• Aucun résultat trouvé

De l’angoisse à l’ambiguïté : raison et déraison en langage

I. La structure de l’ambiguïté chez Blanchot (angoisse, violence, image, silence)

1.1. De l’angoisse à l’ambiguïté : raison et déraison en langage

C’est dans le texte de Blanchot « De l’angoisse au langage »123, placé en ouverture du recueil Faux pas, que l’on peut lire l’effort de celui-ci pour trouver une écriture qui dise l’angoisse fondamentale de l’écriture. Or c’est là une expérience fondamentale pour une pensée de la folie inhérente au langage. Ce texte – et l’effort qui l’anime – servira donc ici de point de départ d’un cheminement vers la folie centrale du langage.

Mais pour prendre toute la mesure de cet effort, il me semble nécessaire d’écouter d’abord la pensée heideggérienne de l’angoisse124 – et surtout le langage qu’elle trouve pour se dire. S’il est nécessaire d’ancrer le texte blanchotien dans le texte heideggérien, c’est que le geste de Blanchot est souvent celui d’un critique, au sens de celui qui ouvre le texte d’un autre, libérant par là des possibles que le texte encore non critiqué ne pouvait être dit contenir. Que ce geste soit opéré explicitement ou implicitement, dans le cadre d’une recension précise ou bien dans l’écho des textes contemporains d’un auteur, il ne peut pleinement se comprendre qu’à partir de ce dans l’écho de quoi il s’inscrit. Mais avec Blanchot, il s’agit moins d’une critique du propos qu’une appréhension critique du langage mobilisé pour tenir tel ou tel propos. Ce qu’il s’agit d’ouvrir relève moins des impensés d’une pensée que des mouvements de pensée inhérents au langage que cette pensée mobilise. C’est pourquoi je ne propose pas ici une présentation de la pensée heideggérienne pour elle-même, mais déjà une lecture qui souligne les tensions inhérentes à son langage – qu’on peut sans doute qualifier de contradictions : contradictions entre son intention explicitement formulée et le mouvement de pensée qu’induit son langage. Cette appréhension du texte heideggérien anticipe et excède peut-être le texte blanchotien. Mais en formulant clairement cette lecture du texte heideggérien depuis le souci de son langage, on pourra entendre le texte blanchotien comme

s’il en constituait la critique : apparaîtra alors de façon d’autant plus pertinente le mouvement

de pensée auquel le langage blanchotien nous invite – à savoir le mouvement de parcours de la structure de l’ambiguïté125.

123 Blanchot M., « De l’angoisse au langage » [1943], Faux pas, Paris, Gallimard, 1943, pp. 9-23.

124 Enzo Neppi propose pour sa part une comparaison avec la position de Sartre sur le rapport à autrui dans l’écriture. Il ne s’agit alors pas de la posture d’un Blanchot critique d’un texte, mais davantage de postures divergentes de même niveau. Cf NEPPI Enzo, « L’Absolu entre transgression et ambiguïté dans la réflexion de Blanchot sur la littérature », in Éric HOPPENOT et Alain MILON (éds.), Maurice Blanchot et la

philosophie, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010, p. 15.

125 Je suis ici à nouveau l’indication de O. Harlingue pour qui « l’espace littéraire de l’écriture est, chez Heidegger et Lévinas, impensé ou, pis encore, purement et simplement dévalorisé » ce qui empêche qu’ils posent « la question absolue » qu’ils croient pourtant poser. HARLINGUE Olivier, Sans condition, Blanchot,

L’angoisse : de l’isolement du Dasein à la solitude de l’écrivain

Au §40 d’Être et temps, après avoir salué les approches de l’angoisse d’Augustin, de Luther et de Kierkegaard, Heidegger affirme : « s’il y a dans l’angoisse la possibilité d’un ouvrir privilégié, c’est parce que l’angoisse isole. Cet isolement ramène le Dasein de son échéance et lui rend l’authenticité et l’inauthenticité manifestes en tant que possibilités de son être »126. On peut considérer cette détermination heideggérienne de l’angoisse comme un énoncé à partir duquel faire ressortir l’écart qu’introduit le texte « De l’angoisse au langage »127 de Blanchot.

