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Plan de la nature : Construction des êtres vivants

Dans le document Camille FLAMMARION DIEU DANS LA NATURE (Page 147-168)

Livre 4 – Destination des êtres et des choses

I. Plan de la nature : Construction des êtres vivants

Erreur et ridicule de ceux qui rapportent tout à l'homme. Erreur semblable de ceux qui nient l'existence d'un plan dans la nature. Les lois organisatrices de la vie révèlent une cause intelligente. Construction merveilleuse des organes et des sens. L’oeil et l’oreille. Hypothèse de la formation des êtres vivants sous la puissance d'une force instinctive universelle. Hypothèse de la transformation des espèces. Que toutes les hypothèses ne détruisent pas la sagesse du plan de la nature.

Par une douce soirée d'été, je traversais, à la sortie d'un village, un carré de vieux tilleuls, aux pieds desquels s'entre-croisaient les courses d'une dizaine de petites filles. Ces joyeuses enfants couraient à qui mieux mieux sous les arbres séculaires, qui sans doute avaient vu un grand nombre de jeunes générations se succéder sous leurs fronts silencieux. A quoi rêvaient ces arbres immobile ? Combien de soleils avaient-ils vu se lever sur leurs têtes ? Songeaient-ils aux splendeurs de la végétation antique dont la Terre fut glorieusement parée aux jours de son printemps ? Avaient-ils une vague conscience de l'importance du règne végétal et de la grandeur de son rôle dans le système général de la vie terrestre ? Peut-être ! Mais à coup sûr, ils ne se doutaient pas de l'opinion que me témoignait à leur égard l'une de ces enfants charmantes, lorsque m'étant assis près de leur jeu et m'étant mis à causer avec la plus petite, je lui demandai si elle savait à quoi servaient ces gros tilleuls. « jouer à cache-cache quand il fait beau », m'avait-elle répondu avec cet accent de franchise que donne toute conviction profonde. Et un instant après, se ravisant et complétant sa pensée par un beau sentiment de petite tille : « Ils servent encore à faire de la tisane à maman », avait-elle ajouté en m'offrant un petit bouquet blanc parfumé, tombé des branches.

Un autre soir, à Paris, un certain M. C..., à qui nous parlions de l'immensité des cieux et de la multitude des Mondes au milieu de laquelle la Terre est perdue comme un atome insignifiant, nous répondit par une naïveté moins pardonnable que la précédente, attendu que ce monsieur n'est pas une petite tille : « Vous servez des idées désastreuses en enseignant que la Terre n'est pas privilégiée et qu'elle n'est pas supérieure aux astres, elle a fourni le corps divin de Jésus-Christ et celui de la sainte Vierge, et c'est assez pour la mettre au-dessus de tous les astres, pour affirmer que tous les astres ont été faits pour elle102. »

Dans le temps, un autre excellent homme, également animé des sentiments les meilleurs et les plus inoffensifs, M. Le Prieur, prétendait que les marées sont données à l'Océan pour que les vaisseaux entrent plus aisément dans les ports 103.

Ce à quoi Voltaire ajoutait qu'on aurait tort de prétendre que les jambes fussent faites pour être bottées, et les nez pour porter des lunettes. Car, disait-i1104, pour qu'on puisse s'assurer de la fin véritable pour laquelle une cause agit, il faut que cet effet soit de tous les temps et de tous les lieux.

On aurait également un tort bien naïf à remercier Dieu d'avoir fait passer les grandes riviéres par les grandes villes, et de faire échouer les navires aux régions polaires pour donner du bois de chauf-fage aux Groënlandais. On sent combien il serait ridicule de prétendre que la nature eût travaillé de tous temps pour s'ajuster aux inventions de nos arts arbitraries, mais il est bien évident que si les nez n'ont pas été faits pour les besicles, ils l'ont été pour l'odorat, et qu'il y a des nez depuis qu'il y a des hommes. De même les mains n'ayant pas été données en faveur des gantiers, elles sont visiblement destinées à tous les usages que le métacarpe et les phalanges de nos doigts et les mouvements du muscle circulaire du poignet nous procurent.

102 Voir la Bibliographie catholique, mars 1866, p. 225.

103 Spectacle de la nature.

104 Dictionnaire philosophique.

Il y a des théologiens qui, appliquant la causalité finale à la justification de l'existence des animaux nuisibles, comme à celle des maladies et des misères humaines, attribuent tout le poids de ces difficultés au péché originel. Selon les théologiens Meyer et Stilling, les reptiles nuisibles et les insectes venimeux sont l'effet de la malédiction frappant la terre avec ses habitants. Les formes souvent monstrueuses de ces êtres doivent représenter l'image du péché et de la perdition.

