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La Religion par la science

Dieu dans la nature, force vivante et personnelle, cause des mouvements atomiques, loi des phénomènes, ordonnateur de l'harmonie, vertu et soutien du monde. L'homme créant Dieu à son image. Erreur de l'anthropomorphisme. Le philosophe grec Xénophane il y a 2400 ans. La nature de Dieu est inconnaissable. Nul système humain ne peut le définir. Différentes formes de l'idée de Dieu selon les hommes. Le Dieu de la science. Dernières vues sur la doctrine. Conclusion générale. Épilogue.

Les vues par lesquelles nous nous permettrons de clore notre démonstration générale en sont plutôt la synthèse que la péroraison, et s'il est vrai que la science et la poésie soient intimement associées dans la contemplation de la nature, nous ne pouvons judicieusement interdire au sentiment poétique de se manifester en ces dernières impressions du spectacle du monde sur notre pensée. A peine nous serait-il nécessaire maintenant de consacrer une étude spéciale à la cause de Dieu, car nous avons combattu pour cette cause dès les premières pages de ce plaidoyer, et toutes nos conclusions particulières ont abouti à ce but suprême.

Cependant il est bon de les couronner par une conclusion générale. De même que le naturaliste, le botaniste, le géomètre, l'arpenteur, l'artiste ou le poète, après avoir examiné les détails d'un paysage et gravi la colline dont le versant domine les sites étudiés, se retourne pour contempler, sous un même regard, l'ensemble de ce paysage et embrasser dans sa grandeur la distribution générale, le plan et la beauté du panorama ; de meme, après les études particulières sur les lois de la matière et sur celles de la vie, il est bon de se retourner et d'admirer avec calme. Le regard de l'âme aime s'abreuver du rayonnement céleste dont la nature est inondée. Ici ce n'est plus la discussion, mais la contemplation recueillie de la lumière et de la vie qui resplendissent dans l'atmosphère, brillent dans l'éclat des fleurs, châtoient dans leurs nuances, circulent sous le feuillage des bois, embrassent d'un universel baiser les êtres innombrables qui s'agitent dans le sein de la nature. Après la puissance, après la sagesse, après l'esprit, c'est la bonté ineffable qui se laisse pressentir ; c'est l'universelle tendresse d'un être toujours mystérieux, faisant succéder à la surface du monde les formes innombrables d'une vie qui se perpétue par l'amour et ne s'éteint pas.

La corrélation des forces physiques nous a montré l'unité de Dieu sous toutes les formes passagères du movement ; par la synthèse, l'esprit s'élève à la notion d'une loi unique, d'une loi et d'une force universelle, qui ne sont autres que l'action de la pensée divine. Lumière, chaleur, électricité, magnétisme, attraction, affinité, vie végétale, instinct, intelligence, prennent leur source en Dieu.

Le sentiment du beau, l'esthétique des sciences, l'harmonie mathématique, la géométrie, illuminent ces forces multiples d'une attrayante clarté et les revêtent du parfum de l'idéal. Sous quelque aspect que l'esprit méditatif observe la nature, il trouve une voie aboutissant à Dieu, force vivante, dont on croit sentir les palpitations sous toutes les formes de l'oeuvre universelle, depuis le tressaillement de la sensitive jusqu'au chant cadencé de l'alouette matinale. Tout est nombre, rapport, harmonie, révélation d'une cause intelligente agissant universellement et éternellement. Dieu n'est donc pas, comme disait Luther, « un tableau vide sur lequel il n'y a d'autre inscription que celle que nous y mettons nous-mêmes. » Il est, au contraire, la force intelligente, universelle et invisible, qui construit sans cesse l'oeuvre de la nature. C'est en sentant l'éternelle présence de ce Dieu que nous comprenons les paroles de Leibnitz : « Il y a de la métaphysique, de la géométrie, de la morale

partout » et l'antique aphorisme de Platon126 que nous pouvons traduire : « Dieu est le géomètre éternellement agissant. »

