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La pratique des JHA en prison mènerait certains détenus à poser ou à subir des gestes violents. Les conflits les plus couramment observés se limitent toutefois à de la violence verbale, sous forme de querelles entre joueurs (Williams & Hinton, 2006). Bien sûr, ce type de conséquence n’est pas unique au milieu carcéral. Des altercations peuvent tout aussi bien se produire autour d’un jeu de cartes pratiqué dans la société libre. Par contre, on peut envisager une portée plus importante en détention, où la violence et les tensions sont plus concentrées. Le confinement et la promiscuité propres à ce milieu fermé limitent les échappatoires et intensifient les relations antagonistes, pouvant déclencher des réactions démesurées (Marchetti, 2001).

Néanmoins, la violence physique, sous forme de menaces et d’agressions, surviendrait surtout lorsque des dettes sont impliquées et que leur remboursement tarde à venir (Williams & Hinton, 2006). L’endettement est reconnu comme une répercussion courante des JHA. Il est donc possible que se dessine en prison une relation entre la dépendance au jeu et la violence. Pour l’instant, la littérature ne permet pas de se positionner face à cette hypothèse, en raison d’un manque de connaissances sur les habitudes des joueurs incarcérés et sur l’origine de leur endettement.

                                                                                                               

10 Ces informations sont disponibles sur le site officiel du SCC à l’adresse suivante: www.csc-

Indépendamment du statut du joueur, problématique ou non, on sait que des dettes peuvent être contractées suite à de mauvaises expériences avec des tricheurs (Williams & Hinton, 2006). Certains détenus manipuleraient frauduleusement le jeu, afin d’en retirer des avantages injustes. Cette forme de victimisation se produirait surtout à travers des jeux de cartes, des jeux de table et d’adresse, qui nécessitent certaines habiletés. Lorsque les tricheurs sont expérimentés, les mises soutirées atteindraient parfois des sommes substantielles, dépassant largement le budget de la victime. Les pressions subséquentes, attribuables à l’incapacité de rembourser le montant perdu, conduiraient à des menaces, des agressions physiques, des demandes de protection et une série d’expériences douloureuses (Bowker, 1980).

Par ailleurs, les joueurs courraient des risques d’abus financiers liés à des prêts usuraires. Dans la société libre, il ne serait pas rare que des prêteurs frauduleux rôdent autour des casinos et des hippodromes à la recherche de proies à extorquer. Les intérêts associés à ces prêts grimperaient jusqu’à 10 % chaque semaine, les rendant très onéreux. Des dettes qui tardent à être honorées entraîneraient parfois des agressions physiques et des violations de domicile (Smith & Wynne, 1999). Bowker, en 1980, dans son livre sur la victimisation économique en milieu carcéral, décrivait ce genre de scénarios. Des usuriers incarcérés profiteraient de l’empressement de certains joueurs à obtenir de l’argent pour omettre d’expliquer toutes les clauses de l’emprunt au moment de la transaction. Beaucoup d’emprunteurs s’informeraient du taux d’intérêt initial, mais prendraient peu de temps pour considérer que celui-ci peut aller jusqu’à doubler si le montant n’est pas remis dans les délais établis (Bowker, 1980). Bien que cette situation concerne tous les types de joueurs, les joueurs dépendants pourraient être considérés comme un groupe particulièrement à risque de subir cette forme de fraude en prison. Toutefois, l’étude de Bowker ne fournit aucun indice à ce propos, puisque le jeu pathologique a été officiellement reconnu comme une dépendance sans substance au cours de l’année de publication de son livre, soit en 1980 (Valleur & Bucher, 1999).

Au-delà des prêts usuraires, il existerait d’autres moyens pour les joueurs incarcérés d’obtenir de l’argent, mais surtout des objets de valeur pour parier. L’acquisition de biens de consommation, comme du café et des timbres, passerait notamment par le troc (Michel, 2006) et la mise en gage de chaussures, vêtements, montres ou bagues. Dans le dernier cas, si le prêt n’est pas remboursé à la date fixée, le prêteur devient alors l’unique propriétaire des items laissés en garantie (Clemmer, 1940/1958). À de rares occasions, des détenus réussiraient à se procurer de l’argent liquide par l’intermédiaire de contacts extérieurs et lors de visites familiales (Williams & Hinton, 2006).

Qu’il y ait dépendance ou non aux JHA, la relation entre ces activités et la violence en prison s’avère ambigüe. Il a été établi que des épisodes de victimisation pouvaient survenir avant (emprunts), pendant (tricherie) et suite à un pari (dettes). Pourtant, il existe entre les détenus une sorte de code qui dicte la conduite appropriée en prison. Désapprouvant toute forme d’exploitation et de vol entre pairs, on encourage la loyauté, le respect de ses engagements, le remboursement de ses dettes et la droiture (Vacheret & Lemire, 2007). Ceci étant, comment justifier l’existence des conflits précédemment décrits? Bien sûr, il demeure probable que tous les détenus ne respectent pas l’ensemble des règles contenues dans ce code informel. On peut également croire que les JHA agissent comme un vecteur de violence, puisque des sommes d’argent ou des objets de valeur sont impliqués.

De nouvelles études sur l’impact des paris dans les établissements de détention sont donc nécessaires pour éclaircir certains écarts observés dans la littérature scientifique. Par exemple, les JHA génèrent-ils des conséquences plus importantes que les autres activités ludiques? La présence de tricheurs lors d’une partie de cartes avec mises mène-t-elle automatiquement à des représailles violentes? Le cas échéant, quels sont les facteurs qui augmentent les risques qu’une telle situation dégénère? Clemmer (1940/1958) croit que la tricherie reste plutôt éphémère en prison, puisque les auteurs sont rapidement identifiés et que les autres détenus cessent tout simplement de parier avec eux. Le même traitement s’appliquerait aux joueurs qui éprouvent de la

difficulté à honorer leurs dettes. Avec le temps, ces derniers expérimenteraient de plus en plus de difficultés à trouver des partenaires, puisque miser avec eux revient à une « mauvaise affaire » (Clemmer, 1940/1958).

Enfin, des informations supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre l’impact des JHA en détention. La documentation sur ces activités dans la société libre abonde, mais très peu d’études les analysent en milieu fermé. La deuxième partie de ce chapitre synthétise donc les connaissances dans le domaine de la sociologie carcérale.

Deuxième partie : La sociologie carcérale