Comment Heidegger présente-t-il l’angoisse ? Comme une affection dont la vertu est d’isoler. Cet isolement n’est pas compris comme une situation statique. L’isolement vaut par le mouvement de ramener en un même lieu – lieu aussi paradoxal soit-il – ce qui était répandu à même les étants. S’isoler, c’est se ressaisir en se dégageant plutôt que se disperser en divers affairements auprès des étants. Mais Heidegger ne propose pas, pour déterminer ce lieu où l’être s’isole, se ramène et se ressaisit, l’image d’un lieu figé et fixé. Au contraire, il indique que ce lieu n’est nulle part. Il ne s’agit ni de trouver un bureau d’écrivain qui vaudrait comme une cachette, ni de pratiquer une ascèse qui permette d’habiter son seul corps sans être lié davantage à aucun environnement. Il s’agit, dans l’angoisse, de pressentir l’absence de lieu où l’on pourrait se situer afin de penser l’être même des localités. De la même façon, si l’angoisse est l’angoisse devant rien de déterminé, c’est bien dans ce rien d’étant qu’on peut pressentir l’être même des étants qu’il est possible de manifester. Le nulle part et le rien à quoi nous ouvre l’angoisse définissent une position instable du Dasein depuis laquelle il peut cependant saisir la nature de ce que seront ses positionnements postérieurs : authentiques ou inauthentiques.

C’est sur ce résultat de l’analyse qu’il faut s’arrêter. Ou plutôt, sur la façon dont il est énoncé. Car dans l’effort pour formuler la position instable constitutive du Dasein, Heidegger ne peut s’empêcher d’indiquer un contenu d’expérience qui, dans la façon même dont il est nommé, acquiert une certaine stabilité. En effet, depuis ce lieu en retrait, réservé, isolé, que le

Dasein expérimente dans l’angoisse, ses possibilités sont dites lui apparaître de façon

manifeste, et cela comme si elles pouvaient être juxtaposées l’une l’autre, comme le sont deux mots dans une liste. Ainsi, l’authenticité et l’inauthenticité semblent pouvoir être maintenues devant le Dasein comme des formes de ce qu’il pourrait être : des formes d’existence nommées, et qui par là – comme par un piège du langage énonciatif – acquièrent distinction,

126 Heidegger M., Être et temps [1927], trad. E. Martineau, Paris, Authentica, 1985, pp. [190-191] (indication de page selon la pagination en marge, reproduisant celle de la dixième édition allemande Niemeyer, de 1963). 127 Blanchot M., « De l’angoisse au langage » [1943], Faux pas, Paris, Gallimard, 1943, pp. 9-23.

voire subsistance. Ironie du langage heideggérien : lui qui nous enseigne à régresser de l’apparemment subsistant à l’être-dans-la-temporalité-du-projet, il semble bien que son écriture diverge d’avec son intention. On a là en effet un discours qui, refusant de céder sur une distinction qu’il estime nécessaire entre des choix de vie authentique et inauthentique, fige finalement le mouvement qui se joue dans l’angoisse, alors même qu’il prétend indiquer – ou en tout cas, laisse la possibilité d’indiquer – la direction d’un lieu en-deçà de cette distinction. L’intention heideggérienne s’abîme en son écriture.

Dans « De l’angoisse au langage », Blanchot semble d’abord reprendre le geste heideggérien. Bien sûr, son propos se présente d’emblée comme davantage circonscrit, puisqu’il ne s’agit pas du Dasein en général, mais seulement de l’écrivain. Mais au-delà de cette différence, le propos blanchotien semble reprendre le geste de Heidegger. En effet, l’angoisse apparaît pour l’écrivain comme un sentiment « propre à sa fonction », et même davantage lié à lui que pour une question de métier, « comme si le fait d’écrire approfondissait l’angoisse au point de la rattacher à lui-même plutôt qu’à toute autre espèce d’homme »128. Blanchot va jusqu’à dire, moins pour souligner une éventuelle spécificité de l’écrivain que pour suggérer que nous sommes tous intéressés par son sort, tout comme nous pouvions l’être par les aventures du Dasein pris dans sa généralité :

[L’angoisse] semble n’exister dans le monde que parce qu’il y a, dans le monde, des hommes qui ont poussé l’art des signes jusqu’au langage et le soin du langage jusqu’à l’écriture qui exige une volonté particulière, une conscience réfléchie, l’usage sauvegardé des puissances discursives129.