C'est en dehors des agitations de la société humaine, dans le recueillement des solitudes profondes, qu'il est permis à l'âme de contempler en face la gloire de l'invisible manifestée par le visible. C'est dans cette entrevue de la présence de Dieu sur la Terre que l'âme s'élève dans la notion du vrai127. Le bruit lointain de l'océan, le paysage solitaire, les eaux qui sourient silencieusement ; les forêts qui soupirent dans des sommeils anxieux, les orgueilleuses et vigilantes montagnes qui regardent tout d'en haut, sont des manifestations sensibles de la force qui veille au fond des choses. Je me suis parfois abandonné à votre douce contemplation, ô vivantes splendeurs de la nature, et j'ai toujours senti qu'une ineffable poésie vous enveloppait de ses caresses. Lorsque mon âme se laissait séduire par la magie de votre beauté, elle entendait des accords inconnus s'échapper de votre concert. Ombres du soir qui flottez sur le versant des montagnes, parfums qui descendez des bois, fleurs penchées qui fermez vos lèvres, bruits sourds de l'océan dont la voix ne s'éteint pas, calme profond des nuits étoilées ! Vous m'avez entretenu de Dieu avec une éloquence plus intime et plus irrésistible que les livres des hommes. En vous, mon âme a trouvé la tendresse d'une mère et la pureté candide de l'innocence, et lorsqu'elle s'est endormie sur votre sein, elle s'est réveillée dans la joie et dans le bonheur. Colorations splendides des crépuscules ! Ravissements des dernières clartés ! Recueillements des avenues solitaires ! Vous gardez à ceux qui vous aiment de délicieux instants d'ivresse ! Le lis s'ouvre et boit avec extase la lumière descendue des cieux ! En ces heures de contemplation, l'âme devient une fleur qui aspire avec avidité le rayonnement céleste.

L'atmosphère n'est plus seulement un mélange de gaz, les plantes ne sont plus seulement des agré-gations d'atomes de carbone ou d'hydrogène ; les parfums ne sont plus seulement des molécules insaisissables se répandant le soir pour préserver les fleurs du froid ; brise embaumée n'est plus seulement un courant d'air ; les nuages ne sont plus seulement des vésicules de vapeur aqueuse ; la nature n'est plus seulement un laboratoire de chimie ou un cabinet de physique : On sent une loi souveraine d'harmonie, d'ordre, de beauté, qui gouverne la marche simultanée de toutes choses, qui entoure les plus petits êtres d'une vigilance instinctive, qui garde précieusement le trésor de la vie dans toute sa richesse, qui, par son rajeunissement éternel, déploie dans une immuable puissance la fécondité créée. Dans cette nature tout entière, il y a une sorte de beauté universelle, que l'on respire et que l'âme s'identifie, comme si cette beauté tout idéale appartenait uniquement au domaine de l'intelligence ; étoile avant-courrière de la nuit ! Char du septentrion ! Magnificences constellées ! Perspectives mystérieuses de l’insondable abîme ! Quel est l'oeil instruit de vos richesses qui pourrait vous regarder avec indifférence ? Combien de regards rêveurs se sont perdus parmi vos déserts, ô solitudes de l'espace ! Combien de pensées anxieuses ont voyagé d'une île à l'autre de votre étincelant archipel ! Et dans les heures de l'absence et des mélancoliques attitudes, combien de paupières humides se sont abaissées sur des yeux fixés vers une étoile préférée ! C'est que la nature a de douces paroles sur ses lèvres, des trésors d'amour dans ses regards, des sentiments d'exquise affection en son cœur, c'est qu'elle ne consiste pas seulement dans une orga-nisation corporelle, mais encore dans sa vie et dans son âme. Celui qui n'a jamais entrevu que son aspect matériel ne la connaît qu'à demi. La beauté intime des choses est aussi vraie et aussi positive que leur composition chimique. L'harmonie du monde n'est pas moins digne d'attention que son mouvement mécanique. La direction intelligente de l'univers doit être constatée au même titre que la formule mathématique des lois. S’obstiner à ne considérer la créature qu'avec les yeux du corps,

126

127Ascensio mentis in Deum per scalas rerum creatarum Bellarmin.

