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1.3 PRÉSENTATION ET CRITIQUE DES SOURCES

1.3.1 Historiographie de l’entrée de 1571

Il existe assez peu d’études exhaustives qui portent précisément sur l’entrée de Charles IX à Paris hormis celle de Victor Graham et McAllister Johnson. Bien qu’elle remonte à 1974, cette ambitieuse édition critique fait toujours autorité aujourd’hui. Les deux auteurs, l’un professeur de français, l’autre de beaux-arts, propose un éclairage pointu sur les subtilités du programme ornemental. À l’instar de Louis Douet-D’Arcq, les deux auteurs ont inclus dans leur édition l’ensemble des archives municipales relatives à l’entrée de 1571. Néanmoins, malgré les détails d’érudition fort pertinents, l’analyse essentiellement sémiologique de Graham et Johnson ne propose pas une confrontation entre le recueil et les archives municipales et ne permet donc pas d’éclairer l’entrée à la lumière du contexte politico-religieux très houleux de cette fin – du moins espérée – des guerres de religion. Comme ce mémoire cherche surtout à questionner les projets avortés, voire les ratés dans le programme iconographique, l’ouvrage de Graham et McAllister sert surtout d’assise à l’analyse. Enfin, il faut mentionner les autres

versions, celles-là non officielles, de l’entrée de Charles IX82. Comme elles n’émanent pas directement des organes officiels de la ville de Paris, il en sera fait mention ponctuellement. Une étude comparative poussée aurait été des plus intéressantes, mais aurait nécessité davantage de temps et de moyens pour être réalisée dans le cadre de ce mémoire.

Outre l’édition critique de Graham et McAllister, d’autres études contribuent à la compréhension de l’entrée parisienne de Charles IX. Mentionnons d’emblée le travail de l’Américain Lawrence M. Bryant dont l’approche diachronique dissémine les références spécifiques à l’entrée de 1571 tout le long de l’ouvrage. Rituel constitutionnel certes, mais il faut surtout considérer que Bryant place l’entrée de Charles IX en pleine continuité avec celle de son illustre père Henri II. Une autre contribution d’importance est l’article de Frances A. Yates dans lequel l’auteure questionne « l’attitude des poètes de la Pléiade envers l’art et leur relation avec les artistes83. » Les quelques remarques sur l’entrée royale n’apportent rien à la compréhension de l’événement. La pertinence du travail de Yates réside surtout dans son analyse du programme ornemental du banquet qui clôt les festivités et permet de constater que les programmes pour l’entrée du roi, de la reine et du banquet sont tous interreliés. En 1984, les historiens français Jean Boutier, Alain Dewerpe et Daniel Nordman se sont intéressés aux Grand Tour de France84 réalisé par Charles IX dans le but de renforcer son pouvoir et sa légitimité sur l’ensemble de l’espace français. Au cœur de ce voyage, il y avait surtout une multitude d’entrées royales réalisées dans 108 villes de France. Bien qu’il ne soit pas question de l’entrée parisienne, cet ouvrage est pertinent quant aux considérations générales sur les entrées royales et leur organisation, mais permet surtout de prendre connaissance de la réalité de l’exercice du pouvoir royal et des modalités de son application, même grâce aux symboles. Plus récemment, les entrées de Charles IX ont intéressé les historiens d’un point de vue strictement artistique ou littéraire. La contribution de Julie-Andrée Rostan85 apporte un

82 Pierre De la Roche, Prosphonematique au roy sur son entrée a Paris le 6 mars 1571, Paris, 1571. Nicolas Natey de La

Fontaine, Le magnifique triomphe et esjouyssance des parisiens, faictes en la decoration des Entrées du très chrestien Roy Charles IX,

fait le VI mars, et de la Royne, faicte le XXIX dudict mois l’an mil cinq cens soicante et unze, Paris, 1571. Jacques Prevosteau, Description des appareilz arcs triumphaux, figures & protraictz, au jour de son entrée en la ville de Paris, Paris, 1571.

83 Frances A. Yates, « Poètes et artistes dans les entrées de Charles IX et de sa reine à Paris en 1571 », dans Jean

Jacquot, Les Fêtes de la Renaissance, Paris, CNRS, 1956, p. 62.

