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La vita prima dans l’historiographie

B- La vita prima de saint Melaine

2- La vita prima dans l’historiographie

a) L’historiographi e de la dat ati on et du lieu de rédaction

Dans l’historiographie, la datation de la vita prima de Melaine a intéressé les chercheurs surtout depuis la fin du XIXe siècle. A part François Plaine644, Guy-Alexis Lobineau645 et Arthur de la Borderie646 qui dataient la vita prima du VIe siècle, la plupart des chercheurs s’est accordée pour dater la vita prima de Melaine du IXe siècle647. Il rentre alors en jeu différents éléments qui permettent une datation approximative en dépit d’informations précises dans la vita elle- même, où aucun hagiographe ni aucune autorité ne sont mentionnés. Les sources littéraires utilisées dans la vita de Melaine fournissent un élément de datation. De fait, l’hagiographe utilise des sources littéraires qui datent d’au moins de la fin du VIIIe siècle comme la vita de

saint Vaast d’Alcuin (mort en 804)648 écrite autour de 800 à Tours649. La vita de Melaine ne

pouvait donc pas être écrite avant la source qu’elle utilise, donc pas avant le début du IXe

siècle650.

Un autre repère pour la datation de la vita prima de saint Melaine est le fait qu’au chapitre XV, elle mentionne que le tombeau de saint Melaine se trouve toujours à l’endroit à Rennes où il a été enterré. Cette information implique que la translation des reliques de saint Melaine à Preuilly-sur-Claise face aux Normands en 875 n’a pas encore eu lieu651. E. Bonnaire

avance, également en faveur de cette hypothèse, un trésor monétaire trouvé à côté de Saint-

644 Cf. PLAINE, François, « Etude comparative des trois anciennes vies latines de saint Melaine, évêque de

Rennes », in Revue historique de l’Ouest, Nantes : Grimaud, 1892, no 8, p. 74-88, p. 83.

645 Cf. LOBINEAU, Guy- Alexis, Les vies des saints de Bretagne et des personnes avec une éminente piété qui

ont vécu dans la même province, Rennes : Compagnie des Imprimeurs-Libraires, 1725, p. 33.

646 Cf.DE LA BORDERIE, Arthur, Histoire de la Bretagne, Rennes : Plihon et Hervé, 1887, t. 1, p. 230. 647 Cf. Les datations les plus récentes sont celles de Bernard MERDRIGNAC, « L'évolution d'un cliché

hagiographique : Saint Melaine, Saint Mars et l'eulogie métamorphosée en serpent », in Annales de Bretagne et

des pays de l’Ouest, Rennes : PUR, 1980, 87-4, p. 589-605, p. 590 sq. ; Joseph-Claude POULIN, « Les réécritures

dans l’hagiographie bretonne », in GOULLET, Monique, HEINZELMANN, Martin (dir.), La réécriture

hagiographique dans l’Occident médiéval, Ostfildern : Thorbecke, 2003, p. 145-194, p. 147 , du même auteur, L’hagiographie bretonne…, p. 242; Elodie BONNAIRE, La vita…, (2012), p. 39 sq., Anne LUNVEN, Du

diocèse…, p. 52.

648 Alcuin, né autour de 730 en Northumbrie, était un érudit anglo-saxon qui fut appelé par Charlemagne à diriger

son école impériale. Il conseillait Charlemagne dans des affaires ecclésiastiques et renouvela l’enseignement à la cour impériale. Il avait également une grande activité littéraire en écrivant nombre de vitae (saint Vaast, saint Willibrord etc.) ainsi que des ouvrages sur les sept arts. Il fut abbé de Saint-Martin à Tours de 796 jusqu’à sa mort. HEIL, Wilhelm, « Alkuin », in Lexikon des Mittelalters, Stuttgart: Metzler, [1977]-1999, vol. 1, cols 417-419, (Brepolis Medieval Encyclopaedias - Lexikon des Mittelalters Online), (consulté le 09/02/2018).

649 Pour relancer le culte de Saint-Vaast, l’ami d’Alcuin, l’abbé de Saint-Vaast Rado, lui demanda d’écrire une

nouvelle vita du saint. POULIN, Joseph-Claude, « Vedast, Bischof von Arras », in Lexikon des Mittelalters, Stuttgart: Metzler, [1977]-1999, vol. 8, cols 1442-1443, (Brepolis Medieval Encyclopaedias - Lexikon des Mittelalters Online),(consulté le 10/03/2018).

