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Le bénévolat comme élément du parcours migratoire

Chapitre 5 – Discussion

5.5 Le bénévolat comme élément du parcours migratoire

Selon la théorie du parcours de vie exposée précédemment, la trajectoire individuelle des personnes est composée alternativement de périodes de transitions et de stades de vie, avec parfois un point tournant faisant significativement dévier leur parcours (Bronfenbrenner, 1999; Gherghel, 2013; Elder, 1998). Dans le contexte de l’immigration, l’arrivée et les premiers temps représentent forcément une période de transition et on peut penser que la situation sera ensuite amenée à se stabiliser vers un nouveau stade dans la vie de la personne, ce qui semble être le cas pour la majorité des participantes qui se trouvent au Québec depuis un certain temps. Pour certaines personnes dont le parcours est plus mouvementé, on peut par contre remarquer des périodes de transition successives, alors que la vie de la personne peine à se stabiliser pendant un temps plus long, voire quelques années, ce qui entraîne un contexte de stress beaucoup plus important dans le parcours post-migratoire de la personne. Ça a notamment été le cas d’Angélique qui a vécu successivement plusieurs périodes de transition durant les premières années de son immigration, soit son arrivée au Québec, l’arrivée de son conjoint et leur tentative de vie commune, suivie par leur divorce et la période difficile qui s’en est suivie. Pour la plupart des participantes, c’est toutefois les premiers temps suivant l’arrivée qui ont représenté une période de transition particulièrement intense

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dans leur parcours de migration et plusieurs d’entre elles mentionnent ainsi certaines difficultés vécues pendant cette période. La nécessité de trouver ses repères, de trouver un appartement et où faire ses achats, de se repérer dans la ville sont tous des exemples donnés par les participantes des défis auxquelles elles ont dû faire face pendant les jours suivant leur arrivée au Québec. Pour certaines, cette situation a été vécue avec plus de facilité, tandis que ça a été plus difficile pour d’autres, surtout celles qui étaient seules pour gérer cette situation. Camille, par exemple, se souvient avec acuité du moment où elle s’est retrouvée seule dans son nouvel appartement pour la première fois, extrait qui illustre par ailleurs très bien l’état d’esprit dans lequel certaines des participantes ont pu se retrouver à leur arrivée.

Et je suis restée… Je crois que je m’en rappellerai toute ma vie, toute seule sur mon lit, dans un pays où je ne connaissais personne, où je ne savais même pas où acheter à manger, où était l’université, rien du tout. Donc, non, non, c’était l’inconnu complet, là, c’était n’importe quoi! Tu sais, j’avais juste mes 23 kilos de bagages, j’étais dans un tout petit appartement en demi-sous-sol…

Ce moment revient souvent dans son discours et pourrait possiblement être considéré comme un point tournant dans son parcours, le moment où elle a pris conscience de la réalité de la situation d’immigration et s’y est véritablement engagée. Sans qu’elles utilisent explicitement ce terme, on peut constater dans le discours de certaines autres participantes un moment ou une période qui pourrait possiblement être considérés comme des points tournants dans leur parcours post-migratoire. C’est le cas d’Angélique concernant la période difficile qu’elle a vécue suivant son divorce et qu’elle exprime comme étant une période dans laquelle elle a réévalué profondément sa vie et y a fait des changements importants qui ont persisté par la suite. On pourrait aussi voir un point tournant dans le parcours d’Aminata qui, alors qu’elle vivait un cumul d’obstacles de plus en plus importants dans les premières années après son immigration, a vécu un moment où elle a été stoppée au bord d’une tentative de suicide par une personne-ressource de l’université qu’elle fréquentait et dont l’aide lui a permis de sortir de cette situation et de reprendre progressivement le contrôle de sa vie dans un contexte plus positif. Par ailleurs, pour certaines participantes, le fait de commencer à faire du bénévolat semble avoir été un point tournant, particulièrement en ayant contribué à les sortir d’une période difficile. Ça semble par exemple être le cas pour Nora pour qui le fait de commencer des activités de bénévolat semble avoir été l’élément lui ayant permis de sortir

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de l’état dépressif dans lequel elle se trouvait après plusieurs mois au Québec et le cumul de difficultés que ceux-ci avaient représenté.

