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Chapitre II - Régulation de l'expression des gènes par les acides aminés

1. Contrôle général de l'expression des gènes chez la levure

1.1 La voie GCN2

a) Description

GCN2 a été identifiée au cours d'un criblage visant à déterminer les protéines impliquées dans la régulation de GCN4. Cette kinase contient 1659 acides aminés pour un poids moléculaire de 190KDa (Hinnebusch, 1984). Des études chez Saccharomyces cerevisiae ont montré qu'une carence en n’importe quel acide aminé conduit à une activation du domaine kinase de la protéine GCN2 (General Control Non-derepressible-2 ou eIF2 kinase 4). Celle-ci comporte un segment ayant une forte homologie avec une partie de l'histidyl-ARNt synthétase (Figure 10). Ce domaine est capable de lier les ARNt non chargé et donc de détecter le rapport ARNt libres sur ARNt libres. Ainsi, l’accumulation de des derniers, induite par la

Figure 10: Structure de la kinase GCN2 et mécanisme d’activation par une carence en acides aminés chez la levure. A) GCN2 est composée d’un domaine d’interaction avec GCN1, nécessaire pour son activation (GCN1), un domaine pseudokinase dont la fonction n’est pas connue (PK), un domaine protéine kinase (PK) et un domaine de liaison des ARNt non chargés (HisRS). B) Lors d’une carence en acides aminés, l’accumulation d’ARNt non chargés est détectée par le domaine HisRS. Ceci induit l’autophosphorylation de la kinase GCN2, par son domaine PK (représenté en 2 lobes) sur les résidus thr882-887. Puis celle-ci phosphoryle la sous unitédu facteur d’initiation eIF2 (d’après Hinnebusch, 2005).

Carence en acides aminés

Accumulation des ARNt non chargés B)

carence en acides aminés, provoque l'activation du domaine kinase et l’autophosphorylation de GCN2 sur les thr882 et thr887 (Hinnebusch, 2005; Wek et al, 1990) (Romano et al, 1998). Une fois activée, GCN2 va alors phosphoryler la sérine 51 de la sous-unité alpha du facteur d'initiation de la traduction eIF2 (eukaryotic Initiation Factor 2), seul substrat connu de cette kinase. Ceci va avoir pour conséquence une diminution de la traduction (Dever et al, 1992). Cependant, bien que la synthèse protéique globale soit inhibée, on observe une augmentation de la traduction d'un ARNm spécifique, codant pour la protéine GCN4 (General Control Non-depressible-4) (Ramirez et al, 1991). Il s'agit d'un facteur de transcription régulant l'expression d'un grand nombre de gènes impliqués dans la voie de biosynthèse et le métabolisme des acides aminés.

b) Conséquences de la phosphorylation d’eIF2

Chez la levure, GCN2 est la seule kinase connue comme étant capable de phosphoryler eIF2α (Kubota et al, 2001). Or eIF2α joue un rôle clé au cours de l’initiation de la traduction (Figure 11). En effet, en condition normale, il fait parti du complexe d’initiation ternaire : eIF2-GTP-Met-ARNtimet. Ce dernier est lié au complexe de pré-initiation 40S pour former le complexe 43S et permet l’incorporation de l’ARNt initiateur (Met-ARNtimet) au sein du ribosome. La liaison du 43S à l’extrémité 5’ du messager forme ainsi le complexe 48S. La reconnaissance du codon d’initiation AUG par l’ARNtimet provoque alors la dissociation des facteurs d’initiation et notamment le relarguage d’GDP. Cet GDP va être recyclé en eIF2-GTP par le facteur eIF2B et ainsi pouvoir reformer le complexe ternaire indispensable à la phase d’initiation de la traduction.