L'auteur des Lettres à Sophie, M. Aimé Martin, nous propose de croire que « l'Éternel, prévoyant que l'homme ne pourrait pas habiter la zone torride, y éleva les montagnes les plus hautes du monde pour en faire un climat agréable », et il ajoute plus loin « qu'il ne pleut pas dans les lieux sablonneux, parce que la pluie y serait perdue. »

Dans la basse Normandie, on a l'habitude de verser son petit verre de cognac dans son café ; j'ai souvent fait la remarque que si le bon Dieu a voulu que l'eau-de-vie soit plus légère que le café, c'est évidemment afin qu'elle puisse brûler à la surface, et donner ainsi à l'excellente infusion coloniale un arôme de plus. Il y a encore un nombre considérable d'autres faits non moins importants qui font aimer les causes finales ; peut-être devons-nous ajouter que tous ne doivent pas être rapportés à Dieu et que quelques uns sont plutôt l'affaire du diable, par exemple celui dont nous parlait un jour un épicurien de nos amis : la condensation de la vapeur d'eau sur le verre, laquelle condensation jette le soir un voile discret sur la portière des voitures fermées.

Selon Bernardin de Saint-Pierre, les volcans étant toujours placés près des mers, sont destinés à consumer les matières corrompues qu'elles charrient, et qui risqueraient d'infecter l'air ; les tempêtes ont la vertu de rafraîchir l'atmosphère, etc. Le même auteur pensait que si les puces ont été créées noires, c'est afin qu'on pût les distinguer sur les bas blancs et sur les chiens blancs. Si les corbeaux furent revêtus de la même teinte, c'est, d'après M. Martin, afin que les perdrix et les lièvres dont ces animaux se nourrissent sans doute pendant l'hiver, puissent les apercevoir de loin sur la neige. L'éloquent auteur du Génie du christianisme dit qu'en voyant le serpent fuir en ondoyant comme une petite flamme bleuâtre, on reconnaît visiblement que c'est lui qui a séduit la première des femmes. L'auteur des Lettres nominées plus haut nous assure que tous les insectes venimeux sont laids, afin que l'homme s'en méfie.

Vraiment les sentiments religieux et la doctrine sur la Providence n'ont pas toujours été bien servis par leurs prosélytes. Quand on appuie ces sentiments sur des raisons aussi puériles et aussi frivoles, on risque fort de compromettre la cause aux yeux des demi-savants , c'est-à-dire de la majorité des esprits. Ces tentatives n'ont abouti qu'à la caricature de l'Être suprême. A propos de certains philosophes compromettants de son temps, Duclos disait : « Ces gens-là finiront par me faire aller à la messe. » A propos des mauvaises raisons mises en avant par certains dévots d'aujourd'hui, on se fait parfois la réflexion que : « Ces gens-ci finiront par nous faire douter de la Providence. » Ces idées ont non seulement le malheur d'être fausses, mais encore l'impardonnable tort d'être ridicules. Elles ressemblent aux paysans dont parle Riehl105 qui n'imaginant rien au monde de plus beau que les robes du dimanche des grandes dames de leur pays, en revêtent les images de leurs saintes à certains jours de fêtes.

Fénelon lui-même n'est pas à l'abri de ce reproche. Il nous représente par exemple le soleil comme réglant expressément le travail et le repos, nos besoins et nos plaisirs. Grâce à son mouvement diurne et annuel, un seul soleil, dit-il, suffit à toute la terre. « S'il était plus grand, dans la même distance, il embraserait tout le monde, la terre s'en irait en poudre : si, dans la même distance, il était moins grand, la terre serait glacée et inhabitable ; si, dans la même grandeur, il était plus éloigné de nous, nous ne pourrions subsister dans le globe terrestre, faute de chaleur. Quel compas, dont le tour embrasse le ciel et la terre, a pris des mesures si justes ? Cet astre ne fait pas moins de