Énoncé sans doute excessif, mais qui prend toute sa valeur dans la progression dont il est issu. Il ne s’agit pas simplement de dire que la fonction ou le métier d’écrivain constitue l’image de l’acte angoissant, dans la mesure où l’écrivain fait face, à chaque fois qu’il écrit, à la fois à une nécessité vide (même s’il lui est prescrit d’écrire, il ne lui est pas prescrit d’écrire ceci ou cela) et au vertige du possible (il doit choisir ce qui répond à la nécessité d’écrire, mais il invente seul le domaine de ses choix). Il s’agit de souligner le fait que l’activité d’écriture approfondit l’angoisse. On pourrait d’abord penser le contraire : la mise en mots d’une expérience apaise l’éventuelle angoisse qui constituerait la tonalité affective de cette expérience. Mais cette prétendue mise en mot apaisante est-elle l’écriture ? Ne néglige-t-elle pas l’expérience même de l’écriture ? Une telle représentation de la mise en mots n’a-t-elle pas pour modèle une mise en boîte, avec des boîtes évidemment déjà disponibles ? Les mots dans l’expérience d’écriture ne sont pas de tels objets circonscrits disponibles, voire de tels outils de rangement. Dans l’expérience d’écriture, même si une certaine langue est déjà là, il y

128 Ibid., pp. 11-12. 129 Ibid., p. 12.

a quelque chose de la recherche d’un langage : une « puissance discursive » qui n’est justement pas l’usage sûr de lui-même d’un langage déjà disponible, mais bien davantage un détournement, une dispersion, voire une destruction du langage disponible. Les voies de cette destruction constituent dans le même temps l’invention d’un langage, mais une invention toute ponctuelle, précaire, le résultat provisoire d’un dépassement qui ne demande à son tour que son propre dépassement. L’expérience de l’écriture ne fait ainsi qu’accroître la précarité des mots, mais sans se réfugier dans une position de surplomb depuis laquelle il serait possible d’assister à cette précarisation du langage sans être entamé par lui dans notre intimité la plus profonde. C’est pourquoi l’énoncé de Blanchot n’est pas excessif : conduits au cœur de l’expérience de la précarisation du langage par l’écriture, force nous est de reconnaître que c’est là que toute angoisse s’accomplit comme angoisse. Il y aurait ainsi dans une telle expérience de précarisation du langage une perte des liens que le langage semblait constituer, aussi bien avec les autres qu’avec les choses. On retrouve alors l’isolement et le rien que retenait Heidegger. D’emblée, c’est la solitude de l’écrivain que Blanchot questionne. Et de ce que l’écrivain « aurait à écrire », il dit bien que ce n’est rien : « Quoi qu’il veuille dire, ce n’est rien. Le monde, les choses, le savoir ne lui sont que des points de repère à travers le vide. Et lui-même est déjà réduit à rien. Le rien est sa matière »130. L’angoisse de l’écriture serait l’expérience de l’effondrement d’un langage sur lequel on s’appuyait quotidiennement et qui fournissait les repères de la vie, effondrement qui laisserait dans la solitude et face au rien.