En condition de carence en acide aminé, la phosphorylation d’eIF2α par GCN2 va inhiber l’échange de GDP en GTP par eIF2B. Ceci va avoir pour conséquence l’appauvrissement en complexe ternaire eIF2-GTP-Met-ARNtimet, le complexe de pré-initiation 40S ne pourra donc pas être réinitié en sous-unité active 43S, provoquant, de ce fait, l’arrêt de la synthèse protéique en phase d’initiation. (Holcik & Sonenberg, 2005).

Récemment, les travaux de Grallert et Boye ont démontré un rôle de GCN2 dans le contrôle du cycle cellulaire. Des levures exposées aux UV ainsi qu’à des agents mutagènes (H202, méthyle méthane sulphonate) retardent la transition de la phase G1 à S de manière GCN2-dépendante. Ce nouveau point de contrôle implique également la phosphorylation d’eIF2 par GCN2 (Grallert & Boye, 2007) (Tvegard et al, 2007)

Figure 11 : Intégration des signaux de stress GCN2-dépendant par eIF2A) Schéma général de l’initiation de la traduction chez les eucaryotes. eIF2 fait partie du complexe ternaire (eIF2-GTP-Met-ARNtimet) et doit être rechargé en GTP pour pouvoir initier la traduction. Ce rechargement est réalisé par le facteur eIF2B. B) Voie de signalisation GCN2/eIF2. La kinase GCN2 peut être activée par autophosphorylation en réponse à une carence en acides aminés ou un traitement aux UV. Cette activation aboutit à la phosphorylation de la sous-unité  d’eIF2, facteur indispensable au complexe ternaire (eIF2, GTP et Met-ARNtimet). Cette phosphorylation inhibe le rechargement d’eIF2-GDP en eIF2-GTP et provoque une diminution de la traduction globale. Toutefois certains ARNm permettant l’adaptation cellulaire aux stress peuvent continuer à être traduits (d’après Holcik et Sonenberg, 2005).

. GCN2 eIF2-GDP eIF2-GTP GTP GDP Met-ARNtiMet Initiation de la traduction Traduction sélective d’ARNm

Réponse au stress Protéosynthèse globale -AA UV GCN2 eIF2-GDP eIF2-GTP GTP GDP Met-ARNtiMet Initiation de la traduction Traduction sélective d’ARNm

Réponse au stress Protéosynthèse globale -AA UV P + Complexe d’initiation 80S Complexe 43S Scan de l’ARN messager Complexe 48S -GDP -GDP -GTP -GTP GTP GDP Complexe d’initiation 80S Complexe 43S Scan de l’ARN messager Complexe 48S -GDP -GDP -GTP -GTP GTP GDP B) A)

c) Régulation traductionnelle de GCN4

Comme décrit précédemment, l’activation de GCN2 et la phosphorylation d’eIF2αva induire la hausse de l’expression du facteur GCN4. GCN4 est un facteur de transcription induisant l’expression de nombreux gènes impliqués dans le métabolisme et la biosynthèse des acides aminés (Lucchini et al, 1984). La transcription du gène GCN4 est constitutive et la régulation majeure de GCN4 est réalisée au niveau traductionnel (Hinnebusch, 1993). Le domaine de liaison à l'ADN de GCN4 interagit spécifiquement avec la séquence régulatrice 5'-ATGA(C/G)TCAT-3’ située dans la région promotrice des gènes cibles (Oakley & Dervan, 1990).

Structure de l'ARNm de GCN4

La régulation traductionnelle de GCN4 est un phénomène complexe. Dans la séquence 5’ non traduite (5’UTR) de son ARNm, elle met en jeu quatre petits cadres de lecture ouverts appelés uORF (upstream Open Reading Frame), situés en amont de la séquence codante de GCN4 (Figure 12) (Thireos et al, 1984) (Mueller et al, 1988). Tous les ribosomes entrant à l'extrémité 5' de l'ARNm traduiront l'uORF1. Toutefois selon la disponibilité en acides aminés de la cellule, les uORFs suivants vont pouvoir être traduits ou non.