et jamais avec les yeux de l'esprit, c'est s'arrêter volontairement à la surface. Nous savons bien que nos adversaires vont nous objecter que l'esprit n'a pas d'yeux, que c'est un aveugle-né, et que toute affirmation qui n'est pas donnée par l'oeil corporel n'a aucune espèce de valeur. Mais c'est là une supposition arbitraire fort mal fondée elle-même. Nous avons vu que l'on ne peut de bonne foi révoquer en doute les vérités de l'ordre intellectuel, et que c'est dans notre jugement même que s'établit la certitude de toute vérité. Nous franchirons donc sans trouble ces tristes objections. Pour nous, la nature est un être vivant et animé ; elle est plus encore : une amie, toujours présente, elle nous parle par ses couleurs, par ses formes, par ses sons, par ses mouvements ; elle a des sourires pour toutes nos joies, des soupirs pour toutes nos tristesses, des sympathies pour toutes nos aspirations. Fils de la Terre, notre organisme est en vibration avec tous les mouvements qui constituent la vie de la nature : il les comprend, les partage et en laisse dans notre être un retentissement profond lorsque l'artifice ne nous a pas atrophiés. Fille du principe de la création, notre âme retrouve l'infini dans la nature. Pour la science spiritualiste il n'y a plus, en face l'un de l'autre, un mécanisme automate et un Dieu retiré dans son absolue immobilité, Dieu est la puissance et l'acte de la nature, il vit en elle, et elle en lui, l'esprit se fait pressentir à travers les formes changéantes de la matière. Oui, la nature a des harmonies pour l'âme. Oui, elle a des tableaux pour la pensée. Oui, elle a des biens pour les ambitions de l'esprit. Oui, elle a des tendresses pour les aspirations du coeur. Car elle ne nous est pas étrangère, elle n'est pas séparée de nous, mais nous ne faisons qu'un avec elle.

Or la force vivante de la nature, cette vie mentale qui réside en elle, celte organisation de la destinée des êtres, celle sagesse et cette toute-puissance dans l'entretien de la création, cette communication intime d'un esprit universel entre tous les êtres : qu'est-ce autre chose, sinon la révélation de l'existence de Dieu ? Qu'est-ce, sinon la manifestation de la pensée créatrice, éternelle et immense

? Qu'est-ce que la faculté élective des plantes, l'instinct inexplicable des animaux, le génie de l'homme ? Qu'est-ce que le gouvernement de la vie terrestre, sa direction autour du foyer de sa lumière et de sa chaleur, les révolutions célestes des soleils dans l'espace, le mouvement universel des mondes innombrables qui gravitent ensemble dans l'infini, sinon la démonstration vivante et impérieuse de la volonté inaccessible qui tient le monde entier dans sa puissance et toutes nos obscurités dans sa lumière ? Qu'est-ce que l'aspect spirituel de la nature, sinon le pâle rayonnement de la beauté éternelle ? Splendeur inconnue que nos yeux dévoyés par les fausses clartés de la terre peuvent à peine entrevoir aux heures saintes et bénies où l'Être divin nous permet de sentir sa présence.

Les lois de la nature nous ont prouvé l'existenee d'une Intelligence ordonnatrice. Elles sont non-seulement constantes, dit sir John Herschel128, mais concordantes, intelligibles. Il est facile de les saisir à l'aide de quelques recherches plus propres à piquer qu'à éteindre la curiosité, si nous appartenions à une autre planète, et que, transportés tout à coup dans une de nos sociétés, nous nous missions à observer ce qui s'y passe, nous serions d'abord embarrassés de dire si cette société est soumise à des lois. Si, parvenus à découvrir qu'elle prétend en avoir, nous essayions de rechercher, d'après la conduite et les conséquences qu'elle entraîne, quelles sont ces lois, dans quel esprit elles ont été conçues, nous n'éprouverions pas peut-être de grandes difficultés à découvrir des règles applicables à des cas particuliers, mais si nous voulions généraliser, si nous tentions de saisir quel-ques principes saillants, la liasse des absurdités, des contradictions qui jailliraient de toutes parts nous détournerait bientôt d'un plus ample examen, ou nous convaincrait que ce que nous cherchons n'existe pas. C'est tout le contraire dans la nature. On n'y trouve pas de dissonnance, de

128 On the study of the natural philosophy.

contradiction, on n'y rencontre qu'harmonie. On n'a jamais besoin d’oublier ce que l'on sait une fois. Lorsque les règles se généralisent, les exceptions apparentes deviennent régulières. Une équivoque dans sa sublime législation est aussi inouïe qu'un acte mal entendu.

Les grands faits de la science moderne ont donc transformé l'idée de Dieu et la présentent désormais sous un aspect bien différent de celui qu'elle offrait jusqu'à nos jours. Cet aspect nouveau est à la fois plus immense et plus difficile à saisir. Cependant, nous pouvons au moins concevoir, sinon esquisser, l'ensemble de cette métamorphose progressive.

