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2.3 L’ENTRÉE ROYALE : GESTES ET SYMBOLES

2.3.1 La ville qui s’offre

Une fois les derniers préparatifs terminés et l’approche du roi confirmée, le grand bal urbain peut se mettre en branle. Avant que le roi n’entre dans la ville, les représentants urbains sortent des murs et défilent devant le roi. La veille, on rappelle à tous les lieux de rendez-vous préalablement fixés comme l’illustre cet extrait des registres municipaux :

Il est ordonné à tous les bourgeois, archers, gens de mestier et aultres, tant de pied que de cheval, qui sont ordonnez par la Ville pour l’entrée du Roy, qu’ilz ayent à eulx tenir prestz pour demain au matin, au lieu et heure qui leur a esté mandé, affin de marcher et aller au devant du Sa Majesté97.

Le matin du 6 mars 1571, le roi de France Charles IX arrive au prieuré Saint-Ladre, sis au faubourg Saint-Denis et s’apprête à faire son entrée officielle dans sa bonne ville de Paris. Vers les dix heures, le roi prend place sur une estrade ornée de tapisseries de Turquie et s’assoie sous un dais de velours pers, ornés de fleurs de lys dorées. De son siège, le roi peut ainsi admirer les multiples délégations urbaines venues pour le saluer. Dans un long cortège, les ordres religieux, les universitaires, les hommes d’armes, les édiles locaux et les parlementaires défilent devant le roi98. Ce défilé agit à titre de symbole puisqu’il permet d’incorporer au corps du roi le corps social permettant, selon Pascal Lardellier, de reconstituer l’idéal mystique et monarchique

97 Guérin, Registres..., p. 262.

98 L’épisode de la sortie des dignitaires urbains est absente de la relation de Bouquet, mais se trouve dans les registres

municipaux. On y apprend que les dignitaire sont sortis de Paris par la porte Saint-Martin et qu’ils sont entrés par la suite avec le roi par la porte Saint-Denis tout près et ce, afin d’éviter tout désordre ou confusion. Nous reproduisons ici l’extrait en question. « Toute laquelle compaignye de la Ville, partant de la Greve, allerent par la rue de la Vennerye et passerent par la rue du Crucifix Sainct Jacques et l’Apport de Paris par dedans la rue Sainct Denys, où fut prins le chemyn, combien que l’on pensoit aller par la rue Sainct Martin. Mais fut advisé d’aller le long de lad. rue Sainct Denys, à cause que Messieurs les quatre Eschevins et les gardes qui debvoient porter le ciel demourerent en chemyn, qui n’eussent esté veuz, au moyen de quoy fut princs le chemyn de lad. rue Sainct Denys, pour trouver la compaignie par la rue du Bourg l’Abbé, devant la Fontaine de la Royne, pour gaigner la porte Sainct Martin, et en ce faisant evitter confusion. » Guérin, Registres..., p. 282.

derrière la royauté99. Au terme du défilé, le prévôt des marchand Claude Marcel, accompagné des quatre échevins parisiens, présente au roi sa harangue et, « ainsi qu’il est accoustumé, remet les clefs de la ville attachées à un gros cordon d’argent et de soye des couleurs du Roy, pendant à un baston couvert de veloux cramoisi, canetillé d’argent100. »

La description du rituel de la remise des clefs est peu explicite dans le recueil de Bouquet. En revanche, celle qui figure dans les registres municipaux est plus éloquente et offre un éclairage différent.

Auquel lieu, par mond. sieur le Prevost des Marchans, accompaigné des Eschevins, suivy de la pluspart des Conseillers, fut faicte la harangue à Sa Majesté. Et faisant icelle ung genoil en terre, baisant les clefz, les presenta à Sa Majesté, qui les print luy mesmes et commanda à mond. seigneur d’Anjou les faire bailler à une garde escossoize, qui les print et rapporta tost après au Bureau, se confiant en eulx comme ses très bons, très loyaulx et fidelles subjectz101.

La tradition de la remise des clefs de la ville au roi remonte à 1437 lors de l’entrée de Charles VII, première occurrence de ce rituel de soumission au pouvoir royal102. En offrant elle-même ses clefs au roi, c’est toute la ville qui s’offre au roi et qui marque son allégeance à la couronne. Les registres municipaux mentionnent explicitement que c’est le roi lui-même qui prend les clefs et non le Garde des Sceaux. Il s’agit bien d’un contact direct entre le roi et ses sujets représentés par le prévôt des marchands. Comme le rappelle Pascal Lardellier : « Voir le roi et être vu de lui, admirer ce pouvoir incarné, soudain présent et d’essence sacrée, c’était à l’époque absolument extraordinaire, historique103. » La génuflexion des édiles urbains renvoie avec justesse non seulement à l’acte de soumission envers son roi, mais aussi envers le sacré.

