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La personnalité humaine

Dans le document Camille FLAMMARION DIEU DANS LA NATURE (Page 108-120)

Livre 3 - L’âme

II. La personnalité humaine

L'hypothèse qui présente l'âme comme une propriété du cerveau n'est pas soutenable devant les faits de la personnalité humaine. Contradiction entre l'unité de l'âme et la multiplicité des mouvements cérébraux.

Contradiction entre l'identité permnente de l'âme et la mutabilité incessante des parties constitutives du cerveau. Silence des matérialistes sur ce double fait. Impuissance de leur théorie. Audace de leurs explications devant le certitude morale de notre identité. Comment l'unité et l'identité de l'âme démontrent l'inanité de l'hypothèse matérialiste.

Fort heureusement pour les grandes et respectables vérités de l'ordre moral, nous n'en sommes pas réduits à courber la tête sous une conclusion aussi grossière. Comme aux jours chantés par l'auteur latin des Métamorphoses, nous sommes nés pour nous tenir debout et pour regarder le ciel. Certes, nous pourrions faire comparaître ici l'imposant témoignage des sentiments les plus profonds de la nature humaine, nous pourrions établir avec l'évidence du jour que dans ces doctrines pernicieuses il n'y a plus de place pour l'espérance, plus de loi morale pour la conscience, plus de lumière pour les tendances du coeur, plus de bonté dans la nature, plus de justice dans l'ordre universel, plus de consolation pour l'affligé, et que la population pensante du globe terrestre n'a plus devant elle aucun but, aucune clarté, aucune loi intellectuelle. Elle roule désormais, tourbillonnante, emportée dans l'espace obscur par la rotation et la translation rapide du globe, se renouvelle de seconde en seconde par la naissance et la mort de ses membres, et n'est pas autre chose à la surface de la création matérielle qu'une moisissure parasite aveuglément enfantée et perpétuée par les forces chimiques.

Oui, nous pourrions, en invoquant le témoignage des coeurs qui battent encore et des âmes qui espèrent, et en rangeant en bataille les arguments encore vivaces de la philosophie et de la psychologie, terrasser nos adversaires et les contraindre à s'avouer eux-mêmes vaincus. Mais puisque nous avons voulu combattre sur le même terrain et avec les mêmes armes, puisque nous avons prétendu pouvoir les réfuter au nom seul de la science dont ils se disent les soutiens et les interprètes, nous voulons généreusement rester sur le sol scientifique et dédaigner comme eux les syllogismes de la psychologie. Ainsi nous laissons sans réponse les propositions suivantes de nos adversaires, et les commentaires dont ils les prolongent : « Les lois de la nature sont des forces barbares, inflexibles, elles ne connaissent ni la morale ni la bienveillance67. »

« La nature ne répond pas aux plaintes et aux prières de l'homme, elle le repousse inexorablement sur lui-même68. »

« Nous savons par expérience que Dieu ne se mêle en aucune façon de cette vie terrestre69. » Voilà des observations bien consolantes pour l'humanité, n'est-ce pas ? Mais nous le répétons, le sentiment n'est pas une affaire scientifique, et nous ne traiterons pas ce chapitre-là. Cette abstention ne nous empêche pas, bien entendu, d'inviter nos lecteurs à y réfléchir et à décider de quel côté penche leur raison et leur coeur. Mais au seul point de vue de l'observation scientifique, et en laissant de côté les sentiments du coeur et les lois de la conscience, qui sont pourtant quelque chose dans l'histoire de l'âme, nous disons que certains faits d"observation pure sont complètement inexplicables dans l'hypothèse matérialiste. Au chapitre précédent, le lecteur peut encore rester suspendu entre les deux hypothèses, car nous lui avons présenté des faits se balançant mutuellement et tenant l'esprit indécis à leur centre de gravité , dans celui-ci, le centre de gravité va passer dans le corps des doctrines spiritualistes, et ceux qui ne le suivront pas risqueront fort de perdre leur équilibre et de tomber bientôt dans le vide le plus vide.

67 Vogt.

68 Feuerbach.

69 Luther.

Exposons d'abord les affirmations matérialistes, contre l'existence de l'âme et pour ne pas nous occuper seulement des étrangers et faire en même temps l'histoire du matérialisme dans notre pays, écoutons Broussais, dont l'ouvrage fut le premier grand signe de ralliement de nos modernes épicu-riens, et qui inaugura dans notre siècle la première phase scientifique de ce cours peu lumineux.