Traduction de GCN4 en présence d'acides aminés

En conditions non carencées, la forme active (non phosphorylée et liée à du GTP) d’eIF2 est abondante. Tous les ribosomes entrant à l'extrémité 5' de l'ARNm traduiront l'uORF1. Puis, au niveau du codon stop de cet uORF1, le ribosome a deux possibilités : soit il décroche du messager et la traduction est alors terminée, soit la petite sous-unité du ribosome (40S) peut continuer à balayer l’ARNm pour ré-initier la traduction au niveau des uORFs suivants. Ce choix se fera en fonction de la composition de la séquence de l’ARN en 3’ du codon stop. En effet, une région riche en A et U est plutôt favorable à la continuation du scan de l’ARNm par la sous-unité 40S alors qu’une région riche en G et C est plutôt défavorable à ce mécanisme et provoque l’arrêt de la traduction. En l’occurrence, la séquence en aval de l’uORF1 de GCN4 est plutôt riche en A et U et donc favorable à la reprise du balayage de l’ARNm par les complexes 40S. Comme la quantité de complexes ternaires est suffisante, la capacité de réinitiation de la traduction au niveau des uORF 2, 3 ou 4 sera très forte. En revanche, contrairement aux séquences trouvées après les uORF 1/2/3, celle située en aval de l'uORF 4 contient un codon stop dont l’environnement est riche en G et C, peu favorable à la poursuite du balayage de l’ARNm par les ribosomes. Ainsi, tous les ribosomes ayant traduit l'uORF 4

Figure 12: Régulation traductionnelle de GCN4. Chez la levure, la traduction de ce facteur de transcription est régulée par quatre uORF contenant chacun un AUG. A) En condition non carencée, le niveau de phosphorylation d’eIF2 est faible. Ainsi les quantités de complexe eIF2-GTP et de complexes ternaires sont élevées, permettant uniquement d’initier la traduction au niveau de l’uORF 1 puis de la réinitier aux uORF2, 3 ou 4.Toutefois, la probabilité de réinitier ce mécanisme au niveau de l’uORF GCN4 (AUG5) reste faible provoquant un faible niveau de GCN4 produit B) Lors d’une carence en acides aminés, le niveau d’eIF2 phosphorylé augmente, entrainant la diminution de la quantité de complexe eIF2-GTP et ne permettant plus aux ribosomes d’initier la transcription au niveau des uORF2 à 4. Ceci permet aux ribosomes de continuer à scanner l’ARNm d’initier la traduction au niveau de l’ORF de GCN4 (d’après Holcik et Sonenberg, 2005).

40S 43S (niveau élevé) P-eIF2+ AA GCN2 (inactive) eIF2B eIF2-GTP (niveau élevé)

A)

P-eIF2-AA GCN2 (active) eIF2B eIF2-GTP (niveau bas)

B)

40S 43S (niveau faible)

vont décrocher après ce codon stop. Par conséquent, aucun n'atteindra le codon AUG initiateur de GCN4 et la protéine ne sera pas traduite.

Traduction de GCN4 au cours d'une carence en acides aminés

Dans des conditions de carence en acides aminés, eIF2 sera phosphorylé par la protéine kinase GCN2, réduisant dramatiquement le niveau cellulaire de complexe ternaire eIF2-GTP-ARNtimet . Ceci implique que les ribosomes, après avoir traduit l'uORF 1, parcourent de plus longues distances avant de refixer le complexe ternaire et donc reformer le complexe 48S. Ainsi un certain nombre de sous-unités du ribosome 40S dépasse les uORF2, 3 et 4 lors de la phase de balayage et ne démarre la traduction qu’au codon AUG de GCN4. Le niveau de traduction de ce facteur sera alors plus élevé. La protéine GCN4 traduite pourra alors agir comme activateur de la transcription d'un grand nombre de gènes (Abastado et al, 1991; Hinnebusch, 2005).