Chez Heidegger, la régression vers ce lieu intime qui s’avérait le hors-de-chez-soi était un mouvement vers le point depuis lequel l’authenticité et l’inauthenticité pouvaient être contemplées et choisies. La solitude et le rien n’avaient certes pas les couleurs de l’intime familier et du fondement solide, mais ils finissaient par en remplir la fonction : le mouvement de l’angoisse se révélait être un mouvement de ressaisissement de soi – sinon le début de ce mouvement –, ressaisissement d’un soi plus authentique parce qu’ayant contemplé ses possibilités et sachant la valeur de son projet à l’aune de sa mort à venir. Or la caractérisation blanchotienne ne se prête nullement à un tel ressaisissement. Et c’est ce qui invite à souligner que, partout où le texte blanchotien semble dire la même chose que celui de Heidegger, il s’en écarte pourtant, s’inscrivant pour sa part dans une irréductible ambiguïté, qui conduit notamment Blanchot à parler de folie et de déraison.

[Le] cas de l’écrivain a quelque chose d’exorbitant et d’inadmissible. Il apparaît comique et misérable que l’angoisse, qui ouvre et ferme le ciel, ait besoin pour se manifester de l’activité d’un homme assis à 130 Ibid., p. 11.

sa table et traçant des lettres sur un papier. En réalité, cela est peut-être choquant, mais comme est choquant le fait qui à la solitude du fou donne comme condition nécessaire la présence d’un témoin lucide. L’existence de l’écrivain apporte la preuve que, dans le même individu, à côté de l’homme angoissé subsiste un homme de sang-froid, à côté du fou un être raisonnable et, uni étroitement à un muet qui a perdu tous les mots, un rhéteur maître du discours. Le cas de l’écrivain est privilégié pour cette raison qu’il représente d’une manière privilégiée le paradoxe de l’angoisse. L’angoisse met en cause toutes les réalités de la raison, ses méthodes, ses possibilités, sa possibilité, ses fins, et cependant elle lui impose d’être là ; elle lui intime d’être raison aussi parfaitement qu’elle le peut ; elle-même n’est possible que parce que demeure dans toute sa puissance la faculté qu’elle rend impossible et anéantit131.

Pour nous conduire à la structure de l’ambiguïté, Blanchot commence par établir le caractère paradoxal de l’expérience de l’angoisse qu’on attribuerait de façon privilégiée à l’écrivain. Car, sans récuser l’idée qu’il vient de proposer selon laquelle c’est dans l’expérience d’écriture que l’angoisse s’accomplit vraiment comme angoisse, donc qu’elle vient à se réaliser dans le monde – sans récuser cette idée, il souligne la résistance qu’elle peut légitimement susciter : il semble grotesque d’attribuer à l’activité d’écriture, décrite de l’extérieur comme celle d’un homme assis à son bureau qui trace des lettres, ce que Heidegger attribuait au geste de ressaisissement de soi du Dasein qui rendait possible l’authenticité. Cela semble une version dégradée et futile de ce qui se présentait comme essentiel et fondamental. Mais, plutôt que de revenir sur l’idée précédente et de la reconnaître excessive, et aussi plutôt que de réfuter l’apparence grotesque de son idée, Blanchot maintient ces deux appréhensions de l’angoisse de l’écriture (elle est l’avènement authentique de l’angoisse ; il est grotesque d’en faire une expérience significative qui dépasserait l’expérience d’un individu quelconque à l’activité quelconque), comme si leurs teneurs incompatibles n’obligeaient pas à se décider pour l’une ou l’autre. Plutôt alors que de s’obliger à une décision qui solutionnerait le paradoxe, Blanchot décline ce paradoxe quant à la question de la solitude de l’écrivain – et il le fait aussi plus loin par rapport au rien.

S’il est paradoxal qu’un fait fondamental comme l’avènement de l’expérience de l’angoisse dans le monde repose sur l’existence d’un homme dans un bureau traçant des lettres, que dire alors de la nécessité de la présence d’un témoin lucide pour que puisse se réaliser la solitude d’un fou ? Pourtant, même si la solitude d’un individu semble d’abord s’opposer à la présence d’un autre, Blanchot a déjà su compliquer l’opposition :

La bête muette, c’est au témoin intelligent qu’elle apparaît en proie à la solitude. Ce n’est pas celui qui est seul qui éprouve l’impression d’être seul ; il faut à ce monstre de désolation la présence d’un autre pour que sa désolation ait un sens, d’un autre qui, grâce à sa raison intacte et à ses sens conservés, rende momentanément possible la détresse jusqu’alors sans pouvoir132.