L'ignorance avait humanisé Dieu, la science le divinise, si ce pléonasme n'effarouche pas les oreilles grammaticales. Jadis, Dieu fut homme, maintenant il est Dieu. La foi du charbonnier, si vantée naguère encore, n'est plus la véritable foi. Le Credo quia absurdum est une double absurdité.

L'Être suprême, créé à l'image de l'homme, voit actuellement cette image s'effacer peu à peu pour laisser à sa place sa réalité sans forme. Car la forme, la définition, le temps, la durée, la mesure, le degré de puissance ou d'activité, la description, la connaissance, ne s'appliquent plus à Dieu , on commence seulement à s'en apercevoir. Le nom même cache une idée incomplète, et il faudrait pouvoir parler de Dieu sans le nommer. Autrefois Jupiter tenait la foudre dans sa main, Apollon conduisait le Soleil, Neptune régnait sur l'Océan. Dans l'idolâtrie des bouddhistes, Dieu ressuscitait un mort sur la tombe d'un saint, faisait parler un muet, entendre un sourd, croître un chêne dans une seule nuit, voltiger un noyé à la surface de l'eau, découvrait les régions du troisième ciel à un extatique, gardait sain et sauf un martyr au milieu des flammes, portait un prédicateur à cent lieues en un clin d'oeil, et dérogeait à chaque instant à ses lois éternelles. Aujourd'hui encore, loin d'ici, au Tibet, on adore Maitreya : la main de ce dieu met un frein à la fureur des flots, bénit une armée et maudit sa rivale, dirige la pluie vers des pays où des processions la demandent, et, comme celle d'un habile jardinier, arrose ceci, ombrage cela, échauffe cette autre plante, élague une branche, marie deux fleurs, greffe une famille sur une autre, et tient un registre héraldique de tous les noms et de toutes les dates. La majorité de ceux qui croient en Dieu se représentent cet être inconnu comme un homme supérieur assis quelque part au-dessus de nos têtes, qui de là-haut préside aux actions terrestres, est doué d'une excellente vue, d'une ouïe non moins parfaite, tient les rênes du monde, et, dans le cas où le besoin s'en fait sentir, appelle un ange de service pour l'envoyer remonter quelque mécanisme un peu rouillé. Si l'on en croit même les traditions du Dhammapadam et les inscriptions d'Aschoka, Bouddha a un fils, Bodhisattva, médiateur assis à sa droite, et une troisième personne, Bouddha-Manouschi, « la réalisation de Dieu par l'homme. » Ils vivent dans les hauteurs du Nirvana éternel, entourés d'esprits, de thrônes, d'apôtres, de martyrs, de pontifes, de confesseurs, de dominations, de puissances, des mages du culte précurseur, des voyants de la philosophie sankhya qui furent purifiés, etc., le tout éternellement disposé par gradins, chacun selon le mérite d'une vie éphémère.

L'histoire de l'idée de Dieu chez les hommes nous montre que cette idée fut relative à l'état intellec-tuel des nations et de leurs législateurs, aux mouvements de la civilisation, à la poésie des climats, à la race des habitants, à la date des temps où fleurirent les différents peuples, aux progrès de l'esprit humain, et en descendant le cours des âges, nous assistons successivement aux défaillances et aux tergiversations de cette idée impérissable qui, parfois brillante et parfois éclipsée, peut néanmoins toujours être discernée dans l'histoire de l'humanité. Et nous observons que cette idée relative dif-fère du seul absolu sans lequel on puisse désormais concevoir la personne divine.

Cet absolu, il importe de l'affirmer en ces dernières pages, cet absolu, nous ne le connaissons pas.

Ce n'est ni le Varouna des Aryas, ni l'Elim des Égyptiens, ni le Tien des Chinois, ni l'Ahoura-Mazda des Perses, ni le Brahma ou le Bouddha des Indiens, ni le Jéhovah des Hébreux, ni le Zeus des Grecs, ni le Jupiter des Latins, ni celui que les peintres du moyen àge ont assis sur un trône au sommet des cieux. Notre Dieu est encore inconnu, comme il l'était pour les Vedas, comme il l'était

pour les sages de l'aréopage d'Athènes. La notion de quelques. éminents pères de l'Église chrétienne et de quelques théologiens modernes éclairés se rapproche plus que nulle autre de ce Dieu inconnu, mais saurait-elle le comprendre, lorsque nul esprit créé, ni les hommes, ni les anges (s'il y a des anges) ne peuvent le comprendre ?

