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Régulation spécifique de la traduction au cours d’une carence en acides aminés

Chapitre III. Régulation de l'expression des gènes par les acides aminés

1. Régulation de la traduction des ARNm par la disponibilité en acides aminés

1.2. Régulation spécifique de la traduction au cours d’une carence en acides aminés

Au cours d'une carence en acides aminés, le niveau de synthèse protéique global diminue. Cependant, l'expression de certaines protéines spécifiques est maintenue, voire même augmentée. Cette régulation se fait, notamment, au niveau de la traduction de leurs messagers. Nous allons ici détailler la régulation spécifique de la traduction des protéines CAT-1 et ATF4 durant une carence en acides aminés.

a) Régulation de la traduction de Cationic Amino acids Transporter 1 (CAT-1)

CAT-1 est un transporteur d'acides aminés Na+-indépendant. Il transporte de manière pH-indépendante la lysine, l'arginine et l'ornithine. En 1997, il a été montré que le niveau d'expression de la protéine CAT-1 ainsi que le transport de l'arginine sont induits par une carence en acides aminés (Hyatt et al, 1997). L'augmentation de l'expression de CAT-1 fait intervenir à la fois la régulation de sa transcription, de la stabilité et de la traduction de son messager.

La régulation de la traduction de l'ARNm de CAT-1 au cours d'une carence en acides aminés implique une séquence IRES (Internal Ribosome Entry Site) découverte dans la région 5'UTR de cet ARN (Fernandez et al, 2001). Cette séquence possède également un uORF (upstream Open Reading Frame) codant pour une petite séquence peptidique de 48 acides aminés. Lors d’une carence, la traduction de l'uORF provoque une modification de la structure de l'IRES, permettant au ribosome de se lier directement au codon initiateur sans avoir besoin du complexe eIF4F (Figure 25)(Yaman et al, 2003) (Fernandez et al, 2002). Par ailleurs, Fernandez et al. (Fernandez et al, 2002) ont montré que la phosphorylation d'eIF2 était également indispensable à la traduction de CAT-1, soit par la kinase mGCN2 (carence en acides aminés), soit par PERK (carence en glucose). Cette phosphorylation permet la synthèse

                     -AA mGCN2 eIF2P ITAF

IRES non inductible IRES inductible IRES induit

I II III

Figure 25: Régulation IRES-dépendante de la traduction de l’ARNm de CAT-1. I) En l’absence de la traduction de l’uORF, la traduction de CAT-1 est fortement réprimée par la structure de l’IRES. II) Conformation intermédiaire: l’uORF est traduit, ouvrant partiellement l’IRES. III). Lors d’une carence en acides aminés, les ITAFs (IRES Trans-Activating Factors) se fixent et stabilisent à l’IRES permettant la traduction de l’ARNm de CAT-1 (d’après Yaman

et al., 2003). HuR HuR HuR Ago Ago P-body Noyau Ribosome CAT-1 AAAAAA AAAAAA UAA AUG UAA AUG Cytoplasme Stress miRNA 122 miRNA 122 HuR HuR HuR Ago Ago P-body Noyau Ribosome CAT-1 AAAAAA AAAAAA UAA AUG UAA AUG Cytoplasme Stress miRNA 122 miRNA 122

Figure 26: Régulation de la traduction de l’ARNm de CAT-1 par les miRNA dans le foie. En condition normale, le miRNA 122 est lié à ses sites spécifiques sur l’ARNm de CAT-1 et réprime sa traduction via des protéines Argonautes (Ago). Ceci provoque la sequestration des messagers Cat-1 dans des vacuoles impliqués dans la dégradation des ARNm et l’inhibition de la traduction : les P-Bodies. Au cours d’un stress, la protéine HuR est libérée du noyau vers le cytoplasme. Elle se lie alors à la région 3’UTR de l’ARNm de CAT-1 et l’évacue des P-bodies vers les polysomes, impliqués dans la traduction des ARNm. HuR va alors inhiber l’activité de Ago, permettant à la protéine CAT-1 d’être traduite (d’après Pillai et al., 2007).

de protéines ITAF (IRES TransActing Factors), qui stabiliseraient la structure en position ouverte, et permettraient ainsi la traduction IRES-dépendante (Fernandez et al, 2003; Fernandez et al, 2001).