Après le corps urbain, c’est autour du roi et de la cour de se mettre en marche et d’approcher la porte Saint-Denis avec à l’arrière du cortège, les Parisiens toujours bien ordonnés. Avant toutefois de franchir la première porte, des salves d’artillerie sont échangées entre les hommes du roi et ceux de la ville104. La seule symbolique de la lutte armée ne permet pas d’épuiser le sens de ce geste qui est en soit essentiellement guerrier. Faut-il rappeler qu’il survient après la remise des clefs de la ville. Peut-être devons-nous y voir plutôt une démonstration des deux

99 Lardellier, Les miroirs du paon..., p. 121. 100 Bouquet, Bref..., 42v.

101 Guérins, Registres..., p. 284.

102 Bryant, The King and The City..., p. 88. 103 Lardellier, Les miroirs du paon..., p. 137.

forces en présence : celle du roi victorieux durant les guerres de religion et celle de Paris qui a su se défendre. D’un autre côté, il pourrait s’agir d’un avertissement adressé au roi. En effet, ce dernier toujours extra-muros s’est vu remettre les clefs de bonne foi, mais la ville est encore en mesure de se défendre.

C’est avec le passage de la porte Saint-Denis que s’amorce le parcours du roi dans la ville de Paris où l’attendent les Parisiens qui avec une « joye et allegresse incroiable, crians à haulte voix, vive le noble Roy de France »105. Le recueil poursuit ainsi :

Et passant par la porte aux Peintres et cheminant par la rüe sainct Denis, qui se va rendre au grand Chastellet, et de là par le pont nostre Dame, print grand plaisir tant aux ouvraiges et devises qui estoient aux arcz de triomphe et autres spectacles, dont cy devant est faict mention : qu’à divers instrumenz de musique qui sonnoient par tous lesdictz lieux : lors que sadicte Majesté passoit106.

Comme l’a si bien fait remarquer Jean-Marie Apostolidès dans Le Roi-Machine, la seule présence du roi suffit à faire animer le tout107. Bien qu’il n’en soit pas le concepteur, le roi est bel et bien le créateur du spectacle. Ce n’est qu’au moment où le roi pose son regard sur le décor que ce dernier s’anime et prend tout son sens. Il est aussi vrai que les occasions sont rares pour les sujets de voir leur roi. La fiction du double corps des rois prend ici aussi tout son sens. Certes, les Parisiens peuvent admirer le corps physique du roi qui parade et qui les regarde, mais en voyant passer les attributs royaux que sont la couronne et le sceau royal séparément du roi, c’est bel et bien le corps politique du roi qui prend une réalité plus tangible, au même titre que les espèces catholiques lors de l’élévation à l’autel. Quant à Pascal Lardellier, ce dernier propose plutôt de voir le roi comme « l’homme-du-rite » ou même « l’homme-rite » en ce sens que malgré la dimension contraignante du rituel, c’est le roi qui assure la cohérence et la cohésion du corps social108. Comme l’affirme l’historien : « Symboliquement, le défilé du corps social devant le roi consistait à incorporer celui-ci au corps du roi, pour les faire fusionner tous les deux, reconstituant de la sorte l’idéal mystique et monarchique sous-tendant la royauté109. » Il faut donc considérer l’ensemble du cortège comme étant une partie intégrante du corps politique du roi. Par contre, il est important de

105 Bouquet, Bref..., 49r. 106 Bouquet, Bref..., 49r.

107 Jean-Marie Apostolidès, Le Roi-Machine. Spectacle et Politique au temps de Louis XIV, Paris, Éditions de Minuit, 1981. 108 Lardellier, Les miroirs du paon..., pp. 122-123.

noter que les participants au cortège trouvent dans leur rang une forme de légitimité et d’identité propres à chacun, et voient du même coup leur identité fusionnée au profit de la personne royale qui englobe l’ensemble du corps social.

Au terme d’une longue déambulation dans les rues de Paris, le roi arrive enfin devant les portes de la cathédrale Notre-Dame pour aller « faire son oraison, comme il est de bonne et louable coustume », accompagnés des membres de la cour110. Point d’aboutissement du parcours urbain, la messe ne marque toutefois pas la fin de la journée puisque tout se termine au Palais où se tient un banquet. À l’extérieur, les parisiens sont conviés à de grands feux de joie, « en signe de la joye que les citoyens reçoivent de l’entrée du Roy111 ».