650 POULIN, Joseph-Claude, L’hagiographie bretonne…, p. 245. 651 Cf. BONNAIRE, Elodie, La vita…, p. 39 sq.

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Melaine en 1964 et que les archéologues ont daté de la période de 920-923652. Quoi qu’il en

soit, Bonnaire cerne l’écriture de la vita grâce à l’utilisation du texte d’Alcuin dont il fallait attendre la diffusion au début du IXe siècle pour que l’hagiographe pût l’utiliser dans sa

composition. Par ailleurs elle avance le manuscrit du Vatican Reg. Lat. 486 qui est daté du IXe siècle. Somme toute, elle propose donc une date d’écriture de la vita dans le deuxième quart du IXe siècle653. De fait, on constate que la première moitié du IXe siècle correspond à une période prospérité des scriptoria bretons. Nombre de vitae furent écrite à cette époque-là654.

Une écriture de la vita de Melaine à la toute fin du IXe siècle, aux vues de la menace normande, paraît improbable. J.-C- Poulin argumente contre une écriture aussi tardive que l’abbaye Saint-Melaine, dont il pense que l’hagiographe fut issu, avait vécu une période de prospérité sous le règne de Salomon, roi de Bretagne entre 857 et le 28 juin 874655. Le problème avec les scriptoria en général et la provenance d’une grande partie des manuscrits de cette époque-là, c’est qu’ils ne sont plus conservés dans leur lieu d’origine. Ainsi il se trouve qu’on n’a gardé aucun témoin identifiable en tant que tel du scriptorium de Saint-Melaine de cette époque-là. Donc nous ne connaissons pas non plus un style d’écriture précis de ce scriptorium. Une identification d’un manuscrit de la vita de Melaine provenant du scriptorium de Saint- Melaine telle que Bonnaire l’a suggérée n’est donc pas prudente656. B. Krusch, J.-C. Poulin, E.

Bonnaire et d’autres chercheurs se sont donc accordés sur une écriture de la vita par le clergé rennais.

A. Lunven propose une date d’écriture qui ne serait pas avant 867657. Son argumentation

est intéressante puisqu’elle se base sur des éléments extérieurs au texte. Le IXe siècle est

l’époque où la péninsule armoricaine se construit en entité politique autonome. Les relations entre les Carolingiens à partir de de Pépin le Bref en 753, et la Bretagne furent conflictuelles au point que Charlemagne a organisé une Marche défensive, régie par un chef militaire, entre autre, son fils Charles le Jeune, pour contenir les Bretons658. Dans la Marche, des comtes,

652 Les archéologues ont trouvé parmi une majorité de pièces du règne de Charles le Simple, un denier de Louis

l’Enfant (899-911), et un autre frappé à Pavie par l’empereur Bérenger (915-924). Une monnaie plus tardive n’a pas été trouvée dans le trésor ce qui a fait conclure les archéologues que l’enfouissement du trésor par les moines de Saint-Melaine devant la menace normande aurait eu lieu avant le règne de Raoul (923-936). Ead., p. 40.

653 Ead., p. 41.

654 BRETT, Caroline, The monks of Redon, Gesta Sanctorum Rotonensium and Vita Conuuoinis, Suffolk : Boydell

Press, 1989, p. 5.

655 POULIN, Joseph-Claude, L’hagiographie bretonne…, p. 242. CASSARD, Jean-Christophe, Les Bretons de

Nominoë, Rennes : PUR, 2003, p. 82.

656 BONNAIRE, Elodie, La vita…, p. 47. 657 LUNVEN, Anne, Du diocèse…, p. 52.

658 FOLZ, Robert, « Charlemagne (742-814), Défense efficace : les marches », in Encyclopædia Universalis [en

125 représentants du pouvoir royal ou impérial, et chargés de l’administration courante des pagi659

sont (re-)mis en place660 par le pouvoir carolingien 661. Un préfet, qui avait le haut

commandement militaire de la marche, avait une autorité sur les comtes seulement sur les questions militaires, en cas de menace662. Les rapports restent tendus jusqu’à l’avènement de Louis le Pieux qui, en 831, désigne Nominoë, un aristocrate breton, missus663 de l’empereur. En vertu de cette charge, Nominoë surveille les comtes, enregistre les plaintes et représente l’autorité impériale en Bretagne. Le calme relatif qui suit l’alliance entre Nominoë et Louis le Pieux tient le temps du vivant de l’empereur, et même au-delà, les premières années du règne de Charles le Chauve jusqu’en 844664. Le climat politique- général et avec les Bretons- a changé

