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Violence dialectique et structure de l’ambiguïté

I. La structure de l’ambiguïté chez Blanchot (angoisse, violence, image, silence)

1.2. Violence dialectique et structure de l’ambiguïté

L’examen de l’angoisse de l’écrivain confronte directement avec l’idée d’effondrement du langage. Mais dans cet abord, l’effondrement du langage apparaît comme une expérience où l’écrivain, malmené par sa propre écriture, semble principalement passif. D’ailleurs le langage lui-même, dont on décrit la dispersion et l’effondrement apparaît comme une tendance passive. À trop diriger notre attention sur ces effets de dispersion, ne peut-on pas dire qu’on oublie d’examiner la puissance de disperser ou d’effondrer ? N’y a-t-il pas, dans cette expérience du langage, quelque chose d’une négativité – au sens d’une puissance d’anéantir – voire d’une violence – celle d’un mouvement sans mesure avec ce qu’il entraîne – ? Si le langage est le lieu de la dispersion des choses et de lui-même, on doit s’interroger sur sa puissance de négation, tournée vers les choses ou retournée vers lui.

Le lieu de ce nouvel examen n’est plus le texte de l’expérience de l’angoisse – c’est-à-dire le texte littéraire en tant qu’il manifeste l’expérience angoissé de l’écriture – mais le texte de la pensée dialectique. Ce syntagme, « texte de la pensée dialectique », pourrait sembler bien vague. S’il renvoie à des textes de Hegel, mais aussi de Marx, mais encore de Sartre, ne peut-on avoir un doute quant à speut-on caractère opératoire, lui qui paraît manquer cruellement de distinction et de précision ? Pourtant, l’expression « pensée dialectique » fonctionne bien comme une catégorie de notre faculté de lecture : l’ignorer serait renoncer à travailler dans les mouvements effectifs de notre lecture. Il s’agit donc moins de faire de cette catégorie classificatrice une vérité d’essence des formes de pensée que de reconnaître qu’elle opère effectivement actuellement dans notre lecture critique des textes. Bref, nous savons reconnaître des textes relevant d’une pensée dialectique.

Plutôt alors que chercher à définir les critères qui permettent ce classement de textes comme relevant de la pensée dialectique – en mettant en avant une idée de la négativité du langage –, suivons à nouveau le geste critique blanchotien : c’est dans des textes singuliers que l’opération critique d’ouverture doit jouer. De même que l’on a pu montrer comment le texte de l’angoisse (le texte censé répondre au paradoxe de l’angoisse de l’écriture) faisait apparaître l’essence du langage sous la forme d’une structure de l’ambiguïté, de même c’est dans un texte singulier relevant de la pensée dialectique que l’idée d’une négativité du langage doit à son tour être questionnée.

L’ouvrage d’Alexandre Kojève Introduction à la lecture de Hegel, comprenant les leçons de Kojève sur la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, professées de 1933 à 1939 à l’École des Hautes Études, réunies et publiées en 1947 par Raymond Queneau, constitue un lieu

important pour questionner la pensée dialectique. La double recension que Blanchot fait de cet ouvrage de Kojève, dans les livraisons de la revue Critique de novembre 1947 et janvier 1948, recueillie sous le titre unique « La littérature et le droit à la mort »148 dans La part du

feu en 1949, constitue à la fois un mouvement de répétition du texte de Kojève et un

mouvement d’ouverture d’une ambiguïté149 dans le texte même de la pensée dialectique. Pour saisir cette répétition et cette ouverture, il est nécessaire de présenter d’abord le texte de Kojève lui-même, afin de montrer comment il parvient à exprimer la violence du langage tout en évitant – mais est-ce vraiment possible ? – de manifester l’ambiguïté de cette violence.

Kojève : négativité et finitude, quelle violence de l’expérience du langage ?