Pour Broussais, comme pour Cabanis, comme pour Locke et Condillac, l'homme consiste simple-ment dans l'ensemble des organes corporels et de leurs fonctions. Le moi, la personnalité humaine, ce n'est pas un être sui generis, c'est un fait70, c'est un résultat, c'est un produit imputable à telle ou telle disposition de la matière71. L'intelligence et la sensibilité sont des fonctions de l'appareil ner-veux, à peu près comme la transformation des aliments en chyle et en sang est une fonction de l'appareil digestif ou de l'appareil respiratoire72. L'existence de l'âme n'est qu'une hypothèse, une hypothèse qu'aucune observation ne fonde, qu'aucun raisonnement n'autorise, une hypothèse gratuite, voire même une idée dénuée de sens73. Reconnaître dans l'homme autre chose qu'un sys-tème d'organes, c'est tomber dans les absurdités de l'ontologie74. Cabanis, dans son livre si connu, et Destutt de Tracy, dans l'analyse raisonnée qu'il a faite des rapports du physique et du moral de l'homme, émettent les mêmes opinions, mais sous une forme moins explicite.

D'après les défenseurs exagérés de la doctrine de la sensation,la personne humaine est confondue dans les fonctions organiques. En réalité, elle n'existe pas. Tous les hommes de tous les peuples et de tous les temps ont cru à leur existence personnelle, se sont sentis vivre et penser, toutes les langues ont énoncé aux premières pages des annales de l'humanité l'existence personnelle de la pensée humaine, âme, intelligence, esprit, quel que soit d'ailleurs le nom employé (nous pourrions aligner une page de noms primitifs aryens, sanscrits, grecs, latins, celtes, etc.., mais une telle nomenclature n'est pas nécessaire et nos lecteurs connaissent l'existence de tous ces mots), le bon sens du vulgaire, aussi bien que le génie du philosophe, a cru spontanément, depuis que le monde est monde et depuis qu'il y a des êtres pensants sur la terre, qu'il y a dans notre corps autre chose que de la matière, une conscience de soi, sans laquelle nous ne saurions pas exister, et qui se prouve elle-même par le seul fait de notre certitude intime, enfin tous les hommes ont senti que notre corps ne constitue pas notre personne pensante, et que le monde extérieur ne la constitue pas davantage.

Mais l'humanité passée et présente, a, parait-il, compté sans l'opinion des matérialistes. Fort heureu-sement pour notre instruction, ils sont là, nous éclairant désormais et nous invitant à réfléchir sur la naïveté de notre croyance. Comme l'a finement écrit un spirituel spiritualiste75 : « Jusqu'ici, mes chers amis, nous disent-ils, vous avez cru que vous existiez, ct que vous aviez chacun un corps ; détrompez-vous ; vous n'existez pas, ce sont vos corps qui vous ont. Vous n'existez qu'en apparence, ce que chacun de vous appelle moi n'est qu'un nom en l'air, un fantôme creux, un je ne sais quoi, sans réalité ni consistance, et ce qui existe réellement là-dessous, c'est quelque chose dont vous n'avez pas conscience, et qui n'a pas non plus conscience de vous. »

Selon Broussais, ses maîtres, ses collègues et ses disciples, le moi, c'est le cerveau. La pensée, tous les phénomènes de la sensibilité, de l'instinct, de l'intelligence, sont des « excitations » de la matière cérébrale, ou, pour parler le langage même plus matériel de l'auteur, des « condensations » de la même matière76. Et de quelque nature qu'elle soit, toute perception mentale est dans ce cas.

Douleur, joie, souvenir, imagination, jugement, comparaisons, déterminations, désirs,

70 De l’Irritation de la folie, p. 153.

71 Id., p. 171.

72 Id., Préface, XIX.

73 Réponse aux critiques, p. 30.

74 De l’Irritation, etc., p. 122.

75 Le duc de Broglie, Écrits et Discours, t. I, de l'Existence de l'âme.

76 Broussais, de l'Irritation et de la Folie, p. 214.

enthousiasme : condensation que tout cela. S'il y a des phénomènes complexes dans ce laboratoire de la pensée, comme une série de raisonnements successifs à partir d'une première impression, méme de l'extérieur, jusqu'à un acte de volonté, ce sont alors des condensations de condensations.