Un élément intéressant à considérer sur le bénévolat en contexte post-migration, en lien avec la théorie sur le parcours de vie, était de savoir si le fait de faire du bénévolat est survenu seulement en contexte d’immigration, pour des raisons liées à l’immigration. À la lumière des entrevues réalisées auprès des participantes, on peut constater que c’est rarement le cas. En effet, la plupart des participantes, qui se sont engagées dans un bénévolat en contexte post-migratoire, avaient un parcours d’engagement de longue date, généralement depuis le début de l’âge adulte et parfois même dans le cadre d’une tradition familiale. Cet engagement a pu s’incarner de différentes façons et être plus ou moins présent selon les périodes de leur vie, mais était néanmoins présent avant leur immigration. Cet élément était d’ailleurs souligné par Vatz Laaroussi et al. (2012) qui, dans leur étude précédemment abordée sur les familles des femmes immigrantes multigénérationnelles, constataient que celles-ci avaient fréquemment une forme d’implication sociale en contexte post-migratoire qui était en continuité avec celles qu’elles avaient dans leur pays d’origine. Dans le cadre de la présente recherche, les seules exceptions à cet égard sont Mei et Caroline. Dans leurs cas, c’est le contexte post-migratoire qui les a amenées vers le choix de faire du bénévolat pour la première fois. Dans le cas de Mei, elle avait commencé à faire du bénévolat avant son arrivée au Québec, lors des migrations précédentes de sa famille et avait donc pris cette habitude de faire du bénévolat en contexte migratoire, tandis que Caroline a vécu sa première véritable expérience de bénévolat au Québec, y trouvant des réponses à certaines difficultés vécues après son arrivée, particulièrement au niveau de l’isolement social.

Il y a donc deux cas de figure possibles chez les personnes rencontrées : le bénévolat peut s’inscrire dans la continuité du parcours de vie et d’engagement de la personne, ce qui est le cas en général, ou dans le cadre d’une rupture provoquée par le contexte d’immigration. Par contre, même dans les cas où il s’inscrit dans une continuité d’engagement, la nature du bénévolat peut changer après l’immigration, par exemple par rapport aux liens avec les personnes pour lesquelles on s’implique, comme dans le cas d’Aminata qui a commencé à faire un bénévolat formel envers des inconnus tel qu’on l’entend ici plutôt qu’une implication dans un réseau d’entraide communautaire « naturel » qui constituait son engagement dans

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son pays d’origine. La nature des activités bénévoles peut également changer, la migration ayant éveillé un intérêt particulier pour un type spécifique de bénévolat. C’est notamment le cas de Camille qui a trouvé dans ce contexte une passion pour l’implication auprès d’étudiants étrangers, après avoir vécu elle-même cette expérience. Le bénévolat avait toujours fait partie de sa vie, mais il s’agissait auparavant d’une activité qu’elle faisait en parallèle de sa vie privée en fonction de ses intérêts, tandis que son bénévolat avec les étudiants étrangers représente beaucoup plus pour elle, l’amènant à s’investir de façon beaucoup plus personnelle et elle perçoit donc cette activité comme quelque chose de différent. Elle avait fait après son arrivée au Québec un bénévolat plus semblable à ce qu’elle faisait auparavant, qu’elle a éventuellement arrêté et elle exprime que cet arrêt représentait pour elle en quelque sorte la fermeture d’un chapitre de sa vie. On peut donc penser que son bénévolat actuel représente une nouvelle étape de sa vie, après une transition où elle cumulait les deux types de bénévolat. Au contexte d’immigration peut par ailleurs s’ajouter d’autres facteurs provoquant des changements dans le type d’engagement de la personne, par exemple le fait que des intérêts se précisent en vieillissant et que la personne peut donc vouloir se concentrer sur un projet qui lui tient à cœur plutôt que de faire différents types de bénévolat plus indiscriminés. C’est le cas de Noëlle qui avait toujours fait de nombreux bénévolats au gré de certains intérêts et opportunités, mais dont la vision du bénévolat a évolué depuis son arrivée ici en faveur d’une implication dans une coopérative de services qui répond à ses besoins plutôt que de l’aide à des personnes par rapport à un problème qui ne la concerne pas directement. Dans ce cas, les éléments propres au contexte migratoire ne semblent pas déterminants dans ce changement, qui correspond plus à un changement de sa pensée et de ses priorités dans le cadre de son parcours personnel.

5.6 Le potentiel de développement humain du bénévolat en contexte post-