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2.2. La cueillette de données

2.2.4. Le déroulement des entrevues

L’ensemble des entrevues a été effectué par l’auteure de cette thèse. La durée de chaque rencontre dépendait d’abord du participant, mais également du temps alloué par l’administration pénitentiaire à cet effet. Plus le niveau de sécurité augmentait, plus le temps accordé diminuait. Par exemple, dans les pénitenciers à sécurité médium et maximum, tous les détenus devaient regagner leur cellule avant les comptes officiels exécutés par les ASC. Dans l’établissement à sécurité minimum, le participant pouvait demeurer dans la salle d’entrevue, pourvu que les gardiens de son pavillon en soient avertis. L’intervieweuse bénéficiait alors de plus de temps pour établir un lien de confiance avec les détenus. Ceci étant, les rencontres (incluant la présentation de l’étude, la signature des formulaires et l’entrevue) dans les pénitenciers à haute surveillance ont rarement dépassé 2 heures, tandis que celles effectuées dans l’établissement à sécurité minimum se sont parfois étendues jusqu’à 3 heures. La durée moyenne de l’ensemble des entretiens est de 81 minutes (minimum : 42 minutes; maximum : 137 minutes).

Dans la mesure du possible, l’endroit dans lequel se sont déroulées les entrevues a été choisi soigneusement, afin qu’elles conservent leur validité scientifique (Poupart, 1997). Contrairement aux milieux de recherche moins coercitifs, les établissements de détention imposent aux chercheurs de nombreuses limites temporelles et spatiales. Les lieux de rencontre ont donc demandé beaucoup d’organisation de la part des personnes-ressources, puisqu’ils devaient correspondre aux exigences éthiques de la recherche et à celles de l’intervieweuse. Les locaux étaient tenus d’assurer la confidentialité des propos qui y étaient échangés et d’être assez calmes et intimes pour créer une ambiance invitant aux confidences. Par ailleurs, les entrevues relatives à la présente étude ne constituaient pas une priorité pour l’administration pénitentiaire. Des rencontres ont parfois dû être déplacées d’un bureau à l’autre à la toute dernière minute, ce qui réduisait le temps consacré à l’entretien.

La plupart des rencontres se sont déroulées dans des locaux tout à fait appropriés, généralement réservés aux avocats et aux ALC. Deux entrevues ont toutefois eu lieu dans un bureau inadéquat, dans la mesure où une des fenêtres donnait sur un corridor achalandé et bruyant. Bien que cette salle respectait la confidentialité des informations fournies par le détenu, elle perturbait la concentration à la fois du participant et de l’intervieweuse. Il a fallu, dans ces conditions, redoubler d’effort pour établir un lien de confiance solide.

Les études en méthodologie qualitative sont souvent confrontées à ce défi que représente l’établissement d’un lien de confiance, surtout lorsqu’effectuée auprès de groupes stigmatisés, tels que les prisonniers (Patenaude, 2004). Le milieu carcéral étant particulièrement reconnu pour son hostilité et ses relations de pouvoir (Lemire & Vacheret, 2007; Vacheret, 2001), gagner la confiance des détenus peut se révéler plus difficile que dans les études auprès de groupes dominants ou d’activités courantes (Patenaude, 2004). En plus d’une attention particulière au lieu de rencontre, toute forme d’attitude, hochement de tête, regard, posture, sourire et manifestation d’intérêt pour les propos de l’interviewer doivent être considérés (Poupart, 1997).

Deslauriers (1991) soutient que le climat décide de la qualité des réponses. Obtenir la collaboration d’un interviewé s’avère fondamental et essentiel pour un entretien des plus valables et approfondis. Toutefois, « l’art de bien faire parler la personne » (Poupart, 1997, p. 186) n’est pas donné à tous les chercheurs. Des biais méthodologiques peuvent rapidement s’installer si cette dernière a l’impression d’être pressée ou inintéressante, a le sentiment de servir de cobaye et craint des conséquences négatives à sa participation (Poupart, 1997).

Dans la présente thèse, la méfiance et la peur des conséquences auraient pu être amplifiées par le règlement interdisant à la population carcérale de s’adonner à des JHA dans les établissements du SCC. Par contre, comme l’a déjà démontré Plourde (2000) dans son étude sur la consommation illégale de drogues et d’alcool des détenus durant leur incarcération, il est tout à fait possible de tirer des informations sur des sujets tabous en établissant un degré de confiance approprié avec les interviewés.

Chaque rencontre était initiée par des présentations formelles : « Bonjour monsieur X, je me nomme Valérie Beauregard. J’effectue des études à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Je vous remercie d’être venu me rencontrer aujourd’hui ». Le vouvoiement a été employé avec chacun des participants, peu importe son âge, en guise de respect. Il était maintenu jusqu’à la fin, à moins que le détenu exprime le contraire. L’intervieweuse expliquait ensuite exhaustivement tous les détails relatifs à son étude, à partir d’un formulaire de consentement (annexe IV) : objectifs, modalités de participation (déroulement de l’entrevue, durée approximative, enregistrement), de même que ses retombées (répercussions, avantages et inconvénients). Ce dernier point concernant l’intérêt de l’étude était primordial, puisqu’il contribuait à convaincre le détenu de l’utilité de sa participation, soit l’importance de livrer son point de vue pour l’avancement des connaissances (Poupart, 1997).

Les premières minutes de la rencontre étaient destinées à rendre le détenu confortable. La présence de l’appareil numérique pour enregistrer les entrevues aurait pu créer un malaise et empêcher que des informations soient divulguées. Pour éviter ce genre de situation, l’intervieweuse l’informait qu’à n’importe quel moment on pouvait éteindre l’enregistreur et continuer l’entretien. De plus, tous les renseignements révélés, enregistrés ou non, qu’il ne désirait pas voir utilisés dans l’étude étaient retirés à sa demande (Patenaude, 2004). Il avait également le pouvoir de mettre fin à la rencontre à n’importe quel moment, sans justifications.

Le respect de la Loi canadienne des droits de la personne garantit la confidentialité et l’anonymat de chacun des participants. Les détenus ont été assurés que tous les détails fournis durant l’entrevue allaient être rapportés dans des conditions appropriées (Patenaude, 2004), c’est-à-dire qu’ils seraient conservés dans un classeur sous clé, identifiés par un nom fictif et censurés si des renseignements personnels permettaient leur identification.

La confiance du participant se révèle un préalable important à la véracité des propos qui seront rapportés en entrevue. En plus de garantir l’anonymat et la confidentialité, il incombait donc à l’intervieweuse de convaincre le détenu de sa neutralité, soit que sa recherche était indépendante du SCC (Poupart, 1997), et que son but n’était pas de renforcer les mesures répressives appliquées en milieu carcéral. Les détenus auraient pu refuser de collaborer à l’étude, limiter leur participation ou tout simplement mentir volontairement en entrevue s’ils avaient perçu de tels biais (Patenaude, 2004).

Les entrevues devaient fournir des informations sur la façon pour le détenu d’occuper ses temps libres en détention, son point de vue sur les activités ludiques offertes par le SCC, sa participation ou non à des JHA, son opinion sur les paris dans les établissements de détention, etc. Si ces thèmes n’étaient pas abordés au cours de l’entretien, ils étaient suggérés pour stimuler la conversation. Le tout était contenu dans un guide d’entrevues (annexe V), servant de points de repère. L’intervieweuse

pouvait aller au-delà de ces questions, pourvu qu’elle obtienne à peu près les mêmes renseignements d’une personne à l’autre (Deslauriers, 1991).

Suivant la méthode de Deslauriers (1991), les premiers thèmes abordés avec les détenus concernaient des expériences de la vie courante. Cette façon de commencer avec des thèmes plus légers servait à détendre le participant. La consigne de départ était donc la suivante : « J’aimerais que vous me parliez de la façon d’occuper votre temps libre en général ». Cela constituait le premier volet de l’entrevue. Ces informations sur les loisirs allaient également servir à situer la place des JHA dans la vie des détenus. Par exemple, les JHA occupent-ils tout leur temps libre; s’adonnent- ils à des paris pour les mêmes raisons que des jeux sans mise; quels sont les impacts respectifs de chacune de ces activités?

La deuxième partie de l’entrevue portait précisément sur les JHA. Suivant les mêmes principes, le participant était invité à parler de ses expériences avec les JHA, d’abord dans sa vie en général et ensuite en milieu carcéral. À moins qu’il ne les évoque par lui-même, les thèmes suivants étaient proposés : les types de JHA retrouvés en détention, le montant et la valeur des mises, les motivations et les incitatifs, les limites, les bénéfices et les impacts, ainsi que les interventions du personnel de surveillance envers ces activités.

Tous les entretiens se terminaient avec une fiche signalétique (annexe VI) et un outil d’évaluation sur les habitudes de jeu, appelé DÉBA-J (annexe VII). Deslauriers (1991) conseille de conserver les questions qui demandent moins d’élaboration et de concentration pour la fin, puisqu’elles s’avèrent plus faciles à répondre pour un participant potentiellement fatigué après des heures d’entrevue.

À la fin de chaque journée, les entrevues étaient résumées dans une fiche conçue à cet effet (annexe VIII), dans laquelle étaient également notés des détails sur ce qui avait été vu, entendu et ressenti durant la rencontre. Ce contenu pouvait se révéler utile lors des analyses pour mieux comprendre le discours du participant (Deslaurier, 1991). En

voici des exemples : « Au début de l’entretien, monsieur apparaît nerveux et hésitant face au déroulement de la séance »; « beaucoup de va-et-vient dans le corridor adjacent à la salle d’entrevue »; « en quittant monsieur, il me partage son désir de se présenter à la présidence du comité des détenus pour améliorer les loisirs en prison »; « monsieur semble intoxiqué lors de l’entrevue : mes soupçons reposent sur son discours plutôt décousu, sur son attitude apathique et sur les rumeurs qui circulent dans la prison à propos d’un trafic d’héroïne ». Enfin, ces fiches ont également facilité l’analyse préliminaire du matériel tout au long de la collecte de données, afin notamment de rendre compte de la saturation empirique (Pirès, 1997b).