Ces condensations sont la pensée elle-même. Celle-ci n'en est pas la conséquence, la résultante, elle est la condensation même des fibres de l'encéphale... Dieu ! Que la science est une belle chose

! Et que M. Broussais avait une imagination bien condensée !

Se sentir sentir, telle est la formule, tel est le seul fait de conscience admis par Broussais. La prétendue âme humaine est tout entière dans ces trois mots. Or quel est l'organe qui sent dans l'organisme humain ? C'est incontestablement le cerveau. Donc le cerveau c'est le moi, et toutes les perceptions de la pensée ne sont que des excitations de la substance cérébrale. Cela parait bien simple. Il y a pourtant une légère objection.

Nous avons vu que le cerveau est une masse de chair de trois livres, plus ou moins, composée de moelle, de fibres blanches ou grises, de graisse phosphorée, d'eau, d'albumine, etc. Or quelle est la substance qui pense là-dedans ? Est-ce l'eau ? Est-ce le phosphore, est-ce l'albumine, est-ce l'oxygène ? Si la faculté de penser est attachée à une molécule simple, à un atome réel, vous n'avez pas le droit de nier l'immortalité de l'âme, car dans cette hypothèse la faculté de penser partagerait la destinée de l'atome indestructible. Mais il faudrait donc admettre que cet atome est affranchi dès lors du mouvement et reste immobile (au fond de la glande pinéale, peut-être). Si maintenant chaque molécule cérébrale est capable de sentir, selon la nature des sensations, ce prétendu moi ne sera plus au singulier, mais au pluriel, il y aura autant de mois( !) qu'il y a de molécules cérébrales.

Les langues ne connaissaient pas ce nouveau mot, et devront désormais l'adjoindre à leur dictionnaire. L'homme ne s'était jamais douté qu'il y avait en lui plusieurs personnes, car les Grecs

eux-mêmes avec leur , leur , leur , leur , leur ,

leur , leur ,leur et toutes leurs possibles, n’avaient encore imaginé là que diverses facultés, diverses manières d’être d’une seule âme. Mais chaque molécule est elle-même un agrégat d'atomes, de corps simples, divers, et diversement combinés. Sera-ce chaque atome qui pensera maintenant ? Nous voilà tombés dans l'hypothèse la plus absurde qu'on puisse imaginer. Cette contradiction entre l'Unité incontestable de la personne pensante et la multiplicité non moins incontestable des éléments cérébraux, réduit à néant l'idée de faire de la conscience personnelle une propriété de l'encéphale.

Remarque curieuse, ces messieurs ne s'aperçoivent pas qu'en raisonnant ainsi, ils reviennent aux archées de Van Helmont, sous prétexte de progrès. Il ne leur manque plus que les esprits animaux du temps de Descartes et de Malebranche, et nous nous trouverons reculés de plus de deux siècles, avant l'origine même de la physiologie.

N'avons-nous pas au fond de notre conscience la certitude de notre unité ? Votre pensée s'aperçoit-elle comme un mécanisme composé de plusieurs pièces ou comme un être simple ? Tous les faits de l'activité de notre âme témoignent en faveur de cette unité personnelle, car dans leur variété et dans leur multiplicité ils sont les uns et les autres groupés autour d'une perception intime unique, d'un jugement unique, d'une faculté de généralisation unique. Nous sentons en nous-mêmes cette unité de notre personne, sans laquelle nos pensées comme nos actions ne seraient plus rattachées par aucun lien, sans laquelle nos déterminations n'auraient aucune valeur. Et ce fait est si fermement avéré dans la conscience et si inattaquable que les contradictions apparentes que l'on pourrait lui opposer, tournent en définitive à son avantage. Si, par exemple, certaine faculté de notre âme, se trompe dans son appréciation, il semble qu'on pourrait en conclure qu'il y a complexité dans le mode d'action de l'esprit. Mais en allant au fond de ce phénomène si fréquent de l'erreur, on reconnaît que c'est bien le même être, la même personne, qui se trompe et reconnaît sa méprise, et

que dans l'homme qui commet une erreur et la redresse, il est clair que c'est la même raison qui juge et le corrige. Les contradictions mêmes de la nature humaine servent donc aussi bien que notre propre conscience à affirmer la personnalité de notre être mental.