Récemment, un nouveau mécanisme de répression de la traduction de CAT-1 a été identifié, faisant intervenir un microRNA (miRNA) (Figure 26). Plusieurs sites potentiels de fixation pour miR-122, un miRNA spécifique du foie, ont été identifiés dans la séquence 3' non traduite de l'ARNm de CAT-1. Chang et al. (Chang et al, 2004) ont montré que ces sites sont parfaitement actifs, permettant de réprimer la traduction de CAT-1 en séquestrant l'ARNm dans les corps P (P-bodies), des vacuoles impliquées dans la dégradation des ARNm et l'inhibition de leur traduction en condition basale. Au cours d'une carence en acides aminés, la protéine HuR est transloquée dans le cytoplasme et active la traduction de CAT-1 en déplaçant l'ARNm vers les polysomes (Bhattacharyya et al, 2006).

b) Régulation de la traduction de Activating Transcription Factor 4 (ATF4)

ATF4 est l’homologue chez les mammifères de GCN4 (levure). Ces facteurs possèdent donc une régulation traductionnelle pratiquement identique. L’expression d’ATF4 est augmentée lors d'une carence en acides aminés. Comme GCN4, il aura pour rôle d'induire la transcription de nombreux gènes en réponse à cette carence tels: ATF3 et CHOP, codants pour des facteurs de transcription (Pan et al, 2007) (Fawcett et al, 1999) ou encore Asparagine Synthétase, un gène codant pour une protéine impliquée dans la synthèse d'acides aminés (Siu et al, 2002). Des uORFs ont été identifiés dans la partie 5' non traduite d'ATF4 qui, à l'instar de GCN4, lui confère la capacité à être traduit malgré l'inhibition globale de la traduction (Figure 27). Harding et al. (Harding et al, 2003) ont montré qu'un traitement à la tunicamycine ou une carence en leucine entraînait l'activation de PERK ou de mGCN2, induisant l'augmentation de la traduction d'ATF4 (Harding et al, 2000). Au moyen de cellules invalidées pour le gène ATF4 (cellules ATF4-/-), la même équipe a montré qu'ATF4 régule également l'expression d'un grand nombre de gènes au cours d'un stress du réticulum endoplasmique. Dans ce cas, une partie des gènes régulés par ATF4 sont impliqués dans le métabolisme des acides aminés et la protection contre le stress oxydant. La voie de signalisation mGCN2/ATF4 présente donc beaucoup de similitudes avec la voie GCN2/GCN4 de la levure, et sera développée plus tard.

Figure 27: Régulation de la traduction d’ATF4 en réponse à la carence en acides aminés. A) La structure de l’ARNm d’ATF4 chez l’homme contient deux uORF. L’uORF2 chevauche la séquence codante d’ATF4. B) En condition de concentration normale en protéines et/ou en acides aminés, le scan de l’ARNm opéré par les ribosomes provoque l’initiation de la traduction d’ATF4 au niveau de l’uORF1. Après avoir traduit cet uORF1, la ré-initiation de la traduction, possible par un haut niveau de eIF2-GTP, va se faire au niveau de l’uORF2. La synthèse d’ATF4 sera alors faible. C) Lors d’une faible concentration en acides aminés ou en protéine, la phosphorylation d’eIF2 va diminuer fortement la réinitiation de la traduction après l’uORF1. La sous unité 40S du ribosome va alors continuer de balayer l’ARNm. La probabilité de réinitier la traduction avant d’atteindre l’uORF2 sera faible. Dans ce cas, la sous-unité 40S va passer cet uORF et parvenir à l’ORF codant pour ATF4. Ce facteur sera traduit et son expression pourra augmenter (extrait de Kilberg M.S. et al, 2009).

B) A)

c) Conclusion

Chez les mammifères, il existe deux niveaux de régulation pour l’adaptation de la cellule à la disponibilité en acides aminés. Le premier permet à la cellule d'adapter son niveau de synthèse protéique à la quantité d'acides aminés disponibles. Le deuxième entraîne une régulation spécifique de l'expression de certains gènes permettant l’adaptation cellulaire à une carence en acides aminés. Comme chez la levure, les voies mTOR et mGCN2/ATF4 sont susceptibles de réguler un grand nombre de gènes au cours de cette carence.

2. Régulation de la stabilité des ARNm par la disponibilité