Nous n'avons pas à nous entretenir ici des résidences imaginées pour la personne de Dieu, nous ne parlerons pas du ciel poétique des Grecs, peuplé de figures idéales, où les dieux toujours jeunes et toujours beaux, s'amusent, rient, combattent comme les hommes, et trouvent leur plus grand bonheur à prendre part aux destinées humaines, ni du sombre et irascible Jéhovah des Juifs, qui punit jusqu'à la troisième et quatrième génération. Nous ne dirons rien également du ciel des Orientaux qui promet aux fidèles de nombreuses houris, belles au milieu d'une fraîcheur perpé-tuelle, et la jouissance éternelle des sens, du ciel des Groënlendais, où le plus grand bonheur con-siste dans une grande quantité de poissons et d'huile de baleine, de celui de l'Indien chasseur, récompensé par une chasse éternellement abondante, du Germain qui boit au Walhalla de l'hydromel dans le crâne d'un de ses ennemis, etc.

Si le simple bon sens de l'homme n'a pu se faire une idée pure et abstraite de l'absolu, les tentatives de la philosophie n'ont guère été plus heureuses. Qui se donnerait la peine de rassembler toutes les idées que l'on s'est faites sur Dieu, sur l'absolu, ou sur ce que les philosophes appellent l'âme du monde, serait étonné du nombre des différents systèmes qui depuis l'origine des temps historiques jusqu'à nos jours, et malgré les progrès des sciences, offrent peu de raisonnements nouveaux, et sont rarement raisonnables.

Les hommes traitent Dieu, disait Goethe129, comme si l'Être suprême, l'Être incompréhensible, indéfinissable, n'était guère autre chose que leur semblable, autrement ils ne diraient pas : « Le Seigneur Dieu, notre Dieu, le bon Dieu. » Il devient pour eux, surtout pour les gens d'église qui ont toujours son nom à la bouche, un simple vocable, un mot d'habitude sous lequel ils n'émettent pas la moindre idée. Mais s'ils étaient pénétrés de la grandeur de Dieu, ils garderaient le silence et, par respect, il s'abstiendraient de le nommer. Virchow n'est pas à côté du vrai lorsqu'il dit que l'homme ne peut rien concevoir de ce qui est en dehors de lui, et que tout ce qui est en dehors de lui est transcendental. L'homme se dépeint dans ses dieux, dit encore Schiller.

La nature de Dieu est en question, comme son existence même, en notre siècle, aussi rigoureuse-ment qu'aux premiers jours de la philosophie. On a déjà pu observer dans la conduite générale de cet ouvrage, que notre but est sensiblement le même aujourd'hui que celui de Xénophane, six cents ans avant notre ère : opposer une conviction pure et raisonnée aux deux erreurs contraires de l'athéisme absolu et de l'anthropomorphisme. Il y a longtemps130 que ce philosophe, fondateur de l'école d'Élée, protesta judicieusement contre ces deux illusions funestes. « Ce sont les hommes qui semblent avoir produit les dieux et leur avoir donné leur sentiment, leur voix, leur air, dit-il131. Si les boeufs ou les lions avaient des mains, s'ils savaient peindre avec les mains et faire des ouvrages comme les hommes, les chevaux se serviraient des chevaux et les boeufs des boeufs pour représenter leurs dieux, et ils leur donneraient des corps tels que ceux qu'ils ont eux-mêmes.» Il réfuta les superstitions qui consistaient à prêter aux dieux sa proper couleur, par exemple, celle des Éthiopiens qui, étant noirs et camus, représentaient leurs dieux comme eux ; des Thraces qui, ayant les yeux bleus et les cheveux rouges, agissaient de même ; des Mèdes et des Perses qui modelaient leurs dieux sur eux-mêmes, et des Égyptiens qui donnaient à leurs divinités la même forme que la leur. Il existe un seul Dieu, supérieur aux dieux et aux hommes, et qui ne ressemble aux mortels ni

129 Entretiens de Goethe et d'Eckermann, I, 8.

130 Clém. Alex., Strom. V. Eusèbe. Praep. Evang., XIII.

131Théodor., De affect. curat., III.

Dans le document Camille FLAMMARION DIEU DANS LA NATURE (Page 183-200)

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