Quoique l'affirmation du moi personnel prouve l'existence de l'âme, il ne s'ensuit pas qu'il la con-stitue. Nous pensons que l'âme est le sujet pensant, tandis que le moi n'est qu'une conception qui donne pour phénomènes internes le caractère de fait de conscience. L'âme pourrait exister sans avoir conscience de sa personnalité, et de fait dans le monde animé, un grand nombre d'âmes en sont encore là. D'autres répondent que c'est l'ensemble du cerveau qui pense, et non chaque molécule elle-même. Mais qu'est-ce que c'est que l'ensemble du cerveau, sinon la réunion des molécules qui le composent ? Ceux qui font de cette réunion un être idéal, une sorte de société, d'armée, ne peuvent pas faire penser cette société sans faire penser chacun de ses membres. Car en soi, une société, un peuple, ne sont pas des êtres réels, mais un ensemble dont la nature et la valeur ne sont constitués que par celles des membres qui les composent. Supprimez la pensée aux cerveaux du peuple français, que restera-t-il à ce peuple ? Imaginez que les molécules de notre cerveau ne pensent pas, que restera-t-il au cerveau ? Et si elles pensent, nous retournons à l'image bizarre d'une quantité indéfinie de mois ! (ce mot doit trouver singulier de se voir ainsi au pluriel).

Et pour qu'elles s'accordent les unes les autres, nous verrons instituer la hiérarchie militaire et nommer un général que l'on mettra à cheval sur quelque atome crochu de la glande pinéale, ou bien on dira avec Sydenham, « qu'il y a dans l'homme un autre homme intérieur, doué des mêmes facultés, des mêmes affections que l'homme extérieur. » Sous prétexte de science positive, on imaginera mille hypothèses plus difficiles à expliquer que les mystères si critiqués des religions antiques.

Les matérialistes contemporains sont un peu plus forts. Ils déclarent, comme nous l'avons vu, que l'âme est une force sécrétée par le cerveau ( ?) sans se mettre dans l'embarras de décider quelle partie ou quel élément de l'encéphale possède cette merveilleuse faculté. C'est une résultante de l'ensemble des mouvements qui s'opèrent sous diverses influences dans l'organe cérébral. Tel est l'avis de l'école matérialiste et même de l'école panthéiste. Cette nouvelle hypothèse est tout aussi simple que les précédentes, elle n'a non plus qu'un léger tort : c'est d'être parfaitement incom-préhensible. D'ailleurs on ne se donne même pas la peine de chercher à l'expliquer. Lorsqu'on op-posait, en 1827, la simplicité de l'âme â la multiplicité des éléments constitutifs du cerveau, à cette époque où la chimie de la pensée n'avait pas encore le bonheur d'être faite dans les creusets d'outre-Rhin, Broussais répondait loyalement : « Le moi est un fait inexplicable, je ne prétends pas expliquer le moi77. » Pourtant, aux définitions signalées plus haut il a encore ajouté celle-ci: « Le moi est un phénomène d'innervation. » Aujourd'hui on ne peut pas davantage prouver ni expliquer que notre conscience individuelle soit la résultante de certaines combinaisons, opérées dans une machine automate.

Ainsi, l'unité de notre force pensante proteste énergiquement contre l'hypothèse des pensées sécrétions de la substance cérébrale, et la détruit net. Nous opposerons maintenant à la même hypothèse un second fait parallèle à celui-ci, et dont la valeur est si grande qu'il est capable à lui seul de réduire à néant la colossale armée d'arguments déjà émoussés qui prétend défendre ladite théorie.

Ce fait, le voici en quelques mots bien clairs. La substance constitutive du cerveau ne reste pas deux semaines de suite identique à elle-même. Le cerveau est complètement changé en un temps plus ou moins long. Nous avons vu dans le livre II, que non seulement le cerveau, mais le corps organisé tout entier, n'est qu'une succession, qu'une mutabilité perpétuelle de molécules. Au

77 Réponse aux critiques, p.17.

contraire, notre personne pensante reste. Chacun de nous a la certitude que depuis son enfance jusqu'à l'âge où il est parvenu, il n'a pas été changé, comme l'ont été ses vêtements, ses cheveux, ses traits et son corps.