105 Die bürgerliche Gesellschaft.

bien à la partie dont il s'éloigne pour la tempérer, qu'à celle dont il s'approche pour la favoriser de ses rayons... Ainsi la nature, diversement parée, donne tour à tour tant de beaux spectacles, qu'elle ne laisse jamais à l'homme le temps de se dégoûter de ce qu'il possède. Mais parmi les astres j'aperçois la lune qui semble partager avec le soleil le soin de nous éclairer. Elle se montre à point nommé avec toutes les étoiles, quand le soleil est obligé d'aller ramener le jour dans l'autre hémisphère. »

On peut certainement révoquer en doute la valeur absolue de ce raisonnement, l'exacte division des jours et des nuits par le soleil n'est bonne que pour l'équateur, s'affaiblit en s'éloignant vers les pôles, et, arrivé là, perd entièrement son application et sa vertu. Si l'on écrit, dans ces pays, pour glorifier la Providence, on lui rend grâces sans doute d'avoir créé des jours de six mois et des nuits d'égale durée. Sur Mercure et sur Neptune on trouvera également le soleil à la distance convenable pour la vie éclose sur ces mondes. Dans Jupiter on louera le Créateur d'avoir créé quatre lunes, dans Saturne on le remerciera d'un anneau qui joint l'utile à l'agréable, etc.

En présence de tels arguments, il n'y a pas lieu de s'étonner que la causalité finale soit tombée dans le discrédit le plus complet. Voilà pourtant, disait J. B. Biot106, voilà pourtant où conduit cette manie aujourd'hui si commune d'expliquer le comment et le pourquoi de toutes les choses natu-relles, d'après le sentiment vague et imparfait de l'utilité directe que nous pouvons en retirer.

Chacun règle ainsi la prévoyance de la nature au niveau de ses lumières, et la rend plus ou moins folle selon qu'il est plus ou moins ignorant. Ce ne serait rien encore si ces rêveries étaient données pour ce qu'elles valent, mais on veut les faire embrasser comme des vérités, comme des articles de foi, et il semble à leurs auteurs que ce soit une impiété de sentir qu'elles sont absurdes. Il faut, dit Montaigne, se mêler très sobrement de juger des ordonnances divines. « Il n'est rien, ajoute-t-il, qui soit cru si fermement que ce qu'on sait le moins, ni gens si assurés que ceux qui nous content des fables, comme alchimistes, prognostiqueurs judiciaires, chiromanciens, médecins, id genus omne, auxquels je joindrais volontiers, si je l'osais, un tas de gens interprètes et contrôleurs ordinaires des desseins de Dieu, faisant état de trouver les causes de chaque accident, et de voir dans les secrets de la volonté divine les motifs incompréhensibles de ses oeuvres ; et quoique la variété et discordance continuelles des événements les rejette de coin en coin, et d'Orient en Occident, ils ne laissent de suivre pourtant leur éteuf, et du même crayon peindre le blanc et le noir.

» Pour être écrites depuis quatre cents ans, ces paroles du judicieux vieillard expriment une grande vérité, qui trouve à chaque instant son application. Elles sont dignes d'être ajoutées à la comparaison que fait le même auteur, de l'homme avec l'oie qui se glorifie d'être « le mignon de nature », comparaison que nous avons développée107 à propos de cette même question de la vanité humaine, qui a longtemps bâti l'univers à sa fantaisie. Lorsque l'homme se laisse entraîner pat sa propension naturelle à tout rapporter à soi il rapetisse le monde entier pour le faire entrer dans son cercle étroit et mesquin. Le soleil n'est plus que son très humble serviteur , les étoiles ne sont plus que des ornements utiles décorant son plafond et lui servant à trouver sa route sur les mers inexplorées. Si l'attraction luni-solaire soulève deux fois par jour les eaux de l'océan, c'est pour faciliter l'entrée au Havre des navires qui viennent de New-York ou du fleuve Jaune. Si l'écorce du chêne sécrète le tannin, c'est afin que nous soyons chaussés de bon cuir. Si le bombyx file une soie légère dans son cocon, c'est pour offrir aux dames l'élément de nouvelles parures. Si l'alouette chante à l'aurore, et si le rossignol célèbre en notes joyeuses les approches du soir, c'est pour

106 Mélanges scientifiques et littéraires.

107 Les Mondes imaginaires et les Mondes réels, part II, ch v.

charmer les oreilles qui les entendent. En un mot, la nature entière est créée dans l'intention de l'homme, et tout entière elle concourt à son avantage et à son bonheur.