Dans l’Introduction à la lecture de Hegel, les conférences 6 à 8 de l’année 1938-1939 forment une unité intitulée « Note sur l’éternité, le temps et le concept »150, unité qui marque une coupure dans le commentaire linéaire du chapitre VIII de la Phénoménologie de l’esprit (qui est le chapitre auquel est consacré l’année en question). Kojève y indique notamment qu’il est redevable de toute son interprétation de la Phénoménologie de l’esprit d’un cours et d’un article de son oncle Alexandre Koyré151. Cela n’est pas valable uniquement pour la question de la place du temps et de l’histoire dans la pensée hégélienne, mais aussi pour le langage. En effet, Koyré a publié une « Note sur la langue et la terminologie hégélienne » en 1931, où il est question de l’analyse de l’apparition du langage par Hegel, avec l’exemple de la nomination des animaux par Adam dans la Genèse152. La « Note sur l’éternité, le temps et le concept » de Kojève y fait directement écho, même si, par désinvolture, la scène biblique se voit réduite à une nomination plus triviale :

Dans le chapitre VII de la PhG, Hegel a dit que toute compréhension-conceptuelle (Begreifen) équivaut à un meurtre. […] Tant que le Sens (ou l’Essence, le Concept, le Logos, l’Idée, etc.) est incarné dans une entité existant empiriquement, ce Sens ou cette Essence, ainsi que cette entité, – vivent. Tant que, par exemple, le Sens (ou l’Essence) « chien » est incarné dans une entité sensible, ce Sens (Essence)

vit : c’est le chien réel, le chien vivant qui court, boit et mange. Mais lorsque le Sens (l’Essence)

148 L’importance de ce texte est remarquée par O. Harlingue qui y voit déjà l’effort de « problématisation/théorisation de la philosophie » prenant la forme d’une « confrontation avec la totalité et avec la pulsion unifiante (totalisante) et un(it)aire qui en est indissociable », confrontation « qui trouvera ensuite sa plus grande intensité tout d’abord dans L’Entretien infini puis dans Le Pas au-delà et L’Ecriture

du désastre », HARLINGUE Olivier, Sans condition, Blanchot, la littérature, la philosophie, op. cit., p. 38. 149 Comme le résume Enzo Neppi, en ouverture de son analyse de ce même article : « Ni néant ni extase ni

ouverture sur le monde, l’écriture pour Blanchot, est ambiguïté. C’est en tout cas ce qu’il affirme en toutes lettres dans l’essai qui clôt La Part du feu : ‘‘De la littérature comme le droit à la mort’’ », NEPPI Enzo, « L’Absolu entre transgression et ambiguïté dans la réflexion de Blanchot sur la littérature », op. cit., p. 17. Je souligne.

150 Kojève A., Introduction à la lecture de Hegel [1947], Paris, Gallimard Tel, pp. 336-380. Désormais, je mentionne cet ouvrage : ILH.

151 ILH, p. 367.

152 Koyré A., « Note sur la langue et la terminologie hégélienne » [1931], repris dans Études d’histoire de la

« chien » passe dans le mot « chien », c’est-à-dire devient Concept abstrait qui est différent de la réalité sensible qu’il révèle par son Sens, le Sens (l’Essence) meurt : le mot « chien » ne court pas, ne boit pas et ne mange pas ; en lui le Sens (l’Essence) cesse de vivre ; c’est-à-dire qu’elle meurt. Et c’est pourquoi la compréhension conceptuelle de la réalité empirique équivaut à un meurtre153.