Dans les pages précedentes, nous venons de démontrer la personnalité de l'âme, malgré la com-plexité des éléments du cerveau, malgré la multiplicité de ses fonctions, et nous avons vu que, loin d'être une résultante, cette personnalité s'affirme d'elle-même comme une force individuelle. Main-tenant nous allons en quelque sorte transporter à l'idée du temps ce que nous disions à propos de l'étendue, et établir que l'unité de l'âme n'existe pas seulement à chaque instant considéré en lui-même, mais encore qu'elle persiste d'un instant à l'autre, et reste identique à elle même malgré les changements que le temps apporte à la composition de la substance cérébrale.

Il s'agit donc de concilier l'identité permanente de notre personne avec la mutabilité incessante de la matière. MM. les matérialistes seraient d'une gracieuseté rare s'ils consentaient à monter un instant au tableau pour résoudre ce petit problème. Nous voulons bien leur en donner l'énoncé : Démontrer que le mouvement est l'ami du repos, et que le meilleur moyen de créer dans le monde une institution stable et solide, c'est d'en jeter l'idée à travers un tourbillon de têtes frivoles.

Les observations sévères, faites à divers points de vue et comparées, ont montré que non seulement notre corps se renouvelle successivement tout entier, molécules par molécules, mais encore que ce renouvellement perpétuel est d'une étonnante rapidité, et qu'il suffit d'une trentaine de jours pour donner au corps une composition nouvelle. Tel est le principe de la désassimilation dans l'animal.

A rigoureusement parler, l'homme corporel ne reste pas deux instants de suite identique à lui-même.

Les globules de sang qui circulent dans mes doigts au moment où j'écris ces lignes, le magique phosphore qui bat dans mon cerveau au moment où je pense cette phrase, ne feront plus partie de moi-même lorsque ces pages seront imprimées, et peut-être qu'au moment où vous les lisez, ami lecteur, ces mêmes molécules font partie de votre oeil ou de votre front... peut-être, ô lectrice rêveuse qui tournez délicatement ce feuillet de vos doigts aimés, ladite molécule de phosphore qui, dans l'hypothèse de nos adversaires, eut la fantaisie d'imaginer la phrase en question, peut- être, dis-je, cette heureuse molécule est-elle présentement emprisonnée sous l'épiderme sensible de votre index... peut-être tressaille-t-elle ardemment sous les palpitations de votre coeur... Il y aurait beaucoup à dire sur cet indiscret sujet des voyages d'une molécule, mais je n'ose pas allonger ma parenthèse. La question sérieuse est de rappeler cette vérité : que la matière est en circulation perpétuelle dans tous les êtres, et que l'être humain corporel en particulier ne demeure pas deux jours de suite identique à lui-même.

Si la valeur de ce fait ne nous abuse pas, elle nous paraît avoir son importance dans la question qui nous occupe, et nous nous faisons un véritable plaisir de l'adresser à nos adversaires et de les inviter à l'expliquer. Comme c'est aux champions mêmes du matérialisme que la science est redevable d'une partie de ces observations intéressantes, ils sont plus à même que personne de les interpréter en faveur de leur théorie, si toutefois cette sorte d'interprétation n'est pas un tour de force trop exagéré. Voyons.

« Le sang abandonne constamment ses propres parties constitutives aux organes des corps en qua-lité d'éléments histogènes. L'activité des tissus décompose ces éléments en acide carbonique, en urée et en eau. Les tissus et le sang subissent, par la marche régulière de la vie, une déperdition de substance, qui ne trouve de compensation que dans le dédommagement fourni par les aliments. Cet échange de matières s'opère avec une rapidité remarquable. Les faits généraux indiquent que le corps renouvelle la plus grande partie de sa subtance dans un laps de temps de vingt à trente jours.

Le colonel Lann, par le moyen de plusieurs pesées, a trouvé une perte moyenne d'un deuxième de son poids en quatre heures. Le renouvellement complet demanderait donc vingt-deux jours. Liebig déduit une rapidité de vingt-cinq jours d'une autre considération de l'échange

Dans le document Camille FLAMMARION DIEU DANS LA NATURE (Page 108-120)

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