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Comme il a été discuté précédemment, la sous-culture carcérale n’implique pas que l’ensemble des prisonniers se retrouve instantanément pris au piège dans une

structure informelle rigide. La solidarité que l’on y prône n’oblige pas non plus que chacun d’eux respecte son prochain. Cette hétérogénéité observée par rapport au respect du code des détenus laisse entrevoir quelques dysfonctionnements au cœur de la population correctionnelle. Ces règles informelles ne semblent pas suffisantes pour contrôler tous les comportements intra-muros, alors qu’ont lieu des agressions physiques et psychologiques.

L’ampleur et la gravité des incidents violents demeurent difficiles à évaluer. Les victimes auraient effectivement peu tendance à rapporter le délit, faisant en sorte que les agresseurs restent anonymes et, par le fait même, non incriminés pour leurs actes. Cette absence de témoignage découlerait notamment de la peur de représailles (Porporino, 1986). De surcroît, la crainte d’être agressé semble affecter un nombre important de détenus. Les résultats d’une étude canadienne révèlent que certains d’entre eux avouent consommer drogues et alcool pour supporter cette appréhension, ainsi que porter une arme, être eux-mêmes des agresseurs ou encore se lier à un gang de rue ou à un groupe influent pour se protéger (Chubaty, 2002). Parmi toutes les agressions physiques, les plus courantes réfèreraient toutefois à des événements se produisant dans la vie de tous les jours, sans qu’elles menacent l’organisation interne de la prison (Bottoms, 1999). À titre d’exemple, au Canada, dans la décennie de 1998/99 à 2007/08, 6,8 % des décès parmi la population correctionnelle fédérale ont fait suite à un homicide. Bien que le meurtre ne constitue pas la première cause de décès, le taux d’homicide en pénitencier demeure plus élevé que dans la société libre. Au cours de la même période, il se situait à 28 homicides pour 100 000 détenus et à moins de 2 homicides pour 100 000 habitants (Comité de la statistique correctionnelle, 2009).

Par ailleurs, la violence psychologique et la violence verbale restent sans contredit les formes les plus répandues dans le milieu carcéral (Vacheret & Lemire, 2007). Bien que moins évidentes que les atteintes physiques, elles ne devraient pas être moins inquiétantes, alors que ses victimes méritent d’être prises au sérieux elles aussi (Sykes, 1958).

Il ressort de la littérature scientifique deux grandes approches pour expliquer la violence en prison. Il s’agit tout d’abord du modèle de l’importation, voulant que la violence présente dans la rue soit importée à l’intérieur des murs carcéraux (Jacobs, 1976). En d’autres mots, la prison ne produirait pas de nouvelles hostilités. Elle ne ferait que concentrer des tensions qui existaient déjà dans la société libre (Park, 1976), comme des conflits raciaux ou une guerre entre différents groupes criminels. Bien que cette situation implique très peu de détenus, les gangs criminels seraient responsables d’une proportion considérable des événements violents intra-muros (Griffin & Hepburn, 2006; Jacobs, 1976).

En outre, les hommes incarcérés se révèlent généralement moins outillés que les adultes non institutionnalisés pour résoudre des conflits interpersonnels (Chubaty, 2002). On retrouve effectivement dans la population correctionnelle une proportion importante d'individus ayant de la difficulté à gérer leur agressivité (Zamble et al., 1984), justifiant une part de l’exacerbation des comportements violents en milieu carcéral. Face à un problème, l’évitement, le soulagement temporaire sans égard aux conséquences et la réponse agressive demeureraient des stratégies envisageables pour plusieurs d’entre eux, ce qui, la plupart du temps, ne fait qu’aggraver la situation conflictuelle (Chubaty, 2002).

Les troubles émotionnels et mentaux contribueraient également au nombre élevé d’agressions violentes en prison (Park, 1976). Une proportion non négligeable d’individus présentent à leur arrivée en détention un diagnostic de santé mentale ou ont déjà souffert dans le passé de problèmes semblables. Or, ces délinquants nécessitent souvent une aide supplémentaire pour affronter la vie carcérale quotidienne, créant pour les services correctionnels un réel défi (Boe & Vuong, 2002).

L’âge s’avère une variable robuste pour expliquer les mauvaises conduites en détention (Sapers, 2007). Les plus jeunes détenus seraient effectivement responsables

d’un pourcentage important des incidents violents intra-muros (Porporino, 1986). Ils sont reconnus pour être plus agressifs que leurs aînés (Mackenzie, 1987) et pour accumuler un plus grand nombre d’infractions disciplinaires pour agressions simples ou armées, pour des batailles et des menaces. Ces événements seraient d’autant plus fréquents au cours des premiers mois de détention (Griffin & Hepburn, 2006). Ces tendances s’appliqueraient autant aux États-Unis, à l’Angleterre qu’au Canada (Adams, 1992).

Le deuxième modèle fait référence aux douleurs de l’emprisonnement, intimement liées à la perte physique de liberté et aux nombreuses privations : disparition de l’intimité, confiscation des biens personnels, manque de relations hétérosexuelles, diminution des services… (Liebling, 1999). Cette situation engendre chez les détenus, à différents degrés, une déshumanisation, de l’oisiveté, de l’ennui, des frustrations sexuelles, une institutionnalisation, une perte de pouvoir, etc. Ces insatisfactions deviendraient si intenses qu’un irritant de la vie courante, autrement banal, soulèverait les inhibitions et provoquerait une réponse agressive (Jacobs, 1976). Bien sûr, il demeure possible que des événements violents soient associés à des dettes impayées et à des épisodes d’abus (Park, 1976), mais ils sont souvent mieux expliqués par les conditions carcérales, comme la vie de groupe et les tensions qui en découlent (Porporino, 1986).

La prévention de la violence importée semble moins complexe que celle attribuable aux douleurs de l’emprisonnement. Dans le premier cas, il s’agit d’isoler les trouble- fêtes, de séparer les antagonistes (Jacobs, 1976) et d’offrir les services appropriés aux individus souffrant de troubles de personnalité et mentaux. Dans le second scénario, la prévention se révèle beaucoup plus difficile, puisque les privations et les sentiments négatifs liés à l’incarcération ne peuvent être éliminés complètement. Il importe de modifier les conditions de détention (Cabelguen, 2006) en augmentant le plus possible les ressources offertes aux détenus, par exemple les programmes correctionnels (contrôle de la colère ou gestion du stress), les formations professionnelles, les visites conjugales privées et familiales, les groupes d’entraide,

de même que le nombre d’intervenants formés (Jacobs, 1976). Toutefois, même si les prisonniers sont encouragés à consulter un psychologue et à suivre des programmes, il reste que beaucoup d’entre eux tournent le dos à tous ces services et n’acceptent que le nécessaire, un toit et de la nourriture (Cooley, 1992).

L’administration pénitentiaire doit donc tout mettre en œuvre pour augmenter sa capacité à gérer efficacement les prisons et leur population, en évaluant les problèmes potentiels, en trouvant les solutions appropriées et en saisissant les besoins réels de la population correctionnelle. Une prévention optimale de la violence passe par une meilleure compréhension de la nature des agressions et de leurs circonstances. Cela vaut pour les JHA. Si effectivement une relation est possible entre ces activités et la commission de gestes violents, il demeure dans l’intérêt de tous d’augmenter les connaissances dans ce domaine.