avec les guerres entre les fils de Louis le Pieux665. A partir de ce moment-là, Nominoë mena des raids sur la Marche de Bretagne, défiant ainsi ouvertement le pouvoir franc. Charles le Chauve répond en renforçant la garnison franque stationnée à Rennes666. La Marche de Bretagne, et donc Rennes, se trouvent tiraillées entre les affirmations du pouvoir franc d’un côté et les tentatives d’intégration du pouvoir breton. Le 7 mars 851, Nominoë décéda brusquement à Vendôme. C’est dans la même année que son fils Erispoë continuait des victoires sur les troupes franques, et à Angers, Charles le Chauve lui reconnut la Bretagne augmentée des pagi de Nantes, Rennes et Retz constituées en royaume667. Rennes fut donc intégrée dans le royaume breton malgré sa tradition franque.

659 Pagus au singulier.

660 Cf. CASSARD, Jean-Christophe, Les Bretons de Nominoë, Rennes : PUR, 2003, p. 17 sq.. Caroline Brett ne

trouve pas de trace des comtes francs à Rennes et à Nantes à l’époque mérovingienne. BRETT, Caroline, « In the margins of history ? The Breton March from Dagobert to Charlemagne », in BOUGET, Hélène, COUMERT, Magali (dir.), Histoires des Bretagnes : En marge, vol. 5, Brest : CRBC, 2015, p. 31-46.

661 Pour la définition de « comte », cf. BÜHRER-THIERRY, Geneviève, MERIAUX , Charles, La France avant…,

p. 640. Pour la mise en place des comtes, cf. CASSARD, Jean-Christophe, Les Bretons…, p. 18.

662 Idem.

663 Un missus est un envoyé spécial du roi ou de l’empereur à qui a été confiée une circonscription. BÜHRER-

THIERRY, Geneviève, MERIAUX , Charles, La France avant…, p. 642.

664 CASSARD, Jean-Christophe, Les Bretons…, p. 47.

665 BÜHRER-THIERRY, Geneviève, MERIAUX , Charles, La France avant…, p. 373. 666 CASSARD, Jean-Christophe, Les Bretons…, p. 47 sq..

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L’évolution de la principauté bretonne au cours du IXe siècle668

L’hypothèse d’A. Lunven s’oppose à celle de Julia Smith, qui interpréta la quête d’identité à travers la floraison de la production hagiographique bretonne de cette époque comme une réponse à la pression exercée par les Carolingiens. A. Lunven inverse la proposition de Smith, en interprétant la vita de Melaine comme un positionnement de Rennes dans la tradition gallo-franque à un moment où la Marche de Bretagne- donc entre autre Rennes- est intégrée dans le royaume breton669.

668 GARAULT, Claire, Ecriture, histoire et identité. La production écrite monastique et épiscopale à Saint-

Sauveur de Redon, Saint-Magloire de Léhon, Dol et Alet/Saint-Malo (milieu du IXe siècle- milieu du XIIe siècle),

MERDIGNAC, Bertrand (dir.), Université de Rennes 2, 2011, vol. III, p. 665.

127 Face à la datation d’E. Bonnaire et aux arguments de J.-C. Poulin, celle d’A. Lunven paraît assez tardive. La datation d’E. Bonnaire du deuxième quart du IXe siècle paraît trop

précoce. Nous proposons plus loin une autre datation de la vita670.

b) L’hagiographe

B. Krusch, J.-C. Poulin et E. Bonnaire et d’autres s’accordent à ce que l’hagiographe fut un clerc de Rennes, soit de l’entourage épiscopal, soit un moine de Saint-Melaine671. E. Bonnaire

écarte l’hypothèse que la vita prima soit écrite à Redon ou à Tours parce que Tours aurait été trop éloigné et Redon aurait été davantage mise en avant dans le récit672. Nous reviendrons sur les liens entre Redon et saint Melaine ultérieurement.

Comme il est commun dans le genre hagiographique, l’auteur reste anonyme. Il est probable qu’il vienne d’un milieu monastique puisqu’il met en avant les traits monastiques de saint Melaine, surtout en lien avec ses disciples. Ce constat peut être lié au milieu monastique d’où provient l’hagiographe.

3- L’analyse de la géographie de la vita prima aboutissant à une