Il est clair que lorsqu'on en vient à ces excentricités, on compromet singulièrement la causalité finale. Prétendre que tout est créé exprès pour l'homme, c'est abuser trop naïvement de notre position. Il faut d'abord distinguer la nature en deux parts bien différentes: le Ciel et la Terre. Le Ciel, c'est l'espace infini, c'est la multitude incalculable des mondes, c'est l'ensemble harmonieux et splendide de la création. La Terre, c'est une modeste partie de cet ensemble, une goutte d'eau dans la mer, un grain de poussière, un atome. Que le Ciel soit créé pour l'habitant de la Terre, c'est là une idée ni plus ni moins qu'absurde, le Ciel ne connait pas la Terre, et l’homme ne connaît pas davantage la plus petite partie du Ciel. Les étoiles sont autant de soleils, centres de systèmes de terres habitées ; on les compte par millions, et l'on constate que notre planète est complètement inconnue pour elles, complètement insignifiante, qu'elles occupent dans l'espace des empires si vastes, que la lumière emploie des milliers d'années à les traverser, et que si notre globe cessait aujourd'hui d'exister, sa disparition passerait mathématiquement inaperçue pour les mondes cé-lestes. L'atome terrestre tourbillonne avec rapidité autour du Soleil, comme la fronde docile autour du géant ; mille révolutions célestes s'accomplissent simultanément dans l'infini, à toutes les distances imaginables, et bien loin de cet atome. Lors donc que l'homme prétend que l'immensité opulente des cieux fut déployée à son intention dans les déserts du vide, lorsqu'il parle du commencement et de la fin du monde comme se rapportant à sa personne, il est dans la même position qu'une fourmi qui prétendrait que la campagne qui avoisine sa fourmilière a été dessinée pour lui offrir de gracieuses perspectives, que les arbres fleuris sont pour charmer son regard ; que la maison blanche éclairée là-bas par le soleil lui a été posée comme point de repère ; en un mot, que le propriétaire de cette campagne n'a eu qu'elle intelligente fourmi, en vue et en dessein lorsqu'il a organisé son habitation, ses jardins, ses vergers, ses champs et ses bois à son intention expresse.

Si en second lieu nous nous bornons à la Terre, l'idée d'un but dans la création est ici plus par-ticulière, et il n'y aura pas d'absurdité de la part de l'homme, à prétendre que la Terre a été bâtie et organisée dans le dessein d'être le siège de la vie et de l'intelligence. On peut même ajouter que, dans le plan terrestre, l'homme est évidemment le premier d'entre les êtres. Lui seul a reçu le don de l'intelligence. S'il disparaissait de la Terre, il semble que ce globe resterait sans but dans l'univers, à moins qu'une autre race intellectuelle en prenne de nouveau possession, ce qui ramène toujours à la croyance que ce monde a été fait pour être habité. Nous avons précisément démontré, dans un ouvrage antérieur, que les Mondes ont été construits pour être habités par l'intelligence.

Mais tout en considérant l'homme comme le dernier né d'entre les êtres terrestres, dont l'apparition successive a suivi la loi générale du progrès, et comme le plus parfait d'entre eux, tout en se regardant comme le centre final ou du moins actuel de l'évolution de la vie terrestre, l'homme ne doit pas prêter à Dieu ses idées étroites et supposer que ses petites combinaisons domestiques ont fait partie du plan divin et éternel. Ce n'est pas en dehors de lui qu'il doit chercher la raison de sa grandeur : c'est dans son état distinctif même, c'est-à-dire dans sa valeur intellectuelle. Si l'homme, par son intelligence, s'est approprié une partie des services que peut lui rendre la nature, il ne faut pas non plus confondre cette appropriation avec le plan général. L'étoile polaire n'a pas été créée pour guider les navires, mais le navigateur a su utiliser sa position particulière. Le chêne n'est pas fait pour servir au tannage des bottes, mais le fabricant a eu l'intelligence de découvrir les propriétés du tannin et de transformer la peau en cuir. La pourpre, mollusque gastéropode de la Méditerrannée, n'a pas été produite pour colorer le manteau royal des potentats ; mais l'industrie a su trouver une brillante couleur dans ses coquilles. Le mouton, le ver à soie, le mérinos, les animaux à fourrures, les plumes, le duvet, la peau de chevreau, les plantes qui servent aux tissus, le cotonnier, le lin, le chanvr, les filons d'or, les mines d'argent, les diamants, les émeraudes, les topazes, les rubis, les

saphirs, les perles, les coquillages , en un mot tous les êtres et tous les objets que les trois règnes de la nature offrent actuellement à la parure de l'homme n'ont pas été créés et mis au monde dans ce but particulier ; il est clair que si l'homme s'est successivement approprié toutes ces conquêtes, il le doit à son intelligence, à ses facultés électives, et non pas à un plan primordial et nécessaire qui se serait accompli fatalement et pour ainsi dire en dehors du choix de l'industrie humaine.

