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2.2. La cueillette de données

2.2.2. La sélection des participants

L’objet principal de cette thèse consistant à mieux comprendre la pratique des JHA dans les établissements de détention fédéraux du Québec, les hommes incarcérés ont été privilégiés à ceux qui avaient été remis en liberté sous condition ou encore qui avaient terminé de purger leur sentence. Cette décision repose sur le fait qu’une personne qui quitte un milieu, surtout si un laps de temps considérable s’est écoulé depuis son départ, risque de garder une vague impression, voire une idée générale, de sa situation antérieure et d’oublier certains détails. Deslauriers (1991) explique que plus le temps passe, plus les perceptions par rapport au vécu s’estompent et laissent la place à une forme de rationalité.

Par ailleurs, puisque cette étude s’appuie sur une méthodologie qualitative, l’échantillon s’avère non probabiliste et diversifié (Pirès, 1997b). Bien que la représentation statistique ne soit pas recherchée, il s’agit tout de même d’obtenir une vision d’ensemble de la pratique des JHA dans les prisons et de répondre au plus grand nombre de questions concernant les facteurs d’initiation au jeu, les motivations qui en encouragent la poursuite, les éléments qui freinent la participation, les facteurs de désistement, les impacts et les bénéfices des paris sur la population et le milieu carcéral. Les participants n’étant pas recrutés aléatoirement (Deslauriers & Kérésits, 1997), des caractéristiques capables d’assurer une diversification de l’échantillon ont été établies. En d’autres mots, la plus grande hétérogénéité possible a été créée à l’intérieur de l’échantillon en introduisant des cas variés, indépendamment de leur fréquence statistique (Pirès, 1997b).

Cette diversification a d’abord été assurée en sélectionnant un établissement de chacun des niveaux de sécurité. Les hommes condamnés à purger une peine d’emprisonnement fédérale reçoivent, au début de leur sentence, une cote sécuritaire – minimum, médium ou maximum – reflétant le niveau de supervision et de contrôle nécessaire à la protection de la société générale, du personnel correctionnel et des autres détenus. Cette cote est réévaluée au moins tous les ans, afin de déterminer si la

personne peut être transférée dans un établissement dont le niveau de sécurité est moins élevé. C’est ainsi que la plupart des détenus qui ont accompli des progrès durant leur séjour en incarcération finissent de purger leur peine dans un pénitencier à sécurité minimum, soit un endroit qui leur offre davantage de privilèges et de liberté.

Ce processus formel de gestion des sentences, basé sur un système de récompenses internes (p. ex. l’accès à des sorties anticipées), influence le comportement de beaucoup de détenus à l’intérieur de la prison. Pour obtenir des conditions d’incarcération moins coercitives par le transfèrement dans un établissement moins sécuritaire, par l’obtention de permissions de sortie ou encore par des recommandations favorables à une libération conditionnelle, certains détenus se plient aux règlements internes et adoptent un bon comportement institutionnel (Vacheret, 2006). Les plus jeunes auraient souvent tendance à rejeter ce système, à s’impliquer dans le trafic illégal à l’intérieur des murs, à consommer de l’alcool et des drogues et à valoriser des valeurs « criminelles ». Cela s’appliquerait également aux détenus qui purgent de courtes peines et à ceux qui seront bientôt libérés. Les plus âgés, peu impliqués dans un marché parallèle, non-consommateurs, pour la plupart condamnés à une sentence vie ou emprisonnés depuis de nombreuses années, ont tendance à « faire leur temps » de façon plus tranquille et à intégrer le système pour en sortir le plus rapidement possible (Vacheret, 2005).

Il a donc été postulé que le niveau sécuritaire de l’établissement de détention allait influencer la pratique des JHA en raison 1) du comportement intra-muros adopté par le détenu, son parcours institutionnel, la durée de sa sentence et le temps purgé à ce jour; 2) des variations dans la durée des périodes de « temps libre » accordées à la population carcérale en dehors des activités formelles (emploi, programme scolaire, services psychosociaux); et 3) de la liberté de circulation des détenus à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement.

Dans le but de protéger la confidentialité des détenus qui ont participé à la présente étude, le nom et l’emplacement des établissements de détention ne sont divulgués à

aucune occasion. Tous les passages d’entrevue cités dans les analyses qui contiennent cette information ont été censurés. Ces détails se révèlent toutefois non essentiels à la compréhension du sujet à l’étude et aux conclusions de cette thèse.

Dans le but de couvrir au maximum la situation des paris en détention, des détenus ont été recrutés dans presque tous les pavillons de chacun des établissements de détention sélectionnés. À de rares occasions, l’administration pénitentiaire a même permis que des participants soient rencontrés dans l’unité psychiatrique ou encore dans l’aile d’isolement préventif pour avoir reçu une infraction disciplinaire. Enfin, la diversité de l’échantillon a également été assurée par l’attention particulière portée à la durée des sentences et au type de crime lié à la condamnation. Des détenus étaient recrutés jusqu’à ce que chacune de ces catégories renferme au moins un participant : durée de la sentence (5 ans et moins; 6 à 15 ans; 16 à 25 ans; perpétuité) et type de crime (crime contre la personne, crime contre les biens, crime lié aux stupéfiants, autres). Bien qu’on ne puisse assurer une représentativité statistique, ces procédures ont tout de même permis d’éviter une homogénéité de l’échantillon.

Dans l’ensemble, tous les détenus qui ont été rencontrés répondent aux critères suivants, le contraire les ayant exclus. Ils avaient purgé au moins un mois de détention par rapport à leur sentence actuelle, ne comptant ni la détention provisoire ni le séjour au Centre régional de réception (CRR)16. Cela assurait une expérience minimale en milieu carcéral, surtout pour ceux qui en étaient à leur première sentence fédérale. En outre, les entrevues se déroulant en français, soit la langue maternelle de l’intervieweuse, les participants devaient le comprendre et le parler couramment, peu importe leur langue d’origine.

Le fait que les détenus s’adonnent ou non à des JHA en détention ne s’insérait pas parmi les critères d’exclusion. Comme mentionné précédemment, ils deviennent tous des informateurs-clés sur le déroulement des paris en détention, en tant que témoins                                                                                                                

16 Le CRR assure les services d’évaluation et d’orientation de l’ensemble des personnes ayant reçu une

peine d’emprisonnement fédérale, déterminant notamment le niveau de sécurité jugé nécessaire en fonction du profil du détenu.

directs du comportement de leurs pairs. Des joueurs actuels, d’anciens joueurs et des non-joueurs ont donc été rencontrés. D’une manière ou d’une autre, il aurait été difficile de recruter uniquement des détenus qui participaient à des JHA. Cette activité n’étant pas permise par le SCC, peu d’entre eux auraient été à l’aise de se manifester ouvertement.