraient qu'un effet de l'instinct, des habitudes, des besoins, des désirs, des prédispositions organiques, nous proclamons avec l'autorité du fait, que l'intelligence gouverne la matière, et que la valeur de l'homme consiste précisément dans cette élévation, dans cette souveraineté de l'in-telligence.

Pour illustrer cette proposition, et pour renverser par l'exemple même l'affirmation tristement audacieuse de ces champions de la matière, jetons un coup d'oeil sur le panorama des intelligences humaines, et présentons en même temps par ces illustres souvenirs, à tous ceux qui sentent leur coeur battre pour le patriotisme de l'humanité, à tous ceux aussi, qui, jeunes et indécis, pénétrant sur le chemin de la vie, seraient tentés d'écouter les paroles mensongères du matérialisme et pré-pareraient ainsi la ruine inévitable de leur dignité, présentons-leur le tableau si satisfaisant pour nos

Dans le document Camille FLAMMARION DIEU DANS LA NATURE (Page 120-146)

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