L'homme s'expose à tomber dans une erreur grossière lorsqu'il rapporte tout à soi par un procédé incomplet. Mais c'est tomber dans une erreur d'un autre genre que de nier le plan de la création, par la raison que ce plan ne se rapporte pas à l'homme seul. Voltaire déplore, dans de beaux vers, le tremblement de terre de Lisbonne, et demande avec amertume où est cette puissance amie de l'homme dont on parle tant Rousseau lui répond que ce malheur est la faute des hommes : car pourquoi ont-ils bâti sur ce terrain ? Ni l'un ni l'autre ne sont dans le vrai. L'homme s'est trompé dans son égoïsme : nous l'accordons franchement et nous prenons même le soin de mettre en évi-dence la fantaisie de cette méthode. Mais de ce que cette méthode est fausse, ce n'est pas une raison suffisante pour en conclure que l'objet de cette méthode n'existe pas et que le fond de la doctrine est une erreur.

Or c'est précisément ce que font les matérialistes, sans s'apercevoir qu'ils se laissent séduire par une confusion étrange. Certes la causalité finale, la connaissance du plan de la création, n'est pas aussi simple que des esprits superficiels l'imaginent, elle est d'une extrême complexité et d'une difficulté presque insurmontable pour les esprits les plus clairvoyants. Nous n'avons pas assisté aux desseins de Dieu, et nous sommes bien ignorants devant cette grandeur. Mais franchement, en quoi notre incapacité touche-t-elle le principe des causes ? En quoi nos erreurs diminuent-elles l'idée de la puissance et de la sagesse créatrice ? Vous prenez donc l'homme pour un être bien important, pour poser ainsi ce dilemme : que la nature gravite vers sa personne, ou qu'elle est en repos ? Vous oubliez donc vos principes mêmes et votre dédain ordinaire des aspirations humaines pour nous mettre ainsi dans l'alternative de croire, ou que la destination générale des êtres converge tous ses rayons vers notre être, ou qu'il n'y aucun ordre, aucun dessein dans l'union universelle ? Mais non.

Vous tenez trop à laisser l'homme dans les langes de la matière pour vous permettre un seul instant de l'élever au-dessus du rang zoologique et pour mettre en évidence son aspect supérieur. Vous tenez trop à laisser dans l'ombre son caractère intellectuel pour formuler un seul instant cette alternative. Mais comment expliquer votre négation absolue de tout plan dans la nature ?

Voici cette prétendue grande explication, par laquelle on s'imagine supprimer foule idée de desti-nation générale et particulière. Nous allons constater que cette explication est aussi frêle que les allégations contre les éternelles vérités de l'ordre spirituel, et que ces savants hommes qui nous accusent à chaque instant de marcher dans des hypothèses ne font en réalité que les remplacer par d'autres plus compliquées. La principale différence entre eux et nous, c'est qu'ils s'embourbent dans leur obscur dédale, tandis que nous marchons directement à notre but lumineux.

Emmanuel Kant, dont la main gauche contenait autant d'erreurs que sa main droite contenait de vérités (balance enviable, du reste, pour les homes même les plus privilégiés), Kant s'est avisé de dire un beau jour que « la conformité au but n'a été créée que par un esprit réfléchi, qui admire par conséquent un miracle qu'il a créé lui-même. » Vous apercevez d'ici la fécondité d'une pareille proposition pour messieurs d'outre-Rhin. Ils vont en tirer un lait abondant, qu'ils offriront comme remède aux imaginations malades, comme soutien aux enfants et aux vieillards, comme nourriture matinale à toutes les personnes dont l'appétit est, ouvert de bonne heure. Cette déclaration du génie va renverser le jugement séculaire de l'humanité. On retire à Dieu la pensée de l'ordre et de l'har-monie pour en faire hommage à l'esprit humain. Ces chirurgiens d'un nouveau genre ouvrent la veine du bon Dieu pour inoculer son principe vital dans le cerveau de l'heureux habitant de la terre.

Il est clair, n'est-ce pas, que s'il y a de l'ordre dans l'arrangement du monde et de l'intelligence dans

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