Si la solitude correspond à la perte des appuis qui font la communauté, donc notamment la perte du langage (d’où la « bête muette »), alors cette solitude ne peut pas être expérimentée si

131 Ibid., p. 12. 132 Ibid., p. 10.

par là on entend faire l’expérience signifiante de la solitude. Pour qu’une expérience ait le sens d’être une expérience de la solitude, il faut que ce sens apparaisse à celui qui dispose du langage où se décide le sens. D’où la nécessité de ce « témoin intelligent », qui n’a d’intelligence finalement rien d’autre que la disposition du langage, mais cela suffit pour parler d’une « raison intacte ». La détresse n’a pas le pouvoir par elle-même de se réaliser comme détresse, ni la solitude d’être expérimentée comme solitude. Il faut qu’un témoin dispose du langage pour que le sens puisse être posé – ce témoin qui n’est que le représentant de la communauté. Bref, il n’y aurait solitude que sous les yeux de quelqu’un qui n’est pas du tout seul. Est-ce une objection définitive à l’idée selon laquelle la solitude se définit pourtant comme l’absence des autres, y compris d’un éventuel témoin ? Non pas. C’est au contraire la mise en évidence du paradoxe. Et l’écrivain est ici présenté comme concentrant en lui ce paradoxe. Il n’est plus question du fou solitaire et du témoin raisonnable comme de deux personnes séparées, mais bien de la subsistance côte à côte, de l’union étroite, « dans le même individu », de ces deux personnes. D’une part, l’écrivain comme angoissé est identifié à un fou, assimilé à un « muet qui a perdu tous les mots ». On pourra dire que la folie ici mentionnée n’a rien à voir avec la schizophrénie des asiles et qu’elle n’est qu’un doux rêve romantique (ou un tragique et sublime cauchemar romantique – c’est tout comme). Je retiendrai seulement qu’elle est explicitement assimilée – pour ne pas dire définie – par la perte des mots qui confine au mutisme. L’autre personne qui est « dans » l’individu écrivant, c’est justement celui qui lui permet de donner son sens à cet effondrement du langage, de nommer le mutisme, de dire la perte des mots. Blanchot le dit « être raisonnable », mais il en fait un « rhéteur maître du discours ». S’agit-il encore d’un excès ? La bête muette a-t-elle besoin que le témoin de sa solitude soit un génie de la langue ? Peut-être pas. Mais dans le cas des écrivains que l’on retient – que l’histoire a retenus – il s’agit pourtant de cela : des individus qui semblent mieux maîtriser le langage que les locuteurs communs. C’est donc à juste titre que Blanchot élabore ce paradoxe en plaçant, dans le même individu, un écrivain angoissé, solitaire et fou qui perd l’usage du langage et un écrivain maître du discours qui sait composer le texte qui dira à lui-même et aux autres – et par là, accomplira – cette angoisse, cette solitude et cette folie.

Ne voyons pas là toutefois la mobilisation facile de l’idée d’un soi divisé. Ce que Blanchot dit de ces deux personnes aux définitions opposées et pourtant présentes « dans le même individu » est répété comme paradoxe de l’angoisse elle-même. Et cette répétition rend explicite l’impossibilité d’apaiser la représentation des deux personnes dans le même individu : si on peut s’en faire une figure commode (celle d’un sujet divisé en deux

personnalités opposées et juxtaposées), celle-ci ne vaut qu’en tant qu’on la dépasse. Qu’est, en effet, sous sa forme répétée, le paradoxe en question ? Là où l’on risquerait de ne lire qu’une angoisse opposée à la raison, Blanchot souligne les tendances ambiguës de leur

rapport. Certes, l’angoisse est la mise en cause de tout ce qu’est la raison. La raison est ici ce

qui dispose à reconnaître des réalités dans le monde. C’est aussi ce qui dispose à appréhender méthodiquement ces réalités selon leurs différences (d’où la variété des méthodes, qui cependant sont toutes rationnelles en tant que méthode). C’est plus généralement ce qui