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Chapitre 4 – Résultats de l’étude

4.2 L’intégration : un concept flou, une réalité complexe

4.2.1 Visions de l’intégration

Interrogées sur leur vision de l’intégration, les participantes amènent plusieurs réflexions sur le sujet, la vision de ce qu’est l’intégration pouvant différer beaucoup d’une personne à l’autre. Plusieurs participantes expriment la nécessité de comprendre la société dans laquelle on vient s’établir et le fait que l’intégration demande de s’adapter à cette nouvelle société à différents niveaux. Camille, par exemple, dit que selon elle, on peut se considérer comme étant intégré lorsque l’on comprend suffisamment sa société d’accueil pour être capable de bien y fonctionner. Exprimant cette idée, elle en donne un exemple qui, comme elle le souligne elle-même, peut constituer une bonne métaphore de sa façon de voir l’intégration :

Peut-être qu’une intégration idéale, ce serait le moment où tu comprends suffisamment ce qui se passe pour que tu sois capable de réagir en fonction de. C’est-à-dire le moment où tu commences à comprendre le monde autour de toi, qui est nouveau et où ce n’est plus un problème dans ton quotidien. (…) Un exemple bête, moi quand je suis arrivée au Québec, la place des femmes au Québec, je ne comprenais pas. Je me suis pris dans le nez un nombre de portes incalculable parce que pour moi, c’était impensable que si j’arrive en même temps qu’un homme à une porte, il ne la tienne pas. (…) C’est bête, mais… C’est quelque chose de très pragmatique, mettons là, et on peut le décliner à tout un tas de choses plus profondes, mais… Mettons que je m’estime intégrée à partir du moment où je suis capable de ne plus me prendre la porte dans les dents.

Noëlle parle également de la nécessité de s’adapter à sa société d’accueil. Elle donne l’exemple de l’adaptation au niveau du langage et dit tenter d’inclure dans son vocabulaire des expressions et prononciations propres au français québécois parce qu’elle considère cela comme faisant partie de l’intégration. Elle évoque également la nécessité d’accepter que les choses soient faites différemment qu’elles le sont dans son pays d’origine. Une idée similaire est également amenée par Caroline qui va un peu plus loin concernant sa propre intégration, ayant comme vision de s’immerger dans la culture québécoise en fréquentant en priorité des Québécois, ne voulant pas, par exemple, se créer un réseau social composé principalement de gens de son pays d’origine. Elle dit ainsi : « Pour moi d’aller dans un pays, c’est s’adapter et c’est connaître la culture aussi. C’est sûr qu’on ne peut pas effacer le fait qu’on a des origines X, mais il y a quand même des choses qu’on peut apprendre et pour moi ça fait partie de l’expérience de s’immerger un peu dedans pour vraiment connaître le pays. ». Dans un esprit davantage tourné vers la réciprocité, Aminata et Angélique mentionnent qu’il faut apprendre à se connaître de part et d’autre. « Comme je le dis, si tu ne vas pas vers l’autre,

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tu ne vas pas connaître l’autre, tu ne sauras pas qui il est, on aura tous des préjugés sur l’un et l’autre. (…) Parce qu’on est très différents. Donc, il faut apprendre à se connaître, à s’intégrer. ». Elles amènent donc elles aussi l’importance des contacts sociaux pour l’intégration, qui passe selon elles par la connaissance et la compréhension mutuelle.

Par ailleurs, certaines participantes se questionnent de façon plus critique sur la notion d’intégration, remettant en question la pression mise sur les personnes immigrantes pour se conformer à des normes sociales et ne pas exprimer leurs différences.

C’est une chose sur laquelle je me questionne aussi, par exemple, lorsqu’on parle beaucoup des gens de culture musulmane ou de religion musulmane, est-ce qu’ils devraient effacer complètement ses traces, est-ce que c’est des traces culturelles ou religieuses et je me dis est-ce qu’il faut s’effacer complètement en arrivant ici, c’est ça l’intégration? S’habiller pareil? (Bianca)

Leila évoque également cette idée en soulignant qu’il ne faut pas confondre « intégration » et « assimilation ». À cet égard, certaines participantes expriment le fait que l’intégration implique plutôt pour elles de trouver un équilibre entre essayer de s’adapter à la société d’accueil, mais sans pour autant effacer son identité d’origine et que c’est un équilibre que chacun doit créer pour soi-même.

Quand on veut se départir de nos préjugés et ne pas forcément vouloir recréer un (pays d’origine) au Canada, sans forcément vouloir devenir totalement canadien, on peut. Donc, je crois que c’est vraiment un équilibre que chacun trouve. On est tous immigrants et personne n’est venu de la même façon, pour la même raison, ne s’attendait à la même chose. Donc, je crois que c’est vraiment un équilibre que chacun doit pouvoir trouver par rapport à c’est quoi pour lui l’intégration. (Angélique)

L’intégration peut donc avoir une signification différente selon les personnes, en fonction de leurs situation, personnalité, attentes et objectifs. Leila mentionne ainsi l’importance de la perception de chaque personne engagée dans un processus d’intégration, chacune pouvant percevoir différemment ce qu’être intégré veut dire. Elle souligne ainsi que l’intégration ne doit pas être définie simplement de l’extérieur en fonction de critères établis par la société d’accueil, mais plutôt par le sentiment d’intégration de chaque personne.

Oui, ben en fait, moi je définis l’intégration comme une personne qui se sent, QUI SE SENT, c’est ça qui est important, pas forcément que la société lui donne cette place-là, mais que cette personne se sent bien quand… bien dans la communauté,

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qui… pas forcément via le travail justement, pas forcément… Qui a du lien social. (…) C’est vraiment que la personne se sente à l’aise dans la société en fait.

Pour Leila, l’intégration ne doit donc pas être un jugement porté sur les personnes immigrantes par la société d’accueil, mais plutôt un sentiment développé par celles-ci en fonction de leur satisfaction par rapport à leur vie dans la communauté où elles s’établissent, qu’elle croit être davantage en lien avec la qualité des liens sociaux qu’avec l’intégration économique.

Par ailleurs, plusieurs participantes ont vu leur vision de l’intégration évoluer au cours de leur expérience. Certaines d’entre elles, par exemple, viennent de pays qui constituent eux- mêmes des terres d’accueil où l’immigration est une réalité importante, des sociétés où l’immigration et l’intégration des immigrants sont également des enjeux sociaux importants et largement discutés. À cet égard, certaines d’entre elles disent avoir pris conscience de la difficulté que représente l’adaptation à un nouveau pays en se retrouvant elles-mêmes en situation d’immigration, ce qu’elles ne percevaient pas vraiment (ou pas autant) auparavant.

Pour moi, les questions d’immigration puis d’intégration, c’était un sujet qu’on voyait à la télé, qui n’avait pas vraiment de réalité. Alors, je ne m’étais jamais vraiment posé la question et quand je me posais la question, j’étais du genre à dire, voilà tu viens dans un pays, intègre-toi, nom d’une pipe, là. (…) Et puis je me suis rendue compte que c’était pas si simple, qu’une culture que tu portes en toi, avant d’être capable de changer ta façon d’agir, accroche-toi! (…) Et pourtant, je continue à penser que l’intégration est nécessaire, mais je me rends compte qu’elle n’est pas si simple. (Camille)

Il y a donc parfois un écart important entre la théorie de ce que devrait être une intégration réussie et la réalité de vivre soi-même ce processus et de se rendre compte des difficultés et limites inhérentes à une telle situation.