84 Jean Boutier, Alain Dewerpe et Daniel Nordman, Un tour de France royale. Le voyage de Charles IX (1564-1566), Paris,

Aubier, 1984.

85 Julie-Andrée Rostan, « L’ekphrasis ou de l’efficacité de la description dans les relations d’entrées françaises », dans

John Nassichuck (dir.), Vérité et fiction dans les entrées solennelles à la Renaissance et à l’Âge classique, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, pp.135-150.

éclairage intéressant quant à la problématique de l’ekphrasis, c’est-à-dire la description d’une œuvre d’art. Citons aussi le travail de Luisa Capodieci qui travailla elle aussi sur le banquet précédemment traité par Yates86. Toujours selon une perspective d’histoire de l’art, Capodieci

analyse le programme du banquet en regard des thèmes cosmologiques et occultistes permettant dès lors une interprétation plus complexe et approfondie que les travaux de ces prédécesseurs. Enfin, il faut souligner l’analyse de l’entrée lyonnaise de Henri III réalisée par John Nassichuck87 dont l’analyse sémiologique fait ressortir les influences de Ronsard et donc, des thématiques propres à l’entrée de Paris de 1571.

Une dernière contribution à l’étude des entrées de Charles IX doit être mentionnée puisqu’elle sert en quelque sorte d’assise méthodologique et correspond à la communication présentée par Jérémie Foa dans le cadre du séminaire Les vecteurs de l’idéel tenu en 2008 à l’Université de Tours88. Partant du postulat de base que les rites ont une efficacité, Foa cherche à savoir si les ratés à ces mêmes rites ont aussi une efficacité. En inventoriant les différents types de ratés et de bévues lors des entrées royales du Grand Tour, Foa constate que non seulement les accrocs au rituel sont souvent délibérés, mais que le discours qu’ils sous- tendent détient une réelle efficacité. En analysant les entrées royales par les marges et non seulement grâce au recueil – lequel ne fait pratiquement jamais mention des ratés – on comprend que l’entrée n’est pas un moment où s’illustre et s’incarne l’ordre, mais plutôt un où s’incarnent les conflits latents politiques ou religieux. En misant davantage sur la dimension conflictuelle de l’entrée royale, il appert qu’il s’agit d’un rituel beaucoup plus complexe que le modèle dialogique de Guenée ne le laisse entendre. Une telle analyse à propos de l’entrée

86 Luisa Capodieci, « Cadmos et l’harmonie. Jean Dorat, Nicolô dell’Abate et le décor de la salle du banquet pour

l’entrée de Charles IX et Elisabeth d’Autriche (Paris, 1571) », Seizième Siècle, no 3, 2007, pp. 61-90. Une autre étude qui

considère la dimension hermétique du discours des entrées royales s’attarde à l’entrée lyonnaise de Charles IX durant le Grand Tour. Voir Luisa Capodieci, « « Procul este profani » : hermétisme et symbolique du pouvoir dans l’entrée de Charles IX à Lyon en 1564 », dans John Nassichuk (dir.), Vérité et fiction dans les entrées solennelles à la Renaissance et à l’Âge

classique, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, pp. 151-188.

87 John Nassichuck, « L’imitation de Ronsard sous la plume de Gabriel Chapuys. L’entrée lyonnaise de Henri III. »,

dans Marie-France Wagner (dir.) Les jeux de l’échange : entrées solennelles et divertissements du XVe au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2007, pp. 223-253.

88 Il est malheureux que les travaux présentés lors de cette journée ne soient pas été réunis et publiés. Néanmoins,

elles ont été filmés et sont toujours disponible sur le site internet de l’Université de Tours. Jérémie Foa, « Le bêtisier du Tour de France : bévues, ratés et incompréhension dans les entrées de Charles IX (1564-1566), Communication présentée dans le cadre du séminaire de recherche Vecteurs de l’idéel – Les entrées royales : légitimation implicite et fabrique de

consentement, Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours, 23 septembre 2008 [En ligne] http:\\cesr.univ-

parisienne de 1571 n’a jamais été réalisée, une lacune que ce mémoire cherche justement à combler.