La scène de la naissance des noms, même réduite à la seule nomination du chien, a la valeur d’une scène mythique. Cette mise en scène de la naissance du langage conduit à un procès apparemment simple. Mais, comme c’est le cas pour tout ce que l’on soupçonne de fonctionner comme mythe, on pressent que cette apparente simplicité dissimule – et peut-être a pour fonction de dissimuler – des tensions voire des contradictions. D’emblée, ce qui résiste à l’analyse intellectuelle et que le récit de la scène mythique prend cependant pour donné, c’est l’idée d’un sens déjà incarné qui n’attendrait plus que d’être abstrait. N’aurait-il pas déjà fallu tuer ce chien pour que le concept qu’il est censé incarné soit défini ? Ne faut-il pas alors un assassin qui précède tout meurtrier humain parlant ? Le langage ici mobilisé est pourtant celui qui, déjà constitué quand il formule cette scène mythique de sa propre naissance, peut se dire comme le premier meurtrier sans que le récit de sa propre naissance ne soit arrêté par une quelconque impossibilité. D’une façon générale, c’est la force de tout récit mythique d’être la formulation de la naissance d’une institution, qui comme formulation s’appuie sur les ressources que lui procure l’existence déjà avérée de cette institution. Dans le cas de la nomination initiale du chien, l’idée du meurtre, extraction violente du concept incarné dans la réalité sensible, attribue toute la violence à la négativité du langage lui-même. Mais Kojève (pas plus que Hegel) n’est dupe d’un tel raisonnement. En effet :

Seulement, dit Hegel, si le chien n’était pas mortel, c’est-à-dire essentiellement fini ou limité quant à sa durée, on ne pourrait pas détacher de lui son Concept, c’est-à-dire faire passer dans le mot non-vivant le Sens (l’Essence) qui est incarné dans le chien réel […]. Le Concept « chien » qui est mon Concept (du chien), le Concept qui est autre chose, donc, que le chien vivant et qui se rapporte à un chien vivant comme à une réalité extérieure, – ce Concept abstrait n’est possible que si le chien est essentiellement mortel. C’est-à-dire : – si le chien meurt ou s’anéantit à chaque instant de son existence. Or, ce chien qui s’anéantit à chaque instant, – c’est précisément le chien qui dure dans le Temps, qui cesse à chaque instant de vivre ou d’exister dans le Présent pour s’anéantir dans le Passé, ou s’anéantir en tant que Passé. Si le chien était éternel, s’il existait en dehors du Temps ou sans Temps, le Concept « chien » ne serait jamais détaché du chien lui-même154.

Alors que la scène mythique de la naissance du mot comme meurtre de la chose se présentait comme suffisante (étant formulée depuis un langage déjà advenu), Kojève ajoute une clause. Clause additionnelle qui vient moins sauver la complétude du récit de la scène qu’elle ne vient l’inquiéter. En effet, il ne s’agit pas seulement de dire que le meurtre de la chose nécessite que la chose soit mortelle, au sens où elle serait susceptible d’être tuée. En effet, il faut ici que la chose soit effectivement en train de mourir pour que le meurtre puisse

153 ILH, pp. 372-373. 154 ILH, p. 373.

avoir lieu. Autant dire que les choses meurent, voire se tuent, toutes seules... La négativité qui vient produire l’écart entre la réalité vivante et le concept semble moins être le fait du langage lui-même que d’une temporalité qui précède la possibilité du langage. Si, dans le cadre d’une réflexion abstraite, on comprend bien l’idée selon laquelle une réalité qui serait éternelle – éternellement existante – coïnciderait avec l’idée qu’un sujet pourrait s’en faire en en parlant – ce qui empêcherait de distinguer, d’une part, la réalité existante et, d’autre part, l’idée de cette réalité –, il demeure que la clause additionnelle de la temporalité ou mortalité des choses candidates pour être nommées déstabilise complètement le récit de l’avènement du mot comme meurtre de la chose.

Mais comme s’il ne souhaitait pas laisser se manifester cette négativité non humaine, celle qui excéderait l’action de l’être parlant fini, Kojève s’aventure à expliquer que la temporalité qui détruit les choses, et qui semblait devoir être antérieure à la négativité du langage meurtrier des choses, n’est en vérité que la négativité du travail humain :

ce n’est pas l’objet naturel, pas même l’animal ni la plante, – c’est uniquement le produit du Travail humain qui est temporel essentiellement. C’est le Travail humain qui temporalise le Monde naturel spatial ; c’est donc le Travail qui engendre le Concept qui existe dans le Monde naturel, tout en étant autre chose que ce Monde […]155.

Dire que l’homme temporalise le Monde naturel par son travail, c’est dire que son regard devançant les événements, ses projets gouvernant ses souvenirs, et ses actions en vue d’une transformation, bref tout ce qui caractérise l’homme historique travaillant manifeste l’être naturel dans la perspective de son dépassement possible, donc dans l’inadéquation originaire à son concept. D’où l’idée soulignée par Kojève des premiers concepts qui sont des erreurs : étant la pensée de la chose dans un projet, ils s’écartent d’elle et ne pourront lui correspondre qu’après l’action transformatrice. Par exemple, l’outil de chasse ou l’animal de compagnie possible qu’on voit dans le chien sauvage est son concept erroné qui deviendra vrai par l’élevage et le dressage que ce concept suggère. Le chien est vu comme ce qui a à devenir cet outil ou ce compagnon : son concept est ce qu’il n’est pas encore. Mais le détachement de ce concept suppose qu’on soit déjà en train de faire mourir la sauvagerie du chien : le concept émerge dans le travail en cours. Le meurtre par le mot « chien » (outil ou compagnon) n’est que la manifestation accomplie d’un travail meurtrier d’élevage et de dressage. Certes. Mais comment justifier de ne retenir que cette temporalité, niant par là la temporalité du chien comme être vivant naturel – « niant » au sens fort, puisqu’il s’agit de faire en sorte qu’elle ne puisse pas contrevenir au temps du projet – ? Si Kojève décrète que seule la temporalité du travail meurtrier est essentielle, c’est que le sens même de l’action humaine est de nier

l’influence de tout autre agent négateur, fût-il un éventuel temps naturel. Quand le projet accompli cherchera à rendre compte de lui-même en répétant dans le récit son histoire effective, il n’aura pas à tenir compte de cette temporalité résiduelle qu’est le temps naturel, puisque la réalisation du projet aura été justement l’élimination de toute résistance au projet.

Si l’on accepte de suivre l’analyse de Kojève pour penser le langage en général, de quel schéma de la naissance du langage dispose-t-on alors ? Le récit de la naissance du langage ne peut se faire que depuis le langage déjà constitué et même, davantage, depuis le langage parvenu au point de son développement où il est question de répéter son avènement en lui-même (se faire le récit de sa propre naissance). Dans ce retour, le langage se saisit comme ce qui tue les choses, mais parce qu’elles sont déjà en train de mourir, ou plutôt en train d’être tuées par le travailleur parlant. Sa propre violence que le langage trouve à sa naissance, et qui semblait reposer sur une destruction immanente aux choses, n’est finalement rendue possible que par la violence du travailleur parlant envers la nature.

Si en lisant le texte kojévien, on s’efforce de ralentir et d’étaler son geste, on fait apparaître, à la fois, en quoi la réflexion sur la violence du langage rencontre la possibilité d’une négativité inhumaine, et en quoi cette même réflexion nie cette négativité inhumaine. Bref, il s’agit d’exclure tout caractère essentiel à la mort naturelle, c’est-à-dire de ne pas reconnaître la violence avec laquelle elle pourrait faire irruption dans le mouvement d’auto-fondation rétrospective du langage. Ce geste de Kojève est parfaitement clair dans ses réflexions sur la circularité de la science hégélienne156. Le déploiement progressif de la culture ignore son origine, et ce n’est qu’à la fin de son déploiement, quand le discours comprend tout ce qui peut être dit, et dit notamment ce que c’est que devenir effectivement capable de tout dire, – ce n’est qu’à cette « fin de l’histoire » que le discours révèle adéquatement son origine : le désir anthropogène (celui de la lutte à mort de pur prestige). Or cette origine ne vaut que depuis le savoir achevé, savoir qui manifeste que la négativité nécessaire pour parcourir l’ensemble du concevable ressortit tout entièrement au travailleur parlant. Mais ne reste-t-il pas des marques – même à la fin de l’histoire – de ce passage à proximité de la négativité inhumaine ? Cette question invite à examiner l’éventuelle finitude de ce travailleur parlant devenu le Sage de la fin de l’histoire. En effet, toute cette réflexion sur l’origine du langage converge vers la figure du travailleur parlant qui devient le Sage, dont on voudrait savoir aussi s’il est essentiellement vivant et par là, fini. Qu’en dit Kojève ?

d’après Hegel, la révélation discursive de l’Être n’est possible que si l’être révélateur ou parlant est essentiellement fini ou mortel. L’Esprit hégélien n’est donc vraiment pas un Esprit « divin » (car il n’y a 156 Notamment, ILH, pp. 391-394.

pas de dieux mortels) : il est humain en ce sens qu’il est un Discours qui est immanent au Monde naturel et qui a pour « support » un être naturel limité dans son existence par le temps et l’espace157.

Ce n’est pas sa dimension de facticité (l’homme est donné comme mortel à lui-même) qui justifie le caractère essentiellement fini de la vie du travailleur parlant pour l’avènement du discours qu’est la science hégélienne. C’est une exigence davantage systémique : le travailleur parlant est un vivant fini, parce qu’il n’est rien en dehors du monde naturel, et donc parce qu’il n’y a pas d’être transcendant. Le discours qu’est la science est un étant mondain qui doit trouver son origine dans l’immanence au monde. Pourquoi craindre autant une métaphysique qui reconnaîtrait un être transcendant ? Quelle est la raison de ce refus théorique qui conduit à souligner comme essentielle la finitude du travailleur parlant qui devient le Sage ?

C’est en suivant la science dans le récit de sa propre advenue, donc dans la répétition de son histoire dans le récit, que Kojève dégage l’importance de la reconnaissance et de l’assomption de sa finitude par le travailleur parlant. Suivant Hegel, Kojève commence par décrire le « prétendu Homme de la tradition antique »158. Il le présente comme un être purement naturel, c’est-à-dire sans négativité. Son Logos « ne nie rien et ne crée rien : il se contente de révéler le réel donné ». Le discours « fait donc corps avec l’Être-donné ». Pour Kojève, la métaphysique sous-jacente à une telle conception de l’homme et du langage est celle d’un « Être un et unique qui se pense éternellement soi-même dans sa totalité donnée. [… Bref,] c’est Dieu qui est Substance ». Kojève poursuit en montrant que Hegel oppose, à cet homme entendu comme être positif de la nature, « l’Homme qui apparaît dans la tradition pré-philosophique judéo-chrétienne »159. L’intérêt de cette autre thématisation de l’homme est d’autoriser la pensée de la spécificité de l’esprit ou substance spirituelle, qui est rapport à son propre être, donc pensée de soi en même temps que pensée des choses. Mais l’esprit proprement dit n’est pleinement réalisé que sous la forme du dieu transcendant. Ce qui implique que le sujet parlant qui s’efforce de dire la possibilité de sa propre parole se pense relativement à ce dieu transcendant. Le sujet appréhende donc son langage depuis la possibilité de transcender le monde naturel pour être en relation avec ce dieu transcendant. C’est ce mouvement qu’exprime l’idée de l’immortalité de l’homme. Kojève amène ainsi le texte hégélien à dire que tant qu’on conserve l’idée d’immortalité de l’homme, on affirme que le sujet parlant qui dit la possibilité de sa parole est nécessairement un esprit éternel. Or, d’après Kojève, c’est cela même que Hegel a voulu dépasser :

Hegel a voulu, dès le début, appliquer à l’Homme la notion judéo-chrétienne de l’Individualité libre historique, inconnue dans l’antiquité païenne. Mais en analysant philosophiquement cette notion 157 ILH, p. 539.

158 ILH, p. 535. 159 ILH, p. 535.

« dialectique », il a vu qu’elle impliquait la finitude ou la temporalité. Il a compris que l’Homme ne pouvait être un individu libre historique qu’à condition d’être mortel au sens propre et fort du terme, c’est-à-dire fini dans le temps et conscient de sa finitude. Et, l’ayant compris, Hegel a nié la survie : l’Homme qu’il a en vue n’est réel que dans la mesure où il vit et agit au sein de la Nature ; hors du Monde